vendredi 25 mars 2011

Les poils du Dieu Pan /7 (enfin !)

Lorsque Tristan parvint à l’angle du quai des Orfèvres, une soudaine bouffée de vent vint s’enrouler autour de lui, chargée de l’odeur froide du fleuve mêlée aux relents âpres et tièdes exsudés par les voitures circulant sur les artères. L’odeur de sa ville n’était jamais aussi intime et sensuelle que lorsqu’il errait entre l’ile de la Cité et le pont des Arts. Très peu d’arômes culinaires. Mais des effluves d’eau, de peaux parfumées, de pneus, abrasant le bitume, et de craie, émanant de la pierre érodée des immeubles. Une transpiration. Un pouls odorant de sa ville en continu. Imperceptible et immuable. Qualifié de pollution, lorsque ce parfum atteignait le point strident. Dépeint comme une atmosphère, par les citadins amoureux de la ville, accoutumés à son parfum d’aisselles. Tristan trouvait difficilement les mots pour exprimer cette signature si particulière. Tiède à l’automne, humide et métallique en hiver, ou au printemps, moite et collante en été. Mais c’était là une liste vague pour évoquer des sensations sur sa peau. Son nez percevait des images qu’il glanait et mêlait dans un mortier imaginaire, une mosaïque de couleurs et de volumes qu’il réduisait ensuite en poudre. Il obtenait ainsi un reliquat fin et odorant, qu’il tentait de qualifier. Poids et mesures. Parfois, Tristan imaginait un dictionnaire des odeurs aux définitions simples et précises. Paris, deux petits points : gaz d’échappement, merde de chien, pollen, boues grasses. Synonyme : âcre, piquant, fadasse. Mais ce n’était pas vrai. Trop court et trop injuste. Paris sentait par blocs. En fonction de ses peuples et de ses cultures. Des habitudes alimentaires, et de vies. Quartier habité, quartier de boutiques, quartier noctambule, quartier de bureaux...Mais aux abords du fleuve, dans cette large échancrure offerte, on découvrait un parfum complexe, parfois déroutant. Rues et boulevards saturés d’effluves pulsés par les divers arrondissements, déversaient tels des affluents odorants, leurs courants singuliers qui se mêlaient, se nouaient ou se heurtaient, au gré des vents et des intempéries.
Tristan renâclait à franchir l’entrée du célèbre immeuble, où son devoir de citoyen l’attendait. Il leva un regard sceptique vers la façade blanche. Et finalement décida de lui tourner le dos. Sous le ciel gris, la température était douce et, accoudé au parapet de pierre qui longeait le fleuve, Tristan s’amusa une fois de plus à déchiffrer les ingrédients qui composaient le parfum de sa ville.
Dix minutes plus tard, nanti d’une nouvelle liste d’arômes identifiés et stockés dans les compartiments de sa mémoire, Tristan pénétra dans les locaux de la criminelle et informa le fonctionnaire en uniforme, dissimulé derrière un comptoir gris sombre, de la raison de sa présence. Tandis que le policier contactait par téléphone la Commissaire, Tristan laissa son nez se promener parmi le mobilier terne et inconfortable, les murs placardés d’avis de recherches illustrés de trombines sinistres ou totalement floues, et constata surpris que le parfum des lieux ne coïncidait absolument pas avec l’image prête à l’emploi qu’il possédait dans son tiroir à fantasme. Aucun relent viril de sueur, aucune volute lisse et poussiéreuse de papier jauni, aucune trace de sang séché, de vin rance ou de perfecto en cuir. Mais une puissante et onctueuse odeur de lys et de vanille. Ambre solaire et sable blanc. Pas le temps de repérer l’origine de ce fumet narcotique, qu’un « Monsieur Lézard, vous êtes attendu » résonna à son oreille. Tristan, à regret, débrancha son nez, tourna les talons et s’engagea dans le couloir que le policier arrimé à sa chaise lui indiqua d’un mouvement de stylo par-dessus son épaule gauche, sans lever les yeux de son écran d’ordinateur.
