mercredi 22 décembre 2010

« Nettoie les odeurs de ta chambre »

Petite lucarne. Choix d’informations. Trainées de publicités. Et dans ce flot, l’une d’elles m’abasourdit.
Nous sommes au pays des images, des mots délibérément choisis, des scénarii soigneusement échafaudés. Oubliez votre nez et visualisez.

Une chambre bleu layette de petit garçon
Allongé sur un lit, un engin terrible.
Un ado.
Mécanique en ébullition permanente. Farcie d’hormones qui s’exercent au yoyo.
Odeur de bébé la veille. Au matin, par on ne sait quelle alchimie nocturne, une atmosphère de fauve.
La maman déboule dans la chambre. Gros plan sur le visage chiffonné, nez pincé, menton froissé. Puis, le regard pointe les indices.
Des chaussettes flétries dispersées dans les coins, dont on imagine les miasmes crasseux, prisonniers du coton tortillé en accordéon. À l’opposé évidemment, les chaussures, jetées à la sauvage à travers la chambre, ou tombées aux pieds du lit, lorsque l’ado explosé de fatigue, à trouvé la force molle de faire basculer sa basket, à l’aide de son gros orteil enrobé de transpiration, pressé sur le talon. Pouf, par terre. Sens dessus dessous, des semelles libres enfin de diffuser abondamment des molécules aigres de levure tièdes, et de chou acide.
La caméra tourne, effleure rapidement les meubles bleu pastel. Chaises, fauteuil et commodes. Posés au hasard, des T-shirts oints de la sueur des exploits sportifs du rejeton, des traces de boues, d’herbes, sur des pantalons efflanqués et déjà trop courts. Sur la moquette, des bouts de papier divers et colorés : bombec, chips et carambar ; une canette couchée, vide et oubliée, où perle une goutte rigide de sucre desséché. Sur les étagères d’une bibliothèque, des objets non identifiés, mais qui émettent sans doute des ondes nauséabondes. Sur le bureau, où trainent quelques cahiers d’écolier, des bouts de gommes mâchonnées, des feutres ouverts et des crayons usés. Enfin, sur la table et autour d’une poubelle en état d’indigestion, des boulettes de papiers froissés.
Mon Dieu ! Quel tintamarre pestilentiel. Quel désordre olfactif inacceptable ! Veux-tu bien « nettoyer les odeurs de ta chambre ! »
Regard ahuri de l’ado.
Corps interminable et fragile. Cheveux longs. Nez en patate. Bouche maussade : « Ben…quoi ? Nettoyer les odeurs de ma chambre ? »
« Oui, surtout que tu vas avoir de la visite ! »

La honte…des odeurs intimes qui trainent.
Rognures et pellicules fétides.
Des parfums de rêves ou de cauchemars, exsudés pendant la nuit.
Des relents de vie privée d’un jeune garçon qui respire, dort, bouquine, danse, s’énerve, végète, hurle, chante, bouffe, dans sa chambre/piaule/grotte/gourbi.
Des miasmes du quotidien, soigneusement sécrétés au fil des aléas de l’intime mécanisme, qui dessinent tant bien que mal une étiquette d’homme en devenir. Un territoire balisé, griffé, personnel, qui lentement se développe. La voix d’un jeune garçon mue. Son odeur aussi. Le résultat souvent déraille, dans les graves puis les aigus. Distorsions, atmosphère étrange parfois.
La mère s’agite dans la chambre. Ne reconnait plus l’odeur de son tout petit. De son bébé.
« Il faut que tu nettoies les odeurs de ta chambre » répète t’elle.
L’eau de javel n’y suffira pas. Ouvrir les fenêtres pas davantage. Il est absolument nécessaire de se procurer un produit magique, un remède unique qui détruise, encapsule, annihile tous ces fluides invisibles et retords, qui s’infiltrent partout. « Regarde, mais regarde mon enfant, mon bébé, ces odeurs salissent tout, déforment tout ! »
Dépoussiérer. Frotter. Brosser. Nettoyer et faire briller une odeur. Lui rendre son éclat originel, son vernis transparent, son air vertueux de propreté.
Maman brandit un flacon pistolet, un sent-rien parfumé à l’universel, et pulvérise l’ambiance infâme.
Dézinguées les odeurs privées.
Atomisés les parfums de peau.
Meubles bleu aquarelle, vêtements abandonnés, objets perdus transpirent maintenant l’agent industriel « fleurs naissantes » ou « rosée du matin », enrichi au bouloteur d’odeurs rebelles (une pincée de cyclodextrine) qui remet les curseurs à zéro.

C’est plus simple.
Et tout, oui tout, visiblement… reviendra dans l’ordre.








vendredi 17 décembre 2010

Tous en scène

Un village, dans l’arrière-pays. Soirée Cabaret. La salle des fêtes accueille un public nombreux, bavard et détendu. Quelques personnes sont venues à pied depuis chez elles, et transportent sur leurs manteaux un discret relent des premiers feux de cheminée : les odeurs froides d’une nuit sans nuages. Les autres, sortent tout juste de l’habitacle de leur voiture bien chauffée et véhiculent des ondes tièdes et sucrées. Nous sommes en novembre, l’automne est soudain frisquet. J’ai traversé le village au rythme d’une promenade.
Au début de l’allée, qui coupe un pré ponctué d’oliviers, et mène à la salle des spectacles, mon nez froid et engourdi est chatouillé par un mélange savoureux de parfums. Je m’approche d’un pas tranquille vers la lumière chamarrée, j’entends le bourdonnement paisible des conversations ponctué d’éclats de rire. Je ne saisis aucune parole, je cueille un mot hors champs, mais mon nez par contre démarre au quart de tour et débusque les parfums Célébrités du moment, et les incontournables Cologne antiques. C’est un bavardage que je comprends sans effort au sein d’un brouhaha apparemment cacophonique. Je capture quelques molécules, je tisse un réseau invisible où je mets bout à bout des suites logiques, et des fragments effilochés, puis je cerne la totalité du sujet. Je distingue clairement, quelle femme dispense ce monologue de jasmin, et quelle autre offre cette douceur crémeuse de musc et de bois de santal ; je sais à quel homme je dois ce hurlement de coumarine et de lavande, et quel autre chuchote copeaux de bois, angélique et prune. Parfois, je ferme les yeux, et mon nez avance tout seul. Dans ces cas là mon homme reste vigilant à mes côtés, car il craint toujours que je n’offusque un quidam, avec mon air de chien qui hume, aveugle et truffe en avant. Sur le parvis de la salle des fêtes, je découvre un joyeux fouillis de parfums classiques chahutés par les dernières nouveautés, comme je n’en ai plus connu depuis longtemps. Car il faut bien l’avouer, le Parisien de la semaine se parfume peu en soirée. En général, il quitte le bureau, stressé et en retard, et se rend directement au théâtre en courant, fardé de la dose pulvérisée le matin. Parfois un coup de lingette pour faire bonne figure. Bon, je caricature un peu…
Mais ici, dans ce petit village, le parfum est la touche finale d’une mise recherchée, d’un coup de peigne soigné, d’une intention qui prend son temps. Mon nez est sollicité de toute part. Je ne devine pas tout, tant s'en faut, mais je note une tendance plus qu’une autre. La houle parfumée me transporte vers le vestiaire où tous les effluves se confondent en un turbulent concert sans discipline, puis vers la salle où les convives se placent à table. Les odeurs s’apaisent un peu, chacun trouve son siège et le remous parfumé s’immobilise enfin.
Le spectacle peut commencer.
En salle, tandis que débute la valse des serveurs qui serpentent entre les tables sur lesquelles sont déposés, puis ôtés, une succession de plats, dont un colombo parfumé.
Sur scène, tandis que, les uns après les autres, les artistes offrent leurs chants et leurs gouailles.
Les épices du colombo se mêlent aux effluves chauds des acteurs qui, fondant littéralement sur scène, dardent des escarbilles invisibles de carvi, de tannin, de résine chaude, et de sève âpre. Parfums de peaux chauffées par l’excitation, le trac et la chaleur des feux de la rampe. Odeurs de cheveux humides fixés par les laques et autres gels parfumés. Rien ne reste à sa place. Ni les vêtements, ni la coiffure, ni les parfums soigneusement répartis sur le corps comme des gardes fous. Le cœur s’emballe, la température monte, la générosité exulte, et les odeurs s’égarent. Je récolte intriguée au premier rang, et je prends le tout. Ce ne sont plus les spectateurs qui ont droit de citer avec leurs eaux de toilette soigneusement ordonnées et élaborées, mais la scène, exubérante et affranchie, qui dévore l’espace. Chaque geste, chaque éclat de voix, éparpillent, sèment, explorent les vides laissés par les fragrances de bon aloi. Qu’importe le parfum propre sur soi, ce qui domine ce soir c’est l’alchimie particulière sur la scène. L’élan de l’acteur qui chauffe à blanc sa peau. Son corps sans cesse en mouvement, ses mains ouvertes et tendues qui livrent à la salle son odeur privée, comme il balance ses mots vers son public. Les spectateurs attrapent au vol, répondent à l’appel, s’agitent et se soulèvent. Voix et effluves se mêlent et s’assemblent. J’aime ce parfum de liesse et d’abandon. Vibration originale, bordel olfactif jubilatoire puis, brusquement le rideau retombe. Les portes s’ouvrent et les odeurs s’échappent. Le froid de la nuit se répand. Je frissonne. Pied sur terre et nez en berne. Bonne nuit tout le monde, mon nez est fatigué, soudain.

Clin d’œil à Pascal Brunner et Karo…

jeudi 9 décembre 2010

Légende urbaine

Raison donnée ou pied de nez ?
Un parfumeur sans son nez ne peut plus travailler ?

Question que l’on me pose souvent.

J’ai vérifié. Je suis tombée malade. Cloitrée au fond du lit. Un nez comme une patate. La tuyauterie nasale totalement obstruée. Des mouchoirs en papier à ma droite, et sur ma gauche, au pied du lit, une haute pyramide de boulettes de cellulose froissées et humides. Pas moyen de dégager les canalisations. Respiration de crapaud, et oreilles farcies au coton.

Monde clos.

Mais

Moulinette à volute, en action.

Aspirine effervescente UPSA 1000 : moutarde, sève, citrique, minérale, ozone, salé, bêêêrk ça grince

Aspégic 1000 en poudre : mandarine, farine, salée, acidulée, minérale, bêêêrk c’est écœurant

Doliprane 1000 effervescent : orange amère, copeau de bois et cornichon… bêêêrk c’est infect

Amoxicilline- Acide clavulanique (générique de l’Augmentin) : sirop de souffre, rondelles de citron, biscotte, colle qu’on sniffe, encre papier journal….bêêêrk c’est immonde

Derinox : 2 pschitt dans le nez. Flotte et salicylates… Bof, c’est tout ?


Assez, assez …mon nez !
Fiche-moi la paix !!
Pas moyen d’être tranquille, même quand la mécanique générale se déglingue
J’ai fini par dormir. Je l’ai laissé tout seul, au bout de mon visage… abandonné

Heureuse de le retrouver à mon réveil

Légende urbaine vaporisée : le nez fonctionne, même bouché

Vérité vraie : on devient mal embouchés dès qu’on est un petit peu malade.



vendredi 19 novembre 2010

Mistral

On murmure les soirs de Mistral, le récit suivant.

À une époque, bien loin de nous, quand le temps s’exprimait en saisons, le vent soufflait comme il arrive parfois en cette région, depuis des heures et sans relâche. Il traversait les plaines, s’engouffrait entre les villages, froissait les arbres et les cultures, assommait le bétail et les hommes.
Lorsque la nuit vint, le Mistral cognait encore contre les murs d’une belle maison, bâtie sur un bord de terre piquée de vignes. Il glissait sous les portes en soulevant la poussière oubliée sur les tomettes usées, et parvenait à s’infiltrer entre les volets clos. La lumière des chandelles vacillait brièvement, agitant des ombres sur les visages attentifs des membres d’une famille et de proches voisins, regroupés autour de la table de la vaste cuisine. Par moment, leurs regards s’échappaient vers l’étage. Interrogatif. Silencieux. Puis lentement, avec un léger soupir, leur attention était à nouveau attirée par l’ondulation des flammes.

