vendredi 23 décembre 2011

Menu de Noël : lèche-vitrine

À la campagne depuis plus d’un an, et de passage éclair sur Paname. Joyeux Noël !
Trois jours.
Dévoreuse de vitrine. Acharnée des rayons
Rattraper le manque et glaner des idées cadeaux.

Percutées par des odeurs
Tiens, je ne les avais jamais remarquées.
Mon nez est-il rincé, neuf et dépollué ?
Virginité retrouvée ?
Les boutiques fouettent
Les fruits surnaturels et la cannelle
La cire des bougies formatées Noël
Et sous le remugle de saison :
La femme, les pieds, l’homme et les cheveux.

Un gloubi-boulga indéfinissable
Un gourbi d’odeurs flasques, imbibé de sirop moite.
Amusant et repoussant.
Je jette mon dévolu sur une allée coincée entre les cabines d’essayage et les caisses enregistreuses d’une célèbre marque de vêtements étiquetés « made in Spain ».
J’éprouve le besoin de fuir la foule
Je reste pour les odeurs.
Rapidement, je perds le contrôle de mon nez. Les molécules bouillonnent, électrisées par la ronde frénétique des clients survoltés. Je détecte un relent de vernis à ongles, rose litchi, j’agrippe des fibres de cotons barbouillées de tabac froid, je tombe sur la saveur carbonisée des pelures de bogues de châtaignes, puis sur quelques volutes de crêpe au chocolat. L’émanation entêtante des colles néoprènes employées pour assembler les faux cuirs et fixer la moquette étrillée par des centaines de chaussures m’étourdit, tandis que je dépiste le filigrane sophistiqué de la laque Elnett aux aldéhydes désormais confits. Un pot-pourri, condensé des meilleures ventes d’eau de toilette féminines et masculines du moment, s’embrouille avec le remugle caractéristique des pieds confinés depuis trop longtemps dans une paire de baskets, fumet qui évoque étrangement l’eau de cuisson du riz. Enfin, je glisse sur les arômes de pâtes de fruits de la sueur capillaire, et de camembert au lait cru de la transpiration fraiche.
Vous pensez que je dresse un menu olfactif terrifiant et indigeste ?
N’en croyez rien.
J’ai un appétit sincère et curieux pour ces parfums d’humanité
Je les préfère souvent aux odeurs monotones des déodorants abrupts et des lessives onctueuses. Au centre de ce bazar de la tendance, bousculée parfois par un anonyme odorifère en quête du cadeau inespéré, je noue un dialogue muet avec la société d’aujourd’hui qui hésite entre naturalité authentique et camouflage élaboré.
Sous les parfums, je débusque la vie.



Joyeux Noël et savoureuse fin d’année !
À l’année prochaine pour de nouvelles aventures olfactives…






vendredi 16 décembre 2011

Cueillettes

Pierre qui roule, j’ai ramassé de la mousse
Ravie, émerveillée de ma trouvaille, j’ai abandonné mon panier et les trois chanterelles jaune d’or dénichées sous une racine. Entre mes doigts légers, j’ai contemplé la brindille sertie de lichen vert de gris.
Parasite gracile, délicat et raide
Algue terrestre, figée et stérile. Je l’ai porté à mon nez.
Fantasmes et bienheureuse réalité
Chairs d’hommes, tanniques et douces.
Acres, salées et tièdes.
Vivantes et charnelles.

Je conserve la mousse
La porterai à mon nez
Pour le plaisir de rêver

Aux peaux des hommes sans parfum



mousse de chêne: matière naturelle employée dans de nombreux parfums masculin et féminin depuis le début du siècle dernier. Matière noble, mysterieuse et objet de nombreux fantasmes. Un souvenir d'enfance : les ballots de mousse de chênes grossièrement retenus par des sacs de toile de jutte, entassés en pyramide dans l'entrepôt de l'usine avant traitement aux solvants et transformations sous forme d'absolu pour la parfumerie. A l'époque, ce parfum complexe me rassurait et comblait mes sens de gamine gourmande d'odeurs. Aujourd'hui la ville de Grasse ne diffuse plus ces odeurs étranges et sensuelles de mousse, de patchouli, de labdanum, de mimosa, de jasmin....

mercredi 7 décembre 2011

Œufs brouillés

Que voudras-tu faire plus tard quand tu seras grande ?
… le shampooing aux œufs.