Un long corridor gris bleuté, un sol en lino clair, le sentiment de traverser des bureaux d’une banalité sans fin. La commissaire l’attendait au bout du second coude. Elle le reçut aimablement, presque avec chaleur, et l’invita à entrer puis s’assoir, devant le premier bureau, sur une chaise en plastique moulé dont les pieds raides et chromés n’invitaient pas à la détente. Une pièce sobre, située coté cour, où, depuis l’unique et haute fenêtre on apercevait un coin de ciel, gris Paris, en tordant légèrement le cou.
-Comment allez-vous depuis ce matin ? Vous êtes-vous remis de vos émotions ?
Elle n’avait pas rejoint son fauteuil, et se tenait debout au coin de son bureau d’où elle le dominait de toute sa hauteur, que Tristan estima frôler les 1m80, sans tricher. Hors ce jour-là, elle portait des bottes cavalières à hauts talons. Surprit par la douceur du ton, il répondit presque en bafouillant, avec la désagréable impression d’être un garnement se justifiant devant son institutrice.
- Oui…,enfin d’une certaine manière on peut dire ça comme ça.
- Vous pensez pouvoir rouvrir bientôt votre restaurant ?
- Le plus tôt possible, dès que l’odeur de cadavre aura disparu
- Oui, en effet, c’est la moindre des choses. Je comprends…
À quoi rimaient cet échange d’amabilité, cette sollicitude envahissante. Tristan s’agita sur son siège, démangé par l’envie de se mettre debout pour discuter face à face avec cette femme étrangement bienveillante, et surtout trop grande.
- Et si vous m’expliquiez pourquoi à peine arrivé, désirez-vous déjà nous quitter ?
La question posée tranquillement par la commissaire eut exactement l’effet souhaité : il s’immobilisa et commença aussitôt par se justifier.
- Mais pas du tout. J’ai simplement besoin de me mettre debout. Je ne supporte pas de rester assit trop longtemps.
- Vous devez rester assis. Je suis navrée pour vous, mais c’est la règle pendant que je vous interroge.
- Me considérez-vous comme un suspect ?
- Absolument pas. Je me contente simplement de vous poser quelques questions. Vous êtes dans mon bureau, et non dans une salle interrogatoire.
- Il existe une différence ?
À cet instant le lieutenant Norec entra dans le bureau, et sans un mot ni signe de tête, s’installa derrière le second bureau placé en retrait, dans le coin le plus éloigné de la fenêtre. Le jingle sonore de la mise en route de son ordinateur brisa le silence.
- Tout va bien lieutenant ? Pouvons-nous commencer ? Demanda la commissaire Gomez, sans lâcher des yeux Tristan.
- Oui, c’est bon Commissaire. Je prends note de la déposition.
Le visage soudain grave, elle s’assit à l’angle de son bureau, étendit la main vers son carnet bleu turquoise, attrapa ensuite dans la foulée un stylo, qu’elle porta à sa bouche pour en mâchonner le bout, et laissa filer les minutes, pendant qu’elle parcourait ses notes. Finalement, elle retira le crayon de ses lèvres et posa enfin une vraie question de flic, sans quitter des yeux son carnet.
- Quel jour avez-vous rencontré pour la dernière fois Michel Drommel ?
- Je ne connais personne sous ce nom là.
- Pardon. J’ai omis de vous le préciser, mais c’est votre cadavre.
- D’une part ce n’est pas mon cadavre, ensuite, comme je vous l’ai indiqué ce matin, je ne connais pas l’individu déposé dans mon placard. Pas plus que je n’ai croisé de Michel Drommel.
- Voltaire ? Ce nom vous évoque-t’il quelqu’un ?
- Candide.
- Vous pensiez à autre chose ?
- Non. Pourquoi insistez-vous sur le fait que je puisse connaitre cet homme ? Je ne comprends même pas pourquoi ce pauvre type à échoué dans mon restaurant, totalement épilé à la marmelade d’orange.
- Qu'est-ce qui vous fait penser qu’il a été épilé, et non pas brûlé ?
- L’odeur, bon sang ! Ne me dites pas que vous n’avez pas remarqué ?
