jeudi 26 novembre 2009

Crème Anti-ride(s)

Réflexion de salle de bain.
Je me contemple dans le miroir, et mes pensées prennent un tour d’actualité.
Je ne rajeunis pas.
Ce n’est pas nouveau. Comme certaines dates commémoratives qui reviennent épisodiquement, voilà que me tenaille le besoin rebattu mais exigeant, d’une crème miraculeuse à la consistance lisse, comblante, au parfum de certitude.

Quelques stations de métro plus tard, j’émerge sur le trottoir d’un Grand Magasin, dans les environs de Noël. Lumières œillades, guirlandes aguicheuses, et appel du pied des vitrines magiques. Indifférente à ce déballage précoce des fêtes de fin d’année, j’agrippe la poignée de la lourde porte vitrée et je suis soudain soufflée par l’afflux d’air chaud, prisonnier du rez de chaussé. Parfum moite d’humanité, combinaison aléatoire des dernières eaux de toilettes vendues en vedettes sur des podiums disséminés, remugle de tous les cuirs faux ou vrai du rayon maroquinerie, je ne sais plus où donner du nez ! J’avance dans un raz de marée olfactif, parmi les remous de la foule nerveuse et affairée, dont les corps vibrent en position surchauffe, sous une couche de vêtements prévus pour un froid extérieur.
Noël, dans ma mémoire courte, sent la cannelle, le chocolat chaud, parfois le marron glacé, surtout le pudding Irlandais, et depuis peu, le sapin de la forêt Ikea. Mais je dois me rendre à l’évidence, ici, dans ce temple de la consommation débridées, Noël ressemble à une immense fournaise capiteuse. Quel bordel ! Oups,...pardon. Cela m’a échappé. Bien, reprenons nos esprits. Je retire d’abord mon manteau, afin de baisser mon niveau de température, et je profite de ce moment de distraction pour faire le vide dans mon nez : je soupire doucement, bouche close. Instantanément, toutes les informations inutiles qui ne nécessitent pas d’être analysées, répertoriées et disséquées par ma boîte nasale, reliée à mon petit cerveau véloce, sont évacuées. Je redresse les épaules, en prenant une goulée d’air tiède, lèvres juste ouvertes, comme pour un baiser. Pensées sans nuages, nez clair. Vent calme. Fin de tempête. L’horizon dégagé, je poursuis ma traversée, sereine, vers les stands exhibant les marques de cosmétiques célèbres. En chemin, je joue avec quelques découvertes suaves, capturées au détour des comptoirs des parfumeurs. Quelques alliances surgissent, pertinentes, cocasses, mais la plupart demeurent sans élégance. On frôle l’absurde et la saturation.
Hésitante, je choisis un stand aux allures rigoureuses et épurées. La demoiselle s’approche, sourire discret et attentif sur un visage d’un naturel parfait, emblématique de ce style impalpable, mais terriblement sophistiquée du maquillage « nude ». Elle n’hésite absolument pas, et me propose la crème indispensable pour lutter contre les sévices irrémédiables du temps, qui passe sans vous demander pardon. Elle prélève une noisette du produit et la dépose délicatement sur le dos de ma main. Sans réfléchir, je la porte à mon nez et grimace aussitôt. Le parfum est terriblement puissant et complexe. Il évoque des matins mouillés couleur d’aurore, quelques nymphéas…ou plus simplement , des rondelles de concombre, ou de la chair de melon vert. Les angles sont droits, la lumière translucide, le son subtilement strident. Par contre la texture est séduisante : fluide, onctueuse, d’une belle couleur ivoire pâle. Mais, j’ai beau renifler ma main, je n’arrive pas à convaincre mon esprit que c’est la solution à mes préoccupations épidermiques.
La fragrance n’est tout simplement pas assez riche, ni charnue, chaude, moelleuse, paresseuse et veloutée. La crème proposée possède certainement des qualités anti-relâchement et tutti-comblement, mais le parfum frais, un peu raide, qui s’en dégage, me suggère d’être simplement hydratée et, la peau, peut être, un peu retendue. De toute évidence, me voilà surprise en flagrant délit de succomber au piège de l’effluve placebo. Ah ! Comme notre inconscient olfactif nous enferme dans ses codes prêt-à-porter ! Un joli pied de nez à ma démarche anticonformiste, et mes grands discours sur la modernité…je ne suis même pas fichus de convaincre ma propre cervelle de professionnelle!!
Car c’est ainsi. Malgré notre superbe clairvoyance et notre connaissance de plus en plus fine et insatiable des divers composants, nous persistons à être doucement menés par le bout du nez, au détour d’un parfum invisible incorporé à une base galénique vertueuse. Sans y toucher, nous apprécions tel crème, lait corporel ou baume, pour son odeur caractéristique, et conforme à l’attente de certaine performance. Ainsi au fil du siècle, nos cosmétiques, autrefois simplement aromatisés à la rose, ont révélés depuis, des formes de plus en plus précises, avec des étiquettes clairement établies. Chaque peau, chaque âge, chaque préoccupation dermatologique possède aujourd’hui son petit casier, ornementé d’une définition olfactive. En règle générale, une composition fraiche et transparente est destinée à une peau jeune, tandis qu’un bouquet floral, opulent, discrètement « sucré », convient aux peaux matures. Légèreté et simplicité s’oppose à confort et sécurité. Bien sur, le casier est ensuite divisé en nombreux compartiments où l’on distingue les signatures des Marques, et des genres : bio, naturel, expert, masculin, féminin, minéral, végétal, méthodique, empirique, sérieux, amusant... Hé oui, le mot « amusant » contient une odeur ! Celle qui vous fait sourire et détend vos traits, quand vous appliquez en gestes rapides votre soin quotidien. D’abord, vos doigts glissent sur votre visage et vous éprouvez la texture souple et rassurante, puis, votre nez enregistre les effluves sans vous demandez votre avis et, aussitôt un sentiment de bien être vous envahit. Et hop ! Oublié, les rides…jusqu’au lendemain !

