jeudi 24 septembre 2009

Petit Coin

Boulevard Hausmann et sa ligne de fuite Grands Magasins. Au Printemps de la Mode, grimpette allègre vers le premier étage par les escaliers roulant qui m’entrainent, certaine d’arriver à bon port, à l’angle réservé de la joaillerie et de la maroquinerie de grand luxe. Est- ce un effet de cause, mais les toilettes conventionnelles où j’ai mes habitudes ont disparu, remplacé par un corner sombre, intitulé en lettres d’argents fumées : « Toilette PointWC Déco ». Je reste perplexe, les pieds hésitant sur la bordure du parquet sombre, qui délimite ce coin curieux. Je suis cernée de chaque coté par des étagères scintillantes qui croulent sous les rouleaux de papier WC aux couleurs pimpantes de bombons anglais : rose vif, vert gazon, orange vitamine et noir réglisse. Par discrétion, je ne citerai pas cette marque, spécialisée dans le petit rectangle prédécoupé de ouate de cellulose de luxe, délicatement tendance. Je distingue également un assortiment exquis de balais brosses aux finitions tarabiscotés ou futuristes, des dérouleurs clinquant comme les enjoliveurs de Jackie, et une masse confuse de boites, objets et accessoires inconnus, mais aveuglants de propreté, d’éclats et d’angles miroir.
J’avise un comptoir derrière lequel officient deux jeunes femmes en pyjama japonais retouché Spa occidental. Je m’approche avec une simple question aux bouts des lèvres : « A quel étage ont migré les toilettes, siouplait ? » Mais la personne tout sourire anticipe ma demande et me lance « Bonjour, pour les toilettes, un euro, Mâdame ». Et là le nez m’en tombe ! Évidemment, nous y sommes. Mais le décor déroutant, et le ticket payant. Je vous passe rapidement les détails sur l'abîme sans fond de mon porte-monnaie - tiens il est encore vide celui-là – qui me transforme en gentille fille un peu bête. Malgré tout mon bagou, je ne réussis pas à les attendrir et m’offrir un pipi gratuit ! La responsable du stand me propose très obligeamment de me soulager de ma délicate situation, en facturant le petit euro par Carte Bleue visa, qui me permet, dérisoire sésame, d’atteindre la seconde antichambre où les choses sérieuses et prosaïques se passent. Un euro, pour faire la queue et attendre qu’une cellule se libère. Une minute, pour laisser mon nez musarder. Je découvre une ambiance cosy, de boudoir moderne, dans les tons zinzolin et mandarine. Pénombre énigmatique, musique en tapinois, hygiène cérémonieuse. Déplacements furtifs d’une soubrette en pyjama et gants de ménagère roses, chiffon blanc et vaporisateur mitrailleur dans chaque main. Dès le passage d’une femme sur la lunette, le linge et le spray passent à l’action. Des gouttelettes microscopiques sont ainsi dispersées par le lavage incessant, et parviennent sans relâche sous mes narines. Je suis rassurée. Malgré l’étrangeté du lieu, l’odeur est identique à celle de toutes les toilettes publiques en France. Enfin, celles qui sont régulièrement et soigneusement entretenues. Cette signature parfumée qui symbolise la salubrité des sols et du mobilier d’aisance, exige apparemment une composition qui satisfait un cahier des charges précis. Remugle corrosif, d’une infusion de Pins des Landes aux zestes de citrons synthétiques, mêlé à quelques fleurs blanches délicates mais inconnues, qui hésitent entre le désinfectant d’hôpital, et la fiente d’oiseaux au menthol. Ce fameux petit relent de parfumerie industriel, perçu comme un cachet d’authenticité, par notre inconscient olfactif….Nous sommes dans un lieu où la propreté est maîtrisée, canalisée mais surtout pas embellit, ce qui pourrait la rendre suspect. Les toilettes publiques ne doivent pas sentir trop bon. Sinon, nous aurions le sentiment que l’on nous camoufle quelques noirceurs.
Enfin, c’est mon tour. La jeune fille en pyjama a au préalable, et comme chaque fois, désinfecté le terrain d’un coup de lingette. Je m’attends à prendre un uppercut de savon des usines, mais ce n’est pas le cas. La personne précédente est encore présente. Trace aérienne, que notre société n’apprécie pas. Mais mon nez s’en fiche, car le spectacle devant mes yeux est incroyable et ridicule. Je suis au cœur d’une minuscule boutique où tout ce que je voie et touche, est à vendre. Je découvre au dessus du réservoir d’eau une vitrine verrouillée contenant des objets WC, et une affichette détaillant les prix, dont celui de la cuvette orange flamboyante, profilé comme un engin alien, avec en prime le nom du designer et le titre de son œuvre : « Istanbul », by Lovegrove. Un vrai conte des milles et une nuit. Ah, Crotte ! Le papier toilette est standard, j’espérai du vert ou du noir.
Lorsque j’émerge ensuite de la mini boutique à utilité publique, la soubrette se précipite afin d’effacer toutes traces de mon passage, tandis que j’avance de trois pas pour la dernière étape. Je prends quelques secondes pour admirer le lavabo ovoïde à beaucoup d’euros, comprendre comment la robinetterie chatoyante (pas mal d’euros) fonctionne, et trouve enfin la pompe à savon, en inox martelé (plusieurs euros), sur une étagère, qui libère un liquide bleu, à l’odeur de thym et de romarin banal mais plaisant, qui je pense ne vaut que très peu d’euros.
Je quitte le Show Room hilare, mais rassurée que mon métier soit utile de temps à autres, juste pour quelques miettes d’euros !

