lundi 25 juillet 2011

Quizz de l’été: Le parfum "Honolulu"

Bonjour à tous,

Les poils du Dieu Pan s’est achevé ce vendredi et, entre-temps, j’ai pensé vous proposer une participation à la résolution d’une affaire d’odeur, que j’ai volontairement, ou pas, omise….

L’affaire du parfum « Honolulu » du Commissariat !

D’où provient ce parfum?
De quel angle, étagère, bidule, pièce, humain, papier, girafe, émane-t’il ????
Quel est son origine ?
Qui, ou quoi diffuse cette odeur suave de plage, de sable et de vanille à peine fruitée ????

A vous d’enquêter !!
Cherchez dans vos tiroirs à saveurs, puisez dans votre mémoire olfactive
Agitez votre talent de conteur d’odeurs

Et imaginez la raison de ce parfum d’exotisme, qui envahit sournoisement et bizarrement l’accueil d’un bureau de flics.

Pas de gagnant ou gagnante, pas de gros lot, ni de filet garnit en perspective, mais le plaisir simple et léger de l’écriture, celui d’exprimer son sens des odeurs, et d’offrir à tout le monde et/ou à mon nez en particulier, votre approche ludique, sérieuse, timide, loufoque…. des mots odorants. Votre vision olfactive.

Amusez-vous et postez, sur ce blog, ou sur ma boite mail nezen@free.fr, votre explication du « Parfum d’Honolulu » du Commissariat.



Au plaisir de vous lire....chacun son tour :))

vendredi 22 juillet 2011

Les poils du Dieu Pan /13

Et voilà. Notre récit s’achève. J’ai eu un mal fou à le rédiger, bien que l’histoire soit claire dans ma tête, mais impossible à accoucher sur le papier. En fait, contrairement à un parfum, un récit contient bien le mot fin. Un point. Final.
Quand j’écris une formule et qu’elle s’achève dans un flacon, l’histoire perdure et s’enrichit auprès de chaque personne qui le porte. Une suite de pointillés.
Merci pour votre assiduité, votre intérêt et votre patience au cours des interruptions du programme !
J’en profite également pour vous souhaiter de belles et douces vacances si vous avez la chance et l’opportunité de lâcher prise, et tant pis pour la pluie !
A très bientôt en Septembre.



Il était un peu plus de vingt heures lorsque Tristan parvint au pied de l’immeuble. Il consulta le post-it qu’il venait de retirer de sa poche et sonna à l’interphone d’Oriel Wisnia. La porte émit un déclic, il s’engouffra dans le hall d’entrée carrelé d’un damier noir et blanc. Comme de nombreux vieux immeubles à Paris, celui-ci ne possédait pas d’ascenseur. Tristan gravit sans se presser les quatre étages et atteint le palier où la porte de l’appartement – nouveau coup d’œil au post-it -- d’Oriel, était déjà entrouverte. Antoine parut, et lorsque Tristan le rejoint, il l’accueillit dans ses bras.
- Je suis heureux que tu aies pu venir. Entre, je t’en prie, et débarrasse-toi de ta veste sur le fauteuil. Je suis vraiment navré pour ce changement de dernière minute.
- Pas de problème. En ce moment, je suis plutôt libre de mon temps. Affirma tranquillement Tristan, en retirant sa veste et en la déposant sur l’accoudoir du fauteuil
- Oui, c’est vrai…tiens à ce propos je voulais te dire…
Oriel apparu souriante, vêtue d’une robe minuscule qui caressait sa silhouette.
- Tristan...roucoula-t’elle, s’attardant longuement sur la dernière syllabe du prénom.
- Bonjour…Oriel
- Incroyable ! Il se souvient de mon prénom, Champagne ! s’exclama- t’elle en lui attrapant le bras et, riant de plus belle, elle l’entraina vers le salon.
Antoine ferma la porte et les rejoignit, ne sachant s’il devait se froisser ou se réjouir de l’accueil réservé par sa petite amie à son copain d’enfance. Il haussa les épaules, dédramatisa : de toute façon, Oriel s’apercevrait très vite que Tristan, malgré un physique avantageux, était loin d’être un type charmant. Il apprécia cependant l’enthousiasme déployé par la jeune femme dans l’unique but de séduire son cavalier, lorsqu’elle tomba plutôt qu’elle s’assit, sur l’un des immenses canapés en velours rouges sombre qui se faisaient face, emportant Tristan dans sa chute. Antoine contempla à loisir les jolies jambes dévoilées bien haut, et ne put s’empêcher de sourire quand il remarqua le visage contrarié de son ami, qui manquant d’échouer sur les genoux de la jeune femme, récupéra son équilibre in extremis. Tristan s’éloigna prudemment des cuisses féminines qui le frôlaient, sous le prétexte d’admirer la décoration et le mobilier du salon, illuminé par les flammes d’une multitude de bougies. Réunit en fagots, des cierges ivoires de tailles et de diamètres variés, étaient disséminés sur chaque meuble et sur plusieurs étagères de la bibliothèque, où n’apparaissait aucun livre, mais un amoncèlement hétéroclite de figurines de BD, de héros de cinéma ou de babioles ridicules provenant d’œufs-surprises en chocolat. Enfin, sur la table du diner, deux candélabres aux branches largement déployés, offraient à peine la place de disposer les couverts.
- C’est sympa toutes ces bougies, très chaleureux comme ambiance.
Tristan jugeait sa remarque totalement débile, mais il n’avait rien trouvé de mieux pour s’éloigner des mains un peu trop entreprenantes d’Oriel, et glisser vers un autre sujet, sans passer pour un mufle. Visage levé, narines déployées il captura également un parfum doux et moelleux, comme une entêtante saveur de tarte aux fruits ointe de crème anglaise.
- Ah, Tristan se met en chasse. Quand je vois ton nez se froisser ainsi c’est qu’une odeur t’intrigue, je me trompe ?
Tristan se mit à rire et échangea un coup d’œil complice avec Antoine.
- Rien ne t’échappe, n'est-ce pas ?
- Je connais tes grimaces.
- Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta Oriel qui n’appréciait pas du tout cet aparté masculin où elle n’avait pas son mot à dire.
- Mais non, tout va bien. La rassura Antoine en prenant place sur l’autre canapé, en face du couple. J’ai prévenu Tristan que tu cuisinais très bien, et son nez véloce a certainement déjà décrypté ton menu.
- Cela m’étonnerait, remarqua en souriant Oriel. « Mais peu importe. D'abord, Tristan doit tout nous révéler de cette affaire de meurtre. Sais-tu que nous avons été longuement interrogés ce matin ? J’ai trouvé la commissaire extrêmement polie, mais cela ne l’a pas empêché de nous poser tout un tas de questions très désagréables sur toi »»
- Plutôt sur nous, Oriel
- Oui, enfin bon, de toute façon j’aimerai bien en savoir un peu plus sur cette histoire. En quoi te concerne-t’elle Tristan ?
- Je n’en sais rien. Peut être existe-t’il une connexion avec mon enfance, mais laquelle, je ne vois pas. Pas plus que ne comprend le lien entre Voltaire et la serveuse
- Dont tu ne te rappelles plus le prénom….glissa doucement la jeune femme, en posant sa main sur celle de Tristan.
- Oui je sais, et je n’ai pas d’excuse. Antoine se moque souvent de mon incapacité à me souvenir des noms des gens.
- Seulement des femmes… Précisa, Antoine.
- Je peux le comprendre, avec la maman qu’il a eue.
Oriel tripota de plus belle la main de Tristan. Contrarié, ce dernier s’éloigna davantage de la trop jolie fille entreprenante et curieuse. Ce simple mouvement provoqua une nouvelle lichette de vapeur sucrée. Machinalement, il analysa l’effluve qui passait sous son nez et qui l’intriguait sans qu’il sache vraiment pourquoi. Certainement les arômes d’un gâteau en train de cuire au four. Pourtant, il manquait le parfum caractéristique de la levure et de la farine qui enfle doucement, entre acidité métallique et bois tendre. Quand les saveurs se figent au moment où les œufs et le sucre fusionnent. Non, rien de croustillant. Mais un fort relent liquoreux, chaud et confit.
Tristan ne put s’empêcher de demander à Oriel ce qu’elle était en train de mijoter, car il ne parvenait pas à identifier les ingrédients en train de cuire. Entre dessert et pâtes de fruits.
- J’ai préparé une blanquette de veau à la vanille, accompagnée d’un riz Basmati en train de sécher à la vapeur.
- Non, ce n’est pas ça. Je reconnais le parfum de cardamome et de sésame du riz, je vois parfaitement l’onctuosité de ta sauce vanille, dans laquelle tu as ajouté une cuillère de beurre de cacahuète….excellente idée que je souhaiterai t’emprunter si tu es d’accord. Mais non, c’est autre chose, un truc sucré qui me chiffonne. Le dessert ?
- Ah ça, c’est une surprise. Si tu n’as rien deviné, je te laisserai le découvrir le moment venu. Et si nous ouvrions cette bouteille de champagne qui nous attend depuis ton arrivée ? Antoine, tu veux bien t’en occuper s’il te plait ?
Antoine s’acquitta de la tâche avec plaisir, mais malgré une grande habitude des bouteilles il fut surpris par la puissance du jet du bouchon qui libéré brutalement, traversa la pièce. Il versa précipitamment le liquide qui jaillissait du goulot dans le premier verre. La mousse se forma, déborda et se répandit sur la table. Oriel se leva rapidement et se précipita vers la cuisine, la coupe dégoulinante posée dans le creux de sa main. Elle revint avec un verre vide et propre, et un torchon pour essuyer les dégâts sur la table basse. Elle tendit son verre à Antoine afin qu’il la serve une seconde fois.
- Hé bien quel dommage, un si bon champagne gâché…
- Il en reste bien assez Oriel, et Tristan est venu avec une seconde bouteille. Nous avons largement de quoi célébrer cette soirée.
- Oui tu as raison mon amour, alors à nous et à nos retrouvailles !
- Nos fiançailles, tu veux dire ?
- Oui, bien sur mon Antoine. Je souhaitais remercier Tristan, car il a accepté de se joindre à nous un jour plus tôt.
- C’est donc la raison de cette précipitation : vos fiançailles ? C’est un peu rapide, non ? Remarqua Tristan, stupéfait au point qu’il interrompit son geste et éloigna son verre de ses lèvres.
- Voilà bien Tristan et toute sa méfiance pour la gent féminine, ironisa Antoine.
- Mais pas du tout, je ne voulais pas être désagréable. Je suis juste un peu surprit, c’est tout.
Et de plus en plus interpelé par l’odeur douçâtre et tiède qui ne quittait plus son nez. Elle s’infiltrait dans les replis de sa mémoire, révélait des images anciennes ou plus récentes. Il pensa brièvement à sa comptable, évoqua les petits-déjeuners du dimanche, tenta de se rappeler comment Lise s’épilait, et dans la seconde suivante se demanda pourquoi il tentait de répondre à une question à laquelle il n’avait jamais songé, jusqu’à ce que la commissaire lui en parle. Puis il se vit dans la cuisine de son restaurant, tachant de mélanger des ingrédients inconnus afin de reproduire cette odeur, cette odeur, cette odeur qu’il était le seul à chercher dans cette pièce.
La voix d’Oriel, impatiente, le retint de se mettre debout afin de débusquer l’origine de cette ivresse olfactive.
- Tss-tss….Allez, on s’en fiche ! Trinquons plutôt à cet heureux présage !
Antoine et Tristan ainsi rabroués, levèrent leur verre, et d’un même mouvement dégustèrent une longue gorgée du vin de fête, en contemplant Oriel y tremper ses lèvres.
La sensation d’étourdissement vint rapidement. Antoine et Tristan eurent juste le temps d’aviser que le champagne était un peu trop pétillant et l’amertume inhabituelle, quand ils sombrèrent, et s’affalèrent en un bel ensemble sur le canapé. Oriel accueillit avec un geste d’amante le visage de Tristan sur ces genoux. Elle demeura un moment immobile, glissant ses doigts dans les mèches brunes, caressant le visage et la nuque de l’homme endormi. Elle s’éveilla pourtant de sa torpeur sensuelle lorsqu’Antoine émit un long ronflement. Elle s’aperçut que le temps était compté pour agir, savourer sa revanche et disparaitre tout à fait.