Au dessus, dans la chambre des maitres, une femme donnait naissance, avec juste l’effort nécessaire pour profiter du sentiment heureux et paisible du travail bien fait. L’enfant était beau et bien formé. Son premier cri clair fut lancé vers le plafond badigeonné à la chaux. Le cri jaillit de la minuscule poitrine et, le sourire bienveillant de la belle nourrice qui le tenait, tout gluant et sanguinolent dans ces bras, se transforma en grimace hideuse. L’enfant puait. Non pas, des miasmes intemporels et habituels donnés par la mise au monde : sang, eaux, sueurs, muqueuse et selle. Émanation chaude et fade, métallique et musquée. Mais, d’un remugle terrifiant d’ail cru, de glèbe saumâtre et d’orange pourrie. De surprise elle faillit lâcher l’enfançon, et ne put retenir un gémissement en le déposant dans les langes, pour le débarrasser rapidement des scories de l’enfantement. Le nouveau-né emmailloté bien serré fut déposé dans les bras de sa maman. L’enfant ouvrit sa bouche, cherchant le sein. L’haleine fétide atteint le visage fatigué de la mère. Elle ne trouva pas les mots, mais son visage exprima un profond dégoût, se détourna, et les mains repoussèrent le minuscule fardeau. Le père qui faisait les cent pas derrière la porte, entendit les pleurs et s’engouffra, rayonnant et conquérant, dans la chambre. Et s’en retourna, accablé et l’épaule basse, aussitôt qu’il se pencha vers son enfant nouveau-né. La porte se referma. La sage femme ne savait que dire, ni que faire, n’ayant jamais eu d’expérience semblable sur sa longue liste de naissances. Une gêne silencieuse s’installa dans la chambre. On entendait seulement les rafales chaotiques du vent, et la respiration discrète et régulière du bébé.
Lentement, comme un récipient s’emplit jusqu’à ras bord, lorsqu’un robinet mal fermé laisse échapper des gouttes régulières, la pièce fut petit à petit envahie par l’effroyable puanteur des premières expirations du nouveau-né. La sage femme quitta les lieux précipitamment, le souffle court, le corps, comme enroulé autour de son nez. La mère resta seule, son bébé à ses côtés, abandonné au bord du lit. Beau et serein, l’air heureux, il dégustait l’atmosphère avec bonheur, et rejetait un filet de merde invisible, sans se soucier des grimaces de sa mère au bord de la nausée.

Pendant ce temps, au rez-de-chaussée on commentait l’événement sans trouver raison, ni réponse. Le ton montait. Il fallait se décider, chercher une solution. Mais d'aucuns n’avaient ouï dire d’un tel drame dans les environs, ni par delà. Aucun être humain à leur connaissance ne pouvait empester ainsi, encore moins un nouveau-né sans histoire. Dans le brouhaha des protestations, une voix douce et fluette perça

- Le vent… entendez-vous le vent ?

- Hé bien, quoi le vent, Grand-mère. Répondit agacé, le père du nourrisson.

- Le vent qui est si fort ce soir, si violent et rageur. Sans doute le petit en venant au monde, en a-t’il chopé un morceau dans sa gorge ?

- Mais qu’est-ce que tu nous jaspines, là ?

- Calme-toi Pierre…Le rassura la Tantenette, en posant sur son bras, sa main tachée de fleurs de cimetière. « Elle veut simplement dire, que le vent et la vie se sont sans doute emmêlés les gaz »
Regards pensifs et mines serrées, un silence sceptique accueillit cette version des faits et flotta un bref instant sur l’assistance, quand soudain une longue plainte de vent s’engouffra par la cheminé, et souffla les bougies d’un des beaux candélabres posés sur le buffet. Tous sursautèrent. Un merveilleux parfum de pois de senteur et d’orangers en fleurs, de sucre légèrement caramélisé et de navettes passées au four, glissa sous le nez de chacun. Tous sourirent sans en avoir conscience, et les traits de leurs visages, hachés par le soleil et les travaux de la terre, se détendirent soudain, lisses et lumineux.
Le père alors, bondit de sa chaise et se précipita à l’étage, avalant les marches d’escalier deux par deux. Il revint quelques instants plus tard, le bel enfant au doux visage entre ses bras, tandis que l’on entendait les appels tragiques de sa mère, qui hurlait sa douleur et son impuissance.
Le père traversa d’un pas déterminé la pièce où chacun, autour de la table, se tenait à demi debout, hésitant à intervenir, ne sachant quoi décider, pour finalement se rassoir la fesse lourde, quand ils entendirent la porte de la maison se refermer bruyamment. Une saute de vent parfumé parvint à se faufiler jusqu’à la cuisine et balaya une nouvelle bougie.
La Tantenette soupira. Elle quitta la table et ralluma une à une, en prenant tout son temps, les chandelles qui avaient été soufflées par le Mistral enivrant.
Le père réapparu. Sans le tout petit.
Les visages se levèrent vers lui, l’interrogeant en silence. Inquiets. Étrangement soulagés également.
La grand-mère émit un grognement désapprobateur.
Le père ne moufta mot et monta sans plus se préoccuper des visiteurs, dans sa chambre, rejoindre sa femme.
Les pleurs de la mère cessèrent.
Personne n’osa proférer un commentaire. On attendit. Longtemps. Le nez sur le menton.
Le Mistral poursuivait sa sarabande assourdissante. Il frappait les murs, peignait les cyprès, qui crépitaient sous l’assaut, brossait les micocouliers aux feuillages échevelés, arrachait de longs sifflements plaintifs, lorsqu’il tentait de glisser entre les tuiles du toit.
Puis le silence vint.
Et l’on entendit distinctement un rire doux et paisible, complice de l’aube.

L’aïeul déplia son vieux corps, et adressa à l’assistance un regard qui commandait de la laisser seule maitresse de la suite des événements. Même la Tantenette ne broncha pas, et hocha la tête en silence. La vieille resserra son châle autour de ses épaules, franchit le hall au son de ses souliers frottant le sol, et quitta la maison.
Sans hésiter, elle s’engagea dans l’allée qui menait de la demeure des maitres vers les champs cultivés. Au sommet du chemin de terre, avant de basculer vers les vignes, le vent prend toute sa course depuis la haute vallée, car aucun obstacle ne l’empêche de débouler et s’abattre, querelleur et joueur, sur un murier robuste et trapu, planté là depuis si longtemps qu’on l’imagine immuable. Sa large ramure, sombre et serrée, couvre depuis toujours les promeneurs, d’une ombre fraiche et plaisante, quand le soleil devient trop blanc.
La grand-mère entendit le rire cristallin du nourrisson, et se dirigea vers l’arbre. Le Mistral était devenu brise délicate, et les parfums de la nature parvenaient léger et caressant. Le corps emmailloté était suspendu sur la branche basse du murier telle une énorme gousse de haricot blanc, balloté par le courant. Elle s’approcha. Un soubresaut de vent fit pivoter le cocon, et le visage du bébé apparu, potelé et pâle dans la lumière dorée de cette aube d’automne. Les joues pleines, rondes et tendues intriguèrent la vieille. Elle décrocha l’enfant et le ramena chez lui. Le tout petit n’avait pas desserré les lèvres et son regard était devenu bien sérieux.
La grand-mère pénétra dans la demeure, l’enfant blotti dans son giron. Un murmure heureux et soulagé accueillit le nourrisson, qui n’avait toujours pas ouvert sa minuscule bouche d’un rose tendre d’aubépine. On se pencha à l’unisson sur le petit paquet blanc, que l’on avait déposé religieusement sur la table de la cuisine. Le bébé cessa de s’agiter. Son regard grave parcouru l’assemblée, ses lèvres s’entrouvrir comme pour offrir un baiser et, ses joues gonflées se détendirent. Un tourbillon d’effluves terrifiants cingla violemment le visage des adultes groupés autour de la table. Un vrombissement terrible souleva leurs vêtements, envoyant valser verres, assiettes et tous les objets posés sur les meubles. Les tableaux se décrochèrent et chutèrent avec fracas, le feu dans la cheminée se volatilisa, tandis que les cendres jaillirent et souillèrent le moindre recoin, jusqu’aux poutres du plafond. La vague odorante rugit de plus belle, corrosive et rance, et se répandit par tous les couloirs, inondant chaque pièce, s’engouffrant dans les escaliers, pour finalement arracher la porte de la chambre où, l’angelot était venu au monde quelques heures plus tôt. Sur le lit, qui conservait toujours le désordre et les marques de l’accouchement, les parents dormaient, abattus d’émotions. Le Mistral les souleva en douceur et, sans les éveiller, brisa la fenêtre pour les emporter dans ses reitres, par delà les collines. Jamais on ne les revit.
Dans la cuisine, la vague nauséabonde se dissipa. Le calme revint.
Les femmes et les hommes présents ouvrirent un œil prudent, s’ébrouèrent comme pour chasser quelques poussières âcres et brulantes, et contemplèrent la pièce chamboulée. La table autour de laquelle ils se trouvaient auparavant avait disparu. Une pénible odeur d’humus faisandé, de fruits putrides et de métal broyé, affleurait alentour. Nulle trace de l’aïeul, ni du bébé.

Depuis ce jour, la Vie et le Mistral ont mis un terme à ce terrible désordre et chacun reste à sa place.
La belle et grande bâtisse où les Éléments se sont embrouillés à, depuis disparue, et nulle pierre ne témoigne de sa présence.

Aujourd’hui, comme toujours depuis la nuit des temps, le Mistral possède tous les parfums de la terre et des inquiétudes du monde. Et lorsqu’il se répand, il traine après lui la colère sourde des hommes.

Et lorsqu’un nouveau-né vient au monde, rapidement une douce odeur de pois de senteur et de galette caramélisée, suinte de son crâne rond, et apaise ainsi, l’inquiétude des hommes.

Enfin, en général…

mercredi 10 novembre 2010

Son & Image 1

Rayon CD et DVD.
Lettres modernes pour des odeurs vertes et aquatiques, de barquettes plastiques et de rondelles miroirs.
Oubliée, celle douce et sucrée du vinyle, de la chemise cartonnée, imprégnée du parfum des lieux, cuisine, cave ou garage.
Qui se souvient encore de l’odeur des bandes à cassettes qui se dévidaient inévitablement en pelote ?

Rayon T. V
Grands et gigantesques écrans. Odeur chaude et pointue des téléviseurs. Fragrance intemporelle ? Pas certain.
Dans mon enfance, le petit écran, comme on le nommait alors, diffusait des ondes olfactives proches du liquide vaisselle concentré, mélange de citron vert et de muguet précoce. Maintenant, la télévision sent presque la rose, très pâle et fanée. Évidemment, c’est le progrès : la température des composants lorsqu’ils fonctionnent, le matériau avec lequel les coffrages sont fabriqués, et les minuscules éléments électroniques ne sont plus les mêmes.
Étrangement, ce qui ne varie pas c’est l’odeur de la poussière qui adhère à l’écran et mijote doucement. Imperceptible lorsque nous en possédons qu’une seule, voile doux et tiède, léger et suranné, quand une dizaine d’écrans illuminent au même moment un espace clôt.

mercredi 3 novembre 2010

Hotel et Restaurant…de Charme

Weekend flânerie. Nous avons réservé une chambre d’hôtel dans un lieu charmant et pittoresque. Trois petites étoiles étincellent sur la porte. Nous sommes reçus avec chaleur et simplicité, puis accompagnés à notre chambre.
Froufrou de serrure, la porte s’ouvre et je me ferme instantanément. Un flot d’informations artificielles percute mon visage, mon cerveau se recroqueville et mon nez coupe le réseau. Mais dans la fraction de seconde nécessaire pour bloquer le flux, j’ai tout de même le temps d’identifier une Eau d’Issey, particulièrement noyée dans le jus de concombre en conserve.
Alarme et panique : je ne vais pas pouvoir dormir dans un tel hourvari olfactif !
Et pourtant, comme la chambre est ravissante avec sa jolie vue sur le parc, sa salle de bain irréprochable, sa décoration harmonieuse, composition parfaite pour magazine papier glacé. Mais parfum criard. Absurde et lancinant. L’employé quitte la pièce très satisfait de nous avoir fait découvrir un cadre si bien ordonné et, dès porte close, mon radar se met en marche. Nez en l’air, je tente de localiser le diffuseur de parfum dans un angle du plafond. En réalité, il trône sur un guéridon : un bouquet de « spaghettis », planté dans un long vase élégant, baigne dans un liquide vert et pulse généreusement une pelote de volutes invisibles, formant une salade indigeste de cailloux salés, de fleurs de lotus et de bouts de bois drossés par les courants marins. Calonne, salicylates, et une large dose de nonadiénal. J’attrape l’objet du délit du bout des doigts et zou, dehors, à l’autre bout de la terrasse. La fenêtre restera ouverte toute la soirée pendant que nous dinons chez nos amis. La chambre, à notre retour est glacée, l’odeur, toujours présente. Je finis par m’endormir, le visage coincé dans mon T-shirt. Doudou apaisant et nez chez moi. Avant de sombrer, j’ai une pensée pour mon père qui lors de ces voyages, enveloppe souvent son oreiller avec sa chemise, car il supporte difficilement l’odeur des lessives locales ! Je me rappelle m’être un peu moquée de lui. Mais finalement me voilà à mon tour piégée par le nez. Mon odorat devient, avec le temps, de plus en plus sensible. Ou alors, nous avons un petit côté Diva chez les Ellena ?
Le lendemain nous sommes invités à déjeuner dans un restaurant situé au cœur de la vieille ville de Genève. Nous franchissons tranquillement le seuil en bavardant de choses et d’autres, mais j’interromps soudain mon babillage, car une équipe entière de Rugby Man en bout de jeu, me prend dans ses bras et m’enlace vigoureusement. En fait, une extraordinaire odeur de sueur chaude, de chaussettes humides et d’urine fraiche m’empoigne à plein nez : fromage fondu, ail rissolé et vin blanc bouilli. Miam. J’avais oublié que cette ville sent les pieds, dès les premiers froids. Faits d’hiver terriblement envahissant, que ma mémoire d’enfant a dégagé sans état d’âme, dès que nous avons quitté la région. Sans doute parce que je n’appréciais pas la fondue au fromage à cette époque. Odeur oppressante, amertume aigrelette du vin blanc, et bouts de pain rassis : rien qui ne puisse séduire alors ma gourmandise de petite fille. Depuis j’ai changé d’avis, mais je déplore toujours d’en conserver une trace épaisse sur ma peau et mes vêtements. Oui, oui, une Diva, vous dis-je qui ne supporte plus, ni les parfums trop élaborés et bruyants des hôtels, ni les arômes simples et roboratifs de la bonne cuisine un peu…vulgaire ? Ce qui ne m’a pas empêchée de dévorer mon repas. Miam ! Et de me changer plus tard. Avec un lot de vêtements parfumés à la lessive « ouste krapoto » et « glouton schlingueur », afin de reconquérir une neutralité calibrée comme il se doit depuis les années 70 : musc blanc flapi et tensio-actif cruellement aldéhydé. Faute de mieux…