mercredi 18 novembre 2009

Lendemain de fête.

Ne me demandez pas à quelle heure je me suis couchée.
Je peux simplement vous dire que quelques heures raisonnables plus tard, je me suis levée. J’ai enfilé mes vêtements imprégnés de nicotine encore fraiche et, quittant ma chambre qui sniffait le dodo des ronfleurs discrets, j’ai, d’un pied un peu hésitant et agrippant le garde-fou chantourné, glissé au bas de deux étages d’escaliers serpentins, du majestueux château où nous nous étions une bonne centaine, réunit pour le week-end.
Nous avions débuté en fanfare, le vendredi soir.
Nous avons clôturé enthousiaste, ce dimanche matin.
J’ai atteint le rez-de-chaussée, froid, nimbé d’une lumière d’un gris pâle sans saveur. Envahit d’une sensation étrange, l’œil vague, proche sans doute d’un somnambulisme conscient, j’ai éprouvé le vide et le silence soudain. Evidemment mon nez fonctionnait, et l’air de rien la bécane enregistreuse a immédiatement absorbé et analysé quelques relents de cheminées assoupies. J’ai savouré les soupirs de résines calcinées des dernières bûches achevant de se consumer, brandons paresseux, abandonnés, émanations âcres et cependant réconfortantes. Les cendres, poussières ténues, dégageaient une odeur fine, douce et veloutée, légèrement amère et apaisante. La chaudière du château, comme nous l’avions découvert à notre arrivée, ne fonctionnait pas. Qu’à cela ne tienne, quelques pyromanes, heureux hommes, se sont empressés de jouer au mikado : bûches et allumettes. Activités viriles et senteurs d’autrefois, en parfaite harmonie avec ce lieu qui semblait dédié à quelques beaux Mousquetaires...
Je me suis dirigée vers la cuisine, en mode automatique, me rappelant qu’il me fallait franchir trois salles monumentales. La température avait chutée, et derrière le fumet des cheminés, je sentais le remugle des dalles froides, jonchées de débris à peine identifiables. Une brume insaisissable composée des fluides corrodés des couches de vernis successifs, des poussières fossilisées, et des particules de dorures fanées, voilaient les portraits en nombres considérables d’ancêtres inconnus. Bizarrement, ce pot-pourri m’a fait subitement songer aux boulettes de colles que nous façonnions et tripotions interminablement, entre nos doigts sales d’écolier. En passant près des portes fenêtres donnant sur les jardins, j’ai perçu le parfum du temps qui passe, prisonnier des longs rideaux damassés, ce reliquat de poudre de riz rancie, propre à toutes les vieilles demeures peu fréquentées et mal aérées, inexplicablement reposant. Au seuil de la seconde salle j’ai croisé, un ballon de rouge inachevé à la main, l’ultime noctambule qui s’en allait rejoindre d’un pas nonchalant, son matelas. Dénouement du sentiment précieux de sa solitude, il laissait sa place de gardien de l’aube aux nouveaux venus à peine éveillés, pour sombrer à son tour. Vision sans odeur, mais rencontre d’une immense saveur. Celle de nos habitudes de doux fêtards. Mes pieds m’entrainèrent soudain, animés d’une vie propre vers la dernière salle. Odeurs irrésistibles du café, du quat’ quart au beurre bien, bien jaune, des pelures de mandarines, et du lait tiède. Puis, j'ai discerné le marmonnement des conversations juste ébauchée, comme un code commun et compréhensible à tous les lèves-tard ; « sucre.. ?, lait…? Bé non…, c’est où qu’il est...? Y’a pu d’eau chaude… » Economie des mots, des gestes. Urgence d’engloutir une première gorgée de café brûlant, qui désembue les méninges, débrouille le nez, et rince les miasmes granuleux d’une haleine chargée. Claquement de langue, pendant qu’une main s’avance pour attraper un bout de pain, tandis que l’autre plonge une cuillère brusque dans un pot de confiture de poires confites aux arômes de miel, ou de pêches, aux saveurs d’automne et d’amandes. Coordination des gestes, mais esprit embrumé. Paupières plissées, yeux en fentes, concentration entièrement dédiée aux roboratives et salvatrices odeurs du petit déjeuner.
J'ai pris place à la longue table, entourée de mes compagnons de bringue, une tasse de breuvage chaud au creux des mains. Comme chaque fois, j'ai retrouvé avec plaisir ces effluves qui rôdaient, entre les bols fumants et les reliefs de nourritures, de nos corps engourdis qui conservaient les marques d’une nuit intense et tapageuse, suivit d’un sommeil harassé modèle parpaing. Effluves doux, sensuels, parfois musqués. Légèrement boisés, avec un vague relent de mûres ou de myrtilles écrasées, pour les amateurs de vin, de levure sucrée pour les buveurs de bières, de quelques miettes amères de nicotines, et couvrant le tout d’une cape invisible, le remugle encore appétissant des épices caramélisées du méchoui, que l’on avait mit à rôtir en plein air.
Dans quelques heures, une bienséante neutralité régnera de nouveau. Les semi-éveillés engourdis dans leur jus, seront remplacés par les frais pimpants sortis de la douche, en habits de valises, cheveux humides et sourire dentifrice.
Oui, la fête sera alors bien finie.
Nous serons redevenus des citoyens civilisés…pour combien de temps ?


-Pour Lapo, à propos de notre conversation, assit au soleil sur les marches coté jardin, de l'odeur des yeux plissés les lendemains de fêtes....
-Pour les 120 ans de Nathalie, Bruno et Pierre.





















