vendredi 23 décembre 2011

Menu de Noël : lèche-vitrine

À la campagne depuis plus d’un an, et de passage éclair sur Paname. Joyeux Noël !
Trois jours.
Dévoreuse de vitrine. Acharnée des rayons
Rattraper le manque et glaner des idées cadeaux.

Percutées par des odeurs
Tiens, je ne les avais jamais remarquées.
Mon nez est-il rincé, neuf et dépollué ?
Virginité retrouvée ?
Les boutiques fouettent
Les fruits surnaturels et la cannelle
La cire des bougies formatées Noël
Et sous le remugle de saison :
La femme, les pieds, l’homme et les cheveux.

Un gloubi-boulga indéfinissable
Un gourbi d’odeurs flasques, imbibé de sirop moite.
Amusant et repoussant.
Je jette mon dévolu sur une allée coincée entre les cabines d’essayage et les caisses enregistreuses d’une célèbre marque de vêtements étiquetés « made in Spain ».
J’éprouve le besoin de fuir la foule
Je reste pour les odeurs.
Rapidement, je perds le contrôle de mon nez. Les molécules bouillonnent, électrisées par la ronde frénétique des clients survoltés. Je détecte un relent de vernis à ongles, rose litchi, j’agrippe des fibres de cotons barbouillées de tabac froid, je tombe sur la saveur carbonisée des pelures de bogues de châtaignes, puis sur quelques volutes de crêpe au chocolat. L’émanation entêtante des colles néoprènes employées pour assembler les faux cuirs et fixer la moquette étrillée par des centaines de chaussures m’étourdit, tandis que je dépiste le filigrane sophistiqué de la laque Elnett aux aldéhydes désormais confits. Un pot-pourri, condensé des meilleures ventes d’eau de toilette féminines et masculines du moment, s’embrouille avec le remugle caractéristique des pieds confinés depuis trop longtemps dans une paire de baskets, fumet qui évoque étrangement l’eau de cuisson du riz. Enfin, je glisse sur les arômes de pâtes de fruits de la sueur capillaire, et de camembert au lait cru de la transpiration fraiche.
Vous pensez que je dresse un menu olfactif terrifiant et indigeste ?
N’en croyez rien.
J’ai un appétit sincère et curieux pour ces parfums d’humanité
Je les préfère souvent aux odeurs monotones des déodorants abrupts et des lessives onctueuses. Au centre de ce bazar de la tendance, bousculée parfois par un anonyme odorifère en quête du cadeau inespéré, je noue un dialogue muet avec la société d’aujourd’hui qui hésite entre naturalité authentique et camouflage élaboré.
Sous les parfums, je débusque la vie.



Joyeux Noël et savoureuse fin d’année !
À l’année prochaine pour de nouvelles aventures olfactives…






vendredi 16 décembre 2011

Cueillettes

Pierre qui roule, j’ai ramassé de la mousse
Ravie, émerveillée de ma trouvaille, j’ai abandonné mon panier et les trois chanterelles jaune d’or dénichées sous une racine. Entre mes doigts légers, j’ai contemplé la brindille sertie de lichen vert de gris.
Parasite gracile, délicat et raide
Algue terrestre, figée et stérile. Je l’ai porté à mon nez.
Fantasmes et bienheureuse réalité
Chairs d’hommes, tanniques et douces.
Acres, salées et tièdes.
Vivantes et charnelles.

Je conserve la mousse
La porterai à mon nez
Pour le plaisir de rêver

Aux peaux des hommes sans parfum



mousse de chêne: matière naturelle employée dans de nombreux parfums masculin et féminin depuis le début du siècle dernier. Matière noble, mysterieuse et objet de nombreux fantasmes. Un souvenir d'enfance : les ballots de mousse de chênes grossièrement retenus par des sacs de toile de jutte, entassés en pyramide dans l'entrepôt de l'usine avant traitement aux solvants et transformations sous forme d'absolu pour la parfumerie. A l'époque, ce parfum complexe me rassurait et comblait mes sens de gamine gourmande d'odeurs. Aujourd'hui la ville de Grasse ne diffuse plus ces odeurs étranges et sensuelles de mousse, de patchouli, de labdanum, de mimosa, de jasmin....

mercredi 7 décembre 2011

Œufs brouillés

Que voudras-tu faire plus tard quand tu seras grande ?
… le shampooing aux œufs.

Quelques années plus tard, toute jeune parfumeur, je promenais mon nez sur les étagères du laboratoire à la recherche de la matière miracle qui allait révolutionner ma formule. La quête du produit auquel personne ne songeait plus, dont je n’avais jamais entendu parler au cours de ma formation, mais qui m’attendait tranquillement dans son coin, capitalisant la poussière. Classés sur les tablettes en verre, ou alignés sur les paillasses à porté de main des assistantes penchées sur leurs balances, je m’assurais que tous les flacons étaient propres, manipulés chaque jour et utilisés régulièrement. J’ai étendu mon exploration à la chambre froide logée au bout du couloir où sont stockés les matériaux peu courants, les gros bidons et les raretés fragiles. Une blouse sur le dos pour me tenir chaud, j’ai décrypté des centaines d’étiquettes aux dénominations rarement naturelles, aux nombreux libellés chimiques interminables. J’ai débouché des dizaines de flacons dont les effluves m’ont paru trop vagues ou trop violentes, démodées ou ordinaires. Les doigts pollués de traces aromatiques diverses en raison de toutes mes manipulations, j’ai décapsulé une minuscule fiole en alu pour découvrir enfin le composant prodigue. Une matière, qui témoignait d’une époque et stigmatisait plusieurs générations. Une signature olfactive comparable à une étiquette AOC : le shampooing aux œufs DOP.
Voilà ce que je peux faire maintenant.
Un remix du shampooing parfumé aux œufs. Symbole de la propreté familiale des années 70. Illustration du retour aux sources et des slogans à fleurs. Fédérateur du mouvement « faire de la mousse et barboter dans le plaisir fraternel d’une sensualité nouvelle » : les cheveux longs cocotent fraicheur et tendresse. Et, pour les futures générations : la tentation de la régression ! Tout ce fatras marketing dans un petit, tout petit flacon flanqué d’une terminologie grec coloré: Heptavert.
Traduction chimique : 2-heptyltetrahydrofuran
CAS No. 2435-16-7
Chemical Name: 2-heptyltetrahydrofuran




Synonyms: Heptavert;2-heptyloxolane;2-heptyltetrahydrofura;2-heptyltetrahydro-fura;tetrahydro-2-heptyl-fura;Furan, 2-heptyltetrahydro-
CBNumber: CB3893344
Molecular Formula: C11H22O
Formula Weight: 0
MOL File: 2435-16-7.mol
Il s’en dégageait un parfum de blanc d’œuf cru et mouillé, incroyablement propre et frais. Fleuri comme une prairie au printemps, doux comme la caresse du vent dans les arbres, offrant une saveur de beurre, une couleur de bouton d’or et… blablabla. Ah ! Je sentais que ce truc allait faire des miracles !!
Alors, j’ai jeté en grande quantité sur le papier, la molécule d’Heptavert, puis j’ai ajouté quelques lignes d’autres produits pour stimuler, enrober, magnifier sur un piédestal ultra moderne d’œufs montés en neige, ma molécule d’exception. DJette de la matière, j’ai mixé diverses compilations pour m’apercevoir, désenchantée, que ce produit à l’odeur si complexe et complète demeurait désespérément inaudible. Il n’avait strictement rien à dire, ne possédait finalement aucune personnalité ni aucun rythme. Matière première égoïste, elle serinait sa séguedille pour son seul plaisir solitaire dans une bouteille abandonnée au bout du couloir. De surcroit, je me suis rendu compte que la bougresse était rudement chère ! Un prix au kilo pour la parfumerie de luxe mais certainement pas pour un shampooing populaire !!
Fichtre Quenouille ! Ah mais, je n’ais pas dit mon dernier mot ! Je l’aurais ma formule aux œufs. Je suis certaine de détenir l’idée idéale pour L'Oréal. Je repars donc en croisade, et me renseigne auprès des parfumeurs qui possèdent l’expérience et la mémoire du passé. Dis, tu me dessines un shampooing aux œufs ?
Je vous passe les détails de ma quête, mes cheveux ébouriffés à force de réfléchir, mes flops, mes joies fugaces et mes ongles rongés.
J’ai finalement abandonné mes recherches sur le shampooing aux œufs-de-poules-élevées-en-plein-air après plusieurs mois d’investigations, de propositions exaltées et de commentaires septiques. En revanche, j’ai glané une très jolie histoire de parfum, et un splendide enseignement.
Premier shampooing populaire, lancé en France dans l’entre-deux guerre, DOP s’établit et se développe réellement dans les années soixante. Quand le « DOP aux œufs » fait son apparition au cours des années 70, la marque est déjà, et depuis longtemps, synonyme du label « pour toute la famille ». Oui mais, pourquoi lancer un produit qui ne sent pas la fleur ? Pourquoi choisir de se laver la tête avec un panier d’œufs ? Et puis, tous le monde le sait, l’œuf possède très peu d’odeur lorsqu’il est frais, mais empeste lorsqu’il est pourrit.
Petite histoire d’anthropologie olfactive :
En ce temps là, la mémoire collective conservait déjà le souvenir d’une mixture efficace et douce, réalisée à base d’œuf cru et de miel que l’on émulsionnait sur le crâne des enfants ou celui des jeunes filles qui souhaitaient de beaux cheveux brillant, pour les grandes occasions. Par ailleurs, les mères de nos chaumières confectionnaient habituellement une boisson très sucrée, revigorante pour les soirs de rhume. Une recette nourrissante, à base de lait chaud, mélangé à du miel et un œuf cru soigneusement battu. Elles ajoutaient souvent une lichette de rhum ou d’eau de vie, pour plus d’efficacité…
Le grand écart fut franchi après une analyse balbutiante du marché et, la formule originale du shampooing aux œufs dévoila une odeur toute simple et rassurante. Réalisé avec une grande quantité de vanilline, une généreuse louche d’absolu benjoin pour l’onctuosité, un soupçon d’acétate d’éthyle et de lie de vin pour l’étincelle gourmande et efficace du rhum, le Lait de Poule, transformé en produit d’hygiène de masse grâce aux premières incidences du marketing venu d’outre-Atlantique et qui débutait en France, véhicula le sentiment d’un shampooing fortifiant, naturel et embellissant. L’abus de mousse étant le seul risque, la famille pouvait le consommer jusqu’à l’ivresse !
Et pour l’enseignement ?
Ah oui. Ce jour-là, je n’étais pas fiérote mais j’ai digéré la leçon.
1. La matière première miracle n’existe pas pour bâtir une formule d’exception.
2. L’idée du siècle, fruit d’une apparition spontanée sur une étagère, non plus.

Pour info, je n’ai pas cherché à réaliser le shampooing à l’odeur de paracétamol…médecine certainement plus efficace que le lait de poule pour lutter contre le rhume, mais absurde pour parfumer les cheveux.