Les deux hommes reprirent connaissance bien plus tard, privés de la notion du temps écoulé. Abasourdit, ils découvrirent qu’ils étaient allongés sur le sol, totalement nus, et lorsqu’ils tentèrent un mouvement naturel pour se couvrir, ils s’aperçurent qu’ils étaient écartelés comme deux grenouilles sur une table de dissection : chevilles et poignets liés aux pieds des énormes canapés rouges qui se faisaient face.
- Pas la peine de vous démener. Les canapés sont fixés au sol. Vous ne pouvez rien tenter, juste patienter le temps que j’en finisse avec vous.
Oriel, juchée sur l’accoudoir d’un canapé, les contemplait du haut de son perchoir, genoux repliés, son doux visage posé dans sa main. Sa voix demeurait naturelle et calme. Sereine, elle attendait que les corps des deux hommes ligotés cessent de s’agiter vainement. Elle savait que la curiosité reprendrait le dessus après ce bref mouvement de révolte, que les questions pénibles, toujours inutiles, allaient être abordées sous peu. Elle avait soigneusement répété son rôle devant le miroir de la salle de bain tandis qu’elle se maquillait pour recevoir son visiteur : voyons…. Antoine s’offusquerait certainement le premier, mais elle ne lui répondrait pas, il n’avait plus d’importance, il n’en avait jamais eu. Tristan resterait silencieux, alors elle s’approcherait de lui presque à le toucher et il comprendrait enfin. Il réagirait violemment et lui demanderait pardon. Oui, tout se passerait très bien. Elle enchainait questions et réponses devant son reflet, tandis qu’elle voilait d’un nuage de poudre nacrée son visage au regard vide. Puis, alors qu’Antoine sortait acheter un aromate qu’elle avait délibérément oublié pour la réalisation de son diner, elle avait enflammé une à une en savourant chaque étincelle, toute sa réserve de bougies destinées aux chorégraphies macabres, fabriquées et parfumées par ces soins. Ce soir, c’était son plus bel anniversaire. Vingt ans qu’elle guettait ce moment. Dix années de recherche, d’organisation soigneusement élaborée. Moins d’une semaine pour mener à terme son plan et réussir. Elle pouvait enfin consumer toute sa production. D’ailleurs, elle ne supportait plus ce relent de crème catalane ! Elle s’étira telle une chatte heureuse d’avoir trainée au soleil, et gracieuse, elle s’en fût chercher sur ses pieds nus son matériel à la cuisine. Le mélange qui chauffait doucement depuis quinze minutes devait maintenant être prêt. Antoine et Tristan continuaient à se tortiller sur le plancher alors qu’elle s’éloignait.
Elle revint rapidement avec une vieille casserole émaillée, usée et bosselée. Elle vérifia la température, et forma entre ces doigts une petite boulette dorée dont elle apprécia la texture, à la fois sèche et moelleuse. Une moue satisfaite sur son visage, elle s’agenouilla et déposa au sol la gamelle chaude, à quelques pas du corps dénudé de Tristan.
- Bon sang Oriel, mais qu’est ce que tu fabriques ? C’est quoi ce cinéma, tu n’imagines tout de même pas une partie fine à trois ?!!
Évidemment, Antoine avait le premier élevé la voix et posé la question stupide…Oriel était à la fois amusée et extrêmement déçue, comme lorsqu’on regarde un film et qu’un ami qui vous veut du bien, vous souffle la fin. Bien sûr, elle ne répondit pas. Elle attendait un mot de Tristan. Un seul. Mais celui-ci demeurait muet, cadenassé dans ce silence auquel elle n’avait jamais eu accès. Oriel tenta une approche en douceur, elle effleura l’épaule nue qui tressaillit sous la caresse. Pas de réponse.
- Hé bien, Tristan, tu ne dis rien ?
En revanche, Antoine se tordait désespérément vers elle, vociférant et guettant son regard. Oriel lui ordonna de se calmer et de cesser ses jérémiades s’il ne voulait pas aggraver son cas. Son ex-fiancé continua cependant à la harceler de questions et sous l’effort, il virait carrément au rouge violet, tandis que les veines de son cou enflaient. Résignée, la jeune femme se leva et enjamba tranquillement les corps masculins étendus. Elle remarqua au passage qu’ils jetèrent spontanément un coup d’œil sous sa jupe, ce qui l’amusa beaucoup. Elle attrapa sur la commode entre deux bouquets de bougies un gros rouleau de sparadrap argenté, puis revint auprès d’Antoine. Elle s’accroupit, l’embrassa sur le front comme pour lui souhaiter une bonne nuit, et scotcha fermement la bouche qui déroulait malgré tout sa liste de protestations, jusqu’au moment où on n’entendit plus qu’un grondement étouffé.
- Voilà qui est mieux. Je suis navrée cher Antoine, mais tu ne veux rien entendre. À nous deux maintenant, mon Tristan.
- Je ne suis pas votre Tristan.
- Tiens, on ne se tutoie plus. Tu es fâché ? Tu inverses les rôles pourtant. C’est moi qui possède toutes les raisons d’être en colère.
- Nous nous connaissons à peine, comment aurais-je pu provoquer une telle animosité en si peu de temps ? Nous nous sommes à peine croisés.
- Et il y a une heure, tu ne te rappelais toujours pas mon prénom.
Elle brandissait sous le nez de Tristan le petit papier jaune qu’elle avait découvert dans la poche de son jeans.
- Ou voulez-vous en venir Oriel ?
- Ah, ça te va bien de prononcer mon nom ! Mais c’est bien trop tard maintenant.
Elle s’effondra comme une comédienne mimant un immense chagrin, puis brusquement se redressa, s’approcha en rampant et posa ses mains sur le torse de Tristan.
- On va jouer à un jeu tu veux bien ? J’avoue que je ne te facilite pas la tâche, mais reconnais que tu n’as jamais fait un seul effort pour moi.
Tristan ne répondit pas, car une vague de nausée l’empoigna, au point qu’il ferma les yeux quand les murs semblèrent onduler, avec l’intention de s’effondrer mollement sur lui. L’angoisse le broyait. Il éprouvait des difficultés à réguler sa respiration, surtout, à ne pas hurler de peur et de rage. Il comprenait que la panique l’envahissait peu à peu, l’empêchant de formuler une pensée cohérente, d’imaginer un moyen d’échapper à cette situation grotesque. Son jugement s’embrouillait, les images se succédaient sans suite dans son esprit, se confondant avec le son de la voix d’Oriel et les grognements d’Antoine, la perception de chaud puis de froid qui s’enchainait dans son corps malmené. Soudain quelque chose d’apaisant se faufila sous son nez. Doux et tiède. Imperceptiblement, Tristan refit surface en s’agrippant à cette sensation familière : une odeur. Quelques molécules évanescentes de miel et de peau féminine lui permettaient de rejoindre la réalité et retrouver toute sa lucidité. Il ouvrit les yeux et découvrit Oriel à califourchon sur lui, en train de former une petite boule entre ses doigts fins. Elle appliqua la patte sur son torse, l’étira, puis d’un mouvement sec et précis, elle ôta la langue de substance molle et parfumée. Tristan cria de surprise et de douleur. Bon sang, cette odeur !! Aïe, putain, quelle douleur !! Il eut envie de crier « maman !». Non pas pour appeler bêtement à l’aide comme un gamin perdu, mais parce qu’il reconnut enfin l’odeur de la cire à épiler que Lily confectionnait dans sa cuisine pendant le weekend, auquel se mêlaient les relents de pains perdus qu’elle préparait pour son fils. Tout naturellement il pensa à une autre cuisine, et les souvenirs revinrent à la surface. Les visages aussi. Les yeux doux et gris de Douchka. Ses cheveux blond si clair, couleur de sable. Alors, il regarda vraiment pour la première fois le visage de la jeune femme penchée sur lui, qui poursuivait son travail d’épilation un sourire aux lèvres, et accepta l’évidence. À cet instant, Oriel releva la tête pour dégager une mèche brune qui encombrait son front et la coincer derrière son oreille, quand elle croisa le regard de Tristan.
- Tu as enfin compris ?
Tristan trop saisi pour s'exprimer, répondit simplement par un léger hochement de tête.
- Alors… tu me la poses la question ?
- Pourquoi ? souffla-t-il.
- Merci Tristan. Dix ans que j’attendais ! Dix interminables années où je n’ai cessé de me poser cette question sans jamais y apporter de réponse. J’ai même consulté un psy. Au bout de tout ce temps il m’a suggéré de t’écrire une lettre pour te demander une explication, et ainsi, faire mon deuil comme il disait. J’ai pris du papier, mais il est demeuré blanc. Seules mes larmes tachaient les pages. Je ne trouvais pas les mots. À l’époque non plus d’ailleurs. Je te regardais, je t’offrais mes jouets et mon cœur, le pain perdu de ma mère et la chaleur de ma maison, quand la tienne n’en finissait plus de recevoir son Don Juan. Mais tu ne me voyais pas, tu ne me parlais pas. Parfois tu disais que je fleurais bon, le miel et le pain perdu. Et puis tu t’es tiré, sans un mot d’explication. Sans un regard. J’ai déchiré le papier, j’ai balancé mon stylo et j’ai décidé que je devais cesser de me demander pourquoi. Mettre un terme à cette vie sans réponse. Dix autres années pour te retrouver et échafauder le plan. Apprendre les odeurs, savoir faire un parfum, comprendre les matières. Tu ne m’a jamais vu, mais au moins maintenant, tu me sens n'est-ce pas ? Respire Tristan, hume et absorbe ! Ne peux-tu rien saisir ?! Je suis le parfum de ton enfance, je suis la femme de tes souvenirs !! Pourquoi ne m’as-tu jamais prise dans tes bras, emprisonnée et emportée ? N’étais-je donc qu’un résidu de cuisine ou de cosmétique, un frôlement de vapeurs. Inconsistante. Invisible et éphémère ?