jeudi 12 novembre 2009

Café Américain

Mon homme m’affirme que ce n’est point un endroit où prendre un café.
Pour un non consommateur de cette boisson, je trouve qu’il ne manque pas de toupet. Mais je comprends qu’il est beaucoup plus français que je ne le suis, et qu’il défend un certain territoire : le bistro. Je lui donne entièrement raison. Question territoire. Mais parfois je passe outre, car il m’arrive de succomber au mauvais goût de mon enfance, souvenirs de petite fille qui a découvert au hasard des pérégrinations de son papa/maman, l’Amérique, et sa ribambelle de parfums sucrés, des nourritures soit disant « salées » : ketchup, pickles, baggels, mayonnaise blanche, moutarde jaune fluo, et bien plus tard, le café à l’eau chaude.
Hors donc, ce jour, en balade sur l’interminable trottoir de l’Avenue de l’Opéra, la jambe traînante, les oreilles en coton et l’esprit saturé par le grognement permanent de la circulation, j’aborde la fameuse enseigne et n’hésite pas longtemps. Je trouve de toute façon un prétexte tout prêt : j’ai lorgné dans un coin un fauteuil club, ventru et libre, et j’ai une chronique à terminer. Voilà, c’est parfait ! Je possède une excellente raison de flancher, et de m’envoyer un noir dans un carton. Mes scrupules apaisés, je franchie le seuil de la boutique et, d’un coup de nez d’un seul, je ne suis plus en France mais au pays du sucre rigolo, du caramel croustillant et du lait chaud monté en neige : Café Disney.
Bien sur, Mickey ne pointe pas son museau, mais trois étudiants, vêtus d’uniformes couleur marron papier, arborent un sourire Barbie-est-heureuse, et me proposent de me servir prestement toutes consommations que je voudrais bien leur désigner. Je parcours les panneaux où sont décrits avec force détails les Mocha, Macchiato, Cappuccino, et je trouve enfin mon café allongé sans modération. Je me décide ensuite pour la taille, mais je me fais avoir sur le terme employé : on me dépose sur le comptoir, un exemplaire gigantesque. Bah ! Je prendrais tout mon temps pour écrire. Mon seau brûlant à la main, je me dirige vers le canapé élimé, toujours inoccupé. Apparemment, c’est l’heure creuse. Je m’installe confortablement, ma boisson réconfortante à portée de main, et tout naturellement un rythme s’installe : je tapote sur le clavier, et le temps passe, entre deux phrases capturées, un fouillis de fautes d’orthographes corrigées, une virgule qui cherche désespérément sa juste place, et un décrochage régulier, pour absorber une lampée de café diaphane au parfum de flotte légèrement torréfié. Mais soudain mon bout de nez est chatouillé par une odeur de sucre monté en graine, puissante et souveraine. Je lève la tête et je découvre une jeune femme debout et souriante, un énorme muffin prisonnier de ces doigts délicats, qui me demande gentiment si elle peut s’installer en face de moi, et partager la petite table basse. Oui, oui, bien