mardi 22 septembre 2009

Les savonettes

Un homme,
Nouveau riche et satisfait.
Amoureux de belles choses et de belles odeurs.
Il débuta dans l’urgence, dès sa sortie des grandes écoles de commerces. Jeune, armés de diplômes et d’astuces, il entreprit de s’enrichir rapidement, et y parvint. A 38 ans, les poches pleines il décida de s’arrêter, de s’offrir une propriété viticole, et de créer du vin. Il découvrit les saisons, le temps qui passe : les pieds de vignes nus en hiver, luxuriant à la fin de l’été. Il s’aperçu que le vin prenait une jolie patine, avec les années.
Un jour, comme à son habitude, il monta sur Paris et se procura auprès d’une grande marque de parfums, ses savonnettes préférées parfumées à l’Oranger. Quand soudain une intuition, le rappel des heures et des jours. A son retour, délicatement, il déposa sur l’étagère en bois dans un coin reculé de son dressing, quelques savons, et attendit. Une semaine, puis trois. Un mois, puis trois. Une année, puis trois. Il les jugea alors à point. Toujours blanches, le grain un peu plus serré. Quand il pencha son nez, il découvrit l’odeur, ah ! L’odeur. C’était parfait. C’était son œuvre, sa force de patience. Terminé l’urgence.
Depuis ce jour, le nouveau vigneron affine ses savonnettes de luxe, avec un plaisir de connaisseur, heureux de sa trouvaille.

mercredi 16 septembre 2009

Métro 3

La nuit au chaud dans le tunnel.
Peu de monde dans la rame : quelques couples, une bande de jeunes gens, heureux et joueurs, dont je perçois distinctement les conversations. Les mots parviennent à mes oreilles comme un mouvement de galets qui s’entrechoquent, un bruit doux et souple. Mon nez par contre, capte peu d’information. Les odeurs sont diffuses, confuses, à peine un murmure.
Comme souvent en soirée, les parfums sont moins agressifs que le matin, car on ne court pas après l’efficacité et la technicité, mais on s’adonne plus volontiers à la sensualité et au laisser-aller. Ainsi, lorsque la journée bascule et laisse la place aux noctambules, une transformation invisible s’opère. Le francilien couche tard souhaite se distinguer olfactivement de son voisin, contrairement au lève-tôt qui aspire à se fondre dans la masse uniforme et mouvante des travailleurs. Les signes odorants alors, s’opposent aux codes vestimentaires.
Le soir, couleurs vives et parfums caressants. C’est le temps du parfum de peau. Signatures multiples de meringue vanillée, parfois caramélisée, aux éclats de fruits confis, de bois patinés ou de muscs. Promesses de voluptés douces et d’activités paresseuses. Mais dès potron-minet, on renoue avec la grisaille des vêtements et le parfum percutant. C’est l’heure d’un déo pour tous. Vapeur puissante, rêche, acide et métallique. Air conditionné maîtrisé. Promesse d’efficacité et, de vélocité jusqu’au bout du jour…