Quelques années plus tard, toute jeune parfumeur, je promenais mon nez sur les étagères du laboratoire à la recherche de la matière miracle qui allait révolutionner ma formule. La quête du produit auquel personne ne songeait plus, dont je n’avais jamais entendu parler au cours de ma formation, mais qui m’attendait tranquillement dans son coin, capitalisant la poussière. Classés sur les tablettes en verre, ou alignés sur les paillasses à porté de main des assistantes penchées sur leurs balances, je m’assurais que tous les flacons étaient propres, manipulés chaque jour et utilisés régulièrement. J’ai étendu mon exploration à la chambre froide logée au bout du couloir où sont stockés les matériaux peu courants, les gros bidons et les raretés fragiles. Une blouse sur le dos pour me tenir chaud, j’ai décrypté des centaines d’étiquettes aux dénominations rarement naturelles, aux nombreux libellés chimiques interminables. J’ai débouché des dizaines de flacons dont les effluves m’ont paru trop vagues ou trop violentes, démodées ou ordinaires. Les doigts pollués de traces aromatiques diverses en raison de toutes mes manipulations, j’ai décapsulé une minuscule fiole en alu pour découvrir enfin le composant prodigue. Une matière, qui témoignait d’une époque et stigmatisait plusieurs générations. Une signature olfactive comparable à une étiquette AOC : le shampooing aux œufs DOP.
Voilà ce que je peux faire maintenant.
Un remix du shampooing parfumé aux œufs. Symbole de la propreté familiale des années 70. Illustration du retour aux sources et des slogans à fleurs. Fédérateur du mouvement « faire de la mousse et barboter dans le plaisir fraternel d’une sensualité nouvelle » : les cheveux longs cocotent fraicheur et tendresse. Et, pour les futures générations : la tentation de la régression ! Tout ce fatras marketing dans un petit, tout petit flacon flanqué d’une terminologie grec coloré: Heptavert.
Traduction chimique : 2-heptyltetrahydrofuran
CAS No. 2435-16-7
Chemical Name: 2-heptyltetrahydrofuran




