mercredi 23 décembre 2009

Grands Boulevards

Rue du Faubourg Montmartre. Noël. Des touristes désespérés ne trouvent ni peintres, ni Sacré Cœur. Tournent sur eux même, hésitent à demander leur chemin. S’égarent une nouvelle fois en tachant de dégoter le salvateur « vous êtes ici » sur la carte offerte gracieusement par les Galeries Lafayette. Pourtant, ils ont vérifié auprès de la réception avant de quitter l’hôtel : le Sacré Cœur est à Montmartre, Grand Dieu !
La carte, déployée comme un journal quitte soudain le regard abattu de l’homme et s’abandonne mollement sur le ventre rebondi. Le visage vire à gauche, à droite, perplexe sur la direction à prendre. A pieds ? En métro ? En Vélib ? Soudain, le nez débusque une odeur alléchante de crêpes, aussitôt percutée puis éparpillée par le vent qui s’engouffre toujours en piqué, au centre de cette rue qui grimpe jusqu’à Pigalle. Nous sommes au cœur de Paris. Chassé croisé de Grands Boulevards, où les voitures tracent un sillon odorant et bruyant, où les restaurants traditionnels nichés dans les petites rues perpendiculaires, mêlent leurs parfums complexes d’oignons sucrés, de farine, de viandes rouges, de vins simples et de vinaigrette acide. Parfois une bulle de gras roussi et de frite rance explose : c’est « Quick » resto des temps modernes, qui lâche un rot chaque fois qu’un client franchit son seuil.
Au cœur de l’hiver, le parfum de ce quartier sans cesse en mouvement est terriblement gourmand. Rassurant. Source de petits bonheurs simples. Il suffit de pister le chemin tracé par les effluves crépitantes des crêpes géantes en train de cuire. Le nez en avant, mes pieds suivent naturellement le mouvement, avec un léger temps de retard. Une allure à la Tati, mais sans la pipe. Voilà. C’est là, à l’angle du Boulevard Poissonnière. Une drôle de bicoque qui mord le trottoir et s’offre aux courants d’air. Je reste debout, le corps fouaillé par le vent, les mains cachées dans les manches de mon manteau, les pieds battant la mesure pour faire semblant de me réchauffer. Toute ma concentration suspendue à mon bout du nez, parmi les vapeurs des galettes qui dorent sur la plaque. J’attends mon tour. Et j’imagine le parfum de ma gourmandise : miel, amande, chantilly, jambon, confiture, fromage, Nutella. Oups, étranges mélanges…Enfin, je passe commande. Comme d’habitude. Un peu de citron et c’est tout. Exhausteur naturel. Pour savourer purement la chaleur de la crêpe, un jour d’hiver trop froid pour le bout de mon nez.
« Montmartre ? Ah mais mon pauvre monsieur, vous n’y êtes pas du tout. C’est tout en haut, au bout de cette rue. Prenez une crêpe auparavant, car la grimpette est longue. Joyeux Noël ! »

jeudi 17 décembre 2009

Première Neige

8h25 ce matin. Horaire incontournable pour tous les parents de jeunes enfants. Nous sommes en retard. Comme d’habitude. Heureusement l’école n’est pas loin, petite promenade pour le plaisir de glisser en trottinette pour ma fille et, de me réveiller tout à fait pour moi. Aujourd’hui, si vous êtes dans la région, vous avez remarqué qu’il neige. C’est enfin de saison. Avant de franchir le seuil de l’appartement, nous avons joué à l’oignon : une, deux, trois couches de vêtements, quatre cinq six, bonnet, écharpe et gants, sept huit neuf, on a plus le temps…!
Nous voilà enfin au rez-de-chaussée de l’immeuble, et je contemple le parvis enneigé d’un blanc encore immaculé. Dans la seconde qui précède le mouvement de ma fille, qui attrappe la poignée de la lourde porte vitrée de l’immeuble, je pense : ouvre ton nez, laisse-toi pénétrer de cette odeur fragile de première neige.
Elle est bien au rendez-vous. Délicate, croquante, à peine poivrée. Un peu rêche aussi, comme une caresse électrique liquide. Une brève sensation de neuf, comme lorsque l’on ouvre un livre dont la reliure croustille. Mais soudain elle m’échappe, et disparaît. Je ne la tiens plus, et n’en garde qu’un souvenir qui se dilue très rapidement, pour réintégrer un petit tiroir de ma mémoire, que j’ouvrirai une prochaine fois. Mais ce ne sera plus pareil. La surprise des retrouvailles sera passée, effacée.
En fait, notre nez baigné par la chaleur du foyer que nous venons de quitter, possède encore toute sa souplesse et sa sensibilité pendant les quelques secondes qui suivent nos premiers pas dans l’air glacé de la rue. Puis, comme un escargot qui s’est mis le doigt dans « l’œil », notre nez rentre dans sa coquille, se rétracte et se resserre, et ne laisse filtrer ensuite que les informations les plus grossières, les plus bruyantes.
Le parfum de la première neige reste un cadeau bref, éphémère, qu’il faut savourer comme la première fraise, ou « la première gorgée de bière » pour citer les « plaisirs minuscules » de Philippe Delerm.
A tous ceux qui ne sentent plus rien quand il fait trop froid !