La nuit au chaud dans le tunnel
On croise parfois, à cette heure tardive, quelques travailleurs qui ont enfin achevé leur journée de labeur. Malgré toute la bonne volonté des publicitaires, la dose vaporisée généreusement le matin a disparu. Supplantée, dévorée, usée par l’odeur dominante des bureaux, et celle plus discrète, et cependant marquante, du corps qui a supporté le stress. Galimatias d’émanations de moquettes synthétiques à bouclettes, de meubles en métal et bois composites, de l’effluve très fine et particulière des ordinateurs, et celle presque rassurante de la machine à café. Rarement un relent de sueur. Les traces de cigarettes ont pratiquement et soudainement disparues.

La nuit au chaud dans le tunnel
Tranquillité et cocooning olfactif.




vendredi 11 septembre 2009

Rentrée Politique

J’écoute les informations à la radio.
Réunion des Ministres et grandes décisions.
Voilà un truc qui me fascine. Que sent donc Matignon lors de ce rassemblement hebdomadaire ?
Quels parfums porte Machin, Machine, Bidule ou Chose ? Se font-ils concurrence comme pour les motifs des cravates? Portent-ils la dernière création tendance chic, ou plus simplement un pschitt du sempiternel flacon posé sur l’étagère, adopté depuis la rencontre de leur épouse.
Pensent-ils au score invisible qu’ils produisent quand, montant sur leurs grands chevaux le doigt pointé et volubile, le mouvement ample et le corps arqué, ils créent ainsi une sorte d’« odorama » de courbes indiscernables, et cependant porteuses d’informations : je suis en surchauffe et mon parfum aussi. Songent-ils, ces empereurs de la communication que ces effluves peuvent séduirent ou rebuter ?
Les flèches boisées, transpercent-elles les vagues d’iodes et d’épices ?
L’effluve d’armoise adoucit-elle les escarbilles de pamplemousse ?
Et ce beau bouquet floral disparaît-il au profit de la vanille ?
A moins que tout ne soit calme au pays des Ministres et que les parfums comme les hommes restent à leur place.
Donc peu d’information finalement.

mercredi 9 septembre 2009

Taxi !