Synonyms: Heptavert;2-heptyloxolane;2-heptyltetrahydrofura;2-heptyltetrahydro-fura;tetrahydro-2-heptyl-fura;Furan, 2-heptyltetrahydro-
CBNumber: CB3893344
Molecular Formula: C11H22O
Formula Weight: 0
MOL File: 2435-16-7.mol
Il s’en dégageait un parfum de blanc d’œuf cru et mouillé, incroyablement propre et frais. Fleuri comme une prairie au printemps, doux comme la caresse du vent dans les arbres, offrant une saveur de beurre, une couleur de bouton d’or et… blablabla. Ah ! Je sentais que ce truc allait faire des miracles !!
Alors, j’ai jeté en grande quantité sur le papier, la molécule d’Heptavert, puis j’ai ajouté quelques lignes d’autres produits pour stimuler, enrober, magnifier sur un piédestal ultra moderne d’œufs montés en neige, ma molécule d’exception. DJette de la matière, j’ai mixé diverses compilations pour m’apercevoir, désenchantée, que ce produit à l’odeur si complexe et complète demeurait désespérément inaudible. Il n’avait strictement rien à dire, ne possédait finalement aucune personnalité ni aucun rythme. Matière première égoïste, elle serinait sa séguedille pour son seul plaisir solitaire dans une bouteille abandonnée au bout du couloir. De surcroit, je me suis rendu compte que la bougresse était rudement chère ! Un prix au kilo pour la parfumerie de luxe mais certainement pas pour un shampooing populaire !!
Fichtre Quenouille ! Ah mais, je n’ais pas dit mon dernier mot ! Je l’aurais ma formule aux œufs. Je suis certaine de détenir l’idée idéale pour L'Oréal. Je repars donc en croisade, et me renseigne auprès des parfumeurs qui possèdent l’expérience et la mémoire du passé. Dis, tu me dessines un shampooing aux œufs ?
Je vous passe les détails de ma quête, mes cheveux ébouriffés à force de réfléchir, mes flops, mes joies fugaces et mes ongles rongés.
J’ai finalement abandonné mes recherches sur le shampooing aux œufs-de-poules-élevées-en-plein-air après plusieurs mois d’investigations, de propositions exaltées et de commentaires septiques. En revanche, j’ai glané une très jolie histoire de parfum, et un splendide enseignement.
Premier shampooing populaire, lancé en France dans l’entre-deux guerre, DOP s’établit et se développe réellement dans les années soixante. Quand le « DOP aux œufs » fait son apparition au cours des années 70, la marque est déjà, et depuis longtemps, synonyme du label « pour toute la famille ». Oui mais, pourquoi lancer un produit qui ne sent pas la fleur ? Pourquoi choisir de se laver la tête avec un panier d’œufs ? Et puis, tous le monde le sait, l’œuf possède très peu d’odeur lorsqu’il est frais, mais empeste lorsqu’il est pourrit.
Petite histoire d’anthropologie olfactive :
En ce temps là, la mémoire collective conservait déjà le souvenir d’une mixture efficace et douce, réalisée à base d’œuf cru et de miel que l’on émulsionnait sur le crâne des enfants ou celui des jeunes filles qui souhaitaient de beaux cheveux brillant, pour les grandes occasions. Par ailleurs, les mères de nos chaumières confectionnaient habituellement une boisson très sucrée, revigorante pour les soirs de rhume. Une recette nourrissante, à base de lait chaud, mélangé à du miel et un œuf cru soigneusement battu. Elles ajoutaient souvent une lichette de rhum ou d’eau de vie, pour plus d’efficacité…
Le grand écart fut franchi après une analyse balbutiante du marché et, la formule originale du shampooing aux œufs dévoila une odeur toute simple et rassurante. Réalisé avec une grande quantité de vanilline, une généreuse louche d’absolu benjoin pour l’onctuosité, un soupçon d’acétate d’éthyle et de lie de vin pour l’étincelle gourmande et efficace du rhum, le Lait de Poule, transformé en produit d’hygiène de masse grâce aux premières incidences du marketing venu d’outre-Atlantique et qui débutait en France, véhicula le sentiment d’un shampooing fortifiant, naturel et embellissant. L’abus de mousse étant le seul risque, la famille pouvait le consommer jusqu’à l’ivresse !
Et pour l’enseignement ?
Ah oui. Ce jour-là, je n’étais pas fiérote mais j’ai digéré la leçon.
1. La matière première miracle n’existe pas pour bâtir une formule d’exception.
2. L’idée du siècle, fruit d’une apparition spontanée sur une étagère, non plus.

Pour info, je n’ai pas cherché à réaliser le shampooing à l’odeur de paracétamol…médecine certainement plus efficace que le lait de poule pour lutter contre le rhume, mais absurde pour parfumer les cheveux.

Petit Plus : La recette du shampooing aux vrais œufs :
Battre un œuf en omelette, puis d’ajouter une cuillère à café de miel. Emulsionner sur cheveux mouillés, puis rincer à l’eau. Bien sûr, on évite l’eau trop chaude, car sinon l’œuf coagule et là, ce n’est pas du gâteau pour faire disparaitre les grumeaux d’œufs brouillés ! On achève le rinçage avec un vinaigre doux, de cidre ou de miel, pour obtenir des cheveux brillants. (recette tirée du livre « Créez vos cosmétiques Bio » de Sylvie Hampikian, édition Terre Vivante)
Clin d’œil:  à Claude Nougaro et sa chanson drôle et poétique : « Le coq et la pendule » dont j’ai emprunté l’expression « seriner sa séguedille ».
Et merci à l’ami qui s’inquiète lorsque les chroniques s’absentent. C’est parce que j’ai le nez ailleurs…