lundi 14 décembre 2009

Le Grille Teint

Hiver. Froid glacial de saison. Belle journée lumineuse couleur de miel. Je décide de m’installer en terrasse d’un café, ce bord de trottoir dorénavant réservé aux fumeurs résistants. Tables minuscules, chaises en rotins, et grille teint fixés sous la toile de l’auvent, couleur de bon vin, qui pulsent à plein régime une vibration rose orangé brûlante. L’effet est immédiat : le crâne grésille, les pommettes surchauffent mais les pieds restent définitivement glacés, imprégné par le froid qui provient du sol. Le contraste olfactif me saute au nez. Hors de la protection toute relative du chauffage électrique, le parfum de l’air est métallique comme un couteau bien aiguisé. La sensation est brève, comme une décharge saccadée d’échardes minuscules aux saveurs de muscade, de Tabasco éventé, et de limaille de fer. Je pense également aux émanations qui s’échappent, lors des premières secondes qui suivent le flash de la photocopieuse.
Assise en rang d’oignon, parmi les autres consommateurs coudes au corps et clopes au bec, j’aspire les volutes qui circulent, se répandent et virevoltent mollement pour finir grillées par le toaster. Émoussées par la chaleur torride du grille- teint, les volutes grises du tabac habituellement âcres, prennent des accents douceâtres. L’odeur de cigarette est joyeusement ronde et mœlleuse, presque chaleureuse. Elle devient boisée, miellée comme du papier usé, parfois un peu caramélisé vanillée. Soudain une lichette de vent parvient à percer la muraille vaporeuse et pince brutalement mon nez. Je trouve presque un soulagement à absorber une bonne goulée de fumée chaude et toxique.
Autre phénomène étrange. Sous l’action de la chaleur artificielle, les eaux de toilettes de toutes ces personnes attablées s’évaporent rapidement. Elles enflent et éclatent comme des bulles de savon, dispersant des miettes sucrées et complexes. Onctuosité crémeuse, inattendue, pour un parfum masculin habituellement plus rude. Sensation de cuir, de réglisse yoyo et de sucre candi pour ce parfum féminin dont la vanille a pris un coup de chaud, comme oubliée dans le four ! Crème Nivéa enfin, soudainement montée en neige telle une meringue. Dernier constat. Si je me mets de profile, j’ai une narine qui aspire l’air chaud savoureux, tandis que l’autre piquée par le froid vif et sec, devient presque insensible. Sensation amusante et déroutante car elles ne se mêlent pas. Le coté froid n’absorbe aucune odeur de tabac, statut RAS. Le coté chaud est badigeonné de nicotine fruitée et d’eaux de toilettes caramélisées.
Non, vraiment je ne pensais pas tomber nez à nez avec autant d’expériences inédites, en dégustant un simple café en terrasse un jour de plein hiver, à Paris, rue des Abbesses

