mercredi 22 décembre 2010

« Nettoie les odeurs de ta chambre »

Petite lucarne. Choix d’informations. Trainées de publicités. Et dans ce flot, l’une d’elles m’abasourdit.
Nous sommes au pays des images, des mots délibérément choisis, des scénarii soigneusement échafaudés. Oubliez votre nez et visualisez.

Une chambre bleu layette de petit garçon
Allongé sur un lit, un engin terrible.
Un ado.
Mécanique en ébullition permanente. Farcie d’hormones qui s’exercent au yoyo.
Odeur de bébé la veille. Au matin, par on ne sait quelle alchimie nocturne, une atmosphère de fauve.
La maman déboule dans la chambre. Gros plan sur le visage chiffonné, nez pincé, menton froissé. Puis, le regard pointe les indices.
Des chaussettes flétries dispersées dans les coins, dont on imagine les miasmes crasseux, prisonniers du coton tortillé en accordéon. À l’opposé évidemment, les chaussures, jetées à la sauvage à travers la chambre, ou tombées aux pieds du lit, lorsque l’ado explosé de fatigue, à trouvé la force molle de faire basculer sa basket, à l’aide de son gros orteil enrobé de transpiration, pressé sur le talon. Pouf, par terre. Sens dessus dessous, des semelles libres enfin de diffuser abondamment des molécules aigres de levure tièdes, et de chou acide.
La caméra tourne, effleure rapidement les meubles bleu pastel. Chaises, fauteuil et commodes. Posés au hasard, des T-shirts oints de la sueur des exploits sportifs du rejeton, des traces de boues, d’herbes, sur des pantalons efflanqués et déjà trop courts. Sur la moquette, des bouts de papier divers et colorés : bombec, chips et carambar ; une canette couchée, vide et oubliée, où perle une goutte rigide de sucre desséché. Sur les étagères d’une bibliothèque, des objets non identifiés, mais qui émettent sans doute des ondes nauséabondes. Sur le bureau, où trainent quelques cahiers d’écolier, des bouts de gommes mâchonnées, des feutres ouverts et des crayons usés. Enfin, sur la table et autour d’une poubelle en état d’indigestion, des boulettes de papiers froissés.
Mon Dieu ! Quel tintamarre pestilentiel. Quel désordre olfactif inacceptable ! Veux-tu bien « nettoyer les odeurs de ta chambre ! »
Regard ahuri de l’ado.
Corps interminable et fragile. Cheveux longs. Nez en patate. Bouche maussade : « Ben…quoi ? Nettoyer les odeurs de ma chambre ? »
« Oui, surtout que tu vas avoir de la visite ! »

La honte…des odeurs intimes qui trainent.
Rognures et pellicules fétides.
Des parfums de rêves ou de cauchemars, exsudés pendant la nuit.
Des relents de vie privée d’un jeune garçon qui respire, dort, bouquine, danse, s’énerve, végète, hurle, chante, bouffe, dans sa chambre/piaule/grotte/gourbi.
Des miasmes du quotidien, soigneusement sécrétés au fil des aléas de l’intime mécanisme, qui dessinent tant bien que mal une étiquette d’homme en devenir. Un territoire balisé, griffé, personnel, qui lentement se développe. La voix d’un jeune garçon mue. Son odeur aussi. Le résultat souvent déraille, dans les graves puis les aigus. Distorsions, atmosphère étrange parfois.
La mère s’agite dans la chambre. Ne reconnait plus l’odeur de son tout petit. De son bébé.
« Il faut que tu nettoies les odeurs de ta chambre » répète t’elle.
L’eau de javel n’y suffira pas. Ouvrir les fenêtres pas davantage. Il est absolument nécessaire de se procurer un produit magique, un remède unique qui détruise, encapsule, annihile tous ces fluides invisibles et retords, qui s’infiltrent partout. « Regarde, mais regarde mon enfant, mon bébé, ces odeurs salissent tout, déforment tout ! »
Dépoussiérer. Frotter. Brosser. Nettoyer et faire briller une odeur. Lui rendre son éclat originel, son vernis transparent, son air vertueux de propreté.
Maman brandit un flacon pistolet, un sent-rien parfumé à l’universel, et pulvérise l’ambiance infâme.
Dézinguées les odeurs privées.
Atomisés les parfums de peau.
Meubles bleu aquarelle, vêtements abandonnés, objets perdus transpirent maintenant l’agent industriel « fleurs naissantes » ou « rosée du matin », enrichi au bouloteur d’odeurs rebelles (une pincée de cyclodextrine) qui remet les curseurs à zéro.

C’est plus simple.
Et tout, oui tout, visiblement… reviendra dans l’ordre.








