vendredi 19 février 2016

Matière grise

Début de semaine. Tête toute vide.
Mardi pas mieux
Mercredi. Med’ c’est déjà le milieu et toujours rien. Je vais me faire une tasse de thé.
Tandis que l’eau monte en température, mon moral descend toboggan. J’ai le nez vide. Je jette un œil par la fenêtre et je m’aperçois que la couleur du ciel ressemble à  celle de mes méninges.
Matière grise.
Orivone. Iso E super. Acétate de PTBCH. Jessemal. Salicylates divers…
Matériau olfactif.
Une odeur de farine grise.
Florimoss.
Une goutte d’humidité. Bientôt la pluie.
Je verse l’eau bouillante sur mon sachet de thé.
Ionone bêta. Hedione. Essence de bouleau rectifié.
Thé fumé. Lapsang souchong.
Acétyl méthyl carbinol. Un nuage de lait.
Le ciel tourne au noir et la pluie se met à tomber, brutalement.
Les parfums sont noyés, dilués, direction caniveau.
Je bois à petite gorgée ma tasse de thé. C’est brûlant. Furanéol. Et puis soudain, je pense à mon odeur de farine. Ce n’est pas possible, mon père a déjà évoqué la farine. Le bois farine. Tiens, c’est le retour de mon copain familier : le complexe de la fille du parfumeur. Je ne peux pas composer sur ces traces. Et en même temps, je sais pertinemment que je ne peux pas renier mon père. J’adore être sa fille !
Bon. Reprenons de zéro.
Je contemple mon chez-moi. Des meubles en bois. Des tissus colorés. Des revues entassées. Des BD et des bouquins. Un pull oublié sur un fauteuil. Un lapin en peluche oreilles qui tombent rejeté dans l’angle du canapé. Le désordre, comme compagnon de notre quotidien. Et des odeurs en filigrane.
Petites histoires et grand récit. Feuilles de papier, mobilier et bibelots.
Matière grise. Matière meuble.
Méthylionone. Clous de girofle. Noix de muscade. Vanilline. Cashmeran et verdox
Une odeur de coussin... ça ne mène à rien.
Y’a des semaines comme ça où décidément la matière demeure grise.













mardi 9 février 2016

L’arbre kipu

La nature est bien faite. Pourtant, parfois j’ai un doute…
Promenade paisible en ce début d’hiver doux et gris. De ce gris parisien qui absorbe la lumière et floute les paysages. Une amie romantique m’a donné rendez-vous pour déjeuner dans une guinguette épinglée sur une île minuscule qui orne un des étangs du Bois de Boulogne. Pour s’y rendre, il faut prendre un bac à la manière d’autrefois.  Je longe les bords de l’eau où barbotent canards et mouettes pour atteindre le ponton et comme souvent lorsque je flâne, je me raconte des histoires. Je m’imagine en robe à tournure et joli bibi posé sur mes cheveux crêpés chignon, une ombrelle au bout des doigts, des enfants en tenus de marin d’eau douce courant après des cerceaux. Toute la caricature d’un temps révolue. C’est curieux comme lorsque l’on rêvasse « au temps jadis », on se représente toujours  en costume chic plutôt qu’en costard prolo ! Quand soudain, une violente odeur de fin de soirée bien arrosée régurgitée sur le trottoir envoie valser mon ombrelle et mes visions de Belle-Epoque. Pamplemousse pourri. Poubelle éventrée. Queue-de-renard. Beurre momifié.  Décalage puissant entre le remugle épouvantable qui attaque mes neurones et le cadre idyllique où je me trouve. Évidemment, je marque l’arrêt : corps immobile, narine frémissante, je cherche l’origine du relent. Je commence à avoir des doutes sérieux sur le menu des réjouissances du restaurant. À moins que ce ne soit le mal de transport : le radeau balloté sur l’étang ? Je ne remarque aucun vestige en forme d’étoile sur le sol, ni monticule de déchets suspects aux alentours. J’en suis là de mes réflexions décousues lorsque l’homme du bac me lance aimablement.
-         -Ce n’est pas au sol
-        - Pardon ?
-        - Vous cherchez au mauvais endroit, c’est plus haut.
Réflexe idiot, je lève la tête sans comprendre. Regard bovin et nez perdu. La ramure de plusieurs arbres dépouillés de leurs feuilles forme justement une ombrelle au-dessus de nous. Mais je remarque également un arbre long et maigre dont les branches fines ploient sous un nombre invraisemblable de minuscules fruits en grappe. Sous la lumière tamisée de ce jour de décembre, ils semblent duveteux et d’un joli or mat.
-        -C’est ce truc-là qui fouette ! M’explique le batelier. Chaque année en cette période c’est une véritable infection. Et en plus quand ça tombe, vaut mieux ne pas se trouver en dessous…
Je comprends enfin qu’il me désigne les jolis petits fruits dorés d’un arbre que je suis incapable d’identifier. Jusqu’à ce jour, j’ignorais que la nature pouvait créer une telle puanteur qui résume de manière aussi pertinente le vaste panel des alarmes olfactives pour nous éviter une intoxication alimentaire. En comparaison, le Durian, ce fameux fruit asiatique à l’écorce de hérisson qui évoque un munster oublié sur une étagère, ou un lot de chaussettes en troisième mi-temps, me parait sympathique et gourmand…
Ce fruit charmant est en fait un ovule qui à l’automne se ratatine et laisse échapper, depuis ses rides et ridules, des molécules d’acide butanoïque. Seul l’arbre femelle fouette du bec.
Au printemps, l’arbre est séduisant avec ses feuilles délicates en forme d’éventail qui bruissent au moindre souffle de vent. Il se pare d’une jolie teinte curcuma à l’automne. Naturalisé en Chine, on le nomme l’arbre aux mille écus, car dès l’hiver, un tapis d’or émaille le sol à son pied. C’est une espèce fossile, plus ancienne que notre monde. Qui résiste à toutes les pollutions, même atomiques. On peut admirer un très vieux tronc mâle et noueux aux Jardins des Plantes à Paris, dont la bouture a été enfouie vers 1811 par des botanistes passionnés. Le plus vieil arbre pousse racine sur un campus universitaire au Japon, depuis plus de 1200 ans.
La nature est bien faite : le Ginkgo biloba possède la meilleure des armures ou le charme le plus puissant : un parfum rebutant.