Boulevard Hausmann et sa ligne de fuite Grands Magasins. Au Printemps de la Mode, grimpette allègre vers le premier étage par les escaliers roulant qui m’entrainent, certaine d’arriver à bon port, à l’angle réservé de la joaillerie et de la maroquinerie de grand luxe. Est- ce un effet de cause, mais les toilettes conventionnelles où j’ai mes habitudes ont disparu, remplacé par un corner sombre, intitulé en lettres d’argents fumées : « Toilette PointWC Déco ». Je reste perplexe, les pieds hésitant sur la bordure du parquet sombre, qui délimite ce coin curieux. Je suis cernée de chaque coté par des étagères scintillantes qui croulent sous les rouleaux de papier WC aux couleurs pimpantes de bombons anglais : rose vif, vert gazon, orange vitamine et noir réglisse. Par discrétion, je ne citerai pas cette marque, spécialisée dans le petit rectangle prédécoupé de ouate de cellulose de luxe, délicatement tendance. Je distingue également un assortiment exquis de balais brosses aux finitions tarabiscotés ou futuristes, des dérouleurs clinquant comme les enjoliveurs de Jackie, et une masse confuse de boites, objets et accessoires inconnus, mais aveuglants de propreté, d’éclats et d’angles miroir.
J’avise un comptoir derrière lequel officient deux jeunes femmes en pyjama japonais retouché Spa occidental. Je m’approche avec une simple question aux bouts des lèvres : « A quel étage ont migré les toilettes, siouplait ? » Mais la personne tout sourire anticipe ma demande et me lance « Bonjour, pour les toilettes, un euro, Mâdame ». Et là le nez m’en tombe ! Évidemment, nous y sommes. Mais le décor déroutant, et le ticket payant. Je vous passe rapidement les détails sur l'abîme sans fond de mon porte-monnaie - tiens il est encore vide celui-là – qui me transforme en gentille fille un peu bête. Malgré tout mon bagou, je ne réussis pas à les attendrir et m’offrir un pipi gratuit ! La responsable du stand me propose très obligeamment de me soulager de ma délicate situation, en facturant le petit euro par Carte Bleue visa, qui me permet, dérisoire sésame, d’atteindre la seconde antichambre où les choses sérieuses et prosaïques se passent. Un euro, pour faire la queue et attendre qu’une cellule se libère. Une minute, pour laisser mon nez musarder. Je découvre une ambiance cosy, de boudoir moderne, dans les tons zinzolin et mandarine. Pénombre énigmatique, musique en tapinois, hygiène cérémonieuse. Déplacements furtifs d’une soubrette en pyjama et gants de ménagère roses, chiffon blanc et vaporisateur mitrailleur dans chaque main. Dès le passage d’une femme sur la lunette, le linge et le spray passent à l’action. Des gouttelettes microscopiques sont ainsi dispersées par le lavage incessant, et parviennent sans relâche sous mes narines. Je suis rassurée. Malgré l’étrangeté du lieu, l’odeur est identique à celle de toutes les toilettes publiques en France. Enfin, celles qui sont régulièrement et soigneusement entretenues. Cette signature parfumée qui symbolise la salubrité des sols et du mobilier d’aisance, exige apparemment une composition qui satisfait un cahier des charges précis. Remugle corrosif, d’une infusion de Pins des Landes aux zestes de citrons synthétiques, mêlé à quelques fleurs blanches délicates mais inconnues, qui hésitent entre le désinfectant d’hôpital, et la fiente d’oiseaux au menthol. Ce fameux petit relent de parfumerie industriel, perçu comme un cachet d’authenticité, par notre inconscient olfactif….Nous sommes dans un lieu où la propreté est maîtrisée, canalisée mais surtout pas embellit, ce qui pourrait la rendre suspect. Les toilettes publiques ne doivent pas sentir trop bon. Sinon, nous aurions le sentiment que l’on nous camoufle quelques noirceurs.
Enfin, c’est mon tour. La jeune fille en pyjama a au préalable, et comme chaque fois, désinfecté le terrain d’un coup de lingette. Je m’attends à prendre un uppercut de savon des usines, mais ce n’est pas le cas. La personne précédente est encore présente. Trace aérienne, que notre société n’apprécie pas. Mais mon nez s’en fiche, car le spectacle devant mes yeux est incroyable et ridicule. Je suis au cœur d’une minuscule boutique où tout ce que je voie et touche, est à vendre. Je découvre au dessus du réservoir d’eau une vitrine verrouillée contenant des objets WC, et une affichette détaillant les prix, dont celui de la cuvette orange flamboyante, profilé comme un engin alien, avec en prime le nom du designer et le titre de son œuvre : « Istanbul », by Lovegrove. Un vrai conte des milles et une nuit. Ah, Crotte ! Le papier toilette est standard, j’espérai du vert ou du noir.