sur… et sans m’attarder davantage, je retourne à mon clavier: tape-tape, tape-tape. Oui, mais… Le muffin, petite montagne alléchante, déploie des ondes obstinées et envahissantes de beurre ultra frais, de jaune d’œuf concentré, de cannelle de Chine et de sucre vanillé des Tropiques. Pourtant, en levant un œil, je me rends compte que c’est une brioche parsemée de nombreux et gros éclats de chocolat. Je suis impressionnée par la force solitaire de cette friandise, posée sur la table à moins d’un mètre de mon nez, qui pulse, dès que les doigts féminins picorent quelques miettes, un lourd parfum de beurre et de vanille de synthèse, sans le moindre relent de cacao. Je redresse mon corps et j’hume l’ambiance de ce lieu dédié au café. Aucune signature de torréfaction non plus. Aucunes vapeurs amères, ni de sournoises et séduisantes volutes calcinées, croustillantes et boisées, ni ce résidu de cirage froid, lorsque moisit dans un tiroir des monticules de marc. L’odeur caractéristique reste sans doute prisonnière de la chope en carton avec son petit opercule en plastique, à moins qu’elle ne soit engloutit par l’ajout du vaste choix d’accessoires gourmands, comme le caramel liquide, la poussière de vanille, la mousse de lait chaud, ou la poudre de cacao confectionnées sans les fèves.
De nouveaux consommateurs, de plus en plus nombreux à présent, louvoient, gobelets à la main en une valse désorganisée, afin de trouver le fauteuil cosy encore disponible. Des parfums de jus d’oranges fraîchement pressées traversent l’espace. Molécules cristallines et pétillantes, éphémères, elles virevoltent sous mon nez pour disparaître aussitôt. Les émanations plus charnues, comme celles de la chantilly ou du caramel chaud, parviennent en se trémoussant avec peine, à atteindre mon nez curieux pour cette faune olfactive à l’américaine. Je ne comprends pas pourquoi ni comment ces pâtisseries si artificiellement parfumées, excitent ainsi ma gourmandise, ni pourquoi le café reste agréable, même incolore et inodore. Pourtant bien malgré moi, je demeure captivée par ces odeurs, violentes ou fades, avec ce je ne sais quoi de ridicule et de disproportionnée. Le coté gadget sans doute ? Je flirte avec la tendance « adulescent » versant régressif. Je retrouve mon engouement de gamine pour tous ces parfums postiches, qui réjouissaient mes papilles et mes narines naïves de petite fille. Heureuse époque de gloutonnerie confiante, où le nez comblé, et sans préoccupation sur la composition ou sur les conséquences, je savourais des gâteaux couleurs d’arc en ciel aux arômes improbables de fruits des bois, ou de beurre de cacahuètes.
Derechef une gorgée de café à l’eau, tiède maintenant. Glissement de mémoires et associations aléatoires, j’ai envie, tout à coup, de revoir le film «Jour de Fête» de Jacques Tati, avec son facteur qui effectue sa tournée «à l’Américaine».
Encore de la gourmandise sans doute…