Oups ! J’ai oublié en quittant l’hôtel de rapporter sur le guéridon de la chambre, le bouquet de spaghettis parfumés.


Pour Clothilde, Gabriel et Alex. Encore merci pour ce w.e.
Merci à Hélène pour m’avoir offert l’idée des « spaghettis », tiges d’osiers poreuses, qui par effet de capillarité, aspirent et diffusent très efficacement le parfum liquide.
Enfin, ce texte est dédié à toutes les « chochottes » du blair, dont je fais partie !

mercredi 27 octobre 2010

Sur un banc 2

Il est un banc sur la route de Cabris qui mène à Grasse. Étroit et usé. Noir, d’avoir été brossé par le soleil et la pluie. Un banc isolé, cloué sur le bord de la chaussé à une époque où les trajets se faisaient souvent à pied, où la voiture n’était pas systématiquement utilisée pour aller chercher le pain. Un banc pour recevoir les jambes fatiguées du marcheur, heureux de trouver là un instant de répit propice à la songerie, et mâchonner le quignon de la baguette, achetée quelques minutes plus tôt. Ce lieu de repos n’a pas été choisi, ni aménagé par hasard. Il est au bord d’un vide. Comme une modeste broche fixée dans l’échancrure de la montagne entre deux mamelons boisés. Pour que notre regard s’échappe, vers l’extraordinaire spectacle des vallées et des collines qui se succèdent en vagues bleus et mauves, puis s’attarde sur la goutte de mercure du Lac de St Cassien et butte enfin, sur les premiers contreforts de l’Esterel au bout de l’horizon. Un banc au seuil des vents qui s’engouffrent entre les ravines, glissent au long des méandres des routes qui creusent des sillons depuis la mer vers l’arrière-pays, puis déposent le gain de leurs rapines aux pieds de ce cul-de-sac. Assise sur le banc rabougri, je penche mon nez dans le vide. Je ferme les yeux pour oublier les maisons qui tachent les pentes, je verrouille mon ouï aux rumeurs de la circulation dans mon dos, puis je disparais sous les jupes de la montagne. Effluves froids de résines. Le vent est glacé, mais la forêt de pins en contrebas respire une douce odeur de poivre, de citron vert et de sucre de canne. Je distingue le parfum des olives parvenues à maturités : odeurs de goudron et de cuir mouillé. Celle de l’humus évidemment, chaud et amer, car ces derniers jours la pluie est tombée en abondance. Je tourne la tête à la recherche de nouveaux soubresauts, ou d’un ruban odorant qui m’aurait échappé. J’attrape le bout d’un galon, l’entortille autour de mon nez et discerne l’odeur caractéristique des cyprès de Provence : mélange subtil et saisissant de sève fruitée, aromatisée aux épluchures de carottes et de concombres. Aucun reliquat d’iode ou de sel. Le souffle marin ne parvient pas jusqu’ici, excepté le jour du grand vent jaune, qui franchit parfois la Méditerranée en transportant dans sa tournure, un échantillon de sable du Sahara, un tourbillon d’algues broyées, et une risée de particules de poissons séchés. Mais à cet instant, la brise est comme à son habitude en ce début d’automne, quand les températures chutent doucement, et que le taux d’humidité augmente : je trouve en abondance le parfum de craie des montagnes calcaires, celle plus lourde et poisseuse, légèrement moisi, de la glaise, car les pentes par ici sont également formées d’argiles. Le remugle des brûlages disséminés de loin en loin, dont je note les nombreux toupets blancs effilochés, qui serpentent entre les vallons et voilent les collines telles de longues chevelures diaphanes de sorcières. Enfin, discret dans un coin, le fumet étrange de l’écorce du chêne-vert, amer, âpre et métallique, proche de la saveur d’une tablette de chocolat noir qui a pris d’abord un coup de chaud, puis un coup de frigo.
Je frissonne. Le vent transperce mon gilet un peu trop léger quand le soleil disparait soudain derrière un nuage. J’ai froid. L’inconfort m’empoigne et mon nez devient secondaire. Il est temps de retrouver l’odeur fade de ma voiture et de poursuivre mon chemin.
J’abandonne à regret le banc public, le panorama merveilleux et paisible, en me promettant de revenir en janvier, chaudement vêtue, pour respirer l’odeur marine des mimosas en fleurs.

jeudi 21 octobre 2010

Pause café

Rendez-vous pris dans un bistrot, à l’angle de Paris. Qu’importe la station, il se trouve toujours un troquet, quelques tables et des chaises, pour nous accueillir. Un p’tit noir au comptoir, un expresso en salle, un café en terrasse, le temps passe. Mon rendez-vous est en retard. Je guigne alentour. La rue étroite est semée de promeneurs d’automne, qui musardent et profitent des rayons d’un soleil encore tendre. Le parfum du café vient chatouiller mes narines. Tiède et grave. Velouté et brulé. Brève échappée. Je me souviens d’un livre, écrit par Vicki Baum (1888-1960), dont j’ai oublié le titre. L’histoire se déroule aux États-Unis, vers les années 30, dans une famille très pauvre. La mère prépare le café, qui coute une fortune, et distribue soigneusement une petite tasse à chaque membre de la famille. Les corps s’étirent sur leurs chaises, tandis que l’unique gorgée brulante est scrupuleusement savourée et son souvenir, longuement apprécié sur la langue. Une jeune fille cependant ne boit pas son café. Elle se lève et bascule sa tasse au dessus de l’évier, le visage penché sur la minuscule et brève cascade sombre. Elle déguste l’extraordinaire parfum. Quel gâchis, s’écrient les membres de la famille ! Et la mère de répondre que chacun a le droit d’apprécier son café comme bon lui semble. J’avais éprouvé en lisant ces lignes, la même réaction choquée que l’ensemble de la famille : sentir est tellement bref et éphémère quand l’acte de goûter est affaire de se nourrir. Sentir ne sert à rien. L’odeur s’échappe sans laisser de traces. Erreur. J’avais alors une réaction pusillanime. Par la suite j’ai totalement oublié ce livre, son histoire et ses protagonistes, mais j’ai conservé le souvenir de l’odeur coupable. L’odeur plaisir. Bien souvent, les odeurs sont chargées de hontes. Celles que l’on dissimule, celles que l’on fuit, celles qui nous font rougir. Quand elles inspirent un sentiment hédoniste, elles sont appréciées des amateurs, revendiquées par les connaisseurs, mais aussitôt vilipendées lors de périodes d’insécurité, de régression sociale, sans parler des hoquets de quelques religions. Sentir est une aubaine, un instant fragile de jouissance éphémère. De curiosité et de tolérance. En fait, cette jeune fille prenait et offrait la plus douce des résistances devant l’adversité. J’ai mis des années à l’estimer. Je goûte davantage les odeurs depuis.
Mon nez au dessus de ma tasse, je mesure une nouvelle fois toute la richesse sensuelle de ce parfum unique et identifiable. Et je constate ensuite comme à chaque fois que le goût est moins savoureux, simplement brusque et acide. Mais il ne me vient pas à l’esprit de vider ma tasse sur la coupelle pour m’abreuver d’effluves. Je préfère laisser trainer mon nez, et goûter le parfum rêche et sévère des feuilles en décomposition, celui boisé, épicé, tendance Italienne, de l’eau de toilette de mon voisin de table, l’odeur de bouillon de poireaux des aisselles du serveur qui passe en courant d’air, le parfum shampooing bouclette, du caniche de Madame, qui vient d’être toiletté. Tien, il lève la patte et arrose l’enjoliveur de la voiture : cambouis urine, le mélange est étrange. Petits messages, passe-temps paisible. Aller et venues des passants. Une ombre s’incline, relent doux de noix de coco, amertume de la nicotine, mon rendez-vous vient d’arriver. Une excellente raison pour reprendre un café.
Pour La Flore et notre rdv reporté aux Calendes Grecques... je ne désespère pas y parvenir un jour. Et pour tous ces moments cafés sur un coin de table à bavarder, à lire, ou à rêver...









mercredi 13 octobre 2010

Vaisselles cassées…

Citron
Le savon de vaisselle français crapote le zeste depuis des générations, tandis que nos mains bassinent devant l’évier en un mouvement attentif et zélé. Bavardage léger lorsque l’on est à plusieurs, rêverie en solitaire le plus souvent, mais toujours les mêmes outils, éponge et flacon souple, pour entreprendre ce petit bain. Une pression quand la mousse devient trop légère, un peu d’eau chaude pour diluer, vapeurs de propreté nous voilà rassuré. La graisse est dégommée par l’acide citrique, la cuisine fleure le citron chaud, acidulé et métallique, on en oublierait presque la couleur de bouillon de l’ultime bassine. Depuis quelques années le marketing a bien tenté quelques notes de modernités. Vinaigres de fruits rouges, cocktails pamplemousse/ citron vert, fleurs de nos régions. Mais rien n’y fait. Le Français tient à son agrume pressé. Soucis d’efficacité. Prouvé. Testé. Par plusieurs familles de ménagères de moins de 50 ans, et plus évidemment.
A l’origine du choix de cet effluve, une société américaine, qui eu l’astucieuse idée de proposer un liquide vaisselle parfumé au citron, au moment où la France savonnait encore au Marseille en paillettes.
Pour le soin des mains, le citron. Pas pour la vaisselle.
Tout simplement parce qu’à cette époque les femmes prenaient soin de la blancheur de leur épiderme, et que nos grands-mères avaient l’habitude de passer leurs mains au jus de citron pour les blanchir, nettoyer leurs ongles et détruire les miasmes des légumes épluchés.
Avant toutes choses, séduire la femme avec un parfum de vérité.
Avec les années, la notion « soin citron » a été petit à petit remplacée, sans que nous en prenions conscience, par le principe « décape citron ». Qu’importe la main, c’est la vaisselle qui doit être blanchie. Changement de mœurs. Évolution invisible, mais inexorable de la société qui déplace ses centres de priorités, et adapte les gestes quotidiens à un nouveau présent. Petits bouleversements de nos habitudes, sans remous apparent.
Aujourd’hui. Reniflez.
Nos repères sont en train de changer devant nos éviers.
Le citron tout doucement se fait la malle, et va zester ailleurs. Le vent du bio, du naturel et de l’aromathérapie souffle sous notre nez. L’air de rien, devant le rayon sans fin du supermarché notre main hésite, avance, puis se retire. Citron ? Et d’abord, pourquoi du citron ? Quelle est la raison scientifique ?
Les herbes du jardin, c’est bien.
Plus naturel que le citron, et moins agressif.
Basilic, Romarin et Eucalyptus, Thym et Sarriette sont les nouveaux pourfendeurs de gras et de saletés, qui par-dessus le marché épargnent notre environnement. Liquide transparent, étiquette verte, petits insectes et guirlandes d’herbes : tout est dit sur le flacon ! Les bienfaits du potager et de la tisane réunis, pour le bonheur de notre planète, et de nos mains.