Elle arracha un long ruban de poils depuis l’aine jusqu’à la cuisse.
- Tu sens, là ?
- Oui Oriel, et ça fait mal !
- Mais non, gros bêta, tu n’as rien compris. Sens-tu ce parfum ? Reconnais-tu cette odeur qui s’enroule autour de toi, qui t’as si fort intriguée quand tu es arrivé ?
Tristan baignait littéralement dans une piscine d’effluves, saturée de sueurs, de crème fouettée, d’un cocktail au savon de Marseille pour nettoyer les sols, de l’haleine aigre de la peur, de miel, d’orange amère et de caramel, et du shampoing antipelliculaire d’Antoine, dont le crâne maintenant était en surchauffe ! Son odorat, exacerbé par l’adrénaline qui parcourait son corps, captait et analysait chaque molécule qui passait à sa portée, au point qu’il aurait aspiré à balayer d’un grand geste tout ce bordel olfactif, si ces mains n’avaient pas été durement garrottées. Faute de mieux, il resserra son attention sur cette chaine troublante, composée de sucre tiède liquide et de pommade aux œufs, qui en effet le taquinait depuis son arrivée. Il souffla comme un cheval pour débarrasser son nez des scories encombrantes, affina son découpage, ce qui lui permit d’ajouter à sa liste d’ingrédient, combustion et paraffine. Pour finir, il laissa de côté les divers composants hors sujet, dont il abandonna l’identification momentanément.
- Sabayon.
Déclara-t’il en grimaçant, tandis qu’Oriel poursuivait son travail méticuleux d’épilation. Elle prélevait régulièrement un peu d’onguent dans sa casserole, formait une boule et l’appliquait sur la peau de l’homme, jusqu’à saturation de la gomme. Elle jetait ensuite la matière poisseuse noircie de poils dans une coupelle et recommençait, savourant son geste d’amante tortionnaire. Offrant de la tendresse par la maitrise de sa technique. Jouissant de cette caresse qui lui permettait de toucher et respirer la peau de son amour d’enfance. Elle conserverait les boulettes de poils. Comme cette petite conne de serveuse avait escamoté la serviette jaune, pensant impunément retenir ainsi l’odeur de l’homme convoité.
- Oui, tu es sur la voie….allons, soit un peu plus précis s’il te plait. Je ne supporterais pas ton silence cette fois-ci.
Elle le menaça d’une boulette de cire sur ses parties génitales. Tristan se raidit et accepta le jeu incongru d’Oriel. Deviner les parfums, décrire les matériaux, se remémorer un passé qu’il avait délibérément et consciencieusement oublié.
- Toutes ces bougies autour de nous sont parfumées avec une huile qui évoque le sabayon. Ce mélange mousseux qu’utilisait ma maman pour y tremper le pain rassit avant de le faire dorer à la poêle. Tes jambes autour de moi sentent le miel et la marmelade, tout comme cette cire avec laquelle tu me tortures. Mais le plus extraordinaire Douchka, c’est que tu as réussi à me désorienter. Avec la cuisson du riz, la saveur grasse et torréfiée de la cacahuète, le grand lessivage que tu as sans doute fait sur le sol avant mon arrivé. J’ai perdu pied, ou plutôt mon nez. J’ai été incapable de comprendre que je tombais dans la gueule du loup et que le piège se refermait. Tu t’es employé à mettre en scène chaque senteur de notre enfance. Celle de ta maison, de notre quartier. Celles qui trahissaient les habitudes de ma mère, et de la tienne. Tu as mêlé nos vies en assemblant nos odeurs.
- Et c’est tout ce qui me reste !! Elle hurla, et tira sur le lambeau de cire. Une étroite zone de peau lisse et pâle, apparue sur le ventre de Tristan. Elle se pencha, appliqua ses lèvres, et respira longuement la chair chaude et irritée.
- Que sont devenus tes beaux cheveux blonds, Douchka ?
Oriel se redressa, ses doux yeux gris meurtris par les larmes. Elle déposa le morceau de cire dans la coupelle, sécha ses larmes comme une enfant, en frottant ses poignets du nez vers les yeux, libérant une longue trainée de rimmel vers les tempes, jusqu’aux longs cheveux bruns.
- Je les ais coloré voyons. Il ne fallait pas que vous puissiez me reconnaitre, c’est évident.
- Mais Antoine a certainement dû remarquer que tu n’étais pas totalement brune ?
Oriel gloussa comme une gamine, et désigna de son menton Antoine bâillonné, qui la regardait avec des yeux ahuris et douloureux.
- Lui ? Il n’y a vu que du feu. Et puis, reconnaissez messieurs, vous ne savez vraiment rien des mystères de la féminité. Ces petits arrangements avec une réalité cruelle. Comment crois-tu que ta pute de mère se débrouillait quand, prenant de l’âge, les premiers poils blancs sont apparus sur son pubis. Pas très glamour n'est-ce pas, pour recevoir et fidéliser sa clientèle de visiteurs, comme elle les nommait hypocritement. Bon sang ! Combien de recettes ma mère lui a refilées !! Je n’ai jamais compris ce que maman pouvait bien trouver à Lily. En fait, je pense qu’elle avait un faible pour toi. Ma mère t’aimait beaucoup.
Nouvelle bande de poils sarclés sur le torse.
- Glo-Glo. Dit-elle
- Aïe !
- Glo-Glo, c’est une marque. Ça ne te dit rien ? Des teintures, dont la formulation est exclusivement destinée à la coloration des poils intimes. Je suis brune Tristan…de la tête au pied ! C’est ma mère qui a transmis ce petit truc bien utile à Lily. Comme la recette pour la confection de la cire à épiler, un mélange de miel et de citron, auquel maman ajoutait quelques gouttes de sa liqueur d’orange, pour assainir le mélange. Et puis la fameuse recette du Pain perdu, mais ta pute de mère ne l’a jamais aussi bien réussit.
- Qu’est devenue ta maman, Douchka ?
Oriel s’approcha de son visage, l’embrassa sur le bout du nez, et dit dans un soupir pathétique :
- Tu t’en fous Tristan. De ma mère, de ma vie. Ne cherche pas à me distraire, ou à espérer que je puisse te libérer, en essayant de m’attendrir avec ton simulacre de bon sentiment. Les miens, pour toi aujourd’hui, sont bien réels. Respire mon bel amant, regarde, souffre : je te les offre en cet instant. J’arrache ton odeur en t’épilant, je prends ton âme en t’éliminant, et je résous enfin cette question lancinante du « pourquoi je n’ai jamais existé à tes yeux » en sectionnant ton joli nez, pour l’emporter avec moi. Souvenir…souvenir…chantona-t’elle.
- Et Antoine ?
- Pas de souvenir.
- Alors, libère-le.
- Pas possible. Mais comme je n’ai pas le temps de l’épiler, je me contenterai de m’en débarrasser. Et puis, c’est fatigant pour moi d’arracher tous ces poils…
- Douchka ?
- Oui, Tristan ?
- Souhaites-tu que je t’explique pourquoi je suis parti il y a vingt ans sans un mot d’explication ?
Oriel front buté, lèvres serrées, concentrait toute son attention sur la pilosité qui s’épanouissait au-dessous du nombril de l’homme, prisonnier de ses cuisses. Elle s’appliquait, car elle craignait ne pas avoir assez de temps pour achever sa besogne d’amoureuse. La tête lui tournait. Trop de parfums sucrés autour d’elle. Elle avait abusé des cierges, qui certes ajoutaient au romantisme de l’affaire, mais diffusaient sans relâche des miasmes tièdes de crème brulée, qui flirtaient avec l’arome du miel caramélisé dont ses mains étaient tartinées. Lorsqu’elle effleura la partie plus intime de Tristan, elle suspendit son geste et conserva au bout de ses doigts la boulette odorante de cire molle.
- Tu disais mon Tristan ?
- Souhaites-tu savoir pourquoi ?
Oriel leva son visage et regarda Tristan avec un sourire en coin.
- Tu escomptes sauver ta peau ?
- Je l’espère oui. Mes poils également, enfin…ceux qui me reste.
Oriel allait lui répondre de façon cinglante en défrichant brutalement la pilosité de son entre-jambe, quand un bruit sourd attira son attention. Elle fit un geste pour se redresser, abandonna le morceau de cire sur l’abdomen de Tristan et courut jusqu’à la porte d’entrée. Tristan l’entendit lâcher un juron et s’attaquer de dépit, au mur le plus proche d’elle. Il aperçut Oriel pour la dernière fois, ses longs cheveux bruns déployés autour de son visage furibond, quand elle traversa le salon à grandes enjambées. Dans sa course, elle entraina un lot de bougies, qui dégringolèrent jusqu’aux vêtements abandonnés sur le plancher. Puis, Tristan remarqua derechef la petite culotte rose dragée franchir leurs deux corps écartelés, et la silhouette gracile disparue dans la cuisine. Deux bruits violents retentirent de part et d’autre de l’appartement : les carreaux d’une fenêtre brusquement ouverte se brisèrent dans la cuisine, et un groupe d’hommes accompagné d’une seule femme fracassèrent la porte d’entrée et déboulèrent miraculeusement dans la pièce qui commençait à prendre feu. France Gomez s'avança, piétina machinalement le col de chemise qui s’enflammait en reluquant les deux corps nus et ficelés.





