Août en bascule. En équilibre sur l’axe du 15, entre vacances et rentrée. À gauche du calendrier, les berges de Paris s’offrent aux piétons. Culbute à droite, le macadam retrouve ses anciennes habitudes : camions, voitures, et deux roues.
Fin juillet, je musarde nez au repos, entre les rues de la capitale. À l’approche du fleuve, j’aperçois en contre bas une bande de sable et une ligne de parasols. J’emprunte les escaliers et me glisse parmi le remous des badauds. Mon nez évidemment s’emballe…
Petit uppercut au bord des narines. Une odeur grasse, d’huile de friture saturée par les cuissons successives et la température trop élevée, me souhaite la bienvenue. Je plonge dans la caricature des bords de mer : chouchous, chichi, et frites en barquettes plastiques. Coincé à l’angle du pont, la guitoune bleu ciel est cernée par une longue file d’affamés qui emportent, serrés contre leurs ventres, une pyramide de nourritures chaudes et odorantes dont le fumet oscille entre vanille torréfiée, et sel au vinaigre. Un peu sonnée, je m’aperçois que les images olfactives se succèdent très rapidement, l’une chassant l’autre sans que je puisse m’attarder à les décortiquer. Elles sont concentrées sur une bande étroite – la largeur de la route entre le fleuve et le mur du quai -- et s’alignent en un parcourt dense, car l’idée est d’offrir aux promeneurs le maximum d’occasions de détentes et de loisirs. Je quitte le gras, et glisse sur l’odeur sèche et minérale du sable blond répandu dans un bac à sable pour adulte : chaises longues, petits parasols, quelques seaux et pelles en plastiques. Je me penche et attrape un râteau rouge. Il sniffe une amusante odeur de banane et de ciment. Aucune trace d’iode évidemment. Nouvel uppercut. Cette fois-ci, je souffle par le nez. L’ombre du pont m’enveloppe en douceur tandis qu’un relent d’ammoniaque m’arrache une grimace. Je longe des toilettes chimiques adossées au tunnel, dont les portes, déguisées en bambou, s’ouvrent et se ferment sans répit, éructant régulièrement une haleine piquante de matières fécales désinfectées. Je trace et j’émerge à la lumière où l’atmosphère change brusquement. Mon nez capture un flot d’images de bois et de goudron mouillé mêlés, tandis qu’un brouillard fin rince les miasmes douloureux. Des brumisateurs sont fichés sur un long parapet en bois où alternent des caisses contenant des mottes de végétaux, voutés par l’humidité ambiante. Sentiment de sucre glace, effluves doux et huileux des vêtements soudain détrempés. Des enfants passent entre mes jambes et je hume leurs têtes chaudes et suantes, soudain ruisselantes et fraîches. L’odeur éclate comme une bulle de savon, miellée et légèrement aigre. Je reprends le chemin vers la route sèche et, aussi sec, le parfum de résine de pin des fibres de bois tranchées récemment remplace la sensation lactée et cartonneuse du bois mouillé. Des tréteaux, des tables et des bancs pour une pause farniente. Je croise une maman. Son bébé, niché au cœur de ses bras passe juste sous mon nez. J’absorbe l’arôme rassurant de biscuit, de la transpiration du nourrisson. Puis, un souffle fade de vase, au passage d’un bateau-mouche sur la Seine. Sous le Pont Neuf une musique enfle, traditionnelle et gaie. Trois hommes dansent, mains au dessus de leurs têtes. Un cercle d’inconnus entoure la scène, sourire aux lèvres, corps qui tanguent au rythme des tambours. Croisement des peuples. Empathie éphémère et fugace. Comme les odeurs. Fuyantes. Happées, identifiées, puis dispersées dans le mouvement incessant des notes de musique, des applaudissements, et des rires. J’abandonne les musiciens et je rencontre un clown. Il triture