Nettoyer sans bobo
Voici le nouveau credo
Et pour nos éviers
Un nouveau fumet !
Anéthol, camphre, et toute la pharmacopée…

Popotes et spéculations
Car de toutes les façons
La dernière eau de vaisselle reste une constante au fil des décennies : trouble et maronnasse.
Quant à l’odeur, nous sommes tous d’accord : dégueulasse !


Vaisselles foutues….

mercredi 6 octobre 2010

L’argent n’a pas d’odeur

Sujet d’actualité. Préoccupation d’une génération. Depuis les années 80, l’argent fait le bonheur. Odeurs et saveur d’une société de consommation.
Les billets possèdent un fumet particulier suivant le papier employé. Au cours de mes voyages j’ai constaté la douceur du dollar, la note d’olive verte de la livre anglaise, de bol de céréales, variété flocons d’avoines, des francs français, boisée du franc Suisse, et la note poivrée presque métallique des billets du Laos.
Les pièces par contre jouissent d’un parfum universel de crasse. Acide et aigre avec une arrière senteur de mélasse, savant mélange de sueur, de graisses diverses et de poussières.
Les cartes bancaires ne parlent pas beaucoup. Argent virtuel, elles se contentent d’un minuscule relent cru de plastique, à peine relevé lorsque le nez s’approche de la bande magnétique. Imaginez si un jour prochain les banques toujours en veine de profit publicitaire, proposent des cartes de crédits au parfum de votre choix : fraise, chocolat, floral, boisé ou noix de coco pour s’imprégner d’un sentiment de satiété à chaque manipulation… jusqu’à l’indigestion ?

lundi 4 octobre 2010

Les marqueurs

Comme d’habitude, je m’éveille au son de la radio. Le bourdonnement coutumier accompagne ensuite le petit déjeuner, les rubriques des journalistes ponctuent l’écoulement des minutes offrant des points de repère, afin que nous soyons chacun vêtus, brossé, débarbouillé, à l’heure juste, près à entamer notre journée. Ce matin, mon attention est soudain attrapée par un mot sensible : odeur. J’interromps mes activités et prête une oreille attentive au commentaire. Le reportage concerne l’entrainement des chiens policiers à mémoriser, puis reconnaitre l’odeur du « méchant » sur le lieu d’un crime. Évidemment, les méchants ne développent pas une odeur caractéristique, mais chaque individu possède sa propre identité olfactive, telle une empreinte digitale. Les chiens font la distinction. L’homme, non. Enfin, sauf dans notre entourage immédiat et familier. Je connais l’odeur spécifique de mes enfants, celle de mon compagnon, de mes parents… Mais je ne suis pas informée de celle de mon épicier. Sauf s’il devient mon amant, mais ceci est une autre histoire sur laquelle je ne souhaite pas m’attarder, je ne désire pas avoir d’ennui avec mon cher et tendre. Ainsi, je peux reconnaitre en aveugle un proche par l’odeur de sa peau. Mais je n’identifie pas une simple relation, un collègue de bureau par exemple. Je ne parle pas de parfum, mais bien de l’odeur de notre épiderme. Les chiens en revanche, détiennent la capacité de repérer et stocker des centaines de marqueurs odorants de personnes inconnues. On leur fait renifler un tube dans lequel a été conservé l’odeur du malfrat, et hop, hop, petit trot, le voilà qu’il vous conduit dans l’antre du criminel. Ah, ah, pris en flagrant délit de suer !
Avec un peu d’entrainement un parfumeur pourrait-il…, non, vraiment, aucun intérêt. J’abandonne toutes élucubrations idiotes. Sinon, pour en faire un personnage de roman policier.
Imaginons un type, genre Cyrano, nez en chaloupe, qui ramasse et écope tout ce qui lui passe sous le blair. Mains dans le dos, visage courbé, il hume les humeurs des victimes, des protagonistes, renifle l’ambiance, l’atmosphère des lieus. Il note une odeur de peau séchée sous les ongles laqués de la standardiste, un reste de lait caillé sur le chemisier de la belle mère, qu’il découvre également sur la moquette où git la victime. Il remarque et identifie une odeur puissante de whiskey 20 ans d’âge, qui s’échappe d’un verre renversé sur le bureau, mais dont les lèvres de la victime ne sont pas humectées, et paf ! Le coupable est le duo secrétaire/belle-mère. Explications. La standardiste a ébouillanté jusqu’au sang le pov’ type en trébuchant malencontreusement sur le tapis, en lui apportant son café du matin. Prise de panique, elle a tenté de sécher avec un kleenex, son patron. Mais de minuscules lambeaux de peaux ont été arrachés, et le derme a glissé sous ses ongles. Tandis que la belle-doche ravie de se débarrasser de cet homme encombrant a aussitôt réagi, et camouflé l’affaire en un vulgaire accident d’alcoolisme.
Bon, je sais, tout ceci ne tient pas très bien la route: il est difficile de tuer quelqu’un avec un café au lait chaud. Mais bon. C’est une tentative pour planter le décor. Les premiers pas d’un nouveau personnage dans le monde étrange des marqueurs invisibles…

lundi 27 septembre 2010

Le verrou

J’entretiens les fondations de mes souvenirs engrangées depuis presque 18 années de métier. Ce matin j’exécute des exercices d’olfaction, comme il m’arrive d’en faire régulièrement pour bousculer les tiroirs de ma mémoire qui possèdent une tendance naturelle à gripper. Je sens des touches, bouts de papier neutres et blanc, imbibés d’une petite quantité de matières premières très diluées, naturelles ou synthétiques. Je dois retrouver le nom de cette matière. Rapidement. Mécaniquement.
Étudiants, nous avons pratiqué cette gymnastique indispensable, premier apprentissage du métier de parfumeur. Nous avons longuement détaillé sur nos cahiers l’odeur, inconnue ou familière, déposée sur la mouillette, puis nous l’avons mémorisé, répétant quotidiennement nos exercices de flair en aveugle, comme un jeu, jusqu’à ne plus avoir d’hésitation. Prise de repères abstraits, fragiles, difficile parfois à verbaliser, souvent chargés de souvenirs intimes.

Genève
École

Voici les premiers mots qui percutent mon cerveau ce matin quand je passe la mouillette sous mon nez. Puis un grand blanc.
Aucun nom sur ce produit.
Pourtant, je connais ce matériau et l’utilise de temps à autres. Mais à cet instant, j’éprouve un vide. Une sensation étrange qui m’amuse et m’intrigue. Je redresse la tête, jette un œil à l’extérieur du bureau et rince mon regard sur le paysage. Je frotte ensuite mon nez contre mon pull et aspire l’odeur familière de ma peau. Stratagème personnel pour mettre les curseurs à zéro. Je tente un nouveau snif du papier bavard.

Genève
Gris, tout s’émiette et se disperse. Blocage. Nan, je n’irai pas !

Je patiente quelques secondes. J’opère un vide dans mes canaux de détections et pointe un nez prudent, avec l’impression réelle qu’il s’allonge de quelques millimètres, tandis que mes narines déploient leurs ailes aux maximums !
Je force mes moyens d’analyses, mes anciens réflexes de dépistage à ânonner un vocabulaire descriptif d’école élémentaire. Miellé, amande, poussière… mais ne puis en dire davantage, car la liaison est soudain coupée.
Bigre.
Plus ne nez. Passons à la tête.
Glissement de terrain, je quitte la réalité et plonge dans la contemplation.
À bien y réfléchir, je constate que le mot Genève surgit, dès que ce composant passe sous mon nez, depuis les premières séances d’olfaction à l’ISIPCA. Donc, le phénomène est ancien. Pourtant, c’est la première fois qu’il musèle toutes autres formes d’introspection. Quel est ce produit qui m’empêche de sentir ? Pour quelles raisons je ne peux lui donner un nom ? Comme je souhaite comprendre pourquoi mon nez achoppe sur le même mot, la même image floutée, je résiste au besoin de quitter mon bureau pour aller demander à mon assistante le nom du perturbateur. Car aujourd’hui j’ai une image. Vague et grise, mais nettement présente. Une sensation physique également. De douceur, enrobée de gêne. Quelque chose affleure à mon insu et vient se révéler sous une forme simple et sensible. Vais-je plonger dans la psychologie de bazar, l’auto-analyse de comptoir ? Je choisis finalement la tentation de « Madeleine ». : Je déguste une forme de saveur d’aujourd’hui et j’opère un grand écart avec mon passé.

Genève
École
Ma fille
Déménagement

Ma fille vient de changer d’école.
Au même moment, mais des années auparavant, j’ai découvert ma nouvelle école à Genève. Aujourd’hui, les parfums du paysage, de l’air, des routes ne sont pas les mêmes que dans cette ville au creux des Alpes. Et pourtant. Je goûte à la même odeur et possède les mêmes craintes. Comme ma fille, quand nous pénétrons dans cette nouvelle école. Tous les matins une chaude bouffée de sueur d’enfants, de savon et de papiers, nous saute au visage lorsque nous franchissons l’accueil. Je laisse ma fille, hésitante, au bord des larmes en lisière de classe. Je quitte les lieux, et, geste inconscient, je me mouche. Nez rincé, encéphalogramme plat, je file vers mes propres activités.

Oui, mais.
Exercice du matin. Musculation et petite crampe. Tiens, ça coince sur la touche.

Je reprends mon bout de buvard et j’accepte de regarder l’odeur. Je comprends enfin ce qui me freine. Une toute petite, toute fine odeur, de colle blanche, de lait aigre, de confiture gâtée. Un parfum d’école maternelle. Dilué et suranné.
Je suis bien loin de la définition forgée sur les bancs d’une autre école, bien des années plus tard, repoussant au loin le mot Genève et les images associées.
Alcool benzylique : sperme, miellée, fleur blanche et trace d’amande.
Maintenant, je dois dire aussi : solitude, angoisse et curiosité, avec les émotions d’une enfant de 5 ans.

lundi 20 septembre 2010

Ascenseur

Un cube mécanique. Musique de circonstance.
Boite à odeur itinérante. Avec des hauts et des bas. S’ouvre et se ferme régulièrement. Avale et recrache une petite humanité messagère.

9 heures du matin. Café chaud, parfums frais, déo conquérants et cheveux porte- drapeaux.
Bonjour, dit le parfum. Je vous pousse un peu excusez-moi je prends de la place. Je vous enlace brièvement, je me tortille, et passe entre voas jambes, derrière les reins de votre voisin. Dans un sursaut, un mouvement de main pour vérifier une coiffure, je reviens vous chatouiller le nez. Ne grimacez point, je ne fais que passer. Voilà, je suis arrivé, je descends. Ah, pardon je reste encore un peu, bref reliquat de patchouli qui s’évapore enfin, dévoré par l’immense gaillard qui pénètre dans le cube volutes déployées. Savoir faire américain, casquette aldéhydé et muscles de cèdre blanc au goût de craie. Les narines grincent, un regard las contemple le plafond gris de la boite, quand est-ce qu’on arrive ? Ouf, il ne s’attarde pas. S’échappe, puis se perds dans les couloirs du 4em. Un temps de silence. Le moka reprend sa petite ritournelle paisible, puis des ondes sucrées éclaboussent l’espace exigu. Coucou, dit un autre compère, je suis la boule de vanille, je rebondis de tous les côtés sans pouvoir me retenir, et comme je suis enrobée de caramel liquide je laisse des traces invisibles sur vos bras, vos épaules, lorsque vous me frôlez. Comme c’est amusant, je suis un parfum qui colle ! Je remarque des sourires de gourmandise, parfois on me repousse d’un soupir. Qu’importe, je cours ma ronde, puis file ventre à terre dès que muguet et bord de mer se pointent. Air pur synthétique. On atteint des sommets. Tiens, non, à l’arrêt suivant, bien que le cube poursuive sa course ascendante, on chute ras des pâquerettes, niveau gazon coupé. Herbe à vaches ou régime de bananes ? Qu’importe l’étiquette, c’est la même molécule de toute façon.