Petit Plus : La recette du shampooing aux vrais œufs :
Battre un œuf en omelette, puis d’ajouter une cuillère à café de miel. Emulsionner sur cheveux mouillés, puis rincer à l’eau. Bien sûr, on évite l’eau trop chaude, car sinon l’œuf coagule et là, ce n’est pas du gâteau pour faire disparaitre les grumeaux d’œufs brouillés ! On achève le rinçage avec un vinaigre doux, de cidre ou de miel, pour obtenir des cheveux brillants. (recette tirée du livre « Créez vos cosmétiques Bio » de Sylvie Hampikian, édition Terre Vivante)
Clin d’œil:  à Claude Nougaro et sa chanson drôle et poétique : « Le coq et la pendule » dont j’ai emprunté l’expression « seriner sa séguedille ».
Et merci à l’ami qui s’inquiète lorsque les chroniques s’absentent. C’est parce que j’ai le nez ailleurs…

lundi 7 novembre 2011

Parfum d’authenticité : vide-grenier

Il en est des parfums comme des jours. Quelques grammes de souvenirs imprégnés d’une forte dose de nostalgie. Des autrefois qui ne sont plus. Du temps qui file entre nos doigts et qu’une photo suffit à peine à retenir.
Le marketing, petite mécanique bien huilée ne sait plus quoi inventer et fouille dans les greniers.
Vidés régulièrement depuis quelques années sur une place, un parking ou un pré, en ville ou à la campagne. Location de 3m carrés et, dès pétro-jaquette, on déballe son chez soi dont on ne sait plus que faire. J’ai trop consommé, je recycle et je propose en partage contre petite rétribution correctement négociée, mon fouillis soigneusement ordonné. Mais je m’égare et m’emmêle les mouillettes. J’évoque le vide-grenier, car en ce moment quand je pousse mon caddie de ménagère de moins de cinquante ans qui ne peut éviter la corvée des courses pour remplir frigo et placards, s’apparentant peu ou prou à des tonneaux de Danaïdes, je trouve quelques récréations en parcourant le rayon des produits ménagers. Non que je sois une dingue du ménage, mais l’imagination déployée pour rendre cette activité forcément conseillée sinon distrayante, mais à tout le moins pourvoyeuse de satisfaction olfactive, me laisse pantoise (pour parler comme autrefois).
Les infusions d’aromates sauvages et les huiles essentielles extraites de fleurs véritables s’affichent sur des logos en noir et blanc, ou simplement verts. Une tisane et au lit..., sitôt le récurage de la salle de bain achevé.
Les fruits du verger et les fleurs des champs de nos régions sont soigneusement récoltés, et bientôt, sans doute, on indiquera le millésime…Je savais bien qu’un jour prochain je finirais pompette, étourdie par la contemplation du linge sale qui tourbillonne derrière le hublot du lave-linge.
Des aventuriers en herbes ont traversé les mers afin de rapporter des parfums à l’exotisme inconnu pour nous faire rêver, tandis que nous passons et repassons la serpillère, que nous étendons notre lessive. Et hop ! Un petit pas de danse entre deux lessivages, puis je file guillerette vers l’évier où m’attend la vaisselle..., brasses sensuelles entre les assiettes et les fourchettes, dans une eau turquoise cernée de manguiers et de tiaré. Que les explorateurs des odeurs en soient remerciés !
Je constate surtout que le savon de Marseille s’est glissé partout, du sol jusqu’au linge. Maintenant, quand je m’affaire avec mon éponge, j’ai le sentiment d’être un peu du terroir et d’avoir tout compris aux valeurs authentiques du nettoyage. Celles en usages, au temps de mon arrière-grand-mère naturellement, car mon arrière-grand-mère connaissait la vraie vie. Mais bon. Aujourd’hui, elle n’est plus de ce monde pour me contredire et envoyer promener toutes ces marques de savonnettes fallacieuses. Quand tout à coup, j’entends une voix : c’est ma mémé Lucie, toute fine et minuscule, la peau douce comme une vieille pomme, image fidèle de mes souvenirs, qui se tient debout au sommet de l’échelle menant au grenier et qui contemple amusée, l’étourdie que je suis. Elle se penche un peu, la main agrippée au premier barreau, et me précise que le savon de Marseille d’autrefois sentait le cambouis, la laine humide, l’huile d’olive rance et le cuir racorni. Rien de bien propre en apparence, bernique avec le parfum de Marseille en bouteille de maintenant ! Elle m’explique ensuite à propos du fameux savon de Marseille, gros carré maronnasse qui ramollissait sur le bord de son évier, qu'il n’était pas très pratique, qu’il se rinçait difficilement et qu’il desséchait la peau. En attendant, avec de l’huile de coude, c’est vrai qu’il était rudement efficace ! Mon arrière-grand-mère ajoute gentiment que j’ai de la chance tout de même d’être une femme d’aujourd’hui, de gagner ma vie et de pouvoir choisir de jolis parfums pour faire mon ménage, d’employer des liquides qui se rincent tout seul. Et moi, les yeux au ciel, de lui répondre: « mais mémé, y’en a trop, c’est n’importe quoi, totalement artificiel et en plus, ça abime la planète !! »

Comme quoi, on n’est jamais content…









vendredi 4 novembre 2011

Cimetière

Premier novembre, c’est l’anniversaire du cimetière. L’espace d’une journée, l’enclos abandonné au silence frémit de chuchotis, de couleurs et de parfums discrets. Graviers froissés par les semelles de chaussures élégantes, babillages feutrés des membres d’une famille qui évoque ce début d’automne ensoleillé et le temps qui se retire. La température est bienveillante, les senteurs paisibles. Les bouquets de buis qui ponctuent les embranchements, ont la bonne idée de taire leurs relents d’urine fruitée, les longues processions des cyprès qui séparent les terrasses, dressent leurs plumets sombres et offrent des effluves de fanes de carottes et de résine douce qui circulent entre les tombes inodores. La pierre, les marbres, les granits gris émettent peu d’odeurs par temps sec et tiède. Aux croisements des allées soigneusement quadrillées, le parfum fade des potées de cyclamens et de chrysanthèmes caresse les joues. Un arôme difficile à décrire, flou, qui n’évoque ni passion, ni surprise. Une ritournelle incertaine de muguet à peine éclot et des pétales de rose fanée pour le cyclamen. Cendres de curcuma, girofle, et échardes de bois de cèdre pour le chrysanthème.
La mort, tout le monde le sait, n’est plus la vie depuis longtemps. Le cimetière en témoigne. Tombes mornes. Fleurs en demi-teinte. Effluves sans relief.
Car l’odeur exubérante de la mort, onctueuse et baroque, effraie.

Notre société édifie des rituels complexes pour se garder de cette confrontation, suffocante à notre vivant. Pourtant, n’en déplaise au réchauffement climatique, à la vélocité des moyens de communication et aux aléas de nos habitudes alimentaires, la mort possède un cycle de décomposition immuable. Cinq années sont nécessaires pour qu’un corps devienne inodore. Cinq années pour qu'imperceptiblement, strate après strate les parfums de nos humeurs s’évaporent, et nourrissent la terre. Grimace et déni.
Odeurs de la vie. Riches et variées.
De nos corps chauds et animés, dont nous camouflons les émanations par l’emploi de lessives, savons et autres déodorants pour finalement n’en sentir qu’une seule qui recueille l’unanimité.
Odeur de la mort. Singulière et commune.
Confiture monstrueuse et repoussante. Identifiable au bout de quelques jours, nonobstant le ferment de la mort infligée. Camouflée immédiatement par l’embaumement, les poudres, et les diverses interventions qui extraient les liquides et traitent les gaz nauséabonds nés de la putréfaction. Le relent de la mort, turpitude vivace de la décomposition, est bridé pour la cérémonie de la mise en bière. L’odeur maitrisée la vie peut continuer.
Sous terre, c’est une autre histoire. Furtive et industrieuse. La mort fait son œuvre et l’odeur de la vie s’étiole sans bruit...
Après l’odeur, que se passe-t-il ?
Vaste sujet, qui donne libre cours aux croyances et à l’imaginaire. Parfum de l’âme, émanation spirituelle, odeur de sainteté, momies embaumées…
Mais, à vue de nez pragmatique, cinq années sans doute nécessaires pour transmuer son deuil et renaitre peu à peu à la vie.

























mardi 18 octobre 2011

La bise

Devant l’école où elle vient de déposer sa fille, elle croise des parents et des bambins motivés. Elle tend plusieurs fois sa joue, puis l’autre, s’éloigne enfin, un peu en retard, mais souriante, et lance par-dessus son épaule un « bonne journée ! » enjouée. Elle arrive trente minutes plus tard à son bureau, retire sa veste qu'elle dépose sur le dossier de son fauteuil. Elle absorbe au passage une bouffée de l’odeur de sa maison, de son propre parfum qui s’amoncelle spray après spray sur le vêtement. Elle s’engouffre dans le couloir, croise quelques collaborateurs, en embrasse certains, serre la main à d’autres, étreint quelques secondes la manche de l’une, effleure l’épaule d’un autre. Toujours souriante, elle débouche dans la minuscule pièce pause-café. Elle tend la main et récupère son gobelet dans le distributeur. Nouveaux venus. Nouvelles bises. Un dernier « bonne journée » et elle s’en retourne avec sa boisson chaude. Enfin seule, elle porte le breuvage à son nez afin d’en humer l’arôme gourmand. Elle apprécie cet instant éphémère,  nez à nez avec son café. Mais la vapeur qui s’échappe n’est qu’une interminable banderole d’échantillons grappillés durant la matinée :  des parfums dérobée sur la peau des autres : le Mâle, Habit Rouge, Hugo, mais lequel, Allure, Ombre Rose pour une crème, Mixa lotion, des restes froids de nicotine, Angel, Terre, Aromatic Elixir, Dolce&Gabbana mais lequel, J’adore évidemment, Ushuaia, Tahiti & compagnie, un truc indéchiffrable.

Oh là ! Trop de monde soudain dans son bureau !

Elle sourit, et se demande si demain elle choisira d’être une femme sans bagages, qui n’offre plus sa chair au passage et bascule en salut nippon.



mardi 11 octobre 2011

Evaluation 3

Lundi, 9h35 am.
Salle « Pivoine » - 7em étage.
Réunion de l’équipe commerciale.

« Mesdames, Messieurs, bonjour.

Deux mois de recherches, accomplit par l’élite de nos parfumeurs, des critiques objectives exprimées par nos meilleures évaluatrices, et enfin, un choix rigoureux effectué par notre brillante équipe marketing ont été nécessaires pour d'être en mesure aujourd'hui, de vous proposer un panel de parfums parfaitement adaptés aux exigences du marché des produits capillaires Européen.
Cependant, un dernier examen attend nos candidats.
Pour cela, nous avons besoin de têtes et de mèches.
Puisées dans le personnel de notre entreprise. Esprit d’équipe, émulation du groupe, afin que tous ensemble nous détections au cours des prochaines semaines, les parfums qui surgirons vainqueur de l’épreuve finale: « comme à la maison».
Nous pourrons ainsi offrir à nos clients des produits irréprochables, parfaitement mis au point et testés, afin de torpiller leur concurrence.

Je demande à chacun d’entre vous de consulter leurs personnels, femmes et hommes indifféremment, pour les convaincre de se faire passer un shampooing. Ah, ah, ah,… !
Trêve de plaisanterie, les personnes dont les cheveux sont colorés ne sont pas admises. Vérifiez auparavant les racines. Je me permets d’insister, car, comme vous le savez, la coloration modifie la texture du cheveu : le parfumage du shampooing n’adhère pas de la même manière à la fibre capillaire, aussi les résultats de nos évaluations peuvent-ils être radicalement perturbés !
J’ai décidé, en accord avec le responsable de la DRH, que nous offrirons un ticket restaurant supplémentaire à chaque personne qui apporte sa tête sur un plateau. Bien entendu, tout le monde quittera notre laboratoire technique les cheveux convenablement coiffés et séchés. Cette fois-ci, j’ai demandé à la coiffeuse de mon épouse de nous rejoindre, afin que chaque cobaye profite d’un brushing s’il le souhaite. Je pense que cet engagement de frais supplémentaire motivera notre personnel qui s’est plaint lors de nos précédents tests d’avoir contracté des rhumes ou de n’oser imaginer quitter le bâtiment avec cette tête de punk explosé…pour reprendre le terme entendu plusieurs fois dans les ascenseurs.
Bref. Vous avez la journée pour former des équipes de cinq sujets, pour quatre séances, sur deux jours. Soit vingt personnes. Couleurs et types de cheveux variés. Merci.
Pardon ?
Non, non, cette fois-ci évitez de demander à Isabelle de participer. Je sais, c’est notre seule fibre capillaire rousse authentique, mais hélas, nous nous en passerons. Ses cheveux sont trop longs, une heure et demie de brushing sont nécessaire…son parfumeur est venu se plaindre la dernière fois : il n’a pu faire peser une seule de ses formules de la matinée !
Oui ?
C’est une excellente question… merci Pierre de nous l’avoir posé. Nous nous sommes penchés sur deux types de problèmes capillaires. Le cheveu gras et le cheveu sec. Cette semaine, nous évaluerons le premier cas. Vous vous en doutez, nous recherchons des parfums frais, floraux transparents, verts essentiellement. Les notes fruitées sont tolérées, mais le public n’apprécie pas vraiment les fruits rouges, ni les jaunes, considérés comme trop sucrés, trop collant. Nous testerons donc quelques accords de melon vert, de pommes et de poires évidemment, un kiwi, un bambou, et un thé Oolong.

