mercredi 27 octobre 2010

Sur un banc 2

Il est un banc sur la route de Cabris qui mène à Grasse. Étroit et usé. Noir, d’avoir été brossé par le soleil et la pluie. Un banc isolé, cloué sur le bord de la chaussé à une époque où les trajets se faisaient souvent à pied, où la voiture n’était pas systématiquement utilisée pour aller chercher le pain. Un banc pour recevoir les jambes fatiguées du marcheur, heureux de trouver là un instant de répit propice à la songerie, et mâchonner le quignon de la baguette, achetée quelques minutes plus tôt. Ce lieu de repos n’a pas été choisi, ni aménagé par hasard. Il est au bord d’un vide. Comme une modeste broche fixée dans l’échancrure de la montagne entre deux mamelons boisés. Pour que notre regard s’échappe, vers l’extraordinaire spectacle des vallées et des collines qui se succèdent en vagues bleus et mauves, puis s’attarde sur la goutte de mercure du Lac de St Cassien et butte enfin, sur les premiers contreforts de l’Esterel au bout de l’horizon. Un banc au seuil des vents qui s’engouffrent entre les ravines, glissent au long des méandres des routes qui creusent des sillons depuis la mer vers l’arrière-pays, puis déposent le gain de leurs rapines aux pieds de ce cul-de-sac. Assise sur le banc rabougri, je penche mon nez dans le vide. Je ferme les yeux pour oublier les maisons qui tachent les pentes, je verrouille mon ouï aux rumeurs de la circulation dans mon dos, puis je disparais sous les jupes de la montagne. Effluves froids de résines. Le vent est glacé, mais la forêt de pins en contrebas respire une douce odeur de poivre, de citron vert et de sucre de canne. Je distingue le parfum des olives parvenues à maturités : odeurs de goudron et de cuir mouillé. Celle de l’humus évidemment, chaud et amer, car ces derniers jours la pluie est tombée en abondance. Je tourne la tête à la recherche de nouveaux soubresauts, ou d’un ruban odorant qui m’aurait échappé. J’attrape le bout d’un galon, l’entortille autour de mon nez et discerne l’odeur caractéristique des cyprès de Provence : mélange subtil et saisissant de sève fruitée, aromatisée aux épluchures de carottes et de concombres. Aucun reliquat d’iode ou de sel. Le souffle marin ne parvient pas jusqu’ici, excepté le jour du grand vent jaune, qui franchit parfois la Méditerranée en transportant dans sa tournure, un échantillon de sable du Sahara, un tourbillon d’algues broyées, et une risée de particules de poissons séchés. Mais à cet instant, la brise est comme à son habitude en ce début d’automne, quand les températures chutent doucement, et que le taux d’humidité augmente : je trouve en abondance le parfum de craie des montagnes calcaires, celle plus lourde et poisseuse, légèrement moisi, de la glaise, car les pentes par ici sont également formées d’argiles. Le remugle des brûlages disséminés de loin en loin, dont je note les nombreux toupets blancs effilochés, qui serpentent entre les vallons et voilent les collines telles de longues chevelures diaphanes de sorcières. Enfin, discret dans un coin, le fumet étrange de l’écorce du chêne-vert, amer, âpre et métallique, proche de la saveur d’une tablette de chocolat noir qui a pris d’abord un coup de chaud, puis un coup de frigo.
Je frissonne. Le vent transperce mon gilet un peu trop léger quand le soleil disparait soudain derrière un nuage. J’ai froid. L’inconfort m’empoigne et mon nez devient secondaire. Il est temps de retrouver l’odeur fade de ma voiture et de poursuivre mon chemin.
J’abandonne à regret le banc public, le panorama merveilleux et paisible, en me promettant de revenir en janvier, chaudement vêtue, pour respirer l’odeur marine des mimosas en fleurs.