Elle espéra que ces bottes s’en sortiraient indemnes.

dimanche 10 juillet 2011

Les poils du Dieu Pan /12,5

Lorsque Norec retrouva France Gomez trois quarts d'heure plus tard, celle-ci n’avait pas changé de position. Gaëtan s’installa en silence sur sa chaise, alluma son ordinateur et commença à rédiger le rapport du dernier interrogatoire de Mademoiselle Sonia Mayol. Il avait l’habitude des longs silences de sa chef qui offrait l’impression de rêvasser à ne rien faire, en contemplant le ciel ou le plafond. Au fil des années, il avait appris à se faire oublier dans son coin jusqu’au moment où elle prononçait un mot, une phrase, qui enclenchait alors l’amorce de leur débat. Tel le célèbre « élémentaire mon cher Watson ». Pourtant, Norec n’avait jamais trouvé qu’une quelconque affaire fut élémentaire. Bien au contraire.
- Alors, dites-moi Norec. Possède-t’elle un jeu de clés ?
- Oui. Dit-il, sans lever les yeux de son ordinateur, ni interrompre le tapotement de ses doigts sur le clavier.
Gomez s’étira longuement puis bascula ses jambes par-dessus le bureau. Elle se mit debout et commença à faire les cent pas dans l’espace étroit qui leur était dévolu.
- J’entends que derrière votre « oui » vous pensez qu’elle n’est pas coupable. Expliquez-vous.
- La grille…
- Comment ça la grille. Quelle grille ? Lâchez le scoop Norec, s’il vous plait !
- La grille du restaurant fait un bruit épouvantable. Impossible de la déployer sans alerter tout le voisinage, qui par ailleurs proteste régulièrement. J’ai vérifié : trois doléances déposées auprès de l’antenne de police du quartier ! Sonia Mayol possède bien les clés, mais il est impossible d’après elle, d’entrer ou sortir discrètement par l’accès donnant sur la rue. Donc, si Voltaire a eu un rendez-vous après minuit le soir du meurtre, il a certainement dû prendre une autre porte.
- Existe-t’il une seconde entrée à l’arrière ?
- Sans doute, dans la cour. Mais il faut franchir la porte de l’immeuble, et donc posséder également le code. De toute façon, Sonia Mayol n’est même pas certaine de l’existence de cette porte.
- Où était-elle la nuit du meurtre ?
- Toute seule, chez elle. Célibataire
- L’époque est au célibat… ce qui complique le travail des flics.
- Oui, mais sa gardienne confirme que Mayol n’a pas quitté son appartement. Sa vie est apparemment bien réglée. Le mardi, elle joue aux cartes avec les voisines du troisième étage, le mercredi elle reçoit sa sœur, le vendredi elle va au cinéma. Vous désirez son programme du week-end ?
- Non merci, je ne pense pas que ce soit particulièrement excitant, ni instructif.
Gomez poursuivait sa déambulation en silence. Tête baissée, bras croisés.
- Bon, se dit-elle à haute voix. On va déjà commencer par vérifier de ce côté-là...
Elle revint vers son bureau, attrapa le téléphone et fouilla dans la paperasse qui s’empilait sur le coin. Elle trouva enfin ce qu’elle cherchait et composa le numéro de Tristan.
- Bonjour Monsieur Lézard, je ne vous dérange pas ? … J’ai quelques points à éclaircir avec vous. Non, non, il n’est pas nécessaire de vous déplacer, nous pouvons nous en acquitter par téléphone…
Quelques minutes plus tard, FG confirma qu’en effet la grille du restaurant produisait un son considérable et qu’il existait bien une seconde porte donnant sur l’arrière-cour, uniquement employée pour sortir les poubelles. Tristan était le seul à détenir un trousseau complet, ce dont Mademoiselle Mayol en effet se désolait, car lorsqu’elle venait le jour de fermeture hebdomadaire pour s’occuper des comptes, il lui fallait ouvrir cette fameuse grille et elle manquait à chaque fois de se pincer les doigts. Cependant, Tristan lui refusait l’accès par la cour, car d’une part la serrure était en mauvais état, et d’autre part, Lézard ne souhaitait voir personne pas même Antoine, trainer dans sa cuisine. À cet instant, le trousseau était suspendu à un clou dans l’entrée de l’appartement (Gomez entendit nettement le tintement du métal), et lorsqu’il était au travail, la veste et le trousseau demeuraient dans la penderie de la salle du restaurant, afin que les vêtements n’absorbent pas les odeurs de cuisson.
- Donc, n’importe qui a pu discrètement fouiller les poches de la veste, dérober les clés, en faire une copie et les remettre à leur place une heure plus tard, ni vu ni connu. Conclut Norec dans un soupir.
- Élémentaire mon cher Watson !
Elle plaisantait, mais elle percevait bien que la piste « Mademoiselle Mayol s’évaporait, perdait de sa substance. Assise sur une fesse à l’angle de son bureau, France grattait des taches invisibles sur le meuble. Elle ruminait, car elle estimait frôler le but : une histoire de jalousie et de déception amoureuse. Elle en était certaine. Élodie, c’était la cerise sur le gâteau, le crime de gourmandise. Le sésame, c’était Voltaire. Il fallait définitivement chercher dans le passé de Tristan Lézard.
Elle se redressa vivement et se tourna vers Gaëtan, qui poursuivait paisiblement ses tapotements sur le clavier. Il ne s’inquiétait pas. Il savait que toutes les notes, les flèches et autres ratures déposées dans le carnet et rassemblées sur des fiches cartonnées, étaient en train de s’assembler dans la tête bien faite de sa commissaire. Le meilleur moyen de lui venir en aide était de se taire. Il attendait donc. Qu’elle prenne sa décision, et plonge dans le bourbier de l’enquête.
- Norec, on se réveille ! Et cessez de marteler votre engin, il faut que je vous parle ! Prenez un billet de train pour…non attendez, nous allons nous y prendre autrement, car vous êtes toujours persuadé que Lézard est le meurtrier.
- Mes convictions personnelles n’ont rien à voir …
- Peu importe, Norec, nous avons mieux à faire que polémiquer. Téléphonez à la brigade d’Auxerre et demandez qu’une voiture et un chauffeur nous attendent à la gare, puis nous conduise jusqu’à…, courbée au-dessus de la boite des sablés Bretons, elle consultait les fiches « électrons » : Noyers sur Serein, où se trouve la maison de la mère de Tristan. Prenez deux billets. Vous voyez, je ne vous écarte pas, vous m’accompagnez, c’est différent.
Norec, consultait déjà le site de billetterie SNCF
- Le prochain train part dans 1 h 20 Gare de Bercy, arrivée à Auxerre à 16h14. Ensuite, il nous faudra environ une demi-heure de trajet pour parvenir jusqu’à Noyers.
- Très bien. Chargez-vous des billets et du chauffeur, de mon côté je préviens Madame Lézard
- Lily, tout simplement
- Si vous voulez, Gaëtan. Si vous voulez…