des ballons de ces grosses mains noueuses, et créé des formes abstraites sous la mine radieuse d’un lot de bambins ébahis. Maquillage blanc, nez rouge et odeur de gaufres. J’enjambe plusieurs générations et tombe sur un bal musette. Des danseurs mines sérieuses tendent l'oreille au tempo de l’accordéon, puis s’élancent et balance sans vergogne des jets d'Eau de Cologne. Soudain, un incroyable parfum de souk à la guimauve happe mon nez. Je pivote sur mes talons : trois magnifiques Drag Queens paradent et s’esquivent. Aussitôt, fougère à papa et chypre costaud s’introduisent entre les mailles, et la valse, interrompue juste un instant, reprend son tricot démodé. Coumarine, mousse de chêne et petite transpiration. Un truc propre et sucré me bouscule à peine. Chewing-gum. Un homme me frôle et passe son chemin, à l’affût. Il mâchonne sa solitude. Bonne haleine fraiche à la recherche d’une donzelle ? Nos chemins se séparent, je poursuis ma quête personnelle. Une exhalaison étrange caresse mon visage. J’approche de la bouche du tunnel qui disparait sous le quai du Louvre. Respiration acide et froide qui conserve la trace des pneus, des rôts des véhicules, des chiures de moteurs et d’urine humaine. Curieux mélange doux et sucré, composé de pâte à tarte crue, de réglisse, de calcaire, de bois fumé, et de pain d’épices.
Il est temps de remonter à la surface pour reprendre le cours de la ville, et clore mon nez. À quelle heure est la prochaine séance…de cinéma ?
Fin juillet, je musarde nez au repos, entre les rues de la capitale. À l’approche du fleuve, j’aperçois en contre bas une bande de sable et une ligne de parasols. J’emprunte les escaliers et me glisse parmi le remous des badauds. Mon nez évidemment s’emballe…
Petit uppercut au bord des narines. Une odeur grasse, d’huile de friture saturée par les cuissons successives et la température trop élevée, me souhaite la bienvenue. Je plonge dans la caricature des bords de mer : chouchous, chichi, et frites en barquettes plastiques. Coincé à l’angle du pont, la guitoune bleu ciel est cernée par une longue file d’affamés qui emportent, serrés contre leurs ventres, une pyramide de nourritures chaudes et odorantes dont le fumet oscille entre vanille torréfiée, et sel au vinaigre. Un peu sonnée, je m’aperçois que les images olfactives se succèdent très rapidement, l’une chassant l’autre sans que je puisse m’attarder à les décortiquer. Elles sont concentrées sur une bande étroite – la largeur de la route entre le fleuve et le mur du quai -- et s’alignent en un parcourt dense, car l’idée est d’offrir aux promeneurs le maximum d’occasions de détentes et de loisirs. Je quitte le gras, et glisse sur l’odeur sèche et minérale du sable blond répandu dans un bac à sable pour adulte : chaises longues, petits parasols, quelques seaux et pelles en plastiques. Je me penche et attrape un râteau rouge. Il sniffe une amusante odeur de banane et de ciment. Aucune trace d’iode évidemment. Nouvel uppercut. Cette fois-ci, je souffle par le nez. L’ombre du pont m’enveloppe en douceur tandis qu’un relent d’ammoniaque m’arrache une grimace. Je longe des toilettes chimiques adossées au tunnel, dont les portes, déguisées en bambou, s’ouvrent et se ferment sans répit, éructant régulièrement une haleine piquante de matières fécales désinfectées. Je trace et j’émerge à la lumière où l’atmosphère change brusquement. Mon nez capture un flot d’images de bois et de goudron mouillé mêlés, tandis qu’un brouillard fin rince les miasmes douloureux. Des brumisateurs sont fichés sur un long parapet en bois où alternent des caisses contenant des mottes de végétaux, voutés par l’humidité