Pour les Pieds Nickelés de Montmartre et nos "cafés" au St Jean

lundi 7 décembre 2009

Boite Noire

J’ai savouré ce plaisir rare. Nez sur l’évidence.
Curiosité de jeune provinciale pour l’événement parisien incontournable de la saison, j’ai exploré la FIAC, voici quelques années. J’ai ainsi connu l’immense privilège d’errer au long d’interminables couloirs de moquettes grises, entre des stands glacés emplit du bourdonnement des voix pondérées. Angles droits, cloisons fines et blanches auxquelles étaient fixées, les œuvres, qui inspiraient commentaires et spéculations. Je remarquais également des personnages très élégants, leurs longs doigts délicatement posés sur les lèvres, leurs visages graves, animés d’un hochement pensif en contemplant quelques tableaux. Quand à moi, je ne voyais rien. Pourtant, à quelques pas de la sortie, je suis tombée sur un mur noir. Mouvant. Chaleureux. Apaisant. Et je me suis fais cette réflexion, au bout d’une bonne minute de contemplation muette et déjà amoureuse : « ce jeune homme ira loin, il a comprit… ». Le jeune homme en question, je ne le savais pas à cette époque, se nommait Pierre Soulages, comptait déjà 72 printemps, et était reconnu depuis la fin des années 40. Pour moi, il était tout neuf, tout beau, et j’avais envie de le poser dans mon salon pour l’admirer sans vergogne et, l’écouter me raconter de belles histoires noires. Mais, déjà, il était totalement inaccessible…J’étais née bien trop tard.
Presque 20 années sont passées, et Soulages de toute façon inabordable n’a point franchit mon pas de porte. Donc, je vais à lui. Au Centre George Pompidou en ce moment, où, heureuse de l’abondance et de l’espace, nécessaire pour admirer à loisir ses noirs, je déambule et contemple en silence le « jeune homme », qui ne cesse jamais de chercher et d’offrir.
L’exposition est organisée comme un labyrinthe, avec en fin de parcours, une boîte blanche qui parle. Je m’approche d’une des portes latérales, occultée par de lourdes lames en tissus vernis, et découvre une salle de projection. Pierre Soulages explique à la caméra, d’un large mouvement de bras, sa méthode de travail. Je pénètre avec précaution à l’intérieur car je ne distingue absolument rien, et crains de piétiner quelques spectateurs assis en tailleur à même le sol. Je devine sur ma gauche un pan de mur libre, et me glisse adroitement entre deux personnes appuyées contre la cloison, concentrées sur l’image qui défile. Quand à moi, je ne vois rien. A peine si je capte un son. Toute ma concentration est soudainement vissée à l’odeur qui imprègne cet espace sombre et clôt. Nous sommes nombreux. Les plus chanceux sont assis épaules contre épaules sur les quelques bancs disposés devant l’écran. Les plus souples sont réunis en grappes sur le sol, de part et d’autre des deux entrées fermées par les rideaux, les plus endurants restent debout, dispersés dans les coins. La température est élevée. L’atmosphère humide, serrée entre un plafond obscur et une moquette noire, assez épaisse pour amortir le bruit des pas. Je suis au cœur d’un ventre noir et tiède, saturé d’effluves immobiles qui forment une odeur unique, car j’ai énormément de difficultés à distinguer et séparer chaque informations, en raison de l’absence de courant d’air. A cet instant, coïncidence ou choix du réalisateur lors du montage, Soulages nous regarde et s’exclame « il fait chaud, non ? » et retire sa veste. La salle glousse, complice, et les corps s’agitent, provoquant une légère turbulence. Une saute de vent que je capture. Je perçois alors des fragments d’armoise, des copeaux de bois de cèdre, un chapelet de graines de coriandre ou de carvi, un rameau de feuilles vertes délicieusement frais, un fouillis de lianes humides, des fibres de coton, un bonbon à la violette, une mesure de levure boulangère, trois brins de lavande, un soupçon de vétiver qui ressemble à de la réglisse noire ( peut être est-ce l’inverse ?), de la pâte d’amande, du savon traditionnel, l’odeur incontournable des fesses chaudes posées sur des sièges en plastique, celle fine et moite produite par les haleines. Pour finir, l’arôme de la chlorophylle échappée de deux ou trois ruminants discrets. Soulages poursuit son explication à propos de l’outrenoir. Comment le noir, offre toute sa diversité et ses tonalités au frôlement de la lumière : lorsque le regardeur se déplace autour du tableau, le noir change, et pourtant « c’est fait avec le même noir ». Je me rends compte que je suis confinée dans une boite noire, où tous les miasmes forment une boule compacte impénétrable. Ce lieu obscur concentre une fragrance singulière, en apparence homogène, formée par les visiteurs de passage qui abandonnent sans embarras leurs empreintes olfactives, et l’ajoutent aux précédentes. Seul le mouvement des personnes qui entrent ou qui sortent, qui cherchent une place en créant un remous, me permet de capter quelques nuances, comme un « reflet, sur les états de surface de la couleur noire ». L’analogie avec les paroles du peintre m’amuse. Cette sensation d’être « attentive » à ce magma odorant uniforme qui offre une infinité de possibles, aux hasards des trajectoires et des superpositions qui s’étirent sous mon nez, plongé dans le noir.