La distribution matinale soigneusement acquittée, le cube, ensuite, opère souvent à vide dans la journée. Il stocke en attendant. Il ventile parfois, dès que les portes s’ouvrent.
Ah ! Enfin quelqu’un. Bonjour, bienvenue dans la boîte. Vous me reconnaissez, je suis Shalimar, la directrice produit du 5em ? Vous ne me voyez pas bien sur, mais vous identifiez ma trace. Je suis passée ici 20 min auparavant, pour un trajet de 3 étages. Mais j’ai tellement d’épaules et, j’ose l’avouer, je manque un peu de légèreté. Mais quel sillage... ne trouvez-vous pas ? Oui, oui, fais la pivoine du 8em, qui tente sans succès de surpasser la vanilline-civette de la douairière de 1925. Arrêt suivant, nos deux commères s’étranglent. Un ouragan s’engouffre et disperse sans émotion les fleurs et l’ambre. « À vos souhaits », répond gentiment la jolie fille à la pivoine. « Berci », répond l’homme en complet passe muraille qui suinte par tous les pores de sa peau l’eucalyptus en pommade, la fleur d’oranger en spray buccal, et le vieux tabac agrippé aux fibres de sa veste. L'homme renifle. Le cube ne bronche pas, et continue d’engranger. Jusqu’au soir.
18 heures. Pas de café. Quelques traces de sueur, un relent de lingettes, regards mous et coiffures en berne. Shampoing à la poire brandit ses paniers à moitié vide, déo à la mangue à capoté version pomme de pin. Pivoine murmure encore un peu, essoufflée mais vaillante, quelques fruits aux sirops soutenant son discours. Shalimar embarque, lumineuse et sereine, et prend toujours beaucoup d’espace, pardon, pardon on se pousse s’il vous plait. La vanille sucre d’orge, fidèle à elle-même, ébouriffe encore quelques personnes, le patchouli s’épanouit et devient torride. Les gros muscs protéinés, si vaillants, fusants, étourdissants et furibonds le matin, sentent la dégonfle et tournent à l’aigre pour la plus part. Quand est-ce que les hommes cesseront-ils d’abuser de déodorants antihumidités ?

La nuit tombe. Le cube s’est immobilisé. Dans son ventre sombre, les dernières volutes sont lentement étirées, brassées puis digérées. Les parfums des agents de nettoyage, citron métallique et jasmin diaphane, ultimes participants de la sarabande, sont également engloutis et dissouts. Pourtant dans un coin quelques particules résistent encore et toujours. Elles s’accumulent en silence, profitent de la saleté oubliée pour se protéger et, chaque matin, quand les portes s’ouvrent pour accueillir le premier chargement, un coup de vent, des semelles qui frottent et libèrent, et le labdanum de Shalimar, un peu amoché, borgne, chauve, mais identifiable s’élance à nouveau. « Coucou me revoilou ! »

La journée reprend.

jeudi 9 septembre 2010

De concert

Nous prenons de l’âge ensemble. L’artiste, sur scène. Moi, dans la salle. Connue dès ses débuts par sa façon indécente de se tortiller devant le piano, je l’écoute ce soir les fesses sagement posées sur un siège numéroté.
Je suis tombée amoureuse de sa musique et de sa voix des années auparavant, quand j’ai découvert qu’elle s’offrait le droit de marteler l’instrument les coudes au-dessus des oreilles, et que ses mélodies exprimaient une révolte jubilatoire. Quel rapport avec les odeurs ? Je cherche.
…et des semaines plus tard je n’ai toujours pas trouvé.
Comme quoi le nez n’offre pas tous les possibles. Les oreilles suffisent aussi parfois. Tout simplement.
Mon flair a cherché en vain quelques signaux. Dans cette salle immense illuminée par les tirs croisés des feux de la scène, je ne captais que la caresse froide et morte des climatiseurs. Narines serrées par l’air glacé, j’ai tenté ensuite d’imaginer une odeur aux différentes figures abstraites, matérialisées par les projecteurs colorés qui formaient un écrin autour de l’artiste. Peine perdue. Calme plat, tiroirs à volutes fermés pour la soirée !
Je me suis abandonnée à l’univers du son. J’ai absorbé les vibrations, ouvert mes méninges à d’autres sensations
Lâcher-prise olfactif, j’ai cessé de sentir
Donc
Je n’ai plus à rien à dire

jeudi 2 septembre 2010

Paris Plage..la rentrée attendra

Août en bascule. En équilibre sur l’axe du 15, entre vacances et rentrée. À gauche du calendrier, les berges de Paris s’offrent aux piétons. Culbute à droite, le macadam retrouve ses anciennes habitudes : camions, voitures, et deux roues.

Fin juillet, je musarde nez au repos, entre les rues de la capitale. À l’approche du fleuve, j’aperçois en contre bas une bande de sable et une ligne de parasols. J’emprunte les escaliers et me glisse parmi le remous des badauds. Mon nez évidemment s’emballe…

Petit uppercut au bord des narines. Une odeur grasse, d’huile de friture saturée par les cuissons successives et la température trop élevée, me souhaite la bienvenue. Je plonge dans la caricature des bords de mer : chouchous, chichi, et frites en barquettes plastiques. Coincé à l’angle du pont, la guitoune bleu ciel est cernée par une longue file d’affamés qui emportent, serrés contre leurs ventres, une pyramide de nourritures chaudes et odorantes dont le fumet oscille entre vanille torréfiée, et sel au vinaigre. Un peu sonnée, je m’aperçois que les images olfactives se succèdent très rapidement, l’une chassant l’autre sans que je puisse m’attarder à les décortiquer. Elles sont concentrées sur une bande étroite – la largeur de la route entre le fleuve et le mur du quai -- et s’alignent en un parcourt dense, car l’idée est d’offrir aux promeneurs le maximum d’occasions de détentes et de loisirs. Je quitte le gras, et glisse sur l’odeur sèche et minérale du sable blond répandu dans un bac à sable pour adulte : chaises longues, petits parasols, quelques seaux et pelles en plastiques. Je me penche et attrape un râteau rouge. Il sniffe une amusante odeur de banane et de ciment. Aucune trace d’iode évidemment. Nouvel uppercut. Cette fois-ci, je souffle par le nez. L’ombre du pont m’enveloppe en douceur tandis qu’un relent d’ammoniaque m’arrache une grimace. Je longe des toilettes chimiques adossées au tunnel, dont les portes, déguisées en bambou, s’ouvrent et se ferment sans répit, éructant régulièrement une haleine piquante de matières fécales désinfectées. Je trace et j’émerge à la lumière où l’atmosphère change brusquement. Mon nez capture un flot d’images de bois et de goudron mouillé mêlés, tandis qu’un brouillard fin rince les miasmes douloureux. Des brumisateurs sont fichés sur un long parapet en bois où alternent des caisses contenant des mottes de végétaux, voutés par l’humidité ambiante. Sentiment de sucre glace, effluves doux et huileux des vêtements soudain détrempés. Des enfants passent entre mes jambes et je hume leurs têtes chaudes et suantes, soudain ruisselantes et fraîches. L’odeur éclate comme une bulle de savon, miellée et légèrement aigre. Je reprends le chemin vers la route sèche et, aussi sec, le parfum de résine de pin des fibres de bois tranchées récemment remplace la sensation lactée et cartonneuse du bois mouillé. Des tréteaux, des tables et des bancs pour une pause farniente. Je croise une maman. Son bébé, niché au cœur de ses bras passe juste sous mon nez. J’absorbe l’arôme rassurant de biscuit, de la transpiration du nourrisson. Puis, un souffle fade de vase, au passage d’un bateau-mouche sur la Seine. Sous le Pont Neuf une musique enfle, traditionnelle et gaie. Trois hommes dansent, mains au dessus de leurs têtes. Un cercle d’inconnus entoure la scène, sourire aux lèvres, corps qui tanguent au rythme des tambours. Croisement des peuples. Empathie éphémère et fugace. Comme les odeurs. Fuyantes. Happées, identifiées, puis dispersées dans le mouvement incessant des notes de musique, des applaudissements, et des rires. J’abandonne les musiciens et je rencontre un clown. Il triture des ballons de ces grosses mains noueuses, et créé des formes abstraites sous la mine radieuse d’un lot de bambins ébahis. Maquillage blanc, nez rouge et odeur de gaufres. J’enjambe plusieurs générations et tombe sur un bal musette. Des danseurs mines sérieuses tendent l'oreille au tempo de l’accordéon, puis s’élancent et balance sans vergogne des jets d'Eau de Cologne. Soudain, un incroyable parfum de souk à la guimauve happe mon nez. Je pivote sur mes talons : trois magnifiques Drag Queens paradent et s’esquivent. Aussitôt, fougère à papa et chypre costaud s’introduisent entre les mailles, et la valse, interrompue juste un instant, reprend son tricot démodé. Coumarine, mousse de chêne et petite transpiration. Un truc propre et sucré me bouscule à peine. Chewing-gum. Un homme me frôle et passe son chemin, à l’affût. Il mâchonne sa solitude. Bonne haleine fraiche à la recherche d’une donzelle ? Nos chemins se séparent, je poursuis ma quête personnelle. Une exhalaison étrange caresse mon visage. J’approche de la bouche du tunnel qui disparait sous le quai du Louvre. Respiration acide et froide qui conserve la trace des pneus, des rôts des véhicules, des chiures de moteurs et d’urine humaine. Curieux mélange doux et sucré, composé de pâte à tarte crue, de réglisse, de calcaire, de bois fumé, et de pain d’épices.

Il est temps de remonter à la surface pour reprendre le cours de la ville, et clore mon nez. À quelle heure est la prochaine séance…de cinéma ?

mercredi 25 août 2010

Déménagement

Nuit trop courte. Yeux en boutons de bottine.
Torsion stridente de l’interphone. Je traine la patte tandis que les gros bras se présentent. Caisses et cartons suivent sagement, en rang d’oignons.
Café d’abord. Les cartons peuvent attendre.
La cafetière renifle et filtre l’eau. Aussitôt, l’odeur chaude et moelleuse enfle, envahit chaque coin de l’appartement et pénètre mes méninges sans passer par la case olfaction. J’opte en cet instant pour une réaction standard devant un stimulus simple : odeur => plaisir. Je constate chaque fois que le café possède un caractère de chat. Il vous aborde patte de velours et caresse votre nez, puis, dès la première gorgée, comme un petit coup de griffe, la bouche est récurée.
Mug vide, yeux presque ouverts et langue transformée en bout de cuir.
Encouragements virils, le travail des hommes débute.
Déboule les nouveaux venus : bouts de ficelles, alignement de cartons et colonnes de couvertures. Ouste ! Pluches de moutons en déroutes, grains de poussière affolés, valse des volutes ! Remue-ménage des odeurs oubliées dans un coin, soudain délogées. Parfum de vanille et de girofle en poudre, tandis que les cartons sont dépliés puis formés efficacement. Un ruban brun en croix pour les maintenir. De l’adhésif émane un étrange relent de poires au sirop.
Couvertures grises imprégnées des marques du camion. Exhalaison acre et chaude, comme le café froid qui hésite entre bitume et nicotine.
Ficelle moderne. Lisse et tissée. Oubliée l’odeur rêche du chanvre proche de celle du foin stocké pour l’hiver. Bienvenue, les miasmes sucrés de l’usine moderne : l’énorme rouleau de ficelle pulse une odeur de maïs en boite. Roule, roule, les premiers meubles bien empaquetés prennent leur envol.
Place vide. Non, pas tout à fait.
Tiens, un vieux chamallow tout racorni. D’un rose très pâle. Mais, depuis quand traine-t-il là ? À peine un nuage piquant de sucre sans goût, comme un dernier souffle. Hop. Poubelle.
Les heures filent. On n’en finit jamais. Tourbillons d’odeurs, bordel olfactif et pièces presque vides. Mais, encore et toujours, un truc oublié, qui traine, dont on ne sait que faire. Hop. Carton.
Que d’effort. Les corps s’échauffent, et sentent bon. Carvi et fenouil mêlés.
Je ne me sens déjà plus chez moi. L’odeur familiale et familière a disparu en quelques heures. Tant d'années pour l’installer et la retrouver, compagne fidèle, chaque fois que nous ouvrions la porte de notre appartement. Notre identité maison, armoire normande au fil du temps, invisible et élastique, façonnée à partir de nos habitudes alimentaires, hygiéniques, accessoirisée de nos odeurs corporelles. Je l’emporte quelque temps dans ma mémoire, enveloppée de papier éphémère, car malgré mes efforts et ma bonne volonté elle disparaitra doucement, remplacée, ni vue ni connue, par sa petite sœur. Notre prochain logement.




jeudi 22 juillet 2010

Indigestions

Flatulence de la pensée
Gaz de réflexions
Ballonnement des méninges

En général, les femmes font de l’aérophagie quand elles sont soucieuses, tendues, stressées
Elles prennent du ventre. Elles gonflent, et ne rentrent plus dans leurs pantalons. Elles s’énervent, et cela n’arrange pas leur tour de taille.
Moi
Je ballonne des méninges
Je pense, et la fuite de mes réflexions encombre les circonvolutions de mon cerveau, forme un bouchon et crée l’angoisse. J’étouffe. Si ma matière grise pouvait péter un coup et ainsi me soulager, je me sentirais mieux. Un jet d’air odorant et la tension redescend.

Un pet des méninges.
Ça sent quoi ?

Le fait de s’échapper du sommet, le rend-il plus subtil et raffiné ?
Tout dépend sans doute, de la source de la rêverie et des conclusions de la rumination.

