vendredi 30 novembre 2012

Parfum d’anonymat

Midi
Hôtel International.
Grande enseigne chic pour chambre standard.
Interrupteur à droite dès porte ouverte
Odeur immuable quelque soient la nation, la région, le quartier.
Marketing de mondialisation. Économie à grande échelle.
Murs moquette lit : dégradés de taupe. Le nouveau blanc, flexible et lessivable.
Je pose ma valise. Crochet pipi. Salle de bain taupe immaculée. Savonnette blanche. Effluves discrets : craie mouillée, ozone glacé, mie de pain, paracétamol.
Oups, je fuis les lieux.
Dans la rue, je rejoins les parfums d’humanité. Je sais où je me trouve. Vapeurs alimentaires, bosquets de fleurs et bouquet d'arbres, eaux de toilette, chiens chats chèvres ou vaches.

Minuit.
Dans la chambre de l’hôtel international. Lost in translation. Je suis déboussolée par l’absence d’identité olfactive.  
Draps, gel douche, linge amidonné et blush à chaussures : Craie mouillée. Ozone. Mie de pain. Paracétamol. Bulles d’odeurs lisses. Boule d’angoisse.
J’ai soudain mal à la tête. Mes odeurs me manquent.
Fenêtre condamnée. Air conditionné. Impossible de laisser les parfums du terroir pénétrer. Je quitte la chambre. Passe la nuit dans le bar de l’hôtel. Lumière tamisée, décor taupe incognito, mais effluves d’humanité. Je sais où je me trouve. Et m’endors sur un coin du canapé.



lundi 12 novembre 2012

Dépressive

Ce matin, le radio-réveil annonce que l’état dépressif est sensible aux odeurs. Le nez glissé sous ma couette, j’ouvre les oreilles. Le journaliste expose des études récentes et explique en un résumé succinct, flash info oblige, que "les patients atteints de dépression sévère présentent des troubles olfactifs qui les rendent étrangers aux odeurs agréables".
Nous sommes lundi. Pas de soleil, et la semaine se radine. L’humeur est maussade, faut retourner au quotidien.
Mais de mon côté je n’ai pas d’excuse.
Je suis dans les odeurs soir et matin
Pas de coup de blues.
Pas de chagrin.
Mine réjouie et rire au bord des narines.
Mon cerveau est sous Amphét olfactive. En permanence.
Je suis toujours de bonne humeur. En partance.

Et puis un jour, où tout semblait normal, j’ai commencé à broyer du noir.
Sans raison.
Car il faut bien faire partie d’un pourcentage de la population qui un jour achoppe et tombe dans la dépression.
Et tout s’est embrouillé dans ma tête. Les odeurs et le plaisir. J’ai commencé à perdre un marqueur, puis deux. Puis le reste s’en est allé. J’étais comme enrhumée. Un rhume de cerveau. À ne plus pouvoir sentir, ni ressentir.
Un nez en épave
Une humeur en lambeau.
Le médecin m’a fourgué des cachets, de bons conseils et le printemps à venir. Mon caractère devint plus souple, mes rêves linéaires et sans heurt, mon inventivité au repos. Je ne possédais plus de partis pris ou de libre arbitre. Tout me semblait supportable, les parfums comme le reste, au sein d’une bienveillante neutralité. Je sentais les nuages, la ouate et les plumes de mon duvet. Mes parfums fleuraient bon la farine, la meringue, la semoule et le coton peigné. Les effluves évoluaient en sourdine, feutrés et compassés.
Il m’en a fallu du temps pour finalement supposer une corrélation entre mon état d’esprit et l’état de mon nez.
Il m’en a fallu du temps pour débrouiller l’écheveau compliqué de mes sentiments étroitement noués aux parfums de mon quotidien, constituant cette bibliothèque de senteurs, imposante, féconde, sans doute étouffante.
J’ai offert le temps nécessaire à mon corps et à ma conscience de retracer le chemin des sensations. J’ai pris mon clavier pour dépeindre les odeurs, imaginer des effluves sans lendemain, évoquer des traces anodines pourtant singulières, et, doucement, l’odorat a pointé son nez, je n’étais plus une étrangère.