La commissaire et son adjoint se retrouvèrent aux alentours de 17h00, devant une charmante maison envahie de rosiers grimpants et odorants, construite en bordure d’une petite route baptisée, la Vallée d’amour.
- Vous pensez qu’elle a choisi cette maison à cause du nom de la rue ?
- Je ne sais pas Norec, il faudra le lui demander.
La porte s’ouvrit sur une très belle femme âgée, aux cheveux mi-longs couleur de lune argentée. Elle se tenait très droite, et semblait ainsi plus grande qu’elle n’était en réalité. Son sourire était l’exacte réplique de celui de Lézard, quand il abandonnait sa mine fermée.
- Bonjour, entrez je vous en prie, nous vous attendions.
- Bonjour Madame, répondit aussitôt France Gomez, nous sommes navrés de venir vous déranger dans votre retraite paisible.
- Lily, tout simplement
- Comme il vous plaira…
- Rassurez-vous, vous ne nous dérangez pas du tout, bien au contraire, car parfois nous trouvons vie à la campagne peu trop calme, Mireille et moi. Et si je peux aider mon fils, c’est la moindre des choses que de vous recevoir. Quand bien même vous êtes de la police ! Je vous en prie, asseyez-vous.
Lily désigna un profond canapé en cuir sombre, usé et égratigné par le chat de la maison. Certaines griffures étaient camouflées par un assortiment de plaids multicolores et de coussins frangés de pompons en laines, œuvres de Mireille, quand elle s’ennuyait les jours de pluie. Mireille qui arrivait justement, avec un plateau sur lequel étaient disposées des tasses et une énorme théière anglaise en porcelaine blanche couverte de guirlandes de roses. Elle posa le tout sur la table basse, et procéda au service en prenant soin de répartir équitablement la quantité de thé, de lait et de sucre. Pendant tout le temps que dura le cérémonial, pas un mot ne fut échangé. Enfin, chacun se retrouva avec tasses et soucoupes, serties du portrait de la Reine d’Angleterre, de la princesse Diana ou de Big-Ben. Norec avait quand à lui, la chance de tenir entre ses mains un vieux mug aux couleurs de l’équipe de Manchester, avec la jolie gueule de Beckham hurlant sa joie après un but victorieux. Gaëtan n’aimait ni le thé, ni le foot, aussi le mug demeura-t-il sur ces genoux, la photo du blondinet tournée vers l’extérieur.
Gomez absorba délicatement une gorgée de thé brulant, qui à son grand étonnement était délicieux. Campée sur le bord du canapé, genoux serrés et dos bien droit, elle formula sa première question de son habituelle voix de directeur de conscience.
- Nous souhaiterions vous poser quelques questions à propos de votre fils Tristan Lézard. Pourriez-vous nous dire si Michel Dromel, surnommé Voltaire, était le père de votre enfant ?
- Non, Michel n’était pas son père. De toute façon, c’est sans importance, répondit Lily en agitant sa main comme si elle éloignait une mouche inopportune.
- Voltaire espérait-il être le père de Tristan ?
- Que voulez-vous que je vous dise ? Sans doute, oui…mais sincèrement, je n’en sais rien.
- Était-il au courant de la présence du petit garçon caché dans l’armoire ?
- Non, comme aucun des visiteurs.
- Quels rapports entreteniez-vous avec Voltaire, était-il votre souteneur ?
- Nous étions amoureux, à notre manière. Amis, amants, confidents... Nous avons vieilli ensemble et traversé ensemble quelques épreuves. Il a toujours été là, même dans les pires moments.
- Tristan fréquentait-il des amis durant cette période ? Je veux dire, jusqu’à ces quatorze ans.
- Oui, bien sûr. Antoine, par exemple.
- D’autres enfants, dont vous vous rappelleriez le nom ?
Lily réfléchit un moment, tripotant d’une main un des pompons orange qui ornait le coussin abandonné sur son fauteuil.
- Il y avait toute une bande de gentils garnements qui trainaient sur les escaliers de Montmartre après l’école. Voyons que je me rappelle… Il y avait Momo, et la petite cerise, je me souviens également d’Éric qui rasait les poils de ses bras pour être plus viril, voyez-vous çà ! Et puis, Antoine bien sur, et la grande Véronique, qui voulait toujours commander. Ah ! je me souvient de certaines disputes…
- Véronique et Tristan ne s’entendaient pas ?
- Oh si ! Mais vous savez comment sont les gamins à cet âge. Des chamailleries sans plus... des histoires de filles et de garçons.
- Qu’est devenue Véronique ?
- Je n’en ai aucune idée.
- Mais si, souviens-toi ! intervint Mireille de sa petite voix chantante. La pauvre petite a été fauchée par une voiture. Le conducteur a pris la fuite, et on ne l’a jamais retrouvé ! Les parents ont quitté le quartier après cette tragédie.
- Oui, c’est vraie Mireille, tu as raison. Cette malheureuse histoire s’est produite peu après le départ de Tristan, et j’avoue qu’à l’époque j’avais mes propres soucis... j’ai mis ce drame de côté, je souffrais déjà bien assez de la disparition de mon petit.
- Parlez-moi du foulard rouge noué à la fenêtre.
- Tss-tss, vous savez tout comme moi, qu’il était jaune.
Lily se pencha vers la table basse et déposa sa tasse aux armoiries de la Reine d’Angleterre. Elle approcha sa main d’une bonbonnière représentant un caniche mauve docilement couché et souleva le chien de son panier en céramique, à l’intérieur duquel étaient soigneusement alignées de fines cigarettes. Elle proposa à la commissaire de se servir. France refusa poliment et jeta un rapide coup d’œil à Norec afin qu’il résiste également. Lily alluma sa cigarette, absorba une longue bouffée de fumée odorante et reprit la conversation, bien calée dans son fauteuil.
- Vous me jugez n'est-ce pas ? Pourtant, je ne pense pas que votre vie privée soit exemplaire ? Cela coûte cher des chaussures comme celles que vous portez en ce moment, et ce sac…c’est une marque discrète, mais luxueuse. Je ne savais pas que les salaires des flics avaient à ce point augmenté depuis mon époque…
- Mes parents sont riches…et Gomez s’en voulut aussitôt de cette réponse.
- Qu’importe, ce ne sont pas mes affaires, ne vous mêlez pas des miennes. Je sais que Tristan est un garçon étrange, parfois très cassant avec les femmes. Je peux le comprendre…