Pierre Soulages:
Quelques citations glanées lors de l'expo.
« Le noir a des possibilités insoupçonnées et, attentif à ce que j’ignore, je vais à leur rencontre »

« Si l’on trouve que ces peintures sont seulement noires, c’est qu’on ne les regarde pas avec les yeux, mais avec ce qu’on a dans la tête ».

« C’est ce que je fais, qui m’apprend ce que je cherche » -1953-

jeudi 3 décembre 2009

Après la pluie

L’autre jour dans le métro j’ai pleuré.
Rien de bien grave, une matinée un peu difficile. De l’orgueil froissé, un peu de découragement, et l’envie d’être quelques instants Caliméro. Lorsque l’on pleure dans le métro on n’est pas seul, mais tout le monde vous ignore gentiment. Par pudeur. Je ne suis pas la première qui sanglote en silence sur la banquette, et en général tout ce passe bien. Le métro permet de verser une larme sans solitude, au creux des autres, sans être dérangé par une sollicitude déplacé, inopportune, ou hypocrite. Un vrai chagrin par contre peut gêner la foule indifférente, qui ne sait si elle doit vous prendre dans ses bras ou vous ignorer davantage. Et en général personne ne tente rien, on ne sait jamais. Pourtant, je me souviens avoir donné un paquet de kleenex à un jeune homme, qui se noyait dans sa morve comme un naufragé. Le sachet lui est tombé dans les mains, tel une boué. Je n’ai pas résolu son malheur, il a simplement abordé au sec une rive meilleure …
Lorsque l’on pleure, on a beaucoup de difficultés à sentir. Je ne vous apprends rien. Trop de liquide, et surtout, toute l’attention portée sur son nombril, non vers les autres. Le nez est en boucle fermée. Lorsque le chagrin, les larmes et les mucosités sont enfin évacuées, le nez est tout neuf, tout propre. Et là, c’est très bien. Pour les gens bizarres comme moi.

Dans le métro après mes larmes, je me suis arrangée pour que mon nez soit pimpant, au moment où j’ai émergé à l’air libre, place du Palais Royal. J’ai humé la pierre du Louvre légèrement acide, les facettes édulcorées des longues affiches plastifiées qui déroulent leurs annonces, au dessus des arcades marquant l’entrée du Musée. La pluie venait de s’interrompre, si bien que la ville était rincée, comme mon nez. J’ai porté mes pas sous le porche central du Louvre. Brève odeur un peu rance, des multitudes de couches de déjections des voitures qui s’accumulent depuis des années, et celle rude et piquante d’urine humaine. Retour rapide à la lumière, sensation étonnante de chaleur, et de moiteur ; le soleil revenu, l’humidité du sol s’évaporait en volutes parfumées depuis la cour et les jardins. Puissante odeur des bordures de buis au parfum caractéristique de pisse chaude, de chat mâle qui marque son territoire : sucrée et fruitée comme la liqueur de cassis, boisée et sèche comme l’ortie. J’ai hésité entre poursuivre mon chemin vers les jardins, ou pointer mon nez vers la Pyramide. Les effluves du palais ont finalement emporté ma préférence. J’ai soudain pénétré au cœur du monde touristique grouillant. Fouillis aromatiques et poisseux de chewing-gums. Magma odorant de cheveux mouillés, de crème solaire, de transpiration saine à l’odeur de schweppes ou de carvi. Remugle amère et poivré des baskets à grosses semelles en caoutchouc. Emanations un peu acide des anoraks humides, associés en contre point aux tee-shirts en coton blanc, à l’âpre saveur de calcaire.

Paris cet été, centre de l’univers touristique….
J’ai oublié Caliméro
J’aime bien cette humanité odorante.