Mais non, Jean-Jacques, vous le savez bien, la menthe et le romarin, bien qu’ils soient verts, sont réservés aux antipelliculaires. Le citron vert ?…Uniquement pour la vaisselle, voyons ! Oui, bien sûr, les agrumes dégraissent…mais le marché est ce qu’il est, et nous, nous devons répondre à la demande du marché !! Pas d’initiative hasardeuse, s’il vous plait.
Enfin, où en étais-je…ah oui, je compte sur vous également, pour remplir attentivement le questionnaire qui vous sera remis à l’entrée de notre laboratoire. Chacun de vous doit tour à tour appliquer son nez sur le crâne des participants et inhaler soigneusement la chevelure. Je désire que vous décriviez parfaitement le parfum que vous sentirez sur la racine, puis sur les longueurs, à chaque étape du lavage : quand le shampooing est appliqué, quand il mousse, sur le cheveu rincé et enfin, sur cheveux secs. Notez surtout, la qualité de couverture du parfum : l’odeur naturelle doit disparaitre.  Le cheveu gras doit retrouver une odeur primesautière et aérienne : propre, fraiche et scintillante !
Vous dites Mademoiselle ?
Oui, je sais vous êtes notre nouvelle stagiaire ….L’avocat est vert en effet, mais il convient mieux aux cheveux secs. Le côté nourrissant, vous comprenez ? La parfumerie est un métier subtil, ma petite.
Mais j’espère que nous le valons bien ! Ah, ah, ah… »




jeudi 29 septembre 2011

Chochotte

Les odeurs m’incommodent aujourd’hui.
Elles m’échauffent les oreilles, en s’invitant dans mon nez sans mon consentement.
Car j’ai une idée claire. Une image, couleur tamarin en point de mire, focalisée sur un horizon d’effluves. Attentive à l'essai épinglé sur la mouillette, je fouille entre des lignes invisibles, pour déceler les abus et les failles du parfum en devenir.
Soudain, sans crier gare, l’odeur âcre de mes sabots de cuir harcelle ma narine gauche. OK. La journée est chaude, je transpire des pieds. Dilatation de la semelle qui se met à suinter le veau fumé. Je m’agite sur mon siège. Je me rechausse et, agacée, je flaire la peau de mon avant-bras pour me calmer. Flute, j’ai changé de crème hydratante ce matin, et l’odeur me déboussole. Trop de petit grain aux relents d’asperges, trop d’oxyde de rose qui m’évoque le céleri rave… (soupire) j’embaume le bouillon cube.
Quelques minutes plus tard, je mets le nez dehors, un petit éventail d’echantillons dans la main, pour écouter le parfum à l’air libre, loin du bureau et de son atmosphère viciée. Nez penché sur le papier, j’aspire à petites bouffées. Paf, une seconde gifle. L’odeur pyrogenée et visqueuse du mazout de la chaudière plante ses crocs. Mes parfums tamarins basculent sur un accord ambré très animal. Dans l'heure qui suit, le shampooing à la rhubarbe que j’ai utilisé ce matin me frôle, puis, ce sont les vapeurs de café qui s'échappent du mug de mon assistante. Enfin, et le nez m’en tombe, l'eau de toilette ambrée lardée d’éclats de diesel et de remugle de camion, distribuée généreusement avec le colis par le livreur tout sourire d’UPS.
Oups !
Ce n’est pas mon jour. Dissipation et éparpillement.
J’ai un radar qui joue les chochottes. Un cerveau monté sur vélo.
Qui s’emmêle les cils et se noit dans le bulbe.
Je range mes flacons. Balance toutes mes mouillettes dans la poubelle. Puis, mes clics et mes claques, sabots dondaine, m’en vais déguster un énorme gâteau !
Mes papilles seront certainement opérationnelles. Et tant pis pour l’effet rétronasal. Na !


Petit Grain : Huile essentielle produite avec les bourgeons et les feuilles de l'Oranger Bigaradier ( appelé aussi oranger amer). On réalise également avec cette arbre l'huile essentielle de fleurs d'oranger (Neroli), et l'huille essentielle d'Orange Bigarade. Pour conclure sur la petite histoire de botanique amateur, cet oranger non gréffé produit des fruits impropres à la consommation, mais que l'on utilise pour réaliser la fameuse "marmelade", le vin d'orange, les écorces confites... Les oranges à jus,  dites "douces", proviennent d'un arbre gréffé. Description olfactive perso.: asperge, grincant, flotte, fleur de bébé, mustella, doudou, sale, propre, vert, frais, froid, métalique. 
Oxyde de Rose : matière première de synthèse, que l'on trouve à l'état naturel dans la rose, le geranium. Voici les mots que j'utilise pour la décrire: puissante++, verte, persil, celeri rave, rouille, boisée cèdre, rose fanée, feuille de rosier, mouillée, sèche ( oui, parfois c'est contradictoire), papier Q ( car très utilisé pour ce type de parfumage!:)), cuir, âcre, salé, rêche, pointue, piquante. 
Pyrogenée (odeur pyrogenée): jargon de parfumeur pour décrire une odeur carbonisée. Plus largement, toutes les odeurs noires, de cuir et de brulée/fumée âcre. Certaines matières premières naturelles sont "brulées" lors de leur traitement afin d'obtenir ce caractère particulier: l'huile essentielle de bouleau, le cèdre, le styrax, le labdanum pour les plus courant. Ce sont des résines extraite d'arbres ou d'arbustes.


lundi 19 septembre 2011

Photos de vacances

Je ne suis pas douée pour prendre des photos. Souvent, je suis déçue du résultat délimité par un cadre qui m’échappe, au relief gommé, figé dans la posture. Je ne sais pas non plus saisir l’instant de quelques coups de pinceau : l’eau et les couleurs font pas bon ménage. J’ai tenté un jour les pastels, mais il semble que mes yeux et ma main refusent l’amorce d’un dialogue. Heureusement, il me reste mon nez.
Chemin faisant au cours de l’été, j’ai barboté des particules, soigneusement mises sous clé dans les coffres de ma mémoire. Aujourd’hui, j’examine mon magot immatériel, et tente de tirer au clair mes trophées olfactifs dérobés aux paysages du Vaucluse. Je les dévisage et les tripote sans me lasser, passant et repassant au cœur de ma matière grise, le grain du souvenir. Celui du pèbre d’aï*, du buis sauvage et des caillasses. Du mistral qui retrousse les oliviers, dispersant un essaim d’odeurs entortillées. Des camionnettes à frites, logées dans l’encoche d’une route fréquentée par des touristes de tous poils. Des marchés paysans, où s’amoncellent saucisses et savonnettes. Des sources parfumées, perdues dans les collines boisées de chênes verts et de pins maritimes, au long d’itinéraires balisés. Des bords de piscines et des bords de lacs, qui n’offrent pas les mêmes accords de crème solaire. Des cafés de villages, où se réunissent en fin de journée l’estivant et l’habitant, pour l’apéro bien mérité. Des odeurs banales en sommes. Des points de vue sur lesquels on ne s’attarde pas, car ils n’inspirent ni désir de clichés, ni réflexion de parfums.
Nez en goguette j’ai humé en touriste. Amusée, j’ai constaté que la nature et ses environs civilisés exhalaient fidèlement la fragrance «Bienvenue in Provence »: aromatique, caramélisé et minérale.
Les bords de routes fumaient le gras des frites et le paprika calciné des merguez grillées au barbecue. Les marchés du dimanche respiraient la lavande, la fleur des saucissons, les herbes de cuisines et les condiments à l’ail. Les sources parfumées crachouillaient l’acétate de benzyle et l’acétate de linalyle, matières de synthèse bien pratiques et économiques pour évoquer le jasmin et le lavandin. Enfin, vers 18 heures, le petit monde réunit sous les platanes, suintaient l’anis étoilé du pastis, le miel aigre de la bière, le pamplemousse vert du petit rosé, mêlés aux traces résiduelles d’ambre solaire, vestiges fanés de fleurs artificielles d’ylang-ylang, de salicylates salés et de clous de girofles mouillés.

Pourtant, j’ai rapporté dans mes poches une odeur particulière. Une odeur ardente et preste. Nuancée et douce. Velouté et granuleuse. Les mots se sont succédé, va et vient rapide entre ce que mes yeux admiraient et ce que mon nez captait. Je sentais la rouille, la pêche et l’abricot, le tamarin, le tanin et le curcuma. Une liste de matières. Des noms de couleurs. Mais aucune de ces odeurs ne virevoltait dans cette ancienne et large carrière d’ocres. Seulement le remugle aride de la poussière, soulevée par une armée de visiteurs en claquettes.
Depuis, j’imagine. J’attends. Je n’ai pas encore commencé à écrire une formule. La figure prend forme doucement, puis s’évapore. Un jour, demain sans doute, je tenterai de griffonner quelques noms de produits sur une page blanche. Étroitement mêlés et dilués, ils exprimeront les couleurs : ocre d’or des Carpates, ocre de Ru, limonite d’Italie, ocre rouge, rosso natural, terre ombre naturelle, terre ombre brulée, terre noire romana, terre de sienne naturelle, brun manganèse, terre de Vérone, ocre Havane... une odeur à peindre.









* "Pèbre d'aï" ou "poivre d'âne" : herbe aromatique qui pousse à l'état sauvage dans l'arrière pays méditerranéen. Mieux connue sous le nom de Sarriette. Odeur chaude et animale (peau au soleil), poivrée, zestée, beaucoup plus douce et végétale que le thym, moins fleurie que la marjolaine ou l'origan.




