lundi 7 novembre 2011

Parfum d’authenticité : vide-grenier

Il en est des parfums comme des jours. Quelques grammes de souvenirs imprégnés d’une forte dose de nostalgie. Des autrefois qui ne sont plus. Du temps qui file entre nos doigts et qu’une photo suffit à peine à retenir.
Le marketing, petite mécanique bien huilée ne sait plus quoi inventer et fouille dans les greniers.
Vidés régulièrement depuis quelques années sur une place, un parking ou un pré, en ville ou à la campagne. Location de 3m carrés et, dès pétro-jaquette, on déballe son chez soi dont on ne sait plus que faire. J’ai trop consommé, je recycle et je propose en partage contre petite rétribution correctement négociée, mon fouillis soigneusement ordonné. Mais je m’égare et m’emmêle les mouillettes. J’évoque le vide-grenier, car en ce moment quand je pousse mon caddie de ménagère de moins de cinquante ans qui ne peut éviter la corvée des courses pour remplir frigo et placards, s’apparentant peu ou prou à des tonneaux de Danaïdes, je trouve quelques récréations en parcourant le rayon des produits ménagers. Non que je sois une dingue du ménage, mais l’imagination déployée pour rendre cette activité forcément conseillée sinon distrayante, mais à tout le moins pourvoyeuse de satisfaction olfactive, me laisse pantoise (pour parler comme autrefois).
Les infusions d’aromates sauvages et les huiles essentielles extraites de fleurs véritables s’affichent sur des logos en noir et blanc, ou simplement verts. Une tisane et au lit..., sitôt le récurage de la salle de bain achevé.
Les fruits du verger et les fleurs des champs de nos régions sont soigneusement récoltés, et bientôt, sans doute, on indiquera le millésime…Je savais bien qu’un jour prochain je finirais pompette, étourdie par la contemplation du linge sale qui tourbillonne derrière le hublot du lave-linge.
Des aventuriers en herbes ont traversé les mers afin de rapporter des parfums à l’exotisme inconnu pour nous faire rêver, tandis que nous passons et repassons la serpillère, que nous étendons notre lessive. Et hop ! Un petit pas de danse entre deux lessivages, puis je file guillerette vers l’évier où m’attend la vaisselle..., brasses sensuelles entre les assiettes et les fourchettes, dans une eau turquoise cernée de manguiers et de tiaré. Que les explorateurs des odeurs en soient remerciés !
Je constate surtout que le savon de Marseille s’est glissé partout, du sol jusqu’au linge. Maintenant, quand je m’affaire avec mon éponge, j’ai le sentiment d’être un peu du terroir et d’avoir tout compris aux valeurs authentiques du nettoyage. Celles en usages, au temps de mon arrière-grand-mère naturellement, car mon arrière-grand-mère connaissait la vraie vie. Mais bon. Aujourd’hui, elle n’est plus de ce monde pour me contredire et envoyer promener toutes ces marques de savonnettes fallacieuses. Quand tout à coup, j’entends une voix : c’est ma mémé Lucie, toute fine et minuscule, la peau douce comme une vieille pomme, image fidèle de mes souvenirs, qui se tient debout au sommet de l’échelle menant au grenier et qui contemple amusée, l’étourdie que je suis. Elle se penche un peu, la main agrippée au premier barreau, et me précise que le savon de Marseille d’autrefois sentait le cambouis, la laine humide, l’huile d’olive rance et le cuir racorni. Rien de bien propre en apparence, bernique avec le parfum de Marseille en bouteille de maintenant ! Elle m’explique ensuite à propos du fameux savon de Marseille, gros carré maronnasse qui ramollissait sur le bord de son évier, qu'il n’était pas très pratique, qu’il se rinçait difficilement et qu’il desséchait la peau. En attendant, avec de l’huile de coude, c’est vrai qu’il était rudement efficace ! Mon arrière-grand-mère ajoute gentiment que j’ai de la chance tout de même d’être une femme d’aujourd’hui, de gagner ma vie et de pouvoir choisir de jolis parfums pour faire mon ménage, d’employer des liquides qui se rincent tout seul. Et moi, les yeux au ciel, de lui répondre: « mais mémé, y’en a trop, c’est n’importe quoi, totalement artificiel et en plus, ça abime la planète !! »

Comme quoi, on n’est jamais content…









vendredi 4 novembre 2011

Cimetière

Premier novembre, c’est l’anniversaire du cimetière. L’espace d’une journée, l’enclos abandonné au silence frémit de chuchotis, de couleurs et de parfums discrets. Graviers froissés par les semelles de chaussures élégantes, babillages feutrés des membres d’une famille qui évoque ce début d’automne ensoleillé et le temps qui se retire. La température est bienveillante, les senteurs paisibles. Les bouquets de buis qui ponctuent les embranchements, ont la bonne idée de taire leurs relents d’urine fruitée, les longues processions des cyprès qui séparent les terrasses, dressent leurs plumets sombres et offrent des effluves de fanes de carottes et de résine douce qui circulent entre les tombes inodores. La pierre, les marbres, les granits gris émettent peu d’odeurs par temps sec et tiède. Aux croisements des allées soigneusement quadrillées, le parfum fade des potées de cyclamens et de chrysanthèmes caresse les joues. Un arôme difficile à décrire, flou, qui n’évoque ni passion, ni surprise. Une ritournelle incertaine de muguet à peine éclot et des pétales de rose fanée pour le cyclamen. Cendres de curcuma, girofle, et échardes de bois de cèdre pour le chrysanthème.
La mort, tout le monde le sait, n’est plus la vie depuis longtemps. Le cimetière en témoigne. Tombes mornes. Fleurs en demi-teinte. Effluves sans relief.
Car l’odeur exubérante de la mort, onctueuse et baroque, effraie.

Notre société édifie des rituels complexes pour se garder de cette confrontation, suffocante à notre vivant. Pourtant, n’en déplaise au réchauffement climatique, à la vélocité des moyens de communication et aux aléas de nos habitudes alimentaires, la mort possède un cycle de décomposition immuable. Cinq années sont nécessaires pour qu’un corps devienne inodore. Cinq années pour qu'imperceptiblement, strate après strate les parfums de nos humeurs s’évaporent, et nourrissent la terre. Grimace et déni.
Odeurs de la vie. Riches et variées.
De nos corps chauds et animés, dont nous camouflons les émanations par l’emploi de lessives, savons et autres déodorants pour finalement n’en sentir qu’une seule qui recueille l’unanimité.
Odeur de la mort. Singulière et commune.
Confiture monstrueuse et repoussante. Identifiable au bout de quelques jours, nonobstant le ferment de la mort infligée. Camouflée immédiatement par l’embaumement, les poudres, et les diverses interventions qui extraient les liquides et traitent les gaz nauséabonds nés de la putréfaction. Le relent de la mort, turpitude vivace de la décomposition, est bridé pour la cérémonie de la mise en bière. L’odeur maitrisée la vie peut continuer.
Sous terre, c’est une autre histoire. Furtive et industrieuse. La mort fait son œuvre et l’odeur de la vie s’étiole sans bruit...
Après l’odeur, que se passe-t-il ?
Vaste sujet, qui donne libre cours aux croyances et à l’imaginaire. Parfum de l’âme, émanation spirituelle, odeur de sainteté, momies embaumées…
Mais, à vue de nez pragmatique, cinq années sans doute nécessaires pour transmuer son deuil et renaitre peu à peu à la vie.