Lorsque j’émerge ensuite de la mini boutique à utilité publique, la soubrette se précipite afin d’effacer toutes traces de mon passage, tandis que j’avance de trois pas pour la dernière étape. Je prends quelques secondes pour admirer le lavabo ovoïde à beaucoup d’euros, comprendre comment la robinetterie chatoyante (pas mal d’euros) fonctionne, et trouve enfin la pompe à savon, en inox martelé (plusieurs euros), sur une étagère, qui libère un liquide bleu, à l’odeur de thym et de romarin banal mais plaisant, qui je pense ne vaut que très peu d’euros.
Je quitte le Show Room hilare, mais rassurée que mon métier soit utile de temps à autres, juste pour quelques miettes d’euros !
jeudi 24 septembre 2009
Petit Coin
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je n'irai plus jamais aux toilettes de la même façon. depuis que je lis, j'ai l'impression d'avoir un sens de plus. de libérer mon nez...
RépondreSupprimeril manquait le TE
RépondreSupprimerje n'irai plus jamais aux toilettes de la même façon. depuis que je te lis, j'ai l'impression d'avoir un sens de plus. de libérer mon nez...
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerTu es sûre que tu n'as pas fait un cauchemard sur l'utilisation mercantile de nos peurs des microbes,de ce que produit notre corps et des odeurs qui vont avec? Heureusement je vais aux Galeries Lafayette! Les toilettes sont au dernier étage à côté du self-service où l'on peut prendre une délicieuse pause en regardant les toits de l'Opéra. Enfin, il faut que j'aille vérifier s'ils n'ont pas tout changé eux aussi!
RépondreSupprimerLe pipi Carte Bleue, ça m'en coince un morceau quelque part, surtout quand l'espace de solitude se fait envahir par la publicité...
RépondreSupprimerCe qui m'intrigue dans les toilettes publiques, ce sont ces petits boitiers qui émettent des bips sonores, des clignotements de diodes colorées et, accessoirement, un nuage de sent-bon d'ambiance. Une question demeure : pourquoi les bips et les clignotements ?
RépondreSupprimerDear Céline,
RépondreSupprimerI enjoyed very much reading this article.
Being a big fan of your fragrances and your work (also your dad's), now I am even more delighted to find out that you are such a good writer!!
I have a theory about public toilets: if you have to pay to pee, they should be shinning clean and smelling like heaven! Here in my country all public toilets smell like cheap lavender and rosemary (but we don't pay to use).
I once went to a japanese restaurant that had the most fragrant toilet I have ever been to. They don't tell the secret ingredient or fragrance and it is simply amazing. Better than the smell of the restaurant itself :-)
Bien d'accord sur le fait qu'une toilette publique doit garder une odeur louche.
RépondreSupprimerLorsqu'on arrive dans un résidu de 1,5m² rempli d'une odeur chimique trop lourde qui anesthésie l'odorat, on imagine toujours le pire.
Bonjour La Flore,
RépondreSupprimerJe ne sais pas si les toilettes sont le meilleur endroit pour liberer son nez? En tout cas, dans le cas présent des toilettes du Printemps,le parfum n'a rien à voir avec le luxe tapageur du lieu !
Coucou Alice,
RépondreSupprimerMais non je n'ai pas cauchemardé! Et justement j'ai été abasourdis par le contraste du décor sophistiqué et branchouille, et la médiocre qualité des parfums qui sont hyper communs ! Quand à l'utilisation mercantile : hélàs, je ne vais pas refaire le monde sur ce blog, mais ici ce ne sont pas les parfums, mais bien les objets et autres meuble WC qui sont l'objet de notre besoin de consommation, qui va se nicher dans les coins les plus improbables...!
Bonjour Gnou,
RépondreSupprimerC'est pour que tu prévenir qu'il ne te reste que trois secondes, pour que tu te tires très vite des lieus, avant d'être pschité aux essences pas naturelles de pamplemousse...
Welcome Q+Perfume,
RépondreSupprimerIt's nice to read somedu who's come from Brasil!