Pour la cuisine : excellent avec du chèvre, pour le poisson et les viandes blanches. Ajouter des brins de sarriette dans votre huile d'olive, le goût est plus raffiné que celui de la branche de thym.






























lundi 12 septembre 2011

« Vive les mariés ! » ou La laverie 2

La célébration bouclée, un couple de nouveaux mariés apporte la semaine suivante le linge de noces au pressing.
Madame, ses beaux cheveux bruns grossièrement retenus en chignon à l’aide d’un crayon, est simplement vêtue d’un marcel gris et d’une jupe informe. Elle est chaussée d’une paire de tongs avachies. Monsieur, en bermuda efflanqué et t-shirt floqués, est chaussé d’une paire de sandales à lanières velcro. Souriant, ils déposent sur le comptoir du magasin, un immense sac de toile beige. Font glisser l’interminable fermeture éclair et extirpent délicatement à quatre mains, avec des gestes tendres, une lourde robe blanche brodée de mille et une perle, puis un costume complet aux tonalités cacao.
Silencieux, ils attendent le verdict de la commerçante.
Celle-ci empoigne sans hésiter la robe à pleine main, la secoue et l’élève à bout de bras à hauteur de son visage. Elle fait la moue : « Il a plu samedi, n'est-ce pas ? Je vais avoir du mal à ravoir la trace noire et grasse de l’ourlet, sur le bas de la jupe…c’est terrible le goudron mouillé »
Agite la robe une seconde fois
Un vestige de parfum féminin éclabousse le seuil du magasin, comme des grains de riz lancés à la sortie de l’église : sucre filé, groseilles au sirop, musc fouetté, vanille meringuée et filaments de patchouli.
La dame repose l’énorme robe sur le comptoir et tapote par habitude le tissu ballonné. L’air s’échappe d’entre les plis. Dans un ultime soupir, le vêtement abandonne aux émanations offensives des lessives, des détachants et des vapeurs de fer, en ce lieu voué à bouloter la puanteur et la saleté, le résidu d’une journée de liesse : le voile d’un parfum de marque, la traine d’une odeur de paraffine et d’herbes à bitume.
C’est au tour du costume couleur ganache au chocolat d’être décrypté par l’œil aiguisé de la toiletteuse.
« C’est bien, vous avez évité les taches de sauces, parce que celles-là… » La commerçante n’en dira pas davantage, mais on devine qu’on lui évite quelques complications.
Fait étrange, la veste, le gilet brodé ton sur ton et la cravate assortie ne dissimulent aucune volute de parfum griffé. Pourtant, les mains professionnelles s’emploient à retourner chaque pièce dans tous les sens, à en vider les poches. Mais rien. Pas une miette.
C’est sans compter la chemise, hachurée de gris à l’encolure et aux coutures des épaules. Tel un drapeau, le tissu claque au vent dans le ciel du pressing. Soudain, toute la souffrance stoïque et le bonheur frénétique du marié est exposé: une majestueuse odeur de transpiration déferle dans la boutique! D'emblée , on visualise l'interminable journée de l'homme, confiné dans son costume trois-pièces sous un soleil de plomb ; puis sa nuit prolongée, déchainé sous les rythmes endiablés . Personne ne moufte. Tout le monde sourit gentiment aux jeunes mariés. Ils se tiennent la main et, sur leurs annulaires, on remarque l’or rutilant de leurs alliances neuves. Pures et sans rayures.


Et vive la centième chronique olfactive ! sans perlouze, mais quelques gouttes de sueurs....

jeudi 8 septembre 2011

Que d’eau, que d’eau…

Jour de brume, paysage trouble.
Les contours ont disparu. Je ne distingue plus la ligne de séparation entre le sol et le ciel. Les arbres aux branches noires et dépouillées émergent du brouillard dense, comme les algues immenses d’un aquarium immobile. Odeur fade. L’air exhale un goût de flotte. Les effluves, comme les feuilles, mollissent sous l’humidité. Je m’agenouille, et fourre mon nez parmi les débris de plantes et de boue. Un conglomérat d’arômes suinte, me frôle et m’abandonne. Odeurs feutrées. J’aperçois à trois pas la silhouette grise d’un buisson de ciste dont le parfum de sève animale à disparu, noyé dans la buée environnante.

Jour de neige, paysage blanc.
Les flocons frôlent notre visage. Les effluves crépitent. Effet de sel et de cuivre, grains de poivre, et pastille Vichy. Soufflet cinglant. Revigorant et éphémère. L’atmosphère glacée tempère rapidement l’évaporation des molécules. Tête dans les nuages, l’odeur du ciel camoufle le parfum engourdi de la terre

Jour de pluie, paysage net.
Les gouttes chutent lourdement au sol, percutent les molécules éparpillées qui soudain ranimées, bondissent et s’unissent. Parfum familier des orages d’été ou de printemps. Averses sans fin d’automne. Transpiration moite, sucrée et généreuse. Le parfum de la terre rejoint le déluge du ciel.

Le brouillard embrouille.
Sournois, il escamote et entortille dans son interminable étole vaporeuse, les parfums du sol et de l’air. Perte de repère. Pas de surprises enfouies depuis des semaines, ni de nouveautés soudain dévoilées. Juste rien ou pas grand-chose. L’équivalent d’une soupe Miso à la française : bouillon indistinct, algue sans saveur et trois petits cubes d’argile molle.

Comme mon jardin ce matin, entre deux saisons.


mercredi 7 septembre 2011

Quizz de l'été : les idées des lecteurs

Bonjour,

Quelques extraits des textes qui sont parvenus sur ma boite mail. Tous, ont en commun d'être assez délirant, avec une profusion de détails olfactifs. Le déodorant est en vedette, une huile pour les cheveux également, qui dégouline et tombe en taches odorantes sur le sol.

Le parfum d'honolulu évoque des reminescences équivoques...sexe, meutre et rockn'roll !! :))



" Des fleurs écrasées mélangées à la résine de bois qui servait de calfeutrage pour les barques (...), on grattait ce mélange de sel, d'eau de mer et de mousse. Le mélange etait ensuite filtré. Chaque membre de la famille recevait un flacon d'huile précieuse"

"Il y a bien longtemps, Gomez avait dormi une nuit près de la plage où avait eu lieu cet étrange rituel. Enivrée par leur chants, le corps et les sens exacerbés(...) elle avait inscrit au plus profond de son ventre et de son coeur, la magie du Aka."

"Il faisait de grand geste en brassant l'air confiné de cet endroit jamais aéré. Les pores de sa peau dilatés par la chaleur étouffante dégaeait ce parfum si particulier, épais, collant. Quand elle s'approcha, elle comprit tout de suite. Les long cheveux loirs torsadés luisaient et dégageaient une odeur pénétrante. La sueur ruisselait de ses bras, de son cou et on aurait dit que dix mille barbe à papa saturait l'air ambiant".

"La ballerine de Gomez glissa sur de minuscules flaques huileuses et Norec la rattrapa à temps. En entrant dans le long couloir, elle fut de nouveau assallit par ce relent sirupeux qui lui donnait mal au coeur. Comme ce jour,où, coincée dans l'ascenseur avec une addict de Samrata, elle avait faliit vomir! (...) Le télescopage du résineux trop sucré avec l'odeur du tabac froid, des murs à moitié moisis, des déodorants censés camoufler des sueurs aigres heurta les naseaux délicats de Gomez."

"Ca venait donc de là. Au même moment un clochard vint se coller à elle en râlant. Gomez crut suffoquer quand il enleva sa vieille chaussette trouée. La semelle avait quasiment foutue le camps et l'unique chaussette serpillère de ce pauvre gard empestait cette même odeur d'algues sèches et de crème brulée ratée"

"Doudou à l'odeur écoeurante de vomi aigrelet et de banane écrasée..."

"Elle avait mis un léger foulard pour parfaire sa tenue, qu'elle avait surement aspergé de parfum afin de mieux répandre cette senteur de vanille, de coco et de sable chaudd qui le mettait à présent en rage.

- Tu reconnais ce que tu m'as fait ?

- Bien sur.

Je veux t'entendre dire ce que tu m'as fait, à voix haute.

- Pas à voix haute, mes subordonnés sont à coté.

- Justement. Dis le bien fort.

Elle lui fit son demi-sourire de grande dame (...) Une bouffée douceureuse lui parvint. Celle des frangipaniers, portée par la brise qu'il avait sentie juste après, ce soir là.

- Le 25 juin 1983 vers 2heures du matin, nous nous sommes rencontrés sur la plage et je t'ai étranglé, finit-il par avouer en chuchotant.

(...)

Elle remit son foulard autour du coucou pour cacher les marques violettes de la strangulation. Le commissaire la vit disparaitre. Il ne restait plus, dans le bureau, qu'une odeur écoeurante, poisseuse de vanille et de noix de coco."


"Il rata le pot de bienvenue du petit nouveau qui avait prit l'initiative de vaporiser un parfum d'ambiance " Saveurs de la Réunion". L'odeur tropicale et fruitée avait mis tout le monde de bonne humeur, sauf le malheureux commissaire...."


"i't'faut ton truc perso, ton p'tit arrangement avec la réalité. Genre moi, tu vois, j'ai collé dans mon casier l'désodo d'la caisse. Honolulu qu'ça s'appelle...."


Merci à Sunny, Aurélie, et Sabine et à une dernière personne dont malheureusement le mail est partie par erreur aux oubliettes suite à une mauvaise manip'. Toutes mes excuses, si la personne se reconnait, peut elle avoir la gentillesse de me renvoyer son texte. Merci!!

lundi 25 juillet 2011

Quizz de l’été: Le parfum "Honolulu"

Bonjour à tous,

Les poils du Dieu Pan s’est achevé ce vendredi et, entre-temps, j’ai pensé vous proposer une participation à la résolution d’une affaire d’odeur, que j’ai volontairement, ou pas, omise….

L’affaire du parfum « Honolulu » du Commissariat !

D’où provient ce parfum?
De quel angle, étagère, bidule, pièce, humain, papier, girafe, émane-t’il ????
Quel est son origine ?
Qui, ou quoi diffuse cette odeur suave de plage, de sable et de vanille à peine fruitée ????

A vous d’enquêter !!
Cherchez dans vos tiroirs à saveurs, puisez dans votre mémoire olfactive
Agitez votre talent de conteur d’odeurs

Et imaginez la raison de ce parfum d’exotisme, qui envahit sournoisement et bizarrement l’accueil d’un bureau de flics.

Pas de gagnant ou gagnante, pas de gros lot, ni de filet garnit en perspective, mais le plaisir simple et léger de l’écriture, celui d’exprimer son sens des odeurs, et d’offrir à tout le monde et/ou à mon nez en particulier, votre approche ludique, sérieuse, timide, loufoque…. des mots odorants. Votre vision olfactive.

Amusez-vous et postez, sur ce blog, ou sur ma boite mail nezen@free.fr, votre explication du « Parfum d’Honolulu » du Commissariat.



Au plaisir de vous lire....chacun son tour :))

vendredi 22 juillet 2011

Les poils du Dieu Pan /13

Et voilà. Notre récit s’achève. J’ai eu un mal fou à le rédiger, bien que l’histoire soit claire dans ma tête, mais impossible à accoucher sur le papier. En fait, contrairement à un parfum, un récit contient bien le mot fin. Un point. Final.
Quand j’écris une formule et qu’elle s’achève dans un flacon, l’histoire perdure et s’enrichit auprès de chaque personne qui le porte. Une suite de pointillés.
Merci pour votre assiduité, votre intérêt et votre patience au cours des interruptions du programme !
J’en profite également pour vous souhaiter de belles et douces vacances si vous avez la chance et l’opportunité de lâcher prise, et tant pis pour la pluie !
A très bientôt en Septembre.



