Réflexion de salle de bain.
Je me contemple dans le miroir, et mes pensées prennent un tour d’actualité.
Je ne rajeunis pas.
Ce n’est pas nouveau. Comme certaines dates commémoratives qui reviennent épisodiquement, voilà que me tenaille le besoin rebattu mais exigeant, d’une crème miraculeuse à la consistance lisse, comblante, au parfum de certitude.
Quelques stations de métro plus tard, j’émerge sur le trottoir d’un Grand Magasin, dans les environs de Noël. Lumières œillades, guirlandes aguicheuses, et appel du pied des vitrines magiques. Indifférente à ce déballage précoce des fêtes de fin d’année, j’agrippe la poignée de la lourde porte vitrée et je suis soudain soufflée par l’afflux d’air chaud, prisonnier du rez de chaussé. Parfum moite d’humanité, combinaison aléatoire des dernières eaux de toilettes vendues en vedettes sur des podiums disséminés, remugle de tous les cuirs faux ou vrai du rayon maroquinerie, je ne sais plus où donner du nez ! J’avance dans un raz de marée olfactif, parmi les remous de la foule nerveuse et affairée, dont les corps vibrent en position surchauffe, sous une couche de vêtements prévus pour un froid extérieur.
Noël, dans ma mémoire courte, sent la cannelle, le chocolat chaud, parfois le marron glacé, surtout le pudding Irlandais, et depuis peu, le sapin de la forêt Ikea. Mais je dois me rendre à l’évidence, ici, dans ce temple de la consommation débridées, Noël ressemble à une immense fournaise capiteuse. Quel bordel ! Oups,...pardon. Cela m’a échappé. Bien, reprenons nos esprits. Je retire d’abord mon manteau, afin de baisser mon niveau de température, et je profite de ce moment de distraction pour faire le vide dans mon nez : je soupire doucement, bouche close. Instantanément, toutes les informations inutiles qui ne nécessitent pas d’être analysées, répertoriées et disséquées par ma boîte nasale, reliée à mon petit cerveau véloce, sont évacuées. Je redresse les épaules, en prenant une goulée d’air tiède, lèvres juste ouvertes, comme pour un baiser. Pensées sans nuages, nez clair. Vent calme. Fin de tempête. L’horizon dégagé, je poursuis ma traversée, sereine, vers les stands exhibant les marques de cosmétiques célèbres. En chemin, je joue avec quelques découvertes suaves, capturées au détour des comptoirs des parfumeurs. Quelques alliances surgissent, pertinentes, cocasses, mais la plupart demeurent sans élégance. On frôle l’absurde et la saturation.
Hésitante, je choisis un stand aux allures rigoureuses et épurées. La demoiselle s’approche, sourire discret et attentif sur un visage d’un naturel parfait, emblématique de ce style impalpable, mais terriblement sophistiquée du maquillage « nude ». Elle n’hésite absolument pas, et me propose la crème indispensable pour lutter contre les sévices irrémédiables du temps, qui passe sans vous demander pardon. Elle prélève une noisette du produit et la dépose délicatement sur le dos de ma main. Sans réfléchir, je la porte à mon nez et grimace aussitôt. Le parfum est terriblement puissant et complexe. Il évoque des matins mouillés couleur d’aurore, quelques nymphéas…ou plus simplement , des rondelles de concombre, ou de la chair de melon vert. Les angles sont droits, la lumière translucide, le son subtilement strident. Par contre la texture est séduisante : fluide, onctueuse, d’une belle couleur ivoire pâle. Mais, j’ai beau renifler ma main, je n’arrive pas à convaincre mon esprit que c’est la solution à mes préoccupations épidermiques.
La fragrance n’est tout simplement pas assez riche, ni charnue, chaude, moelleuse, paresseuse et veloutée. La crème proposée possède certainement des qualités anti-relâchement et tutti-comblement, mais le parfum frais, un peu raide, qui s’en dégage, me suggère d’être simplement hydratée et, la peau, peut être, un peu retendue. De toute évidence, me voilà surprise en flagrant délit de succomber au piège de l’effluve placebo. Ah ! Comme notre inconscient olfactif nous enferme dans ses codes prêt-à-porter ! Un joli pied de nez à ma démarche anticonformiste, et mes grands discours sur la modernité…je ne suis même pas fichus de convaincre ma propre cervelle de professionnelle!!
Car c’est ainsi. Malgré notre superbe clairvoyance et notre connaissance de plus en plus fine et insatiable des divers composants, nous persistons à être doucement menés par le bout du nez, au détour d’un parfum invisible incorporé à une base galénique vertueuse. Sans y toucher, nous apprécions tel crème, lait corporel ou baume, pour son odeur caractéristique, et conforme à l’attente de certaine performance. Ainsi au fil du siècle, nos cosmétiques, autrefois simplement aromatisés à la rose, ont révélés depuis, des formes de plus en plus précises, avec des étiquettes clairement établies. Chaque peau, chaque âge, chaque préoccupation dermatologique possède aujourd’hui son petit casier, ornementé d’une définition olfactive. En règle générale, une composition fraiche et transparente est destinée à une peau jeune, tandis qu’un bouquet floral, opulent, discrètement « sucré », convient aux peaux matures. Légèreté et simplicité s’oppose à confort et sécurité. Bien sur, le casier est ensuite divisé en nombreux compartiments où l’on distingue les signatures des Marques, et des genres : bio, naturel, expert, masculin, féminin, minéral, végétal, méthodique, empirique, sérieux, amusant... Hé oui, le mot « amusant » contient une odeur ! Celle qui vous fait sourire et détend vos traits, quand vous appliquez en gestes rapides votre soin quotidien. D’abord, vos doigts glissent sur votre visage et vous éprouvez la texture souple et rassurante, puis, votre nez enregistre les effluves sans vous demandez votre avis et, aussitôt un sentiment de bien être vous envahit. Et hop ! Oublié, les rides…jusqu’au lendemain !