Lily absorba une nouvelle dose de fumée aromatisée au menthol, tandis qu’une ombre passa dans son regard. Elle chassa la fumée devant son visage et poursuivit :
- Mais je sais qu’il est incapable de cruauté délibérée. Ce n’est pas un lâche, il ne s’est jamais permis de laisser croire à une femme qu’il fût disponible ou amoureux.
- Vous pensez qu’il puisse l’être ?
- Vous me le direz…
- Non. Vous avez mal interprété ma question. Pensez-vous qu’il puisse être un meurtrier, puisqu’il est incapable d’aimer ?
- Vous vous contredisez.
- Je ne pense pas.
Le silence s’installa. Mireille s’empressa de proposer à la policière encore un peu de thé. France accepta, et en profita pour mêler doucement le liquide ambré et le nuage de lait, et s’offrir quelques secondes supplémentaires de réflexion. Lily ne craignait apparemment pas les silences. Ni les flics. En fait, sous son air de vieille dame douce et effacée, auréolée de vaisselles de petite fille et de fanfreluches attrape-poussières, elle cachait une intelligence fine légèrement cynique. La commissaire découvrait qu’elle ne possédait plus la main sur la partie en train de se dérouler. Lily jouait la comédie de la politesse, et semblait s’amuser beaucoup à l’affronter sur son propre terrain. Elle décida de passer en mode direct.
- Qui était Momo ?
- Le fils de l’épicier du quartier. Les jours de pluie, les enfants se retrouvaient souvent chez lui. La mère de Momo possédait toujours tout un tas de cochonneries sucrées dans les placards. Les enfants raffolaient trainer chez Momo.
- Antoine ?
Lily éteignit sa cigarette dans un cendrier qui représentait une île, cernée par une mer turquoise affublée d’un unique palmier vert pomme. Le reliquat de fumée s’engouffra dans le volcan dressé sur le bord de la soucoupe, où était calligraphié « souvenir de la Martinique ».
- Le meilleur ami de Tristan. Son frère, sa moitié. Vous le savez bien. La maman d’Antoine était une amie très proche à l’époque. Elle est morte d’une saloperie de cancer, voici dix ans. Tristan passait souvent ces nuits, ou parfois des weekends chez eux. Le couple m’aidait beaucoup.
- Le père d’Antoine est toujours en vie ?
- Je ne sais pas. Demandez donc à son fils.
- Petite Framboise ?
- Petite Cerise. Oh ! Elle, c’est Douchka... Mais tout le monde l’appelait Petite Cerise, ou Cerise, tout court. Elle était ravissante, une vraie poupée ! Blonde comme le sable, toute menue, gracieuse, avec d’immenses yeux gris. Je me souviens bien d’elle, car sa maman faisait le meilleur pain perdu du quartier. Tristan m’en réclamait toujours, mais il protestait, car les miens n’étaient jamais aussi délicieux ! Sans doute l’association sabayon/marmelade que Katrin réalisait comme personne.
- Sabayon ?
- Mais oui, vous savez bien ! Ce mélange de jaunes d’œufs et de crème fluide que l’on fouette sur le feu pour obtenir une mousse légère…Katrin m’expliquait qu’elle battait longuement la préparation et qu’elle ajoutait quelques grains de vanille. N’empêche, je n’ai jamais réussi à faire aussi bien. Je crois que son truc, c’était d’ajouter une petite cuillère de son eau de vie à l’orange amère en fin de cuisson. L’alcool s’évaporait, mais le délicat parfum de marmelade demeurait. J’ai bien essayé d’acheter de la confiture d’oranges chez le papa de Momo, mais ce n’était pas pareil.
FG ne prêtait déjà plus attention à tous les détails. Sa respiration s’accéléra.
- Qu’elle âge avez-vous dit qu’avait Douchka ?
- Je ne vous ai rien dit.
- Quel âge, s’il vous plait ! Gomez retenait mal son excitation, et ces palabres commençaient à l’agacer.
- Elle était plus jeune que les garçons de la bande. Cinq ou six ans de moins, je pense.
- Elle trainait souvent avec eux ?
- Toujours. Elle suivait Tristan comme son ombre. Sa petite ombre, fidèle et silencieuse. Tristan ne la remarquait même plus. Je me rappelle qu’elle a été inconsolable lorsqu’il est parti brusquement à quatorze ans, sans un mot d’explication ni un adieu à ses copains. Elle allait avoir dix ans et m’affirmait qu’elle devenait enfin une femme, comme Véronique, et qu’ils pourraient se marier…Pauvre Petite Cerise, je ne sais pas où elle se trouve aujourd’hui.
- Moi si ! S’exclama Gomez emportée par son impulsion.
- Mais de qui parlez-vous ? Demanda Norec, qui n’avait pas bougé d’un pouce depuis le début de la conversation.
- D’Oriel Wisnia. Mais qui lorsqu’elle était enfant s’appelait Douchka Wisnewski. C’est bien ça, Lily ?
- Oui. Wisnewski, la petite griotte.
- Mais chef, Oriel est plutôt très brune !?
FG soupira, impatiente : Norec était décidément buté sur la culpabilité de Tristan.
- Vous n’avez jamais entendu parler de coloration ou de perruque ?
L’œil bleu ardoise de Gaëtan commença à battre de l’aile, ses mains s’agitèrent nerveusement et, craignant de répandre le thé, froid maintenant, sur ces genoux, il déposa prudemment le mug sur la table basse. Il s’en voulait de ne pas avoir saisi plus tôt l’évidence, mais il résista cependant pour la forme, et ne put s’empêcher de poser une question à sa chef.
- Comment savez-vous pour Wisnia ?
- C’est le diminutif du nom polonais complet : Wisnewski, qui veut dire cerise ou griotte… J’ai des parents polonais.
Et devant le regard surpris de son assistant, elle ajouta :
- Je sais Norec, Gomez n’est pas un nom polonais, mais si vous voulez bien, je vous expliquerai ce détail une autre fois. Pour le moment, prévenez Paris que nous rentrons et que l’équipe se prépare à intervenir dès notre arrivée. Quand passe le prochain train ?
- Nous venons de le rater. Le suivant n’est pas un direct, nous serons rendus à Paris vers 21 h.
- Pourvu que nous n’arrivions pas trop tard…
- Que craignez-vous ?
- Douchka les a invités à diner, justement ce soir. Elle devait sentir que le vent était en train de tourner. Saperlipopette, j’aurais dû comprendre… se fiancer au bout de quatre mois !!
- Crêpes Suzette au menu ?
- Vous n’êtes pas drôle, Norec.