Je ne me prends pas la tête.

Mais bon.
Parfois, je me demande quel parfum se répandrait sous mon nez si le résultat de mes élucubrations mentales prenait l’air.
Un truc certainement incompréhensible et tout entortillé sur lui-même. Un bloc d’odeurs immobiles et étranglées, comme un plat de spaghettis trop cuit. Un bouquet de tulipes en saumure, une louche de petit lait, trois gouttes de miel à la rose, une once de cambouis qui tache le fond. Marmite de sorcière, j’ai oublié l’odeur étrange des escargots piétinés, et celle fade comme le cérumen, de la poussière en pelote stockée sous les meubles Ikea.

Pouf, par terre.
Splach, une tache.
Hop ! J’enjambe, et continue de dévider le fil invisible de mes spéculations…Hors d’ici.
Il pleut, ça tombe bien.


samedi 17 juillet 2010

Tout un rayon

Samedi. Jour du Caddie
Je déambule avec mon gros chariot entre les rayons, évitant adroitement un enfant funambule, un fou du roulant, un couple en guerre et une jolie fille en rollers qui court après les prix. Je rejoins après moult aventures sans intérêts, la travée qui me concerne.
Horizon arc-en-ciel, les flacons suivent des lignes de fuites parfaitement parallèles. Classés par marques, répertoriés par genre. Feu d’artifice d’odeurs, mon nez en prend plein la tête !
Au centre, les étiquettes célébrées à grand renfort de pub.
Au pied, les appels à petit prix
En haut, inaccessible, les punis du rayonnage.
Aujourd’hui, je me concentre sur les shampooings.
Je repère les petits nouveaux, je vérifie les vieux classiques, indétrônables.
Premier flacon, tout va bien. J’appuie doucement. Pouic, pouic. Un sifflement d’air, mon nez capture une signature. Fruitée poire, pomme Granny, fond musqué comme il se doit, je reconnais cette façon unique et sophistiquée d’écrire une formule qui le vaut bien. Je poursuis mon enquête et change de marque. Pouic, pouic. Celle-ci est bleue, et on retrouve également un cœur de formule, qui évoque peu ou prou une très ancienne crème cosmétique dans un pot en métal, rond et plat. Les logos moins célèbres font preuve de désordre et d’indépendance. Peu importe la signature, on croque la tendance. Hier, c'était le thé,en ce moment le raisin, demain la cerise, ensuite on verra bien.
On peut apprécier le confort « charentaises » des poids lourds du marché
On peut batifoler en « biscottes-ficelles » parmi les challengers
Le choix est vaste. Sans fin, car il se renouvelle sans cesse.
Prendre sa douche ou son bain n’est plus un acte simple d’hygiène.
Dans les années 70, un savon ramollissait sur le bord de la baignoire et s’offrait à toute la famille. On était Luxe, Palmolive, ou Monsavon.
Actuellement, notre salle de bain n’est plus assez grande pour recevoir les flacons de chacun, et les plusieurs que l’on collectionne pour le simple plaisir d’en changer selon son humeur.
Je tends la main vers une nouveauté. Pouic, pouic. Mais je presse un peu trop le tube, qui me crache un liquide visqueux sur le nez. Les risques du métier. Belle odeur de fruits rouges caramélisés, léger fond de patchouli. Je prends note et passe au suivant, et ainsi de suite, jusqu’au moment où je sature et ne vois plus rien.
Voilà.
J’ai fait mon marché et m'en retourne le chariot vide, des parfums répertoriés, soigneusement classés dans ma bibliothèque cérébrale.
Un constat des tendances
Des formules pour plus tard.


Clin d’oeil à l’équipe du Carillon qui a imaginé la définition de la Tong, chaussure internationale, comme une « Biscotte avec un bout de ficelle ».



mercredi 7 juillet 2010

Train Quotidien

File les jours. Les odeurs me glissent entre les mains.
Aujourd’hui, je prends le train. Instant volé. Je reste assise et ne peux rien faire, sinon attendre d’être arrivée. La loco avale les rails. Le paysage glisse, tandis que je me tortille sur mon siège pour trouver un creux confortable. Enfin, je m’immobilise, laissant libre champs à mes pensées. Sans interruption. Sans bifurcation. Ces dernières semaines ont été agitées. Peu de temps pour les chroniques. Encore moins de temps pour répondre aux commentaires. Le temps me manque. Impair et passe. J’en suis navrée. Maintenant, assise dans le sens de la marche, l’épaule coincée contre la vitre, le bras réfrigéré par un petit air de clim qui s’échappe des rainures inconfortables qui bordent la fenêtre, j’abandonne mon regard au décor qui défile. Scènes campagnardes, fleuve et tracteurs. Routes en pointillées, villages cartes postales.
Une tête de parfumeur est ainsi faite, qu’il réfléchit souvent avec son nez dès qu’un morceau de temps libre se manifeste. Et du coup, va mon tricot. Avec les années, je pense que j’ai usé quelques pelotes. Je renouvelle mon stock dès que je peux, j’ose de nouvelles couleurs, des associations curieuses, souvent téméraires. Parfois je loupe des mailles, et jure copieusement contre mes aiguilles qui coincent et s’emmêlent. Mais au bout du compte, le résultat est là. Mon dressing olfactif est de plus en plus étoffé et varié. Prêt à fonctionner, comme en cet instant. Le train franchit un pont. Je penche mon nez, et capture des effets brefs de lumière sur une rivière sombre et sablonneuse, bordée de roseaux et de peupliers. Cliché visuel. Converti aussitôt en molécules odorantes dans mon nécessaire à méninges. Je vous cause point de mousse et bout de ficelle, mais au-delà de cette métaphore un peu simplette, je tente d’expliquer comment fonctionne la boîte nasale d’un parfumeur. En images. Mises bout à bout, et étroitement imbriquées les unes aux autres, de façon à réaliser au bout d’une longue série de réflexions et d’essais, un parfum que vous aurez plaisir à porter. Un pull aux mailles mouvantes et colorées. Pour en revenir à mon petit tableau bucolique au bord de l’eau, relégué instantanément au loin par la course du train, mon nez s’attarde et savoure du rien. Appendice inutile, puisque seuls les effluves froids du wagon virevoltent sous mes narines. Nonobstant les relents de moquette et les parfums des voyageurs. Pourtant, ma tête est envahie d’odeurs mouillées, ombragées, minérales. Un bout de tricot s’amorce. Un croquis se dégage, et j’ébauche le début d’une formule qui peut traduire ma vision. Mon nez est à cet instant un accessoire stérile. Les odeurs sont stockées au-delà de la tuyauterie visible, dans une aire de mon cerveau, répondant à l’appel dès que le besoin s’en fait sentir, quand, et où bon me semble. Dans un train, par exemple. Sans prise directe avec la réalité odorante, située hors wagon. Les instantanés se succèdent tandis que la rame s’achemine vars la gare ou je dois me rendre. Je sens les parfums des champs de blé cuits par le soleil, la poussière soulevée par la moisson. L’eau morte d’un étang, la rouille sur les rails abandonnés. Je lève le nez et j’admire le blanc bleuté des nuages. Acétate nopyle, ethyl maltol, canthoxal, isobutyl quinoléine, acétate linalyle et acétate benzyle. Des matériaux de synthèse pour imaginer l’inaccessible...File le train. J’ai des odeurs plein la tête, et des histoires pour demain.
Pour les lectrices et les lecteurs patients, les commentatrices et commentateurs qui attendent une réponse qui tarde trop en ce moment. Merci à chacun, j’imagine aussi parfois, victime du quotidien qui file entre nos mains !

mercredi 23 juin 2010

Daily Hop Hop

Une odeur de clim d’abord. Puis un parfum de mimosa frotté au tampon gratounette. Je m’approche du comptoir mural où sont réparti, depuis les genoux jusqu’au dessus de la tête d’un homme standard, - les petits sont obligés de se percher sur la pointe des pieds et de tendre la main - des rangs colorés de sandwiches en ronds et triangles, des sachets de fruits en quartiers pour les paresseux qui n’ont plus envie d’éplucher, des fruits en purée pour les mous de la mastication, une multitude de salades en barquettes, des plats du monde. Estampillé équilibré. Je trace, je compare, je pioche et redépose. L’air réfrigéré transmet quelques informations olfactives purement techniques, de poussière, de plastique et de nettoyant industriel, crystalisées par le froid , provoquant une image étrange : je frotte des couverts en inox avec une vieille éponge en fibres métalliques sur la surface glacée d’une patinoire… Je m’y perds et m’aperçois que je ne peux agir comme j’en ai l’habitude depuis toute petite. Je ne peux pas renifler le produit pour tâter si l’odeur est appétissante. Tout est évidemment sous cellophane pour des raisons d’hygiène de plus en plus rigoureuses et, seuls mes yeux sont habilités à me convaincre de l’existence potentielle d’un goût. Je décode donc, une flopée de signes de couleurs que je traduis en terme de fraîcheur, de croustillant, moelleux, rôti, caramélisé, acidulé, aigre ou doux. Je peux également lire l’étiquette des composants. Glutamate, antioxydants, huile de palme, matière grasse, sucre, sel, calories. Bref, un festival de mots savoureux sans odeur. Miam.
Passage en caisse, ticket resto mais pas assez, monnaie. Petit sachet à emporter, je rejoins les tables étagères.
Perchées sur un tabouret sans fin, mes fesses débordent de l’étroit rond de plastique dur. Mes pieds battent la mesure dans le vide, tandis que je tente sans succès de touiller quelques farfalles perdues dans une boite en carton, pour répartir harmonieusement la sauce au basilic à l’aide d’une minuscule fourchette, en fibres recyclées. Qui finit d’ailleurs par y perdre une dent. Je soupire, et bien évidemment je jette un nez sur mes voisins de barquettes. Flotte glacée et relent de piscine, fond de tonneau en bois, savonnette, gazon amer, marée basse, trace de goudron, transpiration torréfiée, zeste de citron, purée d’ail, sirop de sucre, gras fleuri, chocolat sec. L’odeur laisse à désirer, et pourtant le goût supporte le passage sur la langue. Dans le désordre mes yeux identifient des makis saumon et radis, un taboulé, un poulet couleur orange, cuisson tandoori, une touffe de feuilles de roquette, de fines lamelles de gingembre confit au vinaigre rose, un muffin énorme, une salade Caesar et une grosse louche de basilic renforcé arôme tapenade et glutamate. Mes pattes. Juste sous mes narines. Que je gobe sans vergogne. Je conserve la poignée de cerises encore estourbies par le froid de la conservation. Anesthésiées, elles n’exhalent ni goût ni parfum. Je patiente. Je les conserve au creux de ma main, et les dégusterai en chemin, nez au vent, Paris plein les yeux.





lundi 14 juin 2010

Canal Saint Martin

Grand chaud sur Paris
Première fois depuis…oh ! la la, madame, depuis qu’il n’y a plus de saisons !