Il était un peu plus de vingt heures lorsque Tristan parvint au pied de l’immeuble. Il consulta le post-it qu’il venait de retirer de sa poche et sonna à l’interphone d’Oriel Wisnia. La porte émit un déclic, il s’engouffra dans le hall d’entrée carrelé d’un damier noir et blanc. Comme de nombreux vieux immeubles à Paris, celui-ci ne possédait pas d’ascenseur. Tristan gravit sans se presser les quatre étages et atteint le palier où la porte de l’appartement – nouveau coup d’œil au post-it -- d’Oriel, était déjà entrouverte. Antoine parut, et lorsque Tristan le rejoint, il l’accueillit dans ses bras.
- Je suis heureux que tu aies pu venir. Entre, je t’en prie, et débarrasse-toi de ta veste sur le fauteuil. Je suis vraiment navré pour ce changement de dernière minute.
- Pas de problème. En ce moment, je suis plutôt libre de mon temps. Affirma tranquillement Tristan, en retirant sa veste et en la déposant sur l’accoudoir du fauteuil
- Oui, c’est vrai…tiens à ce propos je voulais te dire…
Oriel apparu souriante, vêtue d’une robe minuscule qui caressait sa silhouette.
- Tristan...roucoula-t’elle, s’attardant longuement sur la dernière syllabe du prénom.
- Bonjour…Oriel
- Incroyable ! Il se souvient de mon prénom, Champagne ! s’exclama- t’elle en lui attrapant le bras et, riant de plus belle, elle l’entraina vers le salon.
Antoine ferma la porte et les rejoignit, ne sachant s’il devait se froisser ou se réjouir de l’accueil réservé par sa petite amie à son copain d’enfance. Il haussa les épaules, dédramatisa : de toute façon, Oriel s’apercevrait très vite que Tristan, malgré un physique avantageux, était loin d’être un type charmant. Il apprécia cependant l’enthousiasme déployé par la jeune femme dans l’unique but de séduire son cavalier, lorsqu’elle tomba plutôt qu’elle s’assit, sur l’un des immenses canapés en velours rouges sombre qui se faisaient face, emportant Tristan dans sa chute. Antoine contempla à loisir les jolies jambes dévoilées bien haut, et ne put s’empêcher de sourire quand il remarqua le visage contrarié de son ami, qui manquant d’échouer sur les genoux de la jeune femme, récupéra son équilibre in extremis. Tristan s’éloigna prudemment des cuisses féminines qui le frôlaient, sous le prétexte d’admirer la décoration et le mobilier du salon, illuminé par les flammes d’une multitude de bougies. Réunit en fagots, des cierges ivoires de tailles et de diamètres variés, étaient disséminés sur chaque meuble et sur plusieurs étagères de la bibliothèque, où n’apparaissait aucun livre, mais un amoncèlement hétéroclite de figurines de BD, de héros de cinéma ou de babioles ridicules provenant d’œufs-surprises en chocolat. Enfin, sur la table du diner, deux candélabres aux branches largement déployés, offraient à peine la place de disposer les couverts.
- C’est sympa toutes ces bougies, très chaleureux comme ambiance.
Tristan jugeait sa remarque totalement débile, mais il n’avait rien trouvé de mieux pour s’éloigner des mains un peu trop entreprenantes d’Oriel, et glisser vers un autre sujet, sans passer pour un mufle. Visage levé, narines déployées il captura également un parfum doux et moelleux, comme une entêtante saveur de tarte aux fruits ointe de crème anglaise.
- Ah, Tristan se met en chasse. Quand je vois ton nez se froisser ainsi c’est qu’une odeur t’intrigue, je me trompe ?
Tristan se mit à rire et échangea un coup d’œil complice avec Antoine.
- Rien ne t’échappe, n'est-ce pas ?
- Je connais tes grimaces.
- Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta Oriel qui n’appréciait pas du tout cet aparté masculin où elle n’avait pas son mot à dire.
- Mais non, tout va bien. La rassura Antoine en prenant place sur l’autre canapé, en face du couple. J’ai prévenu Tristan que tu cuisinais très bien, et son nez véloce a certainement déjà décrypté ton menu.
- Cela m’étonnerait, remarqua en souriant Oriel. « Mais peu importe. D'abord, Tristan doit tout nous révéler de cette affaire de meurtre. Sais-tu que nous avons été longuement interrogés ce matin ? J’ai trouvé la commissaire extrêmement polie, mais cela ne l’a pas empêché de nous poser tout un tas de questions très désagréables sur toi »»
- Plutôt sur nous, Oriel
- Oui, enfin bon, de toute façon j’aimerai bien en savoir un peu plus sur cette histoire. En quoi te concerne-t’elle Tristan ?
- Je n’en sais rien. Peut être existe-t’il une connexion avec mon enfance, mais laquelle, je ne vois pas. Pas plus que ne comprend le lien entre Voltaire et la serveuse
- Dont tu ne te rappelles plus le prénom….glissa doucement la jeune femme, en posant sa main sur celle de Tristan.
- Oui je sais, et je n’ai pas d’excuse. Antoine se moque souvent de mon incapacité à me souvenir des noms des gens.
- Seulement des femmes… Précisa, Antoine.
- Je peux le comprendre, avec la maman qu’il a eue.
Oriel tripota de plus belle la main de Tristan. Contrarié, ce dernier s’éloigna davantage de la trop jolie fille entreprenante et curieuse. Ce simple mouvement provoqua une nouvelle lichette de vapeur sucrée. Machinalement, il analysa l’effluve qui passait sous son nez et qui l’intriguait sans qu’il sache vraiment pourquoi. Certainement les arômes d’un gâteau en train de cuire au four. Pourtant, il manquait le parfum caractéristique de la levure et de la farine qui enfle doucement, entre acidité métallique et bois tendre. Quand les saveurs se figent au moment où les œufs et le sucre fusionnent. Non, rien de croustillant. Mais un fort relent liquoreux, chaud et confit.
Tristan ne put s’empêcher de demander à Oriel ce qu’elle était en train de mijoter, car il ne parvenait pas à identifier les ingrédients en train de cuire. Entre dessert et pâtes de fruits.
- J’ai préparé une blanquette de veau à la vanille, accompagnée d’un riz Basmati en train de sécher à la vapeur.
- Non, ce n’est pas ça. Je reconnais le parfum de cardamome et de sésame du riz, je vois parfaitement l’onctuosité de ta sauce vanille, dans laquelle tu as ajouté une cuillère de beurre de cacahuète….excellente idée que je souhaiterai t’emprunter si tu es d’accord. Mais non, c’est autre chose, un truc sucré qui me chiffonne. Le dessert ?
- Ah ça, c’est une surprise. Si tu n’as rien deviné, je te laisserai le découvrir le moment venu. Et si nous ouvrions cette bouteille de champagne qui nous attend depuis ton arrivée ? Antoine, tu veux bien t’en occuper s’il te plait ?
Antoine s’acquitta de la tâche avec plaisir, mais malgré une grande habitude des bouteilles il fut surpris par la puissance du jet du bouchon qui libéré brutalement, traversa la pièce. Il versa précipitamment le liquide qui jaillissait du goulot dans le premier verre. La mousse se forma, déborda et se répandit sur la table. Oriel se leva rapidement et se précipita vers la cuisine, la coupe dégoulinante posée dans le creux de sa main. Elle revint avec un verre vide et propre, et un torchon pour essuyer les dégâts sur la table basse. Elle tendit son verre à Antoine afin qu’il la serve une seconde fois.
- Hé bien quel dommage, un si bon champagne gâché…
- Il en reste bien assez Oriel, et Tristan est venu avec une seconde bouteille. Nous avons largement de quoi célébrer cette soirée.
- Oui tu as raison mon amour, alors à nous et à nos retrouvailles !
- Nos fiançailles, tu veux dire ?
- Oui, bien sur mon Antoine. Je souhaitais remercier Tristan, car il a accepté de se joindre à nous un jour plus tôt.
- C’est donc la raison de cette précipitation : vos fiançailles ? C’est un peu rapide, non ? Remarqua Tristan, stupéfait au point qu’il interrompit son geste et éloigna son verre de ses lèvres.
- Voilà bien Tristan et toute sa méfiance pour la gent féminine, ironisa Antoine.
- Mais pas du tout, je ne voulais pas être désagréable. Je suis juste un peu surprit, c’est tout.
Et de plus en plus interpelé par l’odeur douçâtre et tiède qui ne quittait plus son nez. Elle s’infiltrait dans les replis de sa mémoire, révélait des images anciennes ou plus récentes. Il pensa brièvement à sa comptable, évoqua les petits-déjeuners du dimanche, tenta de se rappeler comment Lise s’épilait, et dans la seconde suivante se demanda pourquoi il tentait de répondre à une question à laquelle il n’avait jamais songé, jusqu’à ce que la commissaire lui en parle. Puis il se vit dans la cuisine de son restaurant, tachant de mélanger des ingrédients inconnus afin de reproduire cette odeur, cette odeur, cette odeur qu’il était le seul à chercher dans cette pièce.
La voix d’Oriel, impatiente, le retint de se mettre debout afin de débusquer l’origine de cette ivresse olfactive.
- Tss-tss….Allez, on s’en fiche ! Trinquons plutôt à cet heureux présage !
Antoine et Tristan ainsi rabroués, levèrent leur verre, et d’un même mouvement dégustèrent une longue gorgée du vin de fête, en contemplant Oriel y tremper ses lèvres.
La sensation d’étourdissement vint rapidement. Antoine et Tristan eurent juste le temps d’aviser que le champagne était un peu trop pétillant et l’amertume inhabituelle, quand ils sombrèrent, et s’affalèrent en un bel ensemble sur le canapé. Oriel accueillit avec un geste d’amante le visage de Tristan sur ces genoux. Elle demeura un moment immobile, glissant ses doigts dans les mèches brunes, caressant le visage et la nuque de l’homme endormi. Elle s’éveilla pourtant de sa torpeur sensuelle lorsqu’Antoine émit un long ronflement. Elle s’aperçut que le temps était compté pour agir, savourer sa revanche et disparaitre tout à fait.


