mardi 18 octobre 2011

La bise

Devant l’école où elle vient de déposer sa fille, elle croise des parents et des bambins motivés. Elle tend plusieurs fois sa joue, puis l’autre, s’éloigne enfin, un peu en retard, mais souriante, et lance par-dessus son épaule un « bonne journée ! » enjouée. Elle arrive trente minutes plus tard à son bureau, retire sa veste qu'elle dépose sur le dossier de son fauteuil. Elle absorbe au passage une bouffée de l’odeur de sa maison, de son propre parfum qui s’amoncelle spray après spray sur le vêtement. Elle s’engouffre dans le couloir, croise quelques collaborateurs, en embrasse certains, serre la main à d’autres, étreint quelques secondes la manche de l’une, effleure l’épaule d’un autre. Toujours souriante, elle débouche dans la minuscule pièce pause-café. Elle tend la main et récupère son gobelet dans le distributeur. Nouveaux venus. Nouvelles bises. Un dernier « bonne journée » et elle s’en retourne avec sa boisson chaude. Enfin seule, elle porte le breuvage à son nez afin d’en humer l’arôme gourmand. Elle apprécie cet instant éphémère,  nez à nez avec son café. Mais la vapeur qui s’échappe n’est qu’une interminable banderole d’échantillons grappillés durant la matinée :  des parfums dérobée sur la peau des autres : le Mâle, Habit Rouge, Hugo, mais lequel, Allure, Ombre Rose pour une crème, Mixa lotion, des restes froids de nicotine, Angel, Terre, Aromatic Elixir, Dolce&Gabbana mais lequel, J’adore évidemment, Ushuaia, Tahiti & compagnie, un truc indéchiffrable.

Oh là ! Trop de monde soudain dans son bureau !

Elle sourit, et se demande si demain elle choisira d’être une femme sans bagages, qui n’offre plus sa chair au passage et bascule en salut nippon.



mardi 11 octobre 2011

Evaluation 3

Lundi, 9h35 am.
Salle « Pivoine » - 7em étage.
Réunion de l’équipe commerciale.

« Mesdames, Messieurs, bonjour.

Deux mois de recherches, accomplit par l’élite de nos parfumeurs, des critiques objectives exprimées par nos meilleures évaluatrices, et enfin, un choix rigoureux effectué par notre brillante équipe marketing ont été nécessaires pour d'être en mesure aujourd'hui, de vous proposer un panel de parfums parfaitement adaptés aux exigences du marché des produits capillaires Européen.
Cependant, un dernier examen attend nos candidats.
Pour cela, nous avons besoin de têtes et de mèches.
Puisées dans le personnel de notre entreprise. Esprit d’équipe, émulation du groupe, afin que tous ensemble nous détections au cours des prochaines semaines, les parfums qui surgirons vainqueur de l’épreuve finale: « comme à la maison».
Nous pourrons ainsi offrir à nos clients des produits irréprochables, parfaitement mis au point et testés, afin de torpiller leur concurrence.

Je demande à chacun d’entre vous de consulter leurs personnels, femmes et hommes indifféremment, pour les convaincre de se faire passer un shampooing. Ah, ah, ah,… !
Trêve de plaisanterie, les personnes dont les cheveux sont colorés ne sont pas admises. Vérifiez auparavant les racines. Je me permets d’insister, car, comme vous le savez, la coloration modifie la texture du cheveu : le parfumage du shampooing n’adhère pas de la même manière à la fibre capillaire, aussi les résultats de nos évaluations peuvent-ils être radicalement perturbés !
J’ai décidé, en accord avec le responsable de la DRH, que nous offrirons un ticket restaurant supplémentaire à chaque personne qui apporte sa tête sur un plateau. Bien entendu, tout le monde quittera notre laboratoire technique les cheveux convenablement coiffés et séchés. Cette fois-ci, j’ai demandé à la coiffeuse de mon épouse de nous rejoindre, afin que chaque cobaye profite d’un brushing s’il le souhaite. Je pense que cet engagement de frais supplémentaire motivera notre personnel qui s’est plaint lors de nos précédents tests d’avoir contracté des rhumes ou de n’oser imaginer quitter le bâtiment avec cette tête de punk explosé…pour reprendre le terme entendu plusieurs fois dans les ascenseurs.
Bref. Vous avez la journée pour former des équipes de cinq sujets, pour quatre séances, sur deux jours. Soit vingt personnes. Couleurs et types de cheveux variés. Merci.
Pardon ?
Non, non, cette fois-ci évitez de demander à Isabelle de participer. Je sais, c’est notre seule fibre capillaire rousse authentique, mais hélas, nous nous en passerons. Ses cheveux sont trop longs, une heure et demie de brushing sont nécessaire…son parfumeur est venu se plaindre la dernière fois : il n’a pu faire peser une seule de ses formules de la matinée !
Oui ?
C’est une excellente question… merci Pierre de nous l’avoir posé. Nous nous sommes penchés sur deux types de problèmes capillaires. Le cheveu gras et le cheveu sec. Cette semaine, nous évaluerons le premier cas. Vous vous en doutez, nous recherchons des parfums frais, floraux transparents, verts essentiellement. Les notes fruitées sont tolérées, mais le public n’apprécie pas vraiment les fruits rouges, ni les jaunes, considérés comme trop sucrés, trop collant. Nous testerons donc quelques accords de melon vert, de pommes et de poires évidemment, un kiwi, un bambou, et un thé Oolong.

Mais non, Jean-Jacques, vous le savez bien, la menthe et le romarin, bien qu’ils soient verts, sont réservés aux antipelliculaires. Le citron vert ?…Uniquement pour la vaisselle, voyons ! Oui, bien sûr, les agrumes dégraissent…mais le marché est ce qu’il est, et nous, nous devons répondre à la demande du marché !! Pas d’initiative hasardeuse, s’il vous plait.
Enfin, où en étais-je…ah oui, je compte sur vous également, pour remplir attentivement le questionnaire qui vous sera remis à l’entrée de notre laboratoire. Chacun de vous doit tour à tour appliquer son nez sur le crâne des participants et inhaler soigneusement la chevelure. Je désire que vous décriviez parfaitement le parfum que vous sentirez sur la racine, puis sur les longueurs, à chaque étape du lavage : quand le shampooing est appliqué, quand il mousse, sur le cheveu rincé et enfin, sur cheveux secs. Notez surtout, la qualité de couverture du parfum : l’odeur naturelle doit disparaitre.  Le cheveu gras doit retrouver une odeur primesautière et aérienne : propre, fraiche et scintillante !
Vous dites Mademoiselle ?
Oui, je sais vous êtes notre nouvelle stagiaire ….L’avocat est vert en effet, mais il convient mieux aux cheveux secs. Le côté nourrissant, vous comprenez ? La parfumerie est un métier subtil, ma petite.
Mais j’espère que nous le valons bien ! Ah, ah, ah… »