La journée bascule. Soirée tiède et paresseuse.
Les bureaux se vident rapidement, les Parisiens trainent à rentrer chez eux. J’imagine quelques échangent de parlottes sans fil. Puis un, puis de plus en plus nombreux, des petits tas de culs par terre se retrouvent disséminées, le long du canal St Martin, pour une dinette bonne franquette.
Au bord de l’eau, entre trottoir et margelle, des guirlandes de sacs en plastique colorés balisent les jambes nues des jeunes femmes en robes légères, et les mollets des garçons en bermudas. Les mains fouillent, dégottent les victuailles agitées ensuite à bout de bras. À chaque découverte, des acclamations bondissent parmi les groupes. Au menu ce soir :
Saucisson industriel, aromatisé noix et salpêtre, on flirte avec l’authentique.
Sachets de chips gueules ouvertes, haleine graillon et glutamate.
Fromages évidemment.
Vache qui rit, sucrée, mais sans saveur. Reblochon qui pue somptueusement la pisse et la paille, Mimolette belle couleur, parfum de noisette. Camembert disque rond, toujours la même mélodie de craie et de trèfle.
Bouteille débouchée. Pinard rose à la saveur verte. Pincement de nez, grincement de dents, langue râpée. On s’en fout la soirée est belle. Seconde gorgée, le vin n’est pas si mal après tout. Bouche anesthésiée, esprit embué.
Pain, doux et croustillant. Farine chaude, levure au relent de Petit Suisse, mie fleurie. Mon appétit s’éveille.
Bière chinoise douce et fade, bière française amère et boisée, bière japonaise coriandre et riz soufflés, bière américaine, je ne sais pas. Pas de souvenir marquant dans mon tiroir mémoire, étiqueté « cervoises du monde ».
Une douce fraicheur de badiane se mêle à la brise du soir. Un pastis colore en jaune pâle, un verre en plastique blanc. Le Midi aux portes de Paris. J’ai soif, soudain.
Souffle lénifiant des tilleuls en fleur. Poudre de miel, tisane et foin de printemps. Un air de campagne. Seconde suivante, retour brutal à la vie citadine : trois sacs en papier, griffés Mac Do. Viande rêche, relent de carton, pickles acides, ketchup sucré, frites rances, gras frais et sel oublié. Je m’éloigne, gorge nouée.
À l’ombre du pont, l’atmosphère est couleur de vase. J’inspire les particules invisibles des blocs de pierre dévorés par la mousse, le relent des urines rances, poivrées par l’humidité, le souffle glacial de l’eau sans soleil.
Mon attention est soudain crochetée par une surprenante odeur de caramel rouge. Je gobe l’hameçon, les images défilent dans mon cerveau connecté en direct au répertoire « détails des volutes ». Je ne vois rien. On reprend. Nouveau sniffe. Concentration. Je creuse l’affaire : sucre liquide, bassine à confiture en ébullition, Barbapapa, aldéhyde C16* et Frambinone* en haute concentration, mélasse… rien que je ne puisse croiser sur ces pavés. Mais avant même de parvenir à reconstituer l’objet de mon attention nasale en emboîtant bout à bout mes images tronçonnées, mes yeux rencontrent la minuscule responsable de ce généreux bouquet savoureux, au bout des doigts d’un enfant. Une fraise. Une vraie, diffusant un puissant parfum de Tagada passée au four. Modifiée transgénique et perfusée aux arômes alimentaires ? Non, non, je me suis simplement compliqué le nez devant l’évidence, forçant le trait. Je remarque que ce n’est pas la première fois que je n’identifie pas l’arôme de la fraise. Et d'ailleurs, je n’ai jamais été très douée pour reconstituer le parfum de la fraise, alignant sur mes formules les composants et les proportions, comme une bonne élève maitrisant sa leçon, mais sans faire preuve d’invention. Résultat, j’obtenais toujours un truc sucré, ersatz de confiture aux fruits rouges, bien collant sur la mouillette avec un étrange relent d’herbe coupé. J’avais trop dosé les pépins. Un jour, peut-être, finirais-je par me laisser apprivoiser par la fraise ?

De toute façon, je n’ai plus le temps de me poser toutes ces questions existentielles de parfumeur récoltant. Notre voiture, vitres closes, continue sa route, abandonnant derrière nous le Canal, et ses parfums imaginaires.
*
Aldehyde C16 : matière première de synthèse très puissante, à l'odeur fruitée, acide et cuite, pour reconstituer en general les parfums de fraises. Odeur aigre et crasseuse de sueur de pied également...mais ça c'est ma description perso !
Frambinone: matière première de synthèse, sous forme de poudre, qui évoque la framboise cuite, la barbapapa, le glaçage rose recouvrant les cupcakes...

mardi 1 juin 2010

Goût du jour

La tendance.
Phénomène incontournable de notre sémillante société en quête d’intention.
Elle vous tombe dessus, au détour de la coupe d’un pantalon, d’une couleur capillaire, d’une hauteur de talon de chaussures, d’une forme de sac à main… des suggestions de représentations parfois difficiles à exhiber au quotidien.
Elle vous suit à la trace, quand pénétrant dans une parfumerie vous découvrez un nuage uniforme et sans accroc.
Elle s’installe sur les menus d’un nombre croissant de restaurants.
C’est ainsi qu’un classique vient d’être remis au goût du jour. Un vieux compagnon de notre enfance qui officiait dans les boulangeries, coincé entre l’éclair et la religieuse. Gourmandise rayée des rayons à partir des années toutouyoutoo, pour sa réputation de mauvais camarade qui nous propulse, plongeon toboggan, dans le grand bain hautes calories. Version touché/coulé. Et pourtant, que de bonheurs dans ces effluves de graisse sucrée et de noisettes torréfiées.
J’ai dégusté cette semaine, en des lieux forts éloignés, deux Paris-Brest.
Coïncidence ou tendance ?
Dépression économique qui provoque des besoins compensatoires à teneur calorique édifiante?
Résurgence régressive d’une pâtisserie bien de chez nous, au bon goût de terroir pour flirter avec l’insouciance, comme une parabole naïve du conservatisme en temps de crise qui distribue sans complexe des tickets gagnants pour un trajet direct vers la boîte à mémoire des plaisirs d’enfances, et le feu d’artifice des souvenirs heureux.
Deux Paris Brest énormes et débordants.Un bonheur pour le nez et les papilles.
Le temps s’interrompt. Parenthèse immense et savoureuse, car le Paris Brest exige une dégustation progressive pour en venir à bout ! C’est un déni au stress. Une résistance douce aux rendez-vous à la sauvette, aux repas sur le pouce, aux parfums dont on n’écoute que les premiers éclats pétillants.
Car il faut du temps pour savourer une telle pâtisserie généreuse et complexe. Votre amie a achevé depuis un moment déjà, son délicat café « gourmand », que de votre coté vous continuez à petit coup à creuser la masse odorante et moelleuse. À chaque entaille, le Paris Brest libère une saveur riche et enivrante. Je tends mes sens et je perçois à fleur de cuillère la légèreté de la pâte à choux, dont je devine la saveur humide emprisonnée dans des charrettes de beurre frais. Puis le parfum capiteux des œufs aux accents de musc et de gazon fraichement coupé.
…….

Pardon, je saute du coq à l’âne.
Ces odeurs appétissantes évoquent un épisode récent de ma mémoire olfactive. Celui des œufs numérotés, découverts avec curiosité sur le marché nocturne de Luang Prabang (Laos). Posés sur les tisons d’un brasero, les œufs d’un beau blanc de perle ont titillés notre gourmandise. Quelques parlottes plus tard et deux dessins griffonnés sur un bout de papier, nous avons compris que chaque numéro indiquait le degré de croissance du poussin cuit à l’intérieur. Nous avons acheté l’œuf N° 2. Apparemment sans habitant. Mais surprise ! Au moment où nous avons écalé la coquille, un œil fripé et bien noir est apparu. Le bout des pattes recroquevillées sous un bec encore mou. Il restait un peu de pulpe jaune autour du poussin. En belle quantité. Une bonne odeur savoureuse, avec un léger relent de noisette et de lait concentré. Tout mon nez m’affirmait que l’œuf était bon à manger, que je ne serais pas déçue par le goût. Vas-y ma vieille, ai confiance…tes naseaux reliés à ton cerveau primaire t’affirment qu’il n’y a pas poison, juste de l’agrément ! J’ai tendu le doigt, touché le jaune, puis la pitoyable bestiole cuite en cocote. Mes yeux hurlaient un « NON !» épouvanté, muselant sans effort les signaux positifs de mon nez ! Alors, pour une fois je n’ai pas écouté mon odorat, mais ma vision. J’ai mis de côté l’œuf habité qui déployait d’étranges relents de pâtisserie. Plus tard sur un autre marché, dans une ville plus au Sud, nous avons testé un œuf N° 1. Il était aussi occupé. Par un tout petit pioupiou. Nous acceptons de manger un œuf vide, mais potentiellement vivant. Nous dévorons des poussins préados en broche. Mais il nous est impossible d’apprécier des oisillons cuits dans l’œuf. À cause des cloches de Pâques, peut-être ?

Trêve d’échappée au fin fond de l’Asie. Retour sur le Paris Brest.

Devant mon assiette étoilée de pétales d’amandes caramélisées, je tourne en rond et hésite sur la cible. Je creuse au centre et collecte une généreuse portion de pommade onctueuse et dorée. Toute la générosité torréfiée des éclats de noisettes emprisonne soudain mon nez, auxquels se mêlent étroitement les volutes noires et amères du café de ma voisine. Je déguste regard ailleurs, oreilles presque sourdes au bavardage distrayant de mon amie et mes pensées voltiges d’images en souvenirs. J’imagine des accords de rose citron et de caramel, de jasmin rhubarbe et de noisette fraiche. Une réinterprétation au goût du jour, comme un remix absolument tendance, du célèbre parfum du shampooing aux œufs (le fameux flacon jaune), qui ornait le coin de la baignoire sabot de ma grand-mère. Allez zou, une autre cuillère franchit mes lèvres et ma promenade gourmande trouve de l’intérêt à la matière croustillante et moelleuse de l’association noisette et beurre. Une crème nourrissante ? Un gel anti- cellulites modèle cynique ?
Une femme louvoie parmi les tables, elle glisse insouciante sous mon tricot olfactif et abandonne au passage un long sillage floral d’un beau blanc vaporeux. L’association avec la pâte à choux, moelleuse et musquée fonctionne à merveille. Je connais cet accord savoureux et terriblement féminin, clé d’un joli succès, que les femmes ont découvert quelques années plus tôt et soutenu, jusqu’à la fidélisation, sans effort de pub.
Hors tendance.

mercredi 26 mai 2010

Métro 8

Trajet sans histoire. Roulement sourd de la trame qui creuse son chemin en souterrain. Je bouquine pour tracer le temps. Quelques écrits de Francis Ponge qui évoquent le coquillage «petite chose (…) posée sur l’étendue de sable » et la vanité des hommes architectes. Je suis concentrée sur les mots, les ondulations et la sonorité, car l’exercice est nouveau. Je n’ai point l’habitude de cette littérature. J’échoue plusieurs fois sur un bout de phrase dont je tente d’appréhender la saveur, quand sous mon nez comme une vague, ruisselle un parfum de plage. Chaude et onctueuse, merveilleusement ensoleillée. Je bute sur la saillie, un grain de sable vient de brusquement s’y loger. Je me retiens de relever mon visage, renifloir aux aguets, afin de découvrir l’origine de l'onde. L’attention crochetée à mon récit obscur, j’attends patiemment le prochain mouvement du métro qui provoquera un bref ressac parfumé. L’air frissonne et soudain l’effluve lumineux vient se frotter contre moi. Amusée, je découvre que les molécules odorantes se transforment en mots et éclairent le passage où je tâtonne. Salicylate, Iso eugénol et vanilline. J’insère une variante au livret original. Et je m’éloigne du sujet. Sel. Tiaré. Ambre solaire. Promenade tranquille, sentiment de vacance. Je ne suis plus dans le métro. J’ai oublié le propos de l’écrivain et son désir d’éprouver la « Parole » de l’homme, comme seul monument mesuré. J’ai perdu le fil du récit, distraite une nouvelle fois par mon nez…Les portes se referment. J’ai également raté ma station !

Francis Ponge
Le parti pris des choses, suivi de Proêmes.
Edition : nrf, Poésie/Gallimard