vendredi 17 décembre 2010

Tous en scène

Un village, dans l’arrière-pays. Soirée Cabaret. La salle des fêtes accueille un public nombreux, bavard et détendu. Quelques personnes sont venues à pied depuis chez elles, et transportent sur leurs manteaux un discret relent des premiers feux de cheminée : les odeurs froides d’une nuit sans nuages. Les autres, sortent tout juste de l’habitacle de leur voiture bien chauffée et véhiculent des ondes tièdes et sucrées. Nous sommes en novembre, l’automne est soudain frisquet. J’ai traversé le village au rythme d’une promenade.
Au début de l’allée, qui coupe un pré ponctué d’oliviers, et mène à la salle des spectacles, mon nez froid et engourdi est chatouillé par un mélange savoureux de parfums. Je m’approche d’un pas tranquille vers la lumière chamarrée, j’entends le bourdonnement paisible des conversations ponctué d’éclats de rire. Je ne saisis aucune parole, je cueille un mot hors champs, mais mon nez par contre démarre au quart de tour et débusque les parfums Célébrités du moment, et les incontournables Cologne antiques. C’est un bavardage que je comprends sans effort au sein d’un brouhaha apparemment cacophonique. Je capture quelques molécules, je tisse un réseau invisible où je mets bout à bout des suites logiques, et des fragments effilochés, puis je cerne la totalité du sujet. Je distingue clairement, quelle femme dispense ce monologue de jasmin, et quelle autre offre cette douceur crémeuse de musc et de bois de santal ; je sais à quel homme je dois ce hurlement de coumarine et de lavande, et quel autre chuchote copeaux de bois, angélique et prune. Parfois, je ferme les yeux, et mon nez avance tout seul. Dans ces cas là mon homme reste vigilant à mes côtés, car il craint toujours que je n’offusque un quidam, avec mon air de chien qui hume, aveugle et truffe en avant. Sur le parvis de la salle des fêtes, je découvre un joyeux fouillis de parfums classiques chahutés par les dernières nouveautés, comme je n’en ai plus connu depuis longtemps. Car il faut bien l’avouer, le Parisien de la semaine se parfume peu en soirée. En général, il quitte le bureau, stressé et en retard, et se rend directement au théâtre en courant, fardé de la dose pulvérisée le matin. Parfois un coup de lingette pour faire bonne figure. Bon, je caricature un peu…
Mais ici, dans ce petit village, le parfum est la touche finale d’une mise recherchée, d’un coup de peigne soigné, d’une intention qui prend son temps. Mon nez est sollicité de toute part. Je ne devine pas tout, tant s'en faut, mais je note une tendance plus qu’une autre. La houle parfumée me transporte vers le vestiaire où tous les effluves se confondent en un turbulent concert sans discipline, puis vers la salle où les convives se placent à table. Les odeurs s’apaisent un peu, chacun trouve son siège et le remous parfumé s’immobilise enfin.
Le spectacle peut commencer.
En salle, tandis que débute la valse des serveurs qui serpentent entre les tables sur lesquelles sont déposés, puis ôtés, une succession de plats, dont un colombo parfumé.
Sur scène, tandis que, les uns après les autres, les artistes offrent leurs chants et leurs gouailles.
Les épices du colombo se mêlent aux effluves chauds des acteurs qui, fondant littéralement sur scène, dardent des escarbilles invisibles de carvi, de tannin, de résine chaude, et de sève âpre. Parfums de peaux chauffées par l’excitation, le trac et la chaleur des feux de la rampe. Odeurs de cheveux humides fixés par les laques et autres gels parfumés. Rien ne reste à sa place. Ni les vêtements, ni la coiffure, ni les parfums soigneusement répartis sur le corps comme des gardes fous. Le cœur s’emballe, la température monte, la générosité exulte, et les odeurs s’égarent. Je récolte intriguée au premier rang, et je prends le tout. Ce ne sont plus les spectateurs qui ont droit de citer avec leurs eaux de toilette soigneusement ordonnées et élaborées, mais la scène, exubérante et affranchie, qui dévore l’espace. Chaque geste, chaque éclat de voix, éparpillent, sèment, explorent les vides laissés par les fragrances de bon aloi. Qu’importe le parfum propre sur soi, ce qui domine ce soir c’est l’alchimie particulière sur la scène. L’élan de l’acteur qui chauffe à blanc sa peau. Son corps sans cesse en mouvement, ses mains ouvertes et tendues qui livrent à la salle son odeur privée, comme il balance ses mots vers son public. Les spectateurs attrapent au vol, répondent à l’appel, s’agitent et se soulèvent. Voix et effluves se mêlent et s’assemblent. J’aime ce parfum de liesse et d’abandon. Vibration originale, bordel olfactif jubilatoire puis, brusquement le rideau retombe. Les portes s’ouvrent et les odeurs s’échappent. Le froid de la nuit se répand. Je frissonne. Pied sur terre et nez en berne. Bonne nuit tout le monde, mon nez est fatigué, soudain.

Clin d’œil à Pascal Brunner et Karo…

jeudi 9 décembre 2010

Légende urbaine

Raison donnée ou pied de nez ?
Un parfumeur sans son nez ne peut plus travailler ?

Question que l’on me pose souvent.

J’ai vérifié. Je suis tombée malade. Cloitrée au fond du lit. Un nez comme une patate. La tuyauterie nasale totalement obstruée. Des mouchoirs en papier à ma droite, et sur ma gauche, au pied du lit, une haute pyramide de boulettes de cellulose froissées et humides. Pas moyen de dégager les canalisations. Respiration de crapaud, et oreilles farcies au coton.

Monde clos.

Mais

Moulinette à volute, en action.

Aspirine effervescente UPSA 1000 : moutarde, sève, citrique, minérale, ozone, salé, bêêêrk ça grince

Aspégic 1000 en poudre : mandarine, farine, salée, acidulée, minérale, bêêêrk c’est écœurant

Doliprane 1000 effervescent : orange amère, copeau de bois et cornichon… bêêêrk c’est infect

Amoxicilline- Acide clavulanique (générique de l’Augmentin) : sirop de souffre, rondelles de citron, biscotte, colle qu’on sniffe, encre papier journal….bêêêrk c’est immonde

Derinox : 2 pschitt dans le nez. Flotte et salicylates… Bof, c’est tout ?


Assez, assez …mon nez !
Fiche-moi la paix !!
Pas moyen d’être tranquille, même quand la mécanique générale se déglingue
J’ai fini par dormir. Je l’ai laissé tout seul, au bout de mon visage… abandonné

Heureuse de le retrouver à mon réveil

Légende urbaine vaporisée : le nez fonctionne, même bouché

Vérité vraie : on devient mal embouchés dès qu’on est un petit peu malade.