Thank you for your compliments. I agree With you that if you pay, you hope for a nice fragrance also. But it was not. In Japan they really love details. In France we love food...so restaurants smell wonderfull and toilets are usally unpleasant ! All depends off people, culture, and so on !
salut Lapo!
RépondreSupprimerEt ne parlons pas de ton gadget que tu as trouvé pour les pauses pipi organisées pendant que tu visionnes ton film préféré! Je me demande si tu peux faire la même chose pour les bon bouquins : un petit bip, pour te prévenir que tu peux interrompre ta lecture et que tu ne rates pas un chapitre...bon trêve de plaisanterie idiote,je suis d'accord avec toi qu'il est de plus en plus difficile de trouver un endroit où notre porte monnaie n'est pas solicité !! Même les petits coins qui ne sentent pas vraiment bon !:)
Bonjour Vinvin
RépondreSupprimerJe n'ose même pas imaginer ton pire !
En général, quand je vadrouille dans les beaux quartiers, je m'arrange pour faire pipi dans les palaces, où un air assuré et un repérage préalable garantissent de ne pas être interceptée...
RépondreSupprimerMais je sens que je vais me précipiter dans ce nouveau temple de la déjection mercantile, qui doit beaucoup impressionner les Américains. Cela fait des décennies que les histoires de WC apocalyptiques et de dames pipi impérieuses circulent en Amérique du Nord. Ça en fera une de plus.
Bonjour Carmencanada,
RépondreSupprimerAh! je n'ai jamais osé les toilettes des palaces. Mais l'idée est futée !Et je ne connais pas cette fascination des Américains pour les petits coins. Je sais par contre que les toilettes françaises n'ont pas bonnes réputations à l'étranger...Une japonaise dans la queue d'attente devant moi, n'a pas du tout apparement été impressionnée ni convaincue, par tout cet étalage !
Cela va être drôle maintenant dans les releves banquaires des euros des toilettes ;-)))). Mieux encore, a payer en trois fois si tu as la carte confinoga ou alors un 10% de réduction parce que il y a six jours ;-)))....Je ne digère pas encore qu'ils t'ont fait payer avec carte bleue...terrible...
RépondreSupprimerBonjour Vinvin
RépondreSupprimerJe n'ose même pas imaginer ton pire !
Ma chère Céline, je te décerne le Divine Award.
RépondreSupprimerC'est un de ces awards virtuels chers à la blogosphère, que tu dois payer en répondant à une lsite de questions plus ou moins foireuses. Alors que tu n'as rien demandé à personne.
Mais ici tu as de la chance , tu dois simplement révéler 5 de tes plaisirs coupables et aussi faire passer l'award à d'autres bloggers bien sûr, c'est la nouvelle chaîne de l'amitié. ;)
Voilà, désolé.
J'ai pour ma part répondu là
http://lafloreetlafaune.blogspot.com/2009/10/fashion-week-day-2.html
On sent la déformation professionnelle car moi aux toilettes, je respire le moins possible. Sauf quand je me faufile dans les petits coins d'un palace parisien pour voler quelques minutes de calme et de luxe à moins d'1 euro....
RépondreSupprimerBonjour Annonyme n°1,
RépondreSupprimerHé oui, tout fout le camps...mais j'aime bien ton idée d'une promotion pendant les 6jours !
Ah ! ben voilà un cadeau sympa et encombrant! Passe à ton voisin !:))
RépondreSupprimerEn général j'interromps toujours ces chaines...crack!
Bon comme c'est sympa de ta part d'avoir pensé à ma pomme, je prend la première partie, et je lache la seconde.
Voici les 5 trucs non avouable:
1- je traines mon nez partout
2- j'aime prendre le métro
3- j'apprécie ne pas répondre
4- Je suis ravie de couper la chaîne de l'amitié
5- non, je n'ose pas le dire
Bonjour Miss Zen,
RépondreSupprimerJe crois que je vais faire un tour aux toilettes des Palaces...Peut être font ils un effort pour les parfums ? Et pas simplement du tape à l'oeil!
Bonjour , moi en général , je ferme mon nez dans les toilettes !
RépondreSupprimerSauf chez HARRODS à Londres où ils mettent à disposition , des flacons de parfums ( il y avait Givenchy , Chanel et je ne sais plus , c'était il y a 3 ans ! ) pour se parfumer à volonté devant les lavabos !
J'ai adoré cette idée !
Bonjour julita54,
RépondreSupprimerSo British ! Je me demande si c'est encore le cas avec la Crise ! ;))