lundi 9 novembre 2009

Interlude 3

Bonjour à tous, et en particulier à mes commentateurs.
Ce matin j'ai consacré un peu de temps à revenir sur mes "vieux" posts et j'ai constaté que vous aviez laissé de nouveaux commentaires. J'ai répondu à chacun de vous, en vous demandant de me pardonner si j'ai pris tant de retard...mais j'avoue que je n'avais pas imaginé que je trouverai encore des commentaires sur des textes plus anciens. C'est une découverte agréable et dorénavant je penserai à revenir de tant à autres sur mes premiers pas!
Bonne semaine à tous.
Prochain post cette semaine : dès que j'ai trouvé le mot qui manque pour décrire le machin !

jeudi 5 novembre 2009

Bonne fête des morts...Mesdââames ! (suite)

Une autre journée se passe. La chaleur grimpe, l’odeur devient suffocante et source d’inquiétude maintenant. Elle « colle » littéralement à mes narines : séduisante, déroutante, attirante. Je la pourchasse sans cesse, à l’affût du moindre courants d’air, d’une saute de vent, afin d’y appliquer mon nez, intriguée et déroutée, agacée et rebutée. Je veux comprendre, identifier et classer. Je finis par décamper de l’appartement afin de trouver un peu de repos, car je suis éreintée de cette quête irréelle et absurde. Capturer l’impalpable. Identifier ce que personne ne cherche.
Les rares voisins qui ne sont pas partis en vacances se plaignent vaguement, étourdis par la chaleur. Cernés par des problèmes quotidiens plus concrets, ils évoquent résignés, les poubelles qui n’ont pas été sorties ou, mal nettoyées. Odeurs de détritus ? Pas satisfaisant, pour mon cerveau connecté à mes narines. Les images ne correspondent pas tout à fait. Il manque des infos. Ou bien, j’ai des pièces en trop. Et puis j’ai vérifié : les poubelles ont été évacuées comme chaque jour, et le local est plutôt propre.
Le soir venu, je suis de retour. Aussitôt franchit le hall d’entrée aux murs voilés et fissurés, l’étrange odeur dévore toute mon attention et libère l’angoisse. Pour la première fois, j’agrippe mon T-shirt par le col, et le tire d’un mouvement sec sur mon nez. Je retrouve sur le coton, le parfum rassurant de ma peau. Doudou originel, repère intime et familier. Je ne m’attarde pas, je prend la tangente et grimpe les escaliers comme si j’avais la mort aux trousses. Deux étages plus haut, cloitrée dans mon appartement, je me demande comment je vais passer la nuit et, trouver le sommeil. J’imagine toute sorte de scénario: fourrer du coton imprégné de baume « homéoplasmine » dans les narines ; déposer une bassine de café noir au pied de mon lit ; répandre, concept médiéval, des herbes aromatiques Ducros sur le plancher…Le nez en pagaille et le cerveau battant la mesure moulinette, je tente sans succès de me raisonner, quand soudain, le calme explose. L’immeuble gronde et proteste. Piétinements pressés de lourdes chaussures militaires. Voix fortes et autoritaires. Réactions paniquées d’un jeune homme, rappel à l’ordre et bourdonnements incompréhensibles. Intriguée, et ravie de ce moment de diversion où mes oreilles prennent le pas sur mon odorat, j’ouvre la porte de mon palier et, dans le plus pur style voisine aux aguets, je tends mon cou…mais n’aperçois rien. Mon sentiment de soulagement est de courte duré. Je comprends très vite que ce vacarme annonce un drame.
Ensuite, je ne peux qu’imaginer la scène, car je n’envisage pas de dévaler les étages pour endosser le rôle de voyeuriste. Un homme, un pompier sans doute, tape d’un poing vigoureux sur une porte du rez-de-chaussée, qui raisonne, grince et se plaint. Quelques secondes se passent. Aucune réponse. L’homme cogne derechef violement, puis c’est l’intonation aiguë du jeune homme inquiet, qui hurle le prénom de l’occupant de l’appartement. Sans succès. Nouveaux bourdonnement de voix. Va et vient de gros godillots. Puis un énorme craquement, une déchirure métallique, suivit du staccato des escarbilles arrachées à la porte, et des brisures de plâtre, projetées violement sur les murs et le sol dallé. Enfin, le silence. Paix toute relative, car soudain et sans crier gare, je suis percutée, sonnée, broyée, par une puanteur épouvantable. Formidable vague invisible et dense, qui vient d’être libérée et qui s’engouffre toutes griffes déployées dans la cage d’escalier. Je vacille et m’effondre, le nez sur mes genoux, gémissante et en larmes. Pour la première fois je hais mon nez. Je souffre dans tout mon corps et mon cerveau de ma merveilleuse faculté de sentir. J’ai envie de fuir. Je ressens une peur immense, et une fragilité terrible. Bon sang ! Que cette odeur est sucrée, sirupeuse et écœurante. Une confiture monstrueuse.
Maintenant, je sais. Classée, étiquetée, et mémorisée. La mort à une odeur. Incomparable. Inoubliable. Unique.

