jeudi 26 avril 2012

Coup de dés

Feuille quadrillée
Matières premières et quantités

J’effectue mes courses sans caddie, des élastiques attachés aux chevilles
Dissipée, désinvolte, je fais mine de m’écarter du rayon. Évidemment, le cordon souple se tend, mincit jusqu’à n’être plus qu’un fil à la patte et, soudain, dans un hoquet, me ramène à mon point de pensé.
Je consulte ma feuille quadrillée. Les produits n’ont pas changé. Ils s’emboitent, dociles dans leurs cases, épinglés ligne après ligne de quelques grammes d’essence ou d’esters.
La réponse n’est pas sur la feuille. Le parfum prend tournure, mais refuse de s’animer. Depuis des jours.
Mon crâne est un vaste terrain de réflexion où je déplace des images olfactives abstraites que je tourne, bascule, et enchâsse pour façonner une réalité. Un rubick’s cube, dont la forme géométrique trop parfaite superpose des rangs d’alvéoles colorées. Maintenant, je possède trois lignes de couleurs identiques, sans résonnances, ni confidences. Des tiroirs en règle formés de logique. Une rangée verte couleur de sève, une jaune couleur de fruits, une blanche couleur de fleurs nocturnes.
Ma tête est vide. Mon cube immobile.

Je détourne mon regard, et j’aperçois sur mon bureau une poignée de dés aux formes étranges, confisqués à l’un de mes enfants.
Triangle
Polygone
Carreau
Je lance les dés. Roulement de tambour. Cliquetis, et face au hasard des numéros surgissent. Je comptabilise les points, puis traduits en ordre alphabétique : je ne dépasse pas les acétates. Le hasard, limité à 36, me permet d’atteindre l’allyl amyl glycolate. Créativité limitée.
Je modifie la lecture du résultat et crée un nombre à partir des chiffres obtenus. Je dépasse l’ananas artificiel et franchit allégrement la ligne de l’ultime produit de ma liste de matériaux : je dégomme l’essence d’Ylang-ylang et chute dans le vide.

Pas d’idée. Pas d’idée. Pas d’idée.
Pas les dés, pas les dés, pas les dés.

J’étire mon nez et pointe un regard au-delà de la baie vitrée. Le ciel est de plomb et la cour semée de flaques. Des ronds. Une large variété de ronds, sans formes ni lois.
Depuis les nuages bas chargés de gris, les gouttes s’abattent et labourent les surfaces flottantes. Leurs formes vacillent, tremblent et s’étirent, déversent le trop-plein et se rejoignent parfois.
Je reviens vers ma feuille quadrillée.
J’attrape une page blanche et écris les noms des substances. Goutte après goutte, méthodiquement, je forme une flaque sur le papier. Un cercle de matières odorifère dont les contours se frôlent, s’assemblent, se repoussent, ou s’émoussent. Sans poids ni couleurs. Simplement l’odeur mentale, avec ses creux et ses pleins. Je découvre des intrus. Des rigolos séduisants sans consistance. Des Bimbo ravaudées. Des vétilles éventées.

Mon cube parfait dégringole.



Tiens, je crois que je viens d’ouvrir une porte.