Les deux hommes reprirent connaissance bien plus tard, privés de la notion du temps écoulé. Abasourdit, ils découvrirent qu’ils étaient allongés sur le sol, totalement nus, et lorsqu’ils tentèrent un mouvement naturel pour se couvrir, ils s’aperçurent qu’ils étaient écartelés comme deux grenouilles sur une table de dissection : chevilles et poignets liés aux pieds des énormes canapés rouges qui se faisaient face.
- Pas la peine de vous démener. Les canapés sont fixés au sol. Vous ne pouvez rien tenter, juste patienter le temps que j’en finisse avec vous.
Oriel, juchée sur l’accoudoir d’un canapé, les contemplait du haut de son perchoir, genoux repliés, son doux visage posé dans sa main. Sa voix demeurait naturelle et calme. Sereine, elle attendait que les corps des deux hommes ligotés cessent de s’agiter vainement. Elle savait que la curiosité reprendrait le dessus après ce bref mouvement de révolte, que les questions pénibles, toujours inutiles, allaient être abordées sous peu. Elle avait soigneusement répété son rôle devant le miroir de la salle de bain tandis qu’elle se maquillait pour recevoir son visiteur : voyons…. Antoine s’offusquerait certainement le premier, mais elle ne lui répondrait pas, il n’avait plus d’importance, il n’en avait jamais eu. Tristan resterait silencieux, alors elle s’approcherait de lui presque à le toucher et il comprendrait enfin. Il réagirait violemment et lui demanderait pardon. Oui, tout se passerait très bien. Elle enchainait questions et réponses devant son reflet, tandis qu’elle voilait d’un nuage de poudre nacrée son visage au regard vide. Puis, alors qu’Antoine sortait acheter un aromate qu’elle avait délibérément oublié pour la réalisation de son diner, elle avait enflammé une à une en savourant chaque étincelle, toute sa réserve de bougies destinées aux chorégraphies macabres, fabriquées et parfumées par ces soins. Ce soir, c’était son plus bel anniversaire. Vingt ans qu’elle guettait ce moment. Dix années de recherche, d’organisation soigneusement élaborée. Moins d’une semaine pour mener à terme son plan et réussir. Elle pouvait enfin consumer toute sa production. D’ailleurs, elle ne supportait plus ce relent de crème catalane ! Elle s’étira telle une chatte heureuse d’avoir trainée au soleil, et gracieuse, elle s’en fût chercher sur ses pieds nus son matériel à la cuisine. Le mélange qui chauffait doucement depuis quinze minutes devait maintenant être prêt. Antoine et Tristan continuaient à se tortiller sur le plancher alors qu’elle s’éloignait.
Elle revint rapidement avec une vieille casserole émaillée, usée et bosselée. Elle vérifia la température, et forma entre ces doigts une petite boulette dorée dont elle apprécia la texture, à la fois sèche et moelleuse. Une moue satisfaite sur son visage, elle s’agenouilla et déposa au sol la gamelle chaude, à quelques pas du corps dénudé de Tristan.
- Bon sang Oriel, mais qu’est ce que tu fabriques ? C’est quoi ce cinéma, tu n’imagines tout de même pas une partie fine à trois ?!!
Évidemment, Antoine avait le premier élevé la voix et posé la question stupide…Oriel était à la fois amusée et extrêmement déçue, comme lorsqu’on regarde un film et qu’un ami qui vous veut du bien, vous souffle la fin. Bien sûr, elle ne répondit pas. Elle attendait un mot de Tristan. Un seul. Mais celui-ci demeurait muet, cadenassé dans ce silence auquel elle n’avait jamais eu accès. Oriel tenta une approche en douceur, elle effleura l’épaule nue qui tressaillit sous la caresse. Pas de réponse.
- Hé bien, Tristan, tu ne dis rien ?
En revanche, Antoine se tordait désespérément vers elle, vociférant et guettant son regard. Oriel lui ordonna de se calmer et de cesser ses jérémiades s’il ne voulait pas aggraver son cas. Son ex-fiancé continua cependant à la harceler de questions et sous l’effort, il virait carrément au rouge violet, tandis que les veines de son cou enflaient. Résignée, la jeune femme se leva et enjamba tranquillement les corps masculins étendus. Elle remarqua au passage qu’ils jetèrent spontanément un coup d’œil sous sa jupe, ce qui l’amusa beaucoup. Elle attrapa sur la commode entre deux bouquets de bougies un gros rouleau de sparadrap argenté, puis revint auprès d’Antoine. Elle s’accroupit, l’embrassa sur le front comme pour lui souhaiter une bonne nuit, et scotcha fermement la bouche qui déroulait malgré tout sa liste de protestations, jusqu’au moment où on n’entendit plus qu’un grondement étouffé.
- Voilà qui est mieux. Je suis navrée cher Antoine, mais tu ne veux rien entendre. À nous deux maintenant, mon Tristan.
- Je ne suis pas votre Tristan.
- Tiens, on ne se tutoie plus. Tu es fâché ? Tu inverses les rôles pourtant. C’est moi qui possède toutes les raisons d’être en colère.
- Nous nous connaissons à peine, comment aurais-je pu provoquer une telle animosité en si peu de temps ? Nous nous sommes à peine croisés.
- Et il y a une heure, tu ne te rappelais toujours pas mon prénom.
Elle brandissait sous le nez de Tristan le petit papier jaune qu’elle avait découvert dans la poche de son jeans.
- Ou voulez-vous en venir Oriel ?
- Ah, ça te va bien de prononcer mon nom ! Mais c’est bien trop tard maintenant.
Elle s’effondra comme une comédienne mimant un immense chagrin, puis brusquement se redressa, s’approcha en rampant et posa ses mains sur le torse de Tristan.
- On va jouer à un jeu tu veux bien ? J’avoue que je ne te facilite pas la tâche, mais reconnais que tu n’as jamais fait un seul effort pour moi.
Tristan ne répondit pas, car une vague de nausée l’empoigna, au point qu’il ferma les yeux quand les murs semblèrent onduler, avec l’intention de s’effondrer mollement sur lui. L’angoisse le broyait. Il éprouvait des difficultés à réguler sa respiration, surtout, à ne pas hurler de peur et de rage. Il comprenait que la panique l’envahissait peu à peu, l’empêchant de formuler une pensée cohérente, d’imaginer un moyen d’échapper à cette situation grotesque. Son jugement s’embrouillait, les images se succédaient sans suite dans son esprit, se confondant avec le son de la voix d’Oriel et les grognements d’Antoine, la perception de chaud puis de froid qui s’enchainait dans son corps malmené. Soudain quelque chose d’apaisant se faufila sous son nez. Doux et tiède. Imperceptiblement, Tristan refit surface en s’agrippant à cette sensation familière : une odeur. Quelques molécules évanescentes de miel et de peau féminine lui permettaient de rejoindre la réalité et retrouver toute sa lucidité. Il ouvrit les yeux et découvrit Oriel à califourchon sur lui, en train de former une petite boule entre ses doigts fins. Elle appliqua la patte sur son torse, l’étira, puis d’un mouvement sec et précis, elle ôta la langue de substance molle et parfumée. Tristan cria de surprise et de douleur. Bon sang, cette odeur !! Aïe, putain, quelle douleur !! Il eut envie de crier « maman !». Non pas pour appeler bêtement à l’aide comme un gamin perdu, mais parce qu’il reconnut enfin l’odeur de la cire à épiler que Lily confectionnait dans sa cuisine pendant le weekend, auquel se mêlaient les relents de pains perdus qu’elle préparait pour son fils. Tout naturellement il pensa à une autre cuisine, et les souvenirs revinrent à la surface. Les visages aussi. Les yeux doux et gris de Douchka. Ses cheveux blond si clair, couleur de sable. Alors, il regarda vraiment pour la première fois le visage de la jeune femme penchée sur lui, qui poursuivait son travail d’épilation un sourire aux lèvres, et accepta l’évidence. À cet instant, Oriel releva la tête pour dégager une mèche brune qui encombrait son front et la coincer derrière son oreille, quand elle croisa le regard de Tristan.
- Tu as enfin compris ?
Tristan trop saisi pour s'exprimer, répondit simplement par un léger hochement de tête.
- Alors… tu me la poses la question ?
- Pourquoi ? souffla-t-il.
- Merci Tristan. Dix ans que j’attendais ! Dix interminables années où je n’ai cessé de me poser cette question sans jamais y apporter de réponse. J’ai même consulté un psy. Au bout de tout ce temps il m’a suggéré de t’écrire une lettre pour te demander une explication, et ainsi, faire mon deuil comme il disait. J’ai pris du papier, mais il est demeuré blanc. Seules mes larmes tachaient les pages. Je ne trouvais pas les mots. À l’époque non plus d’ailleurs. Je te regardais, je t’offrais mes jouets et mon cœur, le pain perdu de ma mère et la chaleur de ma maison, quand la tienne n’en finissait plus de recevoir son Don Juan. Mais tu ne me voyais pas, tu ne me parlais pas. Parfois tu disais que je fleurais bon, le miel et le pain perdu. Et puis tu t’es tiré, sans un mot d’explication. Sans un regard. J’ai déchiré le papier, j’ai balancé mon stylo et j’ai décidé que je devais cesser de me demander pourquoi. Mettre un terme à cette vie sans réponse. Dix autres années pour te retrouver et échafauder le plan. Apprendre les odeurs, savoir faire un parfum, comprendre les matières. Tu ne m’a jamais vu, mais au moins maintenant, tu me sens n'est-ce pas ? Respire Tristan, hume et absorbe ! Ne peux-tu rien saisir ?! Je suis le parfum de ton enfance, je suis la femme de tes souvenirs !! Pourquoi ne m’as-tu jamais prise dans tes bras, emprisonnée et emportée ? N’étais-je donc qu’un résidu de cuisine ou de cosmétique, un frôlement de vapeurs. Inconsistante. Invisible et éphémère ?
Elle arracha un long ruban de poils depuis l’aine jusqu’à la cuisse.
- Tu sens, là ?
- Oui Oriel, et ça fait mal !
- Mais non, gros bêta, tu n’as rien compris. Sens-tu ce parfum ? Reconnais-tu cette odeur qui s’enroule autour de toi, qui t’as si fort intriguée quand tu es arrivé ?
Tristan baignait littéralement dans une piscine d’effluves, saturée de sueurs, de crème fouettée, d’un cocktail au savon de Marseille pour nettoyer les sols, de l’haleine aigre de la peur, de miel, d’orange amère et de caramel, et du shampoing antipelliculaire d’Antoine, dont le crâne maintenant était en surchauffe ! Son odorat, exacerbé par l’adrénaline qui parcourait son corps, captait et analysait chaque molécule qui passait à sa portée, au point qu’il aurait aspiré à balayer d’un grand geste tout ce bordel olfactif, si ces mains n’avaient pas été durement garrottées. Faute de mieux, il resserra son attention sur cette chaine troublante, composée de sucre tiède liquide et de pommade aux œufs, qui en effet le taquinait depuis son arrivée. Il souffla comme un cheval pour débarrasser son nez des scories encombrantes, affina son découpage, ce qui lui permit d’ajouter à sa liste d’ingrédient, combustion et paraffine. Pour finir, il laissa de côté les divers composants hors sujet, dont il abandonna l’identification momentanément.
- Sabayon.
Déclara-t’il en grimaçant, tandis qu’Oriel poursuivait son travail méticuleux d’épilation. Elle prélevait régulièrement un peu d’onguent dans sa casserole, formait une boule et l’appliquait sur la peau de l’homme, jusqu’à saturation de la gomme. Elle jetait ensuite la matière poisseuse noircie de poils dans une coupelle et recommençait, savourant son geste d’amante tortionnaire. Offrant de la tendresse par la maitrise de sa technique. Jouissant de cette caresse qui lui permettait de toucher et respirer la peau de son amour d’enfance. Elle conserverait les boulettes de poils. Comme cette petite conne de serveuse avait escamoté la serviette jaune, pensant impunément retenir ainsi l’odeur de l’homme convoité.
- Oui, tu es sur la voie….allons, soit un peu plus précis s’il te plait. Je ne supporterais pas ton silence cette fois-ci.
Elle le menaça d’une boulette de cire sur ses parties génitales. Tristan se raidit et accepta le jeu incongru d’Oriel. Deviner les parfums, décrire les matériaux, se remémorer un passé qu’il avait délibérément et consciencieusement oublié.
- Toutes ces bougies autour de nous sont parfumées avec une huile qui évoque le sabayon. Ce mélange mousseux qu’utilisait ma maman pour y tremper le pain rassit avant de le faire dorer à la poêle. Tes jambes autour de moi sentent le miel et la marmelade, tout comme cette cire avec laquelle tu me tortures. Mais le plus extraordinaire Douchka, c’est que tu as réussi à me désorienter. Avec la cuisson du riz, la saveur grasse et torréfiée de la cacahuète, le grand lessivage que tu as sans doute fait sur le sol avant mon arrivé. J’ai perdu pied, ou plutôt mon nez. J’ai été incapable de comprendre que je tombais dans la gueule du loup et que le piège se refermait. Tu t’es employé à mettre en scène chaque senteur de notre enfance. Celle de ta maison, de notre quartier. Celles qui trahissaient les habitudes de ma mère, et de la tienne. Tu as mêlé nos vies en assemblant nos odeurs.
- Et c’est tout ce qui me reste !! Elle hurla, et tira sur le lambeau de cire. Une étroite zone de peau lisse et pâle, apparue sur le ventre de Tristan. Elle se pencha, appliqua ses lèvres, et respira longuement la chair chaude et irritée.
- Que sont devenus tes beaux cheveux blonds, Douchka ?
Oriel se redressa, ses doux yeux gris meurtris par les larmes. Elle déposa le morceau de cire dans la coupelle, sécha ses larmes comme une enfant, en frottant ses poignets du nez vers les yeux, libérant une longue trainée de rimmel vers les tempes, jusqu’aux longs cheveux bruns.
- Je les ais coloré voyons. Il ne fallait pas que vous puissiez me reconnaitre, c’est évident.
- Mais Antoine a certainement dû remarquer que tu n’étais pas totalement brune ?
Oriel gloussa comme une gamine, et désigna de son menton Antoine bâillonné, qui la regardait avec des yeux ahuris et douloureux.
- Lui ? Il n’y a vu que du feu. Et puis, reconnaissez messieurs, vous ne savez vraiment rien des mystères de la féminité. Ces petits arrangements avec une réalité cruelle. Comment crois-tu que ta pute de mère se débrouillait quand, prenant de l’âge, les premiers poils blancs sont apparus sur son pubis. Pas très glamour n'est-ce pas, pour recevoir et fidéliser sa clientèle de visiteurs, comme elle les nommait hypocritement. Bon sang ! Combien de recettes ma mère lui a refilées !! Je n’ai jamais compris ce que maman pouvait bien trouver à Lily. En fait, je pense qu’elle avait un faible pour toi. Ma mère t’aimait beaucoup.
Nouvelle bande de poils sarclés sur le torse.
- Glo-Glo. Dit-elle
- Aïe !
- Glo-Glo, c’est une marque. Ça ne te dit rien ? Des teintures, dont la formulation est exclusivement destinée à la coloration des poils intimes. Je suis brune Tristan…de la tête au pied ! C’est ma mère qui a transmis ce petit truc bien utile à Lily. Comme la recette pour la confection de la cire à épiler, un mélange de miel et de citron, auquel maman ajoutait quelques gouttes de sa liqueur d’orange, pour assainir le mélange. Et puis la fameuse recette du Pain perdu, mais ta pute de mère ne l’a jamais aussi bien réussit.
- Qu’est devenue ta maman, Douchka ?
Oriel s’approcha de son visage, l’embrassa sur le bout du nez, et dit dans un soupir pathétique :
- Tu t’en fous Tristan. De ma mère, de ma vie. Ne cherche pas à me distraire, ou à espérer que je puisse te libérer, en essayant de m’attendrir avec ton simulacre de bon sentiment. Les miens, pour toi aujourd’hui, sont bien réels. Respire mon bel amant, regarde, souffre : je te les offre en cet instant. J’arrache ton odeur en t’épilant, je prends ton âme en t’éliminant, et je résous enfin cette question lancinante du « pourquoi je n’ai jamais existé à tes yeux » en sectionnant ton joli nez, pour l’emporter avec moi. Souvenir…souvenir…chantona-t’elle.
- Et Antoine ?
- Pas de souvenir.
- Alors, libère-le.
- Pas possible. Mais comme je n’ai pas le temps de l’épiler, je me contenterai de m’en débarrasser. Et puis, c’est fatigant pour moi d’arracher tous ces poils…
- Douchka ?
- Oui, Tristan ?
- Souhaites-tu que je t’explique pourquoi je suis parti il y a vingt ans sans un mot d’explication ?
Oriel front buté, lèvres serrées, concentrait toute son attention sur la pilosité qui s’épanouissait au-dessous du nombril de l’homme, prisonnier de ses cuisses. Elle s’appliquait, car elle craignait ne pas avoir assez de temps pour achever sa besogne d’amoureuse. La tête lui tournait. Trop de parfums sucrés autour d’elle. Elle avait abusé des cierges, qui certes ajoutaient au romantisme de l’affaire, mais diffusaient sans relâche des miasmes tièdes de crème brulée, qui flirtaient avec l’arome du miel caramélisé dont ses mains étaient tartinées. Lorsqu’elle effleura la partie plus intime de Tristan, elle suspendit son geste et conserva au bout de ses doigts la boulette odorante de cire molle.
- Tu disais mon Tristan ?
- Souhaites-tu savoir pourquoi ?
Oriel leva son visage et regarda Tristan avec un sourire en coin.
- Tu escomptes sauver ta peau ?
- Je l’espère oui. Mes poils également, enfin…ceux qui me reste.
Oriel allait lui répondre de façon cinglante en défrichant brutalement la pilosité de son entre-jambe, quand un bruit sourd attira son attention. Elle fit un geste pour se redresser, abandonna le morceau de cire sur l’abdomen de Tristan et courut jusqu’à la porte d’entrée. Tristan l’entendit lâcher un juron et s’attaquer de dépit, au mur le plus proche d’elle. Il aperçut Oriel pour la dernière fois, ses longs cheveux bruns déployés autour de son visage furibond, quand elle traversa le salon à grandes enjambées. Dans sa course, elle entraina un lot de bougies, qui dégringolèrent jusqu’aux vêtements abandonnés sur le plancher. Puis, Tristan remarqua derechef la petite culotte rose dragée franchir leurs deux corps écartelés, et la silhouette gracile disparue dans la cuisine. Deux bruits violents retentirent de part et d’autre de l’appartement : les carreaux d’une fenêtre brusquement ouverte se brisèrent dans la cuisine, et un groupe d’hommes accompagné d’une seule femme fracassèrent la porte d’entrée et déboulèrent miraculeusement dans la pièce qui commençait à prendre feu. France Gomez s'avança, piétina machinalement le col de chemise qui s’enflammait en reluquant les deux corps nus et ficelés.