lundi 2 novembre 2009

Bonne fête des morts... Mesdââames! *

Un jour, j’ai senti la mort.
Celle de la vie.
Qui colle au nez, et qui fait peur.

Territoire inconnu, mon nez ne reconnaissait pas les indices. Les molécules capturées et analysées n’évoquaient rien, ne se rapportaient à aucun référent : je me trouvais soudain devant un monde sans nom, sans couleur, sans signe distinctif.
Il me manquait un repère, quelque chose de concret pour que l’odeur qui traînait sous mes narines prenne forme, consistance, et devienne une image en 3D reconnaissable et rassurante. Et hop ! Dans la boîte : classée-nommée-oubliée-mémorisée.
C’était l’été. Un mois d’Août à Montmartre. Mon immeuble de guingois donnait au Nord sur une rue aux pavés inégaux. L’herbe, avait le temps de pousser entre les mauvais joints, malgré les passages des voitures, des piétons et du petit bus électrique. Au Sud, coté cuisine j’avais une vue tronquée sur Paris. J’apercevais les Buttes Chaumont mais pas la tour Eiffel, car l’immeuble formait un angle et masquait l’Ouest Parisien. Mais je ne m’en plaignais pas, car cette vue inachevée m’offrait un plaisir rare : l’illusion de respirer au cœur de la ville, d’appartenir à l’infini quand le ciel tendait ses bras sans nuage ni pollution, et la satisfaction de contempler le tapis gris bleuté des toits, qui déroulait son patchwork à mes pieds.
La particularité de Montmartre c’est de recevoir en pleine face les vents, comme une accolade revigorante en été, souvent vigoureuse le reste de l’année. Je n’ai jamais connu la pesanteur estivale dans cet appartement toujours naturellement ventilé.
Cet été précisément, le vent est venu taquiner mes narines. Une fin de matinée très chaude, où le soleil donnait de plein fouet sur le mur de l’immeuble coté Sud. Quelques effluves au début. Un signal dans un coin de mon esprit, rapidement analysé, absorbé, et identifié comme quelques miettes sucrées pas désagréables. Les fenêtres étaient pourtant fermées, afin de préserver un peu la fraîcheur toute relative de l’appartement, mais elles étaient si vieilles, usées et déformées, que l’air passait à travers un réseau de jours, de la taille d’un petit doigt parfois !
Odeur puissante en vérité. Sinueuse, et tenace déjà.
Le lendemain l’odeur est toujours là. Plus prégnante, plus intense également. Mon nez commence à renifler comme un chien, par petits coups, narines palpitantes ouvertes au maximum, afin de capturer toutes molécules porteuses d’informations. En vains. Je commence à sentir la perplexité et la gêne parcourir mes méninges. Une odeur oui, mais sans images. Je me découvre aveugle.
Bien sur, je peux énumérer : fruité, sucré, piège à abeille, pâte de coing pas assez cuite, poire molle, infusion de bois, abricots écrasés dans un sac en plastique après une journée de pique-nique, pommes de terre fripées, huile de noisette…
Mais cette classification ne me satisfait pas.


A suivre…
*Kurogan, dans Highlander