vendredi 4 novembre 2011

Cimetière

Premier novembre, c’est l’anniversaire du cimetière. L’espace d’une journée, l’enclos abandonné au silence frémit de chuchotis, de couleurs et de parfums discrets. Graviers froissés par les semelles de chaussures élégantes, babillages feutrés des membres d’une famille qui évoque ce début d’automne ensoleillé et le temps qui se retire. La température est bienveillante, les senteurs paisibles. Les bouquets de buis qui ponctuent les embranchements, ont la bonne idée de taire leurs relents d’urine fruitée, les longues processions des cyprès qui séparent les terrasses, dressent leurs plumets sombres et offrent des effluves de fanes de carottes et de résine douce qui circulent entre les tombes inodores. La pierre, les marbres, les granits gris émettent peu d’odeurs par temps sec et tiède. Aux croisements des allées soigneusement quadrillées, le parfum fade des potées de cyclamens et de chrysanthèmes caresse les joues. Un arôme difficile à décrire, flou, qui n’évoque ni passion, ni surprise. Une ritournelle incertaine de muguet à peine éclot et des pétales de rose fanée pour le cyclamen. Cendres de curcuma, girofle, et échardes de bois de cèdre pour le chrysanthème.
La mort, tout le monde le sait, n’est plus la vie depuis longtemps. Le cimetière en témoigne. Tombes mornes. Fleurs en demi-teinte. Effluves sans relief.
Car l’odeur exubérante de la mort, onctueuse et baroque, effraie.

Notre société édifie des rituels complexes pour se garder de cette confrontation, suffocante à notre vivant. Pourtant, n’en déplaise au réchauffement climatique, à la vélocité des moyens de communication et aux aléas de nos habitudes alimentaires, la mort possède un cycle de décomposition immuable. Cinq années sont nécessaires pour qu’un corps devienne inodore. Cinq années pour qu'imperceptiblement, strate après strate les parfums de nos humeurs s’évaporent, et nourrissent la terre. Grimace et déni.
Odeurs de la vie. Riches et variées.
De nos corps chauds et animés, dont nous camouflons les émanations par l’emploi de lessives, savons et autres déodorants pour finalement n’en sentir qu’une seule qui recueille l’unanimité.
Odeur de la mort. Singulière et commune.
Confiture monstrueuse et repoussante. Identifiable au bout de quelques jours, nonobstant le ferment de la mort infligée. Camouflée immédiatement par l’embaumement, les poudres, et les diverses interventions qui extraient les liquides et traitent les gaz nauséabonds nés de la putréfaction. Le relent de la mort, turpitude vivace de la décomposition, est bridé pour la cérémonie de la mise en bière. L’odeur maitrisée la vie peut continuer.
Sous terre, c’est une autre histoire. Furtive et industrieuse. La mort fait son œuvre et l’odeur de la vie s’étiole sans bruit...
Après l’odeur, que se passe-t-il ?
Vaste sujet, qui donne libre cours aux croyances et à l’imaginaire. Parfum de l’âme, émanation spirituelle, odeur de sainteté, momies embaumées…
Mais, à vue de nez pragmatique, cinq années sans doute nécessaires pour transmuer son deuil et renaitre peu à peu à la vie.

























3 commentaires:

  1. quelle belle chronique sur l’anniversaire du cimetière. Tout en douceur, senteur et poésie pour évoquer un moment, un endroit qui nous rassemble tous: ma mort. Nous avançons dans la vie à la manière des enfants qui en se cachant les yeux pensant être invisibles; en évitant de penser à la mort, nous nous croyons immortels.

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  2. ooops, à la place de MA mort il fallait lire LA mort.
    Je m'en vais de ce pas, réfléchir à ce lapsus ...

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  3. Bonjour Anonyme,
    Je répond bien tard et veuillez m'en excuser. Votre lapsus m'a fait beaucoup sourire...avec tendresse. Et l'instant d'après vous apportiez vous même la correction !La mort nous joue des tours ! :)

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