jeudi 21 octobre 2010

Pause café

Rendez-vous pris dans un bistrot, à l’angle de Paris. Qu’importe la station, il se trouve toujours un troquet, quelques tables et des chaises, pour nous accueillir. Un p’tit noir au comptoir, un expresso en salle, un café en terrasse, le temps passe. Mon rendez-vous est en retard. Je guigne alentour. La rue étroite est semée de promeneurs d’automne, qui musardent et profitent des rayons d’un soleil encore tendre. Le parfum du café vient chatouiller mes narines. Tiède et grave. Velouté et brulé. Brève échappée. Je me souviens d’un livre, écrit par Vicki Baum (1888-1960), dont j’ai oublié le titre. L’histoire se déroule aux États-Unis, vers les années 30, dans une famille très pauvre. La mère prépare le café, qui coute une fortune, et distribue soigneusement une petite tasse à chaque membre de la famille. Les corps s’étirent sur leurs chaises, tandis que l’unique gorgée brulante est scrupuleusement savourée et son souvenir, longuement apprécié sur la langue. Une jeune fille cependant ne boit pas son café. Elle se lève et bascule sa tasse au dessus de l’évier, le visage penché sur la minuscule et brève cascade sombre. Elle déguste l’extraordinaire parfum. Quel gâchis, s’écrient les membres de la famille ! Et la mère de répondre que chacun a le droit d’apprécier son café comme bon lui semble. J’avais éprouvé en lisant ces lignes, la même réaction choquée que l’ensemble de la famille : sentir est tellement bref et éphémère quand l’acte de goûter est affaire de se nourrir. Sentir ne sert à rien. L’odeur s’échappe sans laisser de traces. Erreur. J’avais alors une réaction pusillanime. Par la suite j’ai totalement oublié ce livre, son histoire et ses protagonistes, mais j’ai conservé le souvenir de l’odeur coupable. L’odeur plaisir. Bien souvent, les odeurs sont chargées de hontes. Celles que l’on dissimule, celles que l’on fuit, celles qui nous font rougir. Quand elles inspirent un sentiment hédoniste, elles sont appréciées des amateurs, revendiquées par les connaisseurs, mais aussitôt vilipendées lors de périodes d’insécurité, de régression sociale, sans parler des hoquets de quelques religions. Sentir est une aubaine, un instant fragile de jouissance éphémère. De curiosité et de tolérance. En fait, cette jeune fille prenait et offrait la plus douce des résistances devant l’adversité. J’ai mis des années à l’estimer. Je goûte davantage les odeurs depuis.
Mon nez au dessus de ma tasse, je mesure une nouvelle fois toute la richesse sensuelle de ce parfum unique et identifiable. Et je constate ensuite comme à chaque fois que le goût est moins savoureux, simplement brusque et acide. Mais il ne me vient pas à l’esprit de vider ma tasse sur la coupelle pour m’abreuver d’effluves. Je préfère laisser trainer mon nez, et goûter le parfum rêche et sévère des feuilles en décomposition, celui boisé, épicé, tendance Italienne, de l’eau de toilette de mon voisin de table, l’odeur de bouillon de poireaux des aisselles du serveur qui passe en courant d’air, le parfum shampooing bouclette, du caniche de Madame, qui vient d’être toiletté. Tien, il lève la patte et arrose l’enjoliveur de la voiture : cambouis urine, le mélange est étrange. Petits messages, passe-temps paisible. Aller et venues des passants. Une ombre s’incline, relent doux de noix de coco, amertume de la nicotine, mon rendez-vous vient d’arriver. Une excellente raison pour reprendre un café.
Pour La Flore et notre rdv reporté aux Calendes Grecques... je ne désespère pas y parvenir un jour. Et pour tous ces moments cafés sur un coin de table à bavarder, à lire, ou à rêver...









