mercredi 25 août 2010

Déménagement

Nuit trop courte. Yeux en boutons de bottine.
Torsion stridente de l’interphone. Je traine la patte tandis que les gros bras se présentent. Caisses et cartons suivent sagement, en rang d’oignons.
Café d’abord. Les cartons peuvent attendre.
La cafetière renifle et filtre l’eau. Aussitôt, l’odeur chaude et moelleuse enfle, envahit chaque coin de l’appartement et pénètre mes méninges sans passer par la case olfaction. J’opte en cet instant pour une réaction standard devant un stimulus simple : odeur => plaisir. Je constate chaque fois que le café possède un caractère de chat. Il vous aborde patte de velours et caresse votre nez, puis, dès la première gorgée, comme un petit coup de griffe, la bouche est récurée.
Mug vide, yeux presque ouverts et langue transformée en bout de cuir.
Encouragements virils, le travail des hommes débute.
Déboule les nouveaux venus : bouts de ficelles, alignement de cartons et colonnes de couvertures. Ouste ! Pluches de moutons en déroutes, grains de poussière affolés, valse des volutes ! Remue-ménage des odeurs oubliées dans un coin, soudain délogées. Parfum de vanille et de girofle en poudre, tandis que les cartons sont dépliés puis formés efficacement. Un ruban brun en croix pour les maintenir. De l’adhésif émane un étrange relent de poires au sirop.
Couvertures grises imprégnées des marques du camion. Exhalaison acre et chaude, comme le café froid qui hésite entre bitume et nicotine.
Ficelle moderne. Lisse et tissée. Oubliée l’odeur rêche du chanvre proche de celle du foin stocké pour l’hiver. Bienvenue, les miasmes sucrés de l’usine moderne : l’énorme rouleau de ficelle pulse une odeur de maïs en boite. Roule, roule, les premiers meubles bien empaquetés prennent leur envol.
Place vide. Non, pas tout à fait.
Tiens, un vieux chamallow tout racorni. D’un rose très pâle. Mais, depuis quand traine-t-il là ? À peine un nuage piquant de sucre sans goût, comme un dernier souffle. Hop. Poubelle.
Les heures filent. On n’en finit jamais. Tourbillons d’odeurs, bordel olfactif et pièces presque vides. Mais, encore et toujours, un truc oublié, qui traine, dont on ne sait que faire. Hop. Carton.
Que d’effort. Les corps s’échauffent, et sentent bon. Carvi et fenouil mêlés.
Je ne me sens déjà plus chez moi. L’odeur familiale et familière a disparu en quelques heures. Tant d'années pour l’installer et la retrouver, compagne fidèle, chaque fois que nous ouvrions la porte de notre appartement. Notre identité maison, armoire normande au fil du temps, invisible et élastique, façonnée à partir de nos habitudes alimentaires, hygiéniques, accessoirisée de nos odeurs corporelles. Je l’emporte quelque temps dans ma mémoire, enveloppée de papier éphémère, car malgré mes efforts et ma bonne volonté elle disparaitra doucement, remplacée, ni vue ni connue, par sa petite sœur. Notre prochain logement.