Il est un banc sur la route de Cabris qui mène à Grasse. Étroit et usé. Noir, d’avoir été brossé par le soleil et la pluie. Un banc isolé, cloué sur le bord de la chaussé à une époque où les trajets se faisaient souvent à pied, où la voiture n’était pas systématiquement utilisée pour aller chercher le pain. Un banc pour recevoir les jambes fatiguées du marcheur, heureux de trouver là un instant de répit propice à la songerie, et mâchonner le quignon de la baguette, achetée quelques minutes plus tôt. Ce lieu de repos n’a pas été choisi, ni aménagé par hasard. Il est au bord d’un vide. Comme une modeste broche fixée dans l’échancrure de la montagne entre deux mamelons boisés. Pour que notre regard s’échappe, vers l’extraordinaire spectacle des vallées et des collines qui se succèdent en vagues bleus et mauves, puis s’attarde sur la goutte de mercure du Lac de St Cassien et butte enfin, sur les premiers contreforts de l’Esterel au bout de l’horizon. Un banc au seuil des vents qui s’engouffrent entre les ravines, glissent au long des méandres des routes qui creusent des sillons depuis la mer vers l’arrière-pays, puis déposent le gain de leurs rapines aux pieds de ce cul-de-sac. Assise sur le banc rabougri, je penche mon nez dans le vide. Je ferme les yeux pour oublier les maisons qui tachent les pentes, je verrouille mon ouï aux rumeurs de la circulation dans mon dos, puis je disparais sous les jupes de la montagne. Effluves froids de résines. Le vent est glacé, mais la forêt de pins en contrebas respire une douce odeur de poivre, de citron vert et de sucre de canne. Je distingue le parfum des olives parvenues à maturités : odeurs de goudron et de cuir mouillé. Celle de l’humus évidemment, chaud et amer, car ces derniers jours la pluie est tombée en abondance. Je tourne la tête à la recherche de nouveaux soubresauts, ou d’un ruban odorant qui m’aurait échappé. J’attrape le bout d’un galon, l’entortille autour de mon nez et discerne l’odeur caractéristique des cyprès de Provence : mélange subtil et saisissant de sève fruitée, aromatisée aux épluchures de carottes et de concombres. Aucun reliquat d’iode ou de sel. Le souffle marin ne parvient pas jusqu’ici, excepté le jour du grand vent jaune, qui franchit parfois la Méditerranée en transportant dans sa tournure, un échantillon de sable du Sahara, un tourbillon d’algues broyées, et une risée de particules de poissons séchés. Mais à cet instant, la brise est comme à son habitude en ce début d’automne, quand les températures chutent doucement, et que le taux d’humidité augmente : je trouve en abondance le parfum de craie des montagnes calcaires, celle plus lourde et poisseuse, légèrement moisi, de la glaise, car les pentes par ici sont également formées d’argiles. Le remugle des brûlages disséminés de loin en loin, dont je note les nombreux toupets blancs effilochés, qui serpentent entre les vallons et voilent les collines telles de longues chevelures diaphanes de sorcières. Enfin, discret dans un coin, le fumet étrange de l’écorce du chêne-vert, amer, âpre et métallique, proche de la saveur d’une tablette de chocolat noir qui a pris d’abord un coup de chaud, puis un coup de frigo.
Je frissonne. Le vent transperce mon gilet un peu trop léger quand le soleil disparait soudain derrière un nuage. J’ai froid. L’inconfort m’empoigne et mon nez devient secondaire. Il est temps de retrouver l’odeur fade de ma voiture et de poursuivre mon chemin.
J’abandonne à regret le banc public, le panorama merveilleux et paisible, en me promettant de revenir en janvier, chaudement vêtue, pour respirer l’odeur marine des mimosas en fleurs.
Je frissonne. Le vent transperce mon gilet un peu trop léger quand le soleil disparait soudain derrière un nuage. J’ai froid. L’inconfort m’empoigne et mon nez devient secondaire. Il est temps de retrouver l’odeur fade de ma voiture et de poursuivre mon chemin.
J’abandonne à regret le banc public, le panorama merveilleux et paisible, en me promettant de revenir en janvier, chaudement vêtue, pour respirer l’odeur marine des mimosas en fleurs.