La nature est bien faite. Pourtant, parfois j’ai un doute…
Promenade paisible en ce début d’hiver doux et gris. De ce gris
parisien qui absorbe la lumière et floute les paysages. Une amie romantique m’a
donné rendez-vous pour déjeuner dans une guinguette épinglée sur une île
minuscule qui orne un des étangs du Bois de Boulogne. Pour s’y rendre, il faut
prendre un bac à la manière d’autrefois. Je longe les bords de l’eau où barbotent
canards et mouettes pour atteindre le ponton et comme souvent lorsque je flâne,
je me raconte des histoires. Je m’imagine en robe à tournure et joli bibi posé
sur mes cheveux crêpés chignon, une ombrelle au bout des doigts, des enfants en
tenus de marin d’eau douce courant après des cerceaux. Toute la caricature d’un
temps révolue. C’est curieux comme lorsque l’on rêvasse « au temps jadis »,
on se représente toujours en costume
chic plutôt qu’en costard prolo ! Quand soudain, une violente odeur de fin
de soirée bien arrosée régurgitée sur le trottoir envoie valser mon ombrelle
et mes visions de Belle-Epoque. Pamplemousse pourri. Poubelle éventrée. Queue-de-renard.
Beurre momifié. Décalage puissant entre
le remugle épouvantable qui attaque mes neurones et le cadre idyllique où je me
trouve. Évidemment, je marque l’arrêt : corps immobile, narine
frémissante, je cherche l’origine du relent. Je commence à avoir
des doutes sérieux sur le menu des réjouissances du restaurant. À moins que ce
ne soit le mal de transport : le radeau balloté sur l’étang ? Je ne remarque
aucun vestige en forme d’étoile sur le sol, ni monticule de déchets suspects
aux alentours. J’en suis là de mes réflexions décousues lorsque l’homme du bac
me lance aimablement.
- -Ce n’est pas au sol
- - Pardon ?
- - Vous cherchez au mauvais endroit, c’est plus
haut.
Réflexe idiot, je lève la tête sans comprendre. Regard bovin et nez
perdu. La ramure de plusieurs arbres dépouillés de leurs feuilles forme
justement une ombrelle au-dessus de nous. Mais je remarque également un arbre
long et maigre dont les branches fines ploient sous un nombre invraisemblable
de minuscules fruits en grappe. Sous la lumière tamisée de ce jour de décembre,
ils semblent duveteux et d’un joli or mat.
- -C’est ce truc-là qui fouette ! M’explique
le batelier. Chaque année en cette période c’est une véritable infection. Et en
plus quand ça tombe, vaut mieux ne pas se trouver en dessous…
Je comprends enfin qu’il me désigne les jolis petits fruits dorés d’un
arbre que je suis incapable d’identifier. Jusqu’à ce jour, j’ignorais que la
nature pouvait créer une telle puanteur qui résume de manière aussi pertinente
le vaste panel des alarmes olfactives pour nous éviter une intoxication
alimentaire. En comparaison, le Durian, ce fameux fruit asiatique à l’écorce de
hérisson qui évoque un munster oublié sur une étagère, ou un lot de chaussettes
en troisième mi-temps, me parait sympathique et gourmand…
Ce fruit charmant est en fait un ovule qui à l’automne se ratatine et
laisse échapper, depuis ses rides et ridules, des molécules d’acide butanoïque.
Seul l’arbre femelle fouette du bec.
Au printemps, l’arbre est séduisant avec ses feuilles délicates en
forme d’éventail qui bruissent au moindre souffle de vent. Il se pare d’une
jolie teinte curcuma à l’automne. Naturalisé en Chine, on le nomme l’arbre aux
mille écus, car dès l’hiver, un tapis d’or émaille le sol à son pied. C’est une
espèce fossile, plus ancienne que notre monde. Qui résiste à toutes les
pollutions, même atomiques. On peut admirer un très vieux tronc mâle et noueux aux
Jardins des Plantes à Paris, dont la bouture a été enfouie vers 1811 par des
botanistes passionnés. Le plus vieil arbre pousse racine sur un campus universitaire
au Japon, depuis plus de 1200 ans.
La nature est bien faite : le Ginkgo biloba possède la meilleure
des armures ou le charme le plus puissant : un parfum rebutant.
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RépondreSupprimerC'est toujours plaisant, même quand ce n'est pas sensé sentir bon... ^^
RépondreSupprimerBonjour Lapo....je réponds en retard, si tard !
SupprimerMerci pour tes mots :)
Bonjour Céline,
RépondreSupprimerL'année dernière, j'ai écrit une nouvelle sur le Gingko pour le concours littéraire les abeilles Guerlain. Celle-ci n'a pas été sélectionnée mais pourtant je trouve qu'elle fait écho à votre joli texte. Je vous laisse mon adresse email : sompairaclou@yahoo.fr pour que vous me confiez la votre en privé (si vous le voulez bien). Je vous remercie pour votre blog que je feuillette toujours avec un immense plaisir.
bonjour Lou,
SupprimerMerci pour votre commentaires. Mon adresse mail "pro" est accessible sur ce blog: n'hésitez pas à me contacter sur nezen@free.fr. A bientôt.