Prendre un taxi, c’est comme jouer au loto. On espère tirer le bon numéro. Car une fois à bord, à moins de posséder le culot d’ordonner au chauffeur de se garer pour s’enfuir à toutes jambes, en général, nous faisons preuve de stoïcisme ou d’héroïsme, et nous patientons narines pincées jusqu’à l’arrivée.
Souvent je l’aperçois, ce bout de carton suspendu au rétroviseur qui se balance nonchalamment, et qui me nargue. J’hésite à ouvrir la porte et à m’installer. Mais trouver un taxi libre, disposé à vous conduire à votre adresse est parfois si compliqué, que finalement, j’aspire une dernière goulée d’air des trottoirs, et je m’engouffre dans le véhicule. Et là, dès la première seconde, je commence à le regretter. Bigre. Me voici au prise avec un occupant invisible, mais ô combien tenace et envahissant. Le responsable n’est pas loin, pourtant inaccessible. Il oscille tel le pendule du Professeur Tournesol dans mon champ de vision. Je le sens murmurer : « sassenbon, sassenbon, sassenbon » à chaque mouvements de va et vient crées par les secousses de la voiture, ou par les courants d’air de l’habitacle. Petit morceau de papier rigide et coloré, découpé façon sapin de Noël de notre enfance, imprégné du tronc jusqu’au faîte d’une substance odorante sournoise. « sassenbon, sassenbon, sassenbon ». Et mon esprit trancheur d’odeurs, qui bascule en mode automatique, isole et énumère les produits de synthèse qui composent ce fantastique parfum, imaginé par des chefs de produits inspirés. Concept soudainement indispensable, pour créer une atmosphère authentique et délicate, charmante et efficace, qui neutralise les émanations humaines qui se succèdent sur la banquette arrière. Voilà. Votre odeur naturelle, votre identité olfactive est laminée par les fluides effrontés de l’aldéhyde C14, de l’acétate isobornyl et de la vanilline. Vous disparaissez et les décors se succèdent : vous êtes dans un taxi qui opère dans le trafique des bassines de confitures de fruits; vous vérifiez d’un coup d’œil par la vitre l'itinéraire, car le chauffeur s’est sans doute égaré dans une forêt de sapins des Vosges tout rabougris. Consternation ! Vous êtes persuadés être assis sur un choux à la crème chantilly. Rassurez-vous, il arrive parfois qu' au cours de cette joute insaisissable, votre parfum le plus puissant dégoté chez Sephora, ou votre déodorant 72h sans peur et sans reproche, parvient à embrocher puis à terrasser le Sapin. Pac Man contre le Petit Fantôme. Qui l’emporte ?
Pour les curieux:
- l’aldehyde C14 est employé pour reconstituer l’odeur de la pêche jaune, et des fruits en général.
- La vanilline pour toutes les odeurs sucrées évoquant peu ou prou la pâtisserie. Les Ambres, les Orientaux...
- L’acétate isobornyle pour les bouts de bois de piètre qualité.
Pour Jean-Marie qui m'a offert l'idée des odeurs dans les voitures...suite dans Taxi 2,Taxi 3...

mardi 1 septembre 2009

Pont des Arts

Passage du vent. Passage du temps.
Décidez d’un moment dans la journée. En été, aux alentours de 8h30 le matin, ou carrément la nuit. A l’automne, dans la matinée vers 11h. En hiver pas plus tard que 14h ou sinon le soir entre Chien et Loup. Au printemps le choix est vaste, mais j’apprécie particulièrement 19h. Ensuite choisissez d’aller vous asseoir sur le banc situé au centre du pont. Visage tourné vers l’île de la Cité, faites une pause pour vous vider la tête et le nez : regardez passer la Seine sous vos pieds entre les lattes de bois. Fermez les yeux, redressez votre visage et respirez, sentez, absorbez. Fourrez votre nez dans la grande haleine de Paris comme un geste impudique et mal élevé.
A chaque heure une odeur : un parfum au fil des saisons.
En Août, même au cœur de la nuit des effluves de bord de mer vous transporte vers les îles aux cocotiers nonchalants : parfum de crème solaire dont les parisiens et les touristes s’enduisent, c’est Paris Plage.
En Octobre un relent de toile ciré élimée, résultant des feuilles en décompositions mais adoucit par un nuage voluptueux de pneus surchauffé, voilà un parfum presque sucré. Une lichette de graisses trop cuite, un soupçon de menthe chaude et de clous de girofle, évoquent tout à tour mon dentiste et mon marchand d’épices métro Saint Paul.
Odeurs d’iodes lors des hivers orageux, lorsque le vent apporte le reliquat de l’Océan dans les plumes des mouettes venuent chercher refuge et nourritures faciles au cœur de la grande ville.
Parfum de métal, volutes électriques qui évoquent les feuilles de tomates vertes et la sève humide, certains soirs d’Avril après la pluie. Je perçois aussi quelques fois, si la journée a été chaude, des fragments de réglisse noir et le parfum de miel des châtaigniers en fleurs.
Et chaque jour, en filigrane tout au long de l’année, le souffle saumâtre de la Seine. Infusion étrange, qui émulsionne ensemble les relents fades et intemporels de la vase, l’exhalaison des immeubles anciens alignés le long des quais - dont les murs frottés par des siècles de givre et de vent, de pluie et de soleil, dispersent des volutes de craie et de bois - au parfum actuel du peuple Parisien : steak au poivre, café, crottes de chiens et confiture de fraises…