Elle espéra que ces bottes s’en sortiraient indemnes.

dimanche 10 juillet 2011

Les poils du Dieu Pan /12,5

Lorsque Norec retrouva France Gomez trois quarts d'heure plus tard, celle-ci n’avait pas changé de position. Gaëtan s’installa en silence sur sa chaise, alluma son ordinateur et commença à rédiger le rapport du dernier interrogatoire de Mademoiselle Sonia Mayol. Il avait l’habitude des longs silences de sa chef qui offrait l’impression de rêvasser à ne rien faire, en contemplant le ciel ou le plafond. Au fil des années, il avait appris à se faire oublier dans son coin jusqu’au moment où elle prononçait un mot, une phrase, qui enclenchait alors l’amorce de leur débat. Tel le célèbre « élémentaire mon cher Watson ». Pourtant, Norec n’avait jamais trouvé qu’une quelconque affaire fut élémentaire. Bien au contraire.
- Alors, dites-moi Norec. Possède-t’elle un jeu de clés ?
- Oui. Dit-il, sans lever les yeux de son ordinateur, ni interrompre le tapotement de ses doigts sur le clavier.
Gomez s’étira longuement puis bascula ses jambes par-dessus le bureau. Elle se mit debout et commença à faire les cent pas dans l’espace étroit qui leur était dévolu.
- J’entends que derrière votre « oui » vous pensez qu’elle n’est pas coupable. Expliquez-vous.
- La grille…
- Comment ça la grille. Quelle grille ? Lâchez le scoop Norec, s’il vous plait !
- La grille du restaurant fait un bruit épouvantable. Impossible de la déployer sans alerter tout le voisinage, qui par ailleurs proteste régulièrement. J’ai vérifié : trois doléances déposées auprès de l’antenne de police du quartier ! Sonia Mayol possède bien les clés, mais il est impossible d’après elle, d’entrer ou sortir discrètement par l’accès donnant sur la rue. Donc, si Voltaire a eu un rendez-vous après minuit le soir du meurtre, il a certainement dû prendre une autre porte.
- Existe-t’il une seconde entrée à l’arrière ?
- Sans doute, dans la cour. Mais il faut franchir la porte de l’immeuble, et donc posséder également le code. De toute façon, Sonia Mayol n’est même pas certaine de l’existence de cette porte.
- Où était-elle la nuit du meurtre ?
- Toute seule, chez elle. Célibataire
- L’époque est au célibat… ce qui complique le travail des flics.
- Oui, mais sa gardienne confirme que Mayol n’a pas quitté son appartement. Sa vie est apparemment bien réglée. Le mardi, elle joue aux cartes avec les voisines du troisième étage, le mercredi elle reçoit sa sœur, le vendredi elle va au cinéma. Vous désirez son programme du week-end ?
- Non merci, je ne pense pas que ce soit particulièrement excitant, ni instructif.
Gomez poursuivait sa déambulation en silence. Tête baissée, bras croisés.
- Bon, se dit-elle à haute voix. On va déjà commencer par vérifier de ce côté-là...
Elle revint vers son bureau, attrapa le téléphone et fouilla dans la paperasse qui s’empilait sur le coin. Elle trouva enfin ce qu’elle cherchait et composa le numéro de Tristan.
- Bonjour Monsieur Lézard, je ne vous dérange pas ? … J’ai quelques points à éclaircir avec vous. Non, non, il n’est pas nécessaire de vous déplacer, nous pouvons nous en acquitter par téléphone…
Quelques minutes plus tard, FG confirma qu’en effet la grille du restaurant produisait un son considérable et qu’il existait bien une seconde porte donnant sur l’arrière-cour, uniquement employée pour sortir les poubelles. Tristan était le seul à détenir un trousseau complet, ce dont Mademoiselle Mayol en effet se désolait, car lorsqu’elle venait le jour de fermeture hebdomadaire pour s’occuper des comptes, il lui fallait ouvrir cette fameuse grille et elle manquait à chaque fois de se pincer les doigts. Cependant, Tristan lui refusait l’accès par la cour, car d’une part la serrure était en mauvais état, et d’autre part, Lézard ne souhaitait voir personne pas même Antoine, trainer dans sa cuisine. À cet instant, le trousseau était suspendu à un clou dans l’entrée de l’appartement (Gomez entendit nettement le tintement du métal), et lorsqu’il était au travail, la veste et le trousseau demeuraient dans la penderie de la salle du restaurant, afin que les vêtements n’absorbent pas les odeurs de cuisson.
- Donc, n’importe qui a pu discrètement fouiller les poches de la veste, dérober les clés, en faire une copie et les remettre à leur place une heure plus tard, ni vu ni connu. Conclut Norec dans un soupir.
- Élémentaire mon cher Watson !
Elle plaisantait, mais elle percevait bien que la piste « Mademoiselle Mayol s’évaporait, perdait de sa substance. Assise sur une fesse à l’angle de son bureau, France grattait des taches invisibles sur le meuble. Elle ruminait, car elle estimait frôler le but : une histoire de jalousie et de déception amoureuse. Elle en était certaine. Élodie, c’était la cerise sur le gâteau, le crime de gourmandise. Le sésame, c’était Voltaire. Il fallait définitivement chercher dans le passé de Tristan Lézard.
Elle se redressa vivement et se tourna vers Gaëtan, qui poursuivait paisiblement ses tapotements sur le clavier. Il ne s’inquiétait pas. Il savait que toutes les notes, les flèches et autres ratures déposées dans le carnet et rassemblées sur des fiches cartonnées, étaient en train de s’assembler dans la tête bien faite de sa commissaire. Le meilleur moyen de lui venir en aide était de se taire. Il attendait donc. Qu’elle prenne sa décision, et plonge dans le bourbier de l’enquête.
- Norec, on se réveille ! Et cessez de marteler votre engin, il faut que je vous parle ! Prenez un billet de train pour…non attendez, nous allons nous y prendre autrement, car vous êtes toujours persuadé que Lézard est le meurtrier.
- Mes convictions personnelles n’ont rien à voir …
- Peu importe, Norec, nous avons mieux à faire que polémiquer. Téléphonez à la brigade d’Auxerre et demandez qu’une voiture et un chauffeur nous attendent à la gare, puis nous conduise jusqu’à…, courbée au-dessus de la boite des sablés Bretons, elle consultait les fiches « électrons » : Noyers sur Serein, où se trouve la maison de la mère de Tristan. Prenez deux billets. Vous voyez, je ne vous écarte pas, vous m’accompagnez, c’est différent.
Norec, consultait déjà le site de billetterie SNCF
- Le prochain train part dans 1 h 20 Gare de Bercy, arrivée à Auxerre à 16h14. Ensuite, il nous faudra environ une demi-heure de trajet pour parvenir jusqu’à Noyers.
- Très bien. Chargez-vous des billets et du chauffeur, de mon côté je préviens Madame Lézard
- Lily, tout simplement
- Si vous voulez, Gaëtan. Si vous voulez…