mercredi 13 octobre 2010

Vaisselles cassées…

Citron
Le savon de vaisselle français crapote le zeste depuis des générations, tandis que nos mains bassinent devant l’évier en un mouvement attentif et zélé. Bavardage léger lorsque l’on est à plusieurs, rêverie en solitaire le plus souvent, mais toujours les mêmes outils, éponge et flacon souple, pour entreprendre ce petit bain. Une pression quand la mousse devient trop légère, un peu d’eau chaude pour diluer, vapeurs de propreté nous voilà rassuré. La graisse est dégommée par l’acide citrique, la cuisine fleure le citron chaud, acidulé et métallique, on en oublierait presque la couleur de bouillon de l’ultime bassine. Depuis quelques années le marketing a bien tenté quelques notes de modernités. Vinaigres de fruits rouges, cocktails pamplemousse/ citron vert, fleurs de nos régions. Mais rien n’y fait. Le Français tient à son agrume pressé. Soucis d’efficacité. Prouvé. Testé. Par plusieurs familles de ménagères de moins de 50 ans, et plus évidemment.
A l’origine du choix de cet effluve, une société américaine, qui eu l’astucieuse idée de proposer un liquide vaisselle parfumé au citron, au moment où la France savonnait encore au Marseille en paillettes.
Pour le soin des mains, le citron. Pas pour la vaisselle.
Tout simplement parce qu’à cette époque les femmes prenaient soin de la blancheur de leur épiderme, et que nos grands-mères avaient l’habitude de passer leurs mains au jus de citron pour les blanchir, nettoyer leurs ongles et détruire les miasmes des légumes épluchés.
Avant toutes choses, séduire la femme avec un parfum de vérité.
Avec les années, la notion « soin citron » a été petit à petit remplacée, sans que nous en prenions conscience, par le principe « décape citron ». Qu’importe la main, c’est la vaisselle qui doit être blanchie. Changement de mœurs. Évolution invisible, mais inexorable de la société qui déplace ses centres de priorités, et adapte les gestes quotidiens à un nouveau présent. Petits bouleversements de nos habitudes, sans remous apparent.
Aujourd’hui. Reniflez.
Nos repères sont en train de changer devant nos éviers.
Le citron tout doucement se fait la malle, et va zester ailleurs. Le vent du bio, du naturel et de l’aromathérapie souffle sous notre nez. L’air de rien, devant le rayon sans fin du supermarché notre main hésite, avance, puis se retire. Citron ? Et d’abord, pourquoi du citron ? Quelle est la raison scientifique ?
Les herbes du jardin, c’est bien.
Plus naturel que le citron, et moins agressif.
Basilic, Romarin et Eucalyptus, Thym et Sarriette sont les nouveaux pourfendeurs de gras et de saletés, qui par-dessus le marché épargnent notre environnement. Liquide transparent, étiquette verte, petits insectes et guirlandes d’herbes : tout est dit sur le flacon ! Les bienfaits du potager et de la tisane réunis, pour le bonheur de notre planète, et de nos mains.

Nettoyer sans bobo
Voici le nouveau credo
Et pour nos éviers
Un nouveau fumet !
Anéthol, camphre, et toute la pharmacopée…

Popotes et spéculations
Car de toutes les façons
La dernière eau de vaisselle reste une constante au fil des décennies : trouble et maronnasse.
Quant à l’odeur, nous sommes tous d’accord : dégueulasse !


Vaisselles foutues….

mercredi 6 octobre 2010

L’argent n’a pas d’odeur

Sujet d’actualité. Préoccupation d’une génération. Depuis les années 80, l’argent fait le bonheur. Odeurs et saveur d’une société de consommation.
Les billets possèdent un fumet particulier suivant le papier employé. Au cours de mes voyages j’ai constaté la douceur du dollar, la note d’olive verte de la livre anglaise, de bol de céréales, variété flocons d’avoines, des francs français, boisée du franc Suisse, et la note poivrée presque métallique des billets du Laos.
Les pièces par contre jouissent d’un parfum universel de crasse. Acide et aigre avec une arrière senteur de mélasse, savant mélange de sueur, de graisses diverses et de poussières.
Les cartes bancaires ne parlent pas beaucoup. Argent virtuel, elles se contentent d’un minuscule relent cru de plastique, à peine relevé lorsque le nez s’approche de la bande magnétique. Imaginez si un jour prochain les banques toujours en veine de profit publicitaire, proposent des cartes de crédits au parfum de votre choix : fraise, chocolat, floral, boisé ou noix de coco pour s’imprégner d’un sentiment de satiété à chaque manipulation… jusqu’à l’indigestion ?