mardi 11 mai 2010

Menilmontant

Ménilmontant, par petit matin de dimanche. L’air est vif, mais lumineux.
Les trottoirs demeurent humides, le printemps s’enracine pluvieux.
Boutiques fermées, bars ouverts.
Grimpette et découverte. Humez l’air.
Dénichez au fur et à mesure, jusqu’à en avoir le souffle court au sommet de la butte, des odeurs de ville quotidienne et familière, populaire et intemporel. Plaisirs de touriste, nez aux aguets.
Au pied de la rue de Ménilmontant, le boulevard draine des parfums âcres de diesel. Un souffle tiède s’échappe d’une large grille enchâssée au sol. Coupez rapidement l’haleine du métro, attrapez au passage quelques impressions douceâtres, mélange de petit lait, de pain de mie, et de bouillon cube, puis entamez d’un pas paisible la longue côte. Récoltez en chemin une saute de vent odorant, une bise parfumée, un frisson méphitique.
Un point téléphone ouvert sur la rue propose des caissons aquarium pour joindre une lointaine famille. Pas de sièges pour ne point s’attarder, mais le sentiment d’être un peu chez soi, debout, combiné sur l’oreille et nez suspendu aux lourdes volutes des bâtons d’encens fichés dans un vase, au fin fond de la longue officine étroite. Des rubans évanescents de patchouli, de santal synthétique et d’héliotropine, qui évoque la délicatesse des fleurs de Frangipanier, glissent et s’étirent entre les pavés. Le trottoir s’égare et vous cheminez vers l’exotisme. Continuez nez devant, frôlez la terrasse d’un troquet. Parfums de citron et de javel qui tentent d’engloutir les molécules torréfiées du café serré. Un grand air de propreté de bon matin pour accueillir les premiers habitués. Tendez le cou et distinguez les croissants sur le comptoir et le petit ballon de rouge, siroté par Julien qui prend au matin, tout son temps. Celui qui lui reste. Si vous marchez trop vite, ces effluves de beurre et de tanin ne parviendront pas sous votre tarin. Car la lessive accapare tout l’espace. C’est le but. Formule soignée, efficacité prouvée.
Quelques mètres encore, la rue s’incline plus raide. Boucherie hallal. Sang frais et matières graisses. Piques de métal froid, vertige fade et relent agréable de saccharose. Sentiment d’être pincé par l’expiration poivrée et crue d’un immense frigidaire. Étrangement appétissant et apaisant. Soudain au niveau de l’Église à votre gauche, laissez-vous happer par la tendresse du printemps et ces effluves de carte postale : sève fluide, pollen délicat, saveurs de miel. Parfum d’humidité sombre, de jus de feuilles et de lilas croquant. Il suffit de quelques arbres coiffés, d’une motte de fleur, d’une haie de Troènes, d’une vigne vierge et, la ville disparait. Goudron et carburant délayés. Un bonheur de nez.
Reprenez votre souffle, savourez l’instant et poursuivez l’ascension, qui se corse. La pente devient abrupte. Les odeurs plus dures. Un vieil immeuble gris et fatigué s’affaisse à l’angle sur une ruelle tordue qui décanille à droite. Déchets oubliés, bout de planches, caillasses noircies et lianes de chiendent. Strates d’urines neuves et anciennes, vinasse rance, bière moisie, peau d’orange putréfiée, déchets indéterminés décomposés. Votre nez grince, se tord et vous soufflez comme un cheval qui s’ébroue ! Revenez sur vos pas. Un mètre plus loin, abandonné dans le caniveau, le remugle amer et cendré des poutres carbonisées rince vos naseaux. Levez vos yeux. Le vieux bâtiment a sans doute achevé son cycle dans un incendie. Les murs transpirent la puissante poussière du charbon, l’odeur de fumée douchée à grandes eaux, l’arôme presque caramélisé des vernis cuits et recuits, la douceur entêtante et balsamique des papiers vinyles calcinés, l’âpre rumeur des murs en plâtre couverts de peinture glycéro, qui évoque la craie et l’éponge avachie du tableau noir. Dommage, le fleuriste d’en face est fermé en ce jour de congé. Pas moyen de reprendre une giclée de printemps !
Puis c’est la rue Boyer. Tournez à votre droite et entamez une glissade douce. Un peu plus bas, vous trouverez un bistro et vous apprécierez une pause en terrasse, devant un café ou un thé, ou toutes autres consommations à votre convenance. Reposez votre nez et vos jambes, et appréciez ce quartier animé.

lundi 3 mai 2010

Evaluation

Pas de critique. Une approche alternative.
Je regarde la mouillette tanguer sous les narines de l’évaluatrice, tandis qu’en silence, le regard perdu et sombre, elle prend le temps d’humer les creux et les pleins de mon parfum. Elle souffle légèrement, aspire une goulée d’air neutre en penchant son visage sur le coté, puis d’un geste machinal rapporte l'étroite bande de papier buvard sous son nez. Temps suspendu : concentration et analyse. La baguette blanche s’éloigne à nouveau, s’agite comme un éventail inutile au bout de son bras ballant dans le vide, tandis que sa tête bascule légèrement en arrière. La moquette absorbe sans rechigner. Je jette un œil désabusé vers le sol et j’imagine faire disparaitre ce revêtement à bouclettes saturé de molécules rances et variées. Pourtant l’odeur de mon bureau, malgré la ribambelle de strates déposées par moi-même et mes prédécesseurs depuis de nombreuses années, est agréable. Les espaces dédiés à la créations de parfums offrent une identité olfactive stable, quelque soit la société ou l’époque. La pièce où officiait mon grand père possédait la même empreinte caractéristique que le lieu où travaillait mon père, quand je le rejoignais après l’école. Et quand à mon tour j’ai occupé un bureau, j’ai été enveloppée par la même combinaison douce, fruitée et sucrée. Comme une pâte de fruit chaude déposée dans une boîte en bois. Fraise, cassis, pêche, copeaux de bois et résines anciennes. Les temps changent, mais certaines traces persistent. Résultat d’un savoir faire immuable, de manipulations identiques, de gestes toujours répétés et de maladresses inchangées. Vie et tracas d’un laboratoire où se composent les essais des parfumeurs, couloirs, où se promènent les échantillons, étagères, où sont stockés les essais en cours et les matières premières, sol en lino, où se fracassent régulièrement des flacons qui ne sentent pas toujours la rose ! Depuis plus d’un siècle de parfumerie moderne, les ingrédients demeurent plus ou moins analogues. Quand les laborantines chauffent quelques matières visqueuses pour les ramollir et rendre possible leur emploi, l’étage embaume la gomme ou la résine, de labdanum, de benjoin, de lentisque, de cashmeran, belle matière de synthèse douce comme du beau papier. Parfois une vague piquante franchit les portes, portée par un courant d’air inopportun. Un bidon d’aldéhyde C12 Laurique vient d’être transvasé. Un relent de vomit de bébé pince mon nez. Je rectifie aussitôt : mais non, c’est l’odeur subtil et élégante du kumquat, de la mandarine, de certains aromates. Un parfumeur c’est bien connu reste toujours positif, et son nez transforme tout en sourire…
En fin de matinée, ce jour là, un léger relent de crotte de souris se glisse dans mon bureau, anodin et tenace. J’ai transmis à ma laborantine une demi-heure plus tôt, la formule d’un accord imaginé autour du muguet et de quelques fleurs diaphanes. Une charnière indispensable, réduit à l’expression d’un simple composant terriblement puissant afin que ma clochette prenne forme ronde, blanche et charnue, vient de s’évaporer de son flacon, chemine au long des couloirs et virevolte en ce moment sous mon nez. Je prends conscience qu’une odeur de merde est nécessaire pour rendre les fleurs, blanches et lumineuses. Bref aperçu de la subtilité contradictoire de la parfumerie.
Maintenant, le fameux muguet s’agite sous le radar renifloir de mon évaluatrice, qui finit par lâcher que c’est bien, mais qu’elle devine un peu trop la présence d’une odeur de chicot. Traduction : j’ai trop forcé sur l’indol, la fameuse molécule si efficace, et ça sent la vieille dent cariée. Je pince la bouche, contrariée. Là où je vois un immense et généreux bouquet de fleurs virginales, ma collègue évoque quelques noirceurs et haleine d’égouts. Certainement un désaccord d' échelle de curseurs et de goût. Je commence à négocier et peser. Elle répond avec une jolie moue indulgente qu’un geste supplémentaire et un léger décrochage vers de nouveaux territoires conviendraient mieux. Je réponds que nenni, j’y perds mon récit. Débute un pas de deux, chacune agitant et respirant à petit coup sa touche parfumée. L’air embaume le muguet. Non, le chicot me répond-elle. Je pointe ma pique en papier vers sa personne et lui déclare que je n’en supporterais pas davantage, que ma créativité est piétinée, bafouée ! Elle me rétorque mouillette au vent, que je me laisse aller, que je m’endors sur mes lauriers. Nous nous disputons comme de vieux camarades de troquets. Elle finit par se lever, et dépose dans la poubelle la touche usée et défraichit, qu’elle lâche négligemment comme une ultime parade. Elle quitte mon bureau, sans emporter la note de fond. Elle ne souhaite pas poursuivre le récit. Fin de chapitre. Le livre se ferme avant d’avoir débuté. Agacée et vexée, je me lève à mon tour et me dirige vers le labo. Les portes s’ouvrent et l’Odeur m’accueille. Je suis soudain chez moi, au cœur d’un univers familier et serein. Comme si un immense doudou d’enfance m’enveloppait en un instant. Sucré et cracra. Rassurant et réconfortant. Bah ! Je trouverai bien une réponse pour mon bouquet.
Pour Fabienne, Natacha, Christophe, Virginie (les 3) et tous les autres que je ne peux citer faute de place, avec qui j'ai imaginé et achevé certains parfums dont nous étions fièr(e)s.
Pour Léa Walter qui a inspiré ce post, avec ses bonnes questions ;)

vendredi 23 avril 2010

Fnac

Parfum de mots. Effluves littéraires.
La belle histoire !

Mais la réalité reprend ses droits : relents de climatisation, remugles de moquettes grises, flux des escalators. Bienvenue dans la culture tout azimut !

Chaque Fnac possède sa propre identité olfactive. Je ne les fréquente pas toutes, mais je me souviens de celle des Halles, à une certaine époque, avant les grands travaux de transformation. J’avais systématiquement le sentiment de revenir dans le vieux gymnase du collège, ou d’être caché dans le cellier de ma tante. Un parfum complexe et tenace composé de la transpiration de milliers d’orteils fatigués, d’une sourde odeur de pomme de terre germée, et de relents de serpillière rincée à l’eau de javel parfum eucalyptus. J’imagine que ces volutes de camphres et de menthol provenaient d’un désodorisant censé assainir l’atmosphère terriblement moite. L’odeur du papier, des reliures et de l’encre ne faisaient pas le poids !

Aujourd’hui je furète entre les rayons. Hésitante. Je soupire, ne parvenant pas à me décider. Polar. Classique. Fantastique. Facile. Intello, pour la musculation des synapses. Mes doigts glissent sur des colonnes de couvertures aux titres accrocheurs. J’attrape un livre et, d’un geste machinal j'en déploie les pages tel un éventail, afin de savourer quelques phrases saisis au hasard. Tiens. Chatouilles. Je change de seuil de lecture, et répète le mouvement à quelques centimètres de mon nez. Tulipe. Image spontanée. Derechef le papier crépite, provoquant un léger remous de vent, chargé de l’haleine des pages imprimées. Je tends mon odorat pour débusquer quelques mots supplémentaires. Bouchon de liège, bois usé, flageolets, farine complète, froid, amer, piquant…un peu. Edition Grasset. «Cette étrange idée du beau» de François Jullien. Parfum grave et compassé, patiné, séduisant. Peu m’importe la quatrième de couverture. L’odeur me convient. Je poursuis, amusée, mon marché sur le mode olfactif. Je longe la rangée des meilleures ventes du moment. Un gros cœur rouge posé sur une robe en vichy bleu attire mon attention. Le titre est surprenant «Le mec de la tombe d’à coté», de Katarina Mazetti, collection Babel chez Acte Sud. Je penche un nez prudent tandis que j’ouvre le livre comme un accordéon. Les pages défilent et ronflent sous mes narines. Je découvre un arôme doux de confiture de framboise et de vanille ratatinée de synthèse. Dans les plis je perçois également un reliquat éventé de poudre de clous de girofle. Un parfum d’œillet. Fleurs de cadavres ou mièvrerie dégoulinante ? Je repose l’exemplaire sur l’étagère, et porte mes pas vers le quartier des intrigues policières. Romans noirs. Effluves sombres ? Trop simple, bien sur : intrigue sans saveur, dénouement sans surprise. Un petit coup de nez pour m’en assurer. Bouquin en noir et blanc, édition Viviane Hamy. «Sous le vent de Neptune» de Fred Vargas. Ils s’échappent d’étranges volutes fraîches et diaphanes. De vapeur de riz. De linge en coton frotté à la lavande et au poivre de Sichuan. Propre et sans danger. J’attrape un poche coloré, au dessin asiatique : Robert Van Gulik « Trafic d’or sous les T’ang » 10/18 grands détectives. Les feuilles crépitent en un chapitre entièrement dédié aux saveurs douces amères du cœur d’artichaut, humecté d’une larme d’huile d’olive.
Je termine ma promenade au rayon cuisines. Belles images. Agréables descriptions. Je dévore quelques recettes aux ingrédients appétissants au point d'oublier de laisser trainer mon nez entre les pages. Mon esprit est envahit d’arômes imaginaires très agaçant. Il est temps de régler mes achats, puis d’aller casser la croûte au bistro du coin, en compagnie de mon livre.


jeudi 15 avril 2010

Métro 7

Une voix douce et musicale
dans mon dos. Une mélodie étrange.
Vous pouvez m’aider ?...Me donner quelque chose ?
Tu m’aides ? C’est Chantal…
Tu me donnes quelque chose ?

Puis l'odeur de la misère
Sillon discret. Marquant.
Chantal donne, généreusement.

Son odeur de pauvreté. De corps mal lavé et de vêtements usés.

Tu me donnes quelque chose ?
Vous pouvez m’aider ?...Me donner quelque chose ?
Tu m’aides ? C’est Chantal…

Sillonne la rame interminable
Car maintenant il n’y a qu’un unique wagon.
Sa voix s’éloigne

Tu m’aides ? C’est Chantal…
Tu me donnes quelque chose ?

Je n’entends plus sa voix, mangée par les grognements du train
Mais son odeur de misère reste dans l’air, flotte autour de nous. Terrible et douce.
Je ne l’ai pas aidé, je ne lui ai rien donné. Mais j’ai conservé son odeur. Dans ma mémoire.
Et son prénom. Chantal.

Ce n’est rien. Ça ne l’aide pas.