La commissaire et son adjoint se retrouvèrent aux alentours de 17h00, devant une charmante maison envahie de rosiers grimpants et odorants, construite en bordure d’une petite route baptisée, la Vallée d’amour.
- Vous pensez qu’elle a choisi cette maison à cause du nom de la rue ?
- Je ne sais pas Norec, il faudra le lui demander.
La porte s’ouvrit sur une très belle femme âgée, aux cheveux mi-longs couleur de lune argentée. Elle se tenait très droite, et semblait ainsi plus grande qu’elle n’était en réalité. Son sourire était l’exacte réplique de celui de Lézard, quand il abandonnait sa mine fermée.
- Bonjour, entrez je vous en prie, nous vous attendions.
- Bonjour Madame, répondit aussitôt France Gomez, nous sommes navrés de venir vous déranger dans votre retraite paisible.
- Lily, tout simplement
- Comme il vous plaira…
- Rassurez-vous, vous ne nous dérangez pas du tout, bien au contraire, car parfois nous trouvons vie à la campagne peu trop calme, Mireille et moi. Et si je peux aider mon fils, c’est la moindre des choses que de vous recevoir. Quand bien même vous êtes de la police ! Je vous en prie, asseyez-vous.
Lily désigna un profond canapé en cuir sombre, usé et égratigné par le chat de la maison. Certaines griffures étaient camouflées par un assortiment de plaids multicolores et de coussins frangés de pompons en laines, œuvres de Mireille, quand elle s’ennuyait les jours de pluie. Mireille qui arrivait justement, avec un plateau sur lequel étaient disposées des tasses et une énorme théière anglaise en porcelaine blanche couverte de guirlandes de roses. Elle posa le tout sur la table basse, et procéda au service en prenant soin de répartir équitablement la quantité de thé, de lait et de sucre. Pendant tout le temps que dura le cérémonial, pas un mot ne fut échangé. Enfin, chacun se retrouva avec tasses et soucoupes, serties du portrait de la Reine d’Angleterre, de la princesse Diana ou de Big-Ben. Norec avait quand à lui, la chance de tenir entre ses mains un vieux mug aux couleurs de l’équipe de Manchester, avec la jolie gueule de Beckham hurlant sa joie après un but victorieux. Gaëtan n’aimait ni le thé, ni le foot, aussi le mug demeura-t-il sur ces genoux, la photo du blondinet tournée vers l’extérieur.
Gomez absorba délicatement une gorgée de thé brulant, qui à son grand étonnement était délicieux. Campée sur le bord du canapé, genoux serrés et dos bien droit, elle formula sa première question de son habituelle voix de directeur de conscience.
- Nous souhaiterions vous poser quelques questions à propos de votre fils Tristan Lézard. Pourriez-vous nous dire si Michel Dromel, surnommé Voltaire, était le père de votre enfant ?
- Non, Michel n’était pas son père. De toute façon, c’est sans importance, répondit Lily en agitant sa main comme si elle éloignait une mouche inopportune.
- Voltaire espérait-il être le père de Tristan ?
- Que voulez-vous que je vous dise ? Sans doute, oui…mais sincèrement, je n’en sais rien.
- Était-il au courant de la présence du petit garçon caché dans l’armoire ?
- Non, comme aucun des visiteurs.
- Quels rapports entreteniez-vous avec Voltaire, était-il votre souteneur ?
- Nous étions amoureux, à notre manière. Amis, amants, confidents... Nous avons vieilli ensemble et traversé ensemble quelques épreuves. Il a toujours été là, même dans les pires moments.
- Tristan fréquentait-il des amis durant cette période ? Je veux dire, jusqu’à ces quatorze ans.
- Oui, bien sûr. Antoine, par exemple.
- D’autres enfants, dont vous vous rappelleriez le nom ?
Lily réfléchit un moment, tripotant d’une main un des pompons orange qui ornait le coussin abandonné sur son fauteuil.
- Il y avait toute une bande de gentils garnements qui trainaient sur les escaliers de Montmartre après l’école. Voyons que je me rappelle… Il y avait Momo, et la petite cerise, je me souviens également d’Éric qui rasait les poils de ses bras pour être plus viril, voyez-vous çà ! Et puis, Antoine bien sur, et la grande Véronique, qui voulait toujours commander. Ah ! je me souvient de certaines disputes…
- Véronique et Tristan ne s’entendaient pas ?
- Oh si ! Mais vous savez comment sont les gamins à cet âge. Des chamailleries sans plus... des histoires de filles et de garçons.
- Qu’est devenue Véronique ?
- Je n’en ai aucune idée.
- Mais si, souviens-toi ! intervint Mireille de sa petite voix chantante. La pauvre petite a été fauchée par une voiture. Le conducteur a pris la fuite, et on ne l’a jamais retrouvé ! Les parents ont quitté le quartier après cette tragédie.
- Oui, c’est vraie Mireille, tu as raison. Cette malheureuse histoire s’est produite peu après le départ de Tristan, et j’avoue qu’à l’époque j’avais mes propres soucis... j’ai mis ce drame de côté, je souffrais déjà bien assez de la disparition de mon petit.
- Parlez-moi du foulard rouge noué à la fenêtre.
- Tss-tss, vous savez tout comme moi, qu’il était jaune.
Lily se pencha vers la table basse et déposa sa tasse aux armoiries de la Reine d’Angleterre. Elle approcha sa main d’une bonbonnière représentant un caniche mauve docilement couché et souleva le chien de son panier en céramique, à l’intérieur duquel étaient soigneusement alignées de fines cigarettes. Elle proposa à la commissaire de se servir. France refusa poliment et jeta un rapide coup d’œil à Norec afin qu’il résiste également. Lily alluma sa cigarette, absorba une longue bouffée de fumée odorante et reprit la conversation, bien calée dans son fauteuil.
- Vous me jugez n'est-ce pas ? Pourtant, je ne pense pas que votre vie privée soit exemplaire ? Cela coûte cher des chaussures comme celles que vous portez en ce moment, et ce sac…c’est une marque discrète, mais luxueuse. Je ne savais pas que les salaires des flics avaient à ce point augmenté depuis mon époque…
- Mes parents sont riches…et Gomez s’en voulut aussitôt de cette réponse.
- Qu’importe, ce ne sont pas mes affaires, ne vous mêlez pas des miennes. Je sais que Tristan est un garçon étrange, parfois très cassant avec les femmes. Je peux le comprendre…
Lily absorba une nouvelle dose de fumée aromatisée au menthol, tandis qu’une ombre passa dans son regard. Elle chassa la fumée devant son visage et poursuivit :
- Mais je sais qu’il est incapable de cruauté délibérée. Ce n’est pas un lâche, il ne s’est jamais permis de laisser croire à une femme qu’il fût disponible ou amoureux.
- Vous pensez qu’il puisse l’être ?
- Vous me le direz…
- Non. Vous avez mal interprété ma question. Pensez-vous qu’il puisse être un meurtrier, puisqu’il est incapable d’aimer ?
- Vous vous contredisez.
- Je ne pense pas.
Le silence s’installa. Mireille s’empressa de proposer à la policière encore un peu de thé. France accepta, et en profita pour mêler doucement le liquide ambré et le nuage de lait, et s’offrir quelques secondes supplémentaires de réflexion. Lily ne craignait apparemment pas les silences. Ni les flics. En fait, sous son air de vieille dame douce et effacée, auréolée de vaisselles de petite fille et de fanfreluches attrape-poussières, elle cachait une intelligence fine légèrement cynique. La commissaire découvrait qu’elle ne possédait plus la main sur la partie en train de se dérouler. Lily jouait la comédie de la politesse, et semblait s’amuser beaucoup à l’affronter sur son propre terrain. Elle décida de passer en mode direct.
- Qui était Momo ?
- Le fils de l’épicier du quartier. Les jours de pluie, les enfants se retrouvaient souvent chez lui. La mère de Momo possédait toujours tout un tas de cochonneries sucrées dans les placards. Les enfants raffolaient trainer chez Momo.
- Antoine ?
Lily éteignit sa cigarette dans un cendrier qui représentait une île, cernée par une mer turquoise affublée d’un unique palmier vert pomme. Le reliquat de fumée s’engouffra dans le volcan dressé sur le bord de la soucoupe, où était calligraphié « souvenir de la Martinique ».
- Le meilleur ami de Tristan. Son frère, sa moitié. Vous le savez bien. La maman d’Antoine était une amie très proche à l’époque. Elle est morte d’une saloperie de cancer, voici dix ans. Tristan passait souvent ces nuits, ou parfois des weekends chez eux. Le couple m’aidait beaucoup.
- Le père d’Antoine est toujours en vie ?
- Je ne sais pas. Demandez donc à son fils.
- Petite Framboise ?
- Petite Cerise. Oh ! Elle, c’est Douchka... Mais tout le monde l’appelait Petite Cerise, ou Cerise, tout court. Elle était ravissante, une vraie poupée ! Blonde comme le sable, toute menue, gracieuse, avec d’immenses yeux gris. Je me souviens bien d’elle, car sa maman faisait le meilleur pain perdu du quartier. Tristan m’en réclamait toujours, mais il protestait, car les miens n’étaient jamais aussi délicieux ! Sans doute l’association sabayon/marmelade que Katrin réalisait comme personne.
- Sabayon ?
- Mais oui, vous savez bien ! Ce mélange de jaunes d’œufs et de crème fluide que l’on fouette sur le feu pour obtenir une mousse légère…Katrin m’expliquait qu’elle battait longuement la préparation et qu’elle ajoutait quelques grains de vanille. N’empêche, je n’ai jamais réussi à faire aussi bien. Je crois que son truc, c’était d’ajouter une petite cuillère de son eau de vie à l’orange amère en fin de cuisson. L’alcool s’évaporait, mais le délicat parfum de marmelade demeurait. J’ai bien essayé d’acheter de la confiture d’oranges chez le papa de Momo, mais ce n’était pas pareil.
FG ne prêtait déjà plus attention à tous les détails. Sa respiration s’accéléra.
- Qu’elle âge avez-vous dit qu’avait Douchka ?
- Je ne vous ai rien dit.
- Quel âge, s’il vous plait ! Gomez retenait mal son excitation, et ces palabres commençaient à l’agacer.
- Elle était plus jeune que les garçons de la bande. Cinq ou six ans de moins, je pense.
- Elle trainait souvent avec eux ?
- Toujours. Elle suivait Tristan comme son ombre. Sa petite ombre, fidèle et silencieuse. Tristan ne la remarquait même plus. Je me rappelle qu’elle a été inconsolable lorsqu’il est parti brusquement à quatorze ans, sans un mot d’explication ni un adieu à ses copains. Elle allait avoir dix ans et m’affirmait qu’elle devenait enfin une femme, comme Véronique, et qu’ils pourraient se marier…Pauvre Petite Cerise, je ne sais pas où elle se trouve aujourd’hui.
- Moi si ! S’exclama Gomez emportée par son impulsion.
- Mais de qui parlez-vous ? Demanda Norec, qui n’avait pas bougé d’un pouce depuis le début de la conversation.
- D’Oriel Wisnia. Mais qui lorsqu’elle était enfant s’appelait Douchka Wisnewski. C’est bien ça, Lily ?
- Oui. Wisnewski, la petite griotte.
- Mais chef, Oriel est plutôt très brune !?
FG soupira, impatiente : Norec était décidément buté sur la culpabilité de Tristan.
- Vous n’avez jamais entendu parler de coloration ou de perruque ?
L’œil bleu ardoise de Gaëtan commença à battre de l’aile, ses mains s’agitèrent nerveusement et, craignant de répandre le thé, froid maintenant, sur ces genoux, il déposa prudemment le mug sur la table basse. Il s’en voulait de ne pas avoir saisi plus tôt l’évidence, mais il résista cependant pour la forme, et ne put s’empêcher de poser une question à sa chef.
- Comment savez-vous pour Wisnia ?
- C’est le diminutif du nom polonais complet : Wisnewski, qui veut dire cerise ou griotte… J’ai des parents polonais.
Et devant le regard surpris de son assistant, elle ajouta :
- Je sais Norec, Gomez n’est pas un nom polonais, mais si vous voulez bien, je vous expliquerai ce détail une autre fois. Pour le moment, prévenez Paris que nous rentrons et que l’équipe se prépare à intervenir dès notre arrivée. Quand passe le prochain train ?
- Nous venons de le rater. Le suivant n’est pas un direct, nous serons rendus à Paris vers 21 h.
- Pourvu que nous n’arrivions pas trop tard…
- Que craignez-vous ?
- Douchka les a invités à diner, justement ce soir. Elle devait sentir que le vent était en train de tourner. Saperlipopette, j’aurais dû comprendre… se fiancer au bout de quatre mois !!
- Crêpes Suzette au menu ?
- Vous n’êtes pas drôle, Norec.


à suivre....