à suivre....

lundi 4 juillet 2011

Les poils du Dieu Pan /12

Navré, quelques soucis fastidieux de connection …l’épisode N° 12 aurait du vous parvenir jeudi dernier ! Bonne lecture

Gomez et Norec quittèrent le bâtiment aux alentours de 4 heures du matin. En passant devant l’accueil, FG remarqua que le parfum « vacances à Honolulu » avait disparu, remplacée par l’odeur habituelle du café et du déodorant viril des hommes postés à l’entré. La tête embrumée, elle remit à plus tard l’examen de ce manège olfactif. Norec la déposa 20 minutes plus tard à son domicile, rue Pali Kâo. Elle l’abandonna sur un « bonne nuit, mon cher Gaëtan ». Il n’en demandait pas davantage.

Quelques heures plus tard, une longue douche, trois cafés et ses nouvelles sandales aux pieds, France revint au commissariat, en ayant comme souvent le sentiment d’avoir à peine quitté les lieux pour y revenir aussitôt. Elle retrouva le parfum désormais familier de noix coco et de plage lointaine, mais passa au large : elle était attendue depuis presque trois quarts d'heure. Norec devait faire les cent pas en se rongeant un ongle, ou en sirotant un café. Elle le trouva effectivement devant leur bureau, porte fermée, adossé au mur, un gobelet vide à la main qu’il tripotait fébrilement.
- Bonjour Norec. Accompagnez-moi, voulez-vous ? J’ai besoin de prendre un café, nous en profiterons pour bavarder un peu.
Sans broncher, Gaëtan lui emboita le pas et s’engagea dans son sillage.
- Parlez-moi de nos deux invités. Sont-ils arrivés ensemble ?
- Oui, et à l’heure. Depuis, ils attendent dans votre bureau, avec Assamo qui veille discrètement dans un coin.
- Qui tient la main de qui ?
- Ils ne se tiennent pas la main
- Ah ? Très bien. Je suppose que vous avez relevé leurs identités, posé les questions d’usage ?
- Oui, voici un premier compte-rendu.
FG jeta un œil sur les feuilles qu’il lui tendait, tandis qu’elle glissait quelques centimes d’euros dans la machine qui cracha un liquide sombre. Elle revint sur ses pas en avalant le café insipide qui possédait au moins l’avantage d’être chaud, tout en parcourant le rapport. Elle nota que Norec avait ajouté quelques observations au crayon papier : prise de parole, attitude nerveuse ou calme, échange de regards entre le couple, silence et soupirs. Bref, tous ces petits détails que le corps et la voix dévoilent sans y prendre garde, et dont la commissaire se nourrissait comme une éponge.
- Avez-vous remarqué de l’animosité entre eux ?
- Non. Pas vraiment. Lui est nerveux, inquiet, regarde souvent sa compagne.
- Et elle ?
- Elle plaisante, puis elle boude.
- Elle boude ?
- Oui, elle en a marre d’attendre à ne rien faire, et souhaite se tirer de là. Cette affaire n’est pas son problème.
- Ah….je vois. C’est plutôt chacun pour soi.
- Vous désirez les interroger séparément ou en même temps ?
- En même temps. J’ai peu de questions à leur poser et jusqu’à preuve du contraire ils ne sont coupables de rien. Ils ont simplement partagé un café avec notre suspect, juste avant la mort d’Élodie,
- Mademoiselle Mayol doit passer dans vingt minutes. Désirez-vous que je m’en charge ?
Ils venaient d’atteindre la porte close de leur bureau, lorsque FG coinça entre ses dents le gobelet vide et fouilla dans son immense besace. Elle plongea son bras jusqu’au coude, agita le fond, souleva des sédiments de pièces de monnaie, de mouchoirs usagés, de tickets de métro roulés en tubes, de débris de papiers hachurés de notes, de boulettes de factures CB, de plusieurs pochettes aux formats variés en cuirs colorées, sensées ordonner ce chaos, et finit par mettre la main sur le calepin bleu turquoise, qu’elle avait négligemment jeté au fond du sac la veille au soir. Elle lança ravie, un « Ah ! Le voichi ! » totalement inaudible. Norec réagit promptement et retira délicatement le verre en plastique de sa bouche.
- Merci, Norec
- Je vous en prie
- Oui, s’il vous plait. Contrôlez son emploi du temps, sondez ses rapports avec Lézard. Déception amoureuse, jalousie ou autre…je vous fais confiance. Ah ! j’oubliais, j’ai reçu un appel du labo technique ce matin, ils confirment que le mail a bien été envoyé en fin d’après-midi depuis la bécane du restaurant. Vérifier si Mademoiselle Mayol possède un jeu de clés, pour pouvoir se rendre sur place quand les propriétaires s’absentent. On se retrouve dans deux heures. Ajouta-t-elle la main posée sur la poignée.
Tournant le dos à son assistant, elle ouvrit fermement la porte sans s’annoncer et jeta un regard au planton pour lui signifier qu’il pouvait les laisser. Puis, sans quitter des yeux son carnet qu’elle feuilletait, elle se glissa derrière son bureau et s’assit avec une élégance étudiée. La porte se referma sur le policier. Quelques secondes silencieuses flottèrent dans la pièce, vieille pratique qu’elle employait pour évaluer sans y paraitre le visage de ses interlocuteurs, et déterminer, lorsque deux visiteurs lui faisaient face, lequel elle interrogeait en premier. Elle se pencha en avant et d’une voix douce fit son choix :
- Mademoiselle Wisnia Oriel, c’est bien ça ?
Oriel hocha la tête, souriante et détendue.
- Je me permets d’insister, car Monsieur Lézard était incapable de nous préciser votre identité complète, sans parler de votre prénom !
Le visage d’Oriel se crispa légèrement, mais elle se reprit très vite, gloussa bêtement en haussant les épaules.
- Nous nous connaissons depuis si peu de temps. C’est normal.
- Depuis quand ?
Elle réfléchit, le regard tourné vers le plafond, et précisa toujours souriante.
- Nous nous sommes croisés deux ou trois fois, pas davantage, sur une période de 4 mois.
- Vous connaissez Monsieur Marrel depuis quand ?
- Quatre mois environ, mais pourquoi cette question ?
- Vous êtes né à Paris ?
- Oui, je l’ai déjà dit à…
- Dans quel arrondissement ? Lui demanda FG en griffonnant sur son carnet et sans lui adresser un regard.
- Le dixième arrondissement, mais…
- Antoine, vous avez vécu dans le 18em, vous étiez voisin avec Tristan Lézard ?
Comme il ouvrait la bouche pour prendre la défense d’Oriel qui était en train de perdre son charmant sourire, Antoine se redressa surpris par la question.