lundi 4 octobre 2010

Les marqueurs

Comme d’habitude, je m’éveille au son de la radio. Le bourdonnement coutumier accompagne ensuite le petit déjeuner, les rubriques des journalistes ponctuent l’écoulement des minutes offrant des points de repère, afin que nous soyons chacun vêtus, brossé, débarbouillé, à l’heure juste, près à entamer notre journée. Ce matin, mon attention est soudain attrapée par un mot sensible : odeur. J’interromps mes activités et prête une oreille attentive au commentaire. Le reportage concerne l’entrainement des chiens policiers à mémoriser, puis reconnaitre l’odeur du « méchant » sur le lieu d’un crime. Évidemment, les méchants ne développent pas une odeur caractéristique, mais chaque individu possède sa propre identité olfactive, telle une empreinte digitale. Les chiens font la distinction. L’homme, non. Enfin, sauf dans notre entourage immédiat et familier. Je connais l’odeur spécifique de mes enfants, celle de mon compagnon, de mes parents… Mais je ne suis pas informée de celle de mon épicier. Sauf s’il devient mon amant, mais ceci est une autre histoire sur laquelle je ne souhaite pas m’attarder, je ne désire pas avoir d’ennui avec mon cher et tendre. Ainsi, je peux reconnaitre en aveugle un proche par l’odeur de sa peau. Mais je n’identifie pas une simple relation, un collègue de bureau par exemple. Je ne parle pas de parfum, mais bien de l’odeur de notre épiderme. Les chiens en revanche, détiennent la capacité de repérer et stocker des centaines de marqueurs odorants de personnes inconnues. On leur fait renifler un tube dans lequel a été conservé l’odeur du malfrat, et hop, hop, petit trot, le voilà qu’il vous conduit dans l’antre du criminel. Ah, ah, pris en flagrant délit de suer !
Avec un peu d’entrainement un parfumeur pourrait-il…, non, vraiment, aucun intérêt. J’abandonne toutes élucubrations idiotes. Sinon, pour en faire un personnage de roman policier.
Imaginons un type, genre Cyrano, nez en chaloupe, qui ramasse et écope tout ce qui lui passe sous le blair. Mains dans le dos, visage courbé, il hume les humeurs des victimes, des protagonistes, renifle l’ambiance, l’atmosphère des lieus. Il note une odeur de peau séchée sous les ongles laqués de la standardiste, un reste de lait caillé sur le chemisier de la belle mère, qu’il découvre également sur la moquette où git la victime. Il remarque et identifie une odeur puissante de whiskey 20 ans d’âge, qui s’échappe d’un verre renversé sur le bureau, mais dont les lèvres de la victime ne sont pas humectées, et paf ! Le coupable est le duo secrétaire/belle-mère. Explications. La standardiste a ébouillanté jusqu’au sang le pov’ type en trébuchant malencontreusement sur le tapis, en lui apportant son café du matin. Prise de panique, elle a tenté de sécher avec un kleenex, son patron. Mais de minuscules lambeaux de peaux ont été arrachés, et le derme a glissé sous ses ongles. Tandis que la belle-doche ravie de se débarrasser de cet homme encombrant a aussitôt réagi, et camouflé l’affaire en un vulgaire accident d’alcoolisme.
Bon, je sais, tout ceci ne tient pas très bien la route: il est difficile de tuer quelqu’un avec un café au lait chaud. Mais bon. C’est une tentative pour planter le décor. Les premiers pas d’un nouveau personnage dans le monde étrange des marqueurs invisibles…