ambiante. Sentiment de sucre glace, effluves doux et huileux des vêtements soudain détrempés. Des enfants passent entre mes jambes et je hume leurs têtes chaudes et suantes, soudain ruisselantes et fraîches. L’odeur éclate comme une bulle de savon, miellée et légèrement aigre. Je reprends le chemin vers la route sèche et, aussi sec, le parfum de résine de pin des fibres de bois tranchées récemment remplace la sensation lactée et cartonneuse du bois mouillé. Des tréteaux, des tables et des bancs pour une pause farniente. Je croise une maman. Son bébé, niché au cœur de ses bras passe juste sous mon nez. J’absorbe l’arôme rassurant de biscuit, de la transpiration du nourrisson. Puis, un souffle fade de vase, au passage d’un bateau-mouche sur la Seine. Sous le Pont Neuf une musique enfle, traditionnelle et gaie. Trois hommes dansent, mains au dessus de leurs têtes. Un cercle d’inconnus entoure la scène, sourire aux lèvres, corps qui tanguent au rythme des tambours. Croisement des peuples. Empathie éphémère et fugace. Comme les odeurs. Fuyantes. Happées, identifiées, puis dispersées dans le mouvement incessant des notes de musique, des applaudissements, et des rires. J’abandonne les musiciens et je rencontre un clown. Il triture des ballons de ces grosses mains noueuses, et créé des formes abstraites sous la mine radieuse d’un lot de bambins ébahis. Maquillage blanc, nez rouge et odeur de gaufres. J’enjambe plusieurs générations et tombe sur un bal musette. Des danseurs mines sérieuses tendent l'oreille au tempo de l’accordéon, puis s’élancent et balance sans vergogne des jets d'Eau de Cologne. Soudain, un incroyable parfum de souk à la guimauve happe mon nez. Je pivote sur mes talons : trois magnifiques Drag Queens paradent et s’esquivent. Aussitôt, fougère à papa et chypre costaud s’introduisent entre les mailles, et la valse, interrompue juste un instant, reprend son tricot démodé. Coumarine, mousse de chêne et petite transpiration. Un truc propre et sucré me bouscule à peine. Chewing-gum. Un homme me frôle et passe son chemin, à l’affût. Il mâchonne sa solitude. Bonne haleine fraiche à la recherche d’une donzelle ? Nos chemins se séparent, je poursuis ma quête personnelle. Une exhalaison étrange caresse mon visage. J’approche de la bouche du tunnel qui disparait sous le quai du Louvre. Respiration acide et froide qui conserve la trace des pneus, des rôts des véhicules, des chiures de moteurs et d’urine humaine. Curieux mélange doux et sucré, composé de pâte à tarte crue, de réglisse, de calcaire, de bois fumé, et de pain d’épices.
Il est temps de remonter à la surface pour reprendre le cours de la ville, et clore mon nez. À quelle heure est la prochaine séance…de cinéma ?
fanstastique travelling avant dans les odeurs, tes narines montées sur des rails. Tout ça avant Piranha 3D, c'est le plein de sensations...
RépondreSupprimerEn tout cas ton papier donne vachement envie d'aller à PP.
Bonjour La Flore
RépondreSupprimerJ'aime bien ton image des narines montée sur rails...mais si, si je t'assure, dans ma tête les odeurs sont en 3D !! :)
Quelle délicieuse ballade à Paris! A quand le cinéma olfactif qui ferait voir et sentir? A ne pas manquer: "Le Ballon Rouge" de Albert Lamorisse (1956). C'est un peu vieillot mais ca n'a pas vieilli. C'est gris et en couleurs, attendrissant et poétique, plein de mouvement et de tranquilité. Et surtout, ca sent bon Paris... même à travers l'écran!
RépondreSupprimerBonjour le Parfumologiste,
RépondreSupprimerJe prèfère toujours laisser mon imaginaire faire les odeurs...la preuve, le "Ballon Rouge" ne necessite pas davantage que son histoire et celle que tu imagine ensuite.