-Heu…oui, nous étions voisins et amis d’enfance.
Sans lui laisser le temps de continuer, Gomez enchaina :
- Vous connaissiez sa maman ?
- Mais tout le monde connaissait sa maman !!... Enfin, c’est ce que tu m’as dit Antoine, non ?
Gomez leva enfin la tête de son carnet et fixa le visage ahuris de l’homme embarrassé par l’intervention de son amie. Oriel, confuse, se mordait la lèvre et posait sa main sur le genou d’Antoine dans un geste complice et apaisant. Elle plaisanta gaiment sur sa manie idiote de se mêler de tout et de n’importe quoi, et de vouloir protéger son fiancé. Antoine eut un imperceptible mouvement d’épaule, comme si la pression soudain se relâchait. Il attrapa la main d’Oriel et lui offrit un beau sourire lumineux. Ils se tournèrent ensuite d’un même mouvement vers la commissaire qui les considéra avec un sourire caustique. Elle n’allait tout de même pas les marier, ces deux-là ! Antoine avait l’air d’un imbécile heureux, tandis qu’Oriel papillonnait des cils comme une biche. Comédie ou fiançailles en direct ? Qu’importe, FG poursuivi comme si de rien n’était :
- Voltaire ? Ça vous dit quelque chose ?
Comme prévu, Antoine et Oriel échangèrent un regard, ne sachant à qui était destinée la question.
- Non.
- Non…une station de métro ? Proposa Oriel.
France Gomez sourit gentiment et posa sur chacun, un regard doux et tranquille. Elle leur demanda ensuite de lui narrer la scène du café renversé. Antoine engagea le récit, Oriel l’interrompait souvent, ajoutant un détail, évoquant l’attitude de la serveuse. Antoine insistait sur la patience de Tristan, précisant que ce dernier n’avait jamais encouragé Élodie à imaginer une aventure possible entre eux. C’est simple, il ne la voyait tous simplement pas, ajouta Oriel.
- Et pour la serviette ? demanda Gomez.
- Quelle serviette ? demanda Antoine
- Mais oui, tu sais bien, la jaune. Celle qu’elle s’est empressée d’empocher dans son tablier. Intervint Oriel.
- Elle ne l’a pas utilisé pour éponger le café ? s’enquit la commissaire, intriguée.
- Non, non…dit précipitamment Oriel, « En fait, elle…
Mais elle fut interrompue par Antoine.
- Je ne me rappelle pas des détails, soupira t’il. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi est-ce si important. Le café s’est renversé, Élodie s’est démenée pour nettoyer les dégâts, et l’histoire s’arrête là. Il n’y a pas eu de drame, ni d’engueulade. Tristan n’y était pour rien, et pas davantage Élodie. Un simple accident comme il en arrive souvent dans les bars ou les restaurants. Je sais de quoi je parle : on n’a jamais tué pour une histoire de verre renversé !
Boudeuse, Oriel ajouta
- Oui, mais n’empêche. Élodie à pris la serviette jaune, en a fait une boule et l'a cachée dans son tablier…
La commissaire se tourna vers Antoine, et d’une voix plus ferme lui demanda
- Où étiez-vous la nuit du meurtre ?
- La nuit du… ? Heu… de qui ?
- Oh ! Tu es impayable, mon Antoine ! De la pauvre serveuse bien sûr. Tu ne te souviens pas ? Allons mon chéri d’amour, nous dormions ensemble…enfin, dormir…si l’on veut. Elle gloussa et papillonna des cils de plus belle, en tripotant le genou de son compagnon.
Gomez éprouva l’envie violente de lui balancer deux gifles, juste pour vérifier si son Rimmel était bien waterproof. Elle se reprit cependant, respira calmement en tripotant son stylo et considera Antoine sans indulgence. Il paraissait un peu étourdit, mais confirma d’une voix presque ferme qu’effectivement cette nuit-là, ils l’avaient passé ensemble, dans le même lit, se crût-il obligé de préciser.
- Bien, conclut brusquement France Gomez, en posant son carnet et son stylo sur la table. Je vous remercie tous les deux pour vous être déplacé jusqu’ici et pour avoir clairement répondu à toutes nos questions.
Elle se leva, quitta son bureau et gagna la porte qu’elle ouvrit largement. Elle tourna ensuite vers eux un visage avenant, et leur proposa de les raccompagner.
Antoine hésitait. Mais Oriel, portée par un ressort, se redressa, saisit le bras de son compagnon et s’échappa du bureau en remerciant très poliment la commissaire
- Merci Madame le Commissaire, ne vous dérangez pas, on trouvera la sortie. Allez vient Antoine, je te rappelle que nous avons un diner à organiser.
- Hein, quoi ?…Mais c’est pour demain soir, on a tout notre temps ! Au revoir Madame…
Antoine bafouillait, totalement dépassé par ces deux femmes qui depuis plus d’une heure, empoignaient et dirigeaient la conversation. Il éprouvait le sentiment humiliant d’être assis sur une bouée ronde, qui tournoyait sur une rivière en crue. Il en avait presque la nausée !
FG les regarda disparaitre à l’angle du couloir, courant presque. Elle hocha la tête, et retourna s’installer sur sa chaise. Elle posa ses deux pieds sur son bureau, et contempla songeuse le morceau de ciel gris Paris découpé entre les toits de l’immeuble de la brigade. Drôle de couple…

Antoine recouvra la parole quelques minutes plus tard dans la rue. Il stoppa net leur allure de fugitif, agrippa le bras de sa petite amie et la força à se tourner vers lui.
- Dit donc, qu’as-tu eu besoin de bavarder autant ? Tu nous as littéralement assommés de paroles !
- La trouille sans doute. Je suis mal à l’aise avec les flics. Tu dis un truc et ça se retourne contre toi. Alors quand tu déverses tout, à toute vitesse, j’imagine qu’ils n’entendent plus rien, et qu’ils n’ont qu’une envie, c’est de nous voir débarrasser le plancher. Je n’ai pas raison ? Regarde, t’es complètement sonné! La grande commissaire aussi, certainement.
- Oui, c’est peut-être vrai, mais je n’aime pas du tout cet imbroglio, je n’y comprends plus rien ! Je dois voir Tristan, on dirait que moindre détail dans cette histoire l’accuse.
- Mais non, qu’est-ce que tu vas chercher là ? Allez, vient on va faire deux courses pour le diner de ce soir.
- C’est demain soir
- Non. Je viens de décider que c’est ce soir.
- Tu te mélanges souvent les soirs, on dirait ?
Oriel le regarda sans répondre. Elle haussa les épaules et poursuivit son chemin perchée sur de petits talons qui lui faisaient la jambe ravissante. Antoine se perdit dans le mouvement de va-et-vient de la jupe sur les hanches, accéléra le pas pour rattraper la taille fine qui s’éloignait, et l’entoura de son bras. Oriel partit d’un rire franc et posa son visage sur l’épaule de son nouveau fiancé. Antoine flottait sur son petit nuage…