France se tourna vers son adjoint. Immédiatement Gaëtan se leva et vint la rejoindre avec un dossier à la main, qu’il lui remit.
Elle feuilleta les nombreux feuilles et croquis annotés, et s’arrêta sur une page en particulier, qu’elle parcouru rapidement, sourcil froncé.
- Vous avez raison, Monsieur Lézard. Le corps à bien été épilé avec un mélange composé de sucre caramélisé, de miel, d’huile d’arachide et d’écorces d’oranges.
- Mais cela n’explique pas les nombreuses brûlures et les traces de suie ? Remarqua Tristan, qui soudain réfléchissait, en même temps qu’il écoutait le rapport du médecin légiste.
- Non, en effet, cela n’explique pas. Vous avez une idée de votre côté ?
Naïveté ? Curiosité ? Tristan ne s’inquiéta plus de subir un interrogatoire, et plongea dans l’intrigue de l’instant, comme s’il dévorait un polar fascinant dans le salon paisible de son appartement parisien, installé dans son rocking-chair près de la cheminée, un mug de café dans la main
- Un briquet, ou encore des allumettes. Un chalumeau aurait sans doute fait davantage de dégâts, en outre l’odeur de la combustion n’est pas la même. Je penche pour des allumettes, car le cadavre dégageait une légère odeur de soufre. Mais ce n’est pas la cause de la mort, n'est-ce pas ? On ne succombe pas à une épilation, même sévère…
- Réponse adéquate sur toute la ligne. En effet, ce sont des allumettes, et, oui, évidemment l’homme n’est pas décédé des suites de son épilation. Mais il l’a même subi et supporté, pendant qu’il était encore en vie.
- Tu parles d’une esthéticienne ! remarqua soudain Gaëtan.
Gomez jeta un regard sombre à son lieutenant.
- Vous voulez dire que vous pensez que le meurtrier est une femme ?
- Et vous ? Reprit la commissaire en le regardant avec intérêt, sans hostilité ni agressivité. Elle était tout simplement attentive, et presque douce.
Une petite sonnette d’alarme retentit aussitôt dans l’esprit de Tristan. Il se méfiait de la douceur en général et de la douceur féminine en particulier. Elle enrobait chacune de vos défenses, et sans prévenir, vous vous retrouviez démuni et face à une situation que vous n’aviez pas souhaité. Misogyne, lui reprochait Antoine. Lucide, lui rétorquait Tristan. Mais à cet instant, alors que Tristan contemplait le visage souriant et posé de la commissaire, il eut réellement le sentiment d’être manipulé.
- Que vous importe mon opinion. Je suis ici simplement pour faire une déposition, et répondre à quelques-unes de vos questions.
France se redressa, visage paisible, mais esprit contrarié. Ce lézard lui filait entre les doigts. Il connaissait la victime. Elle était parfaitement au courant du passé de sa maman et des relations particulières que celle-ci entretenait avec Voltaire. Apparemment, l’homme refermé et distant assis devant elle et qu’elle dominait par sa taille ne désirait pas s’exprimer. Ou bien, effectivement il n’avait pas reconnu l’ancien visiteur de sa mère. Gomez hésitait sur la démarche à suivre. La méthode douce ne fonctionnait pas : il fuyait, et s’échappait comme un escargot rétracte ses cornes et disparait dans sa coquille. Défense primitive, donc. Cependant, elle constatait qu’il devenait bavard dès qu’il s’agissait de parler d’odeur ou de cuisine. Elle contourna son bureau, s’assit et croisa ses jambes tranquillement, puis demanda d’une vois plus ferme.
- Revenons à l’odeur du cadavre. Pourriez-vous m’en dire davantage ?
- Matières invisibles. Détails d’importances. Dites-moi plutôt comment il a été tué ?
Norec eut un haut-le-corps. Il n’aimait pas qu’un civil pose des questions. Cela ne le regardait pas. Il ne souhaitait pas non plus que sa chef réponde. Dans ces moments-là, la jalousie lui brulait les veines, et un tic s’accrochait à son œil gauche : il applaudissait des paupières.
Sans l’ombre d’une hésitation, Gomez livra l’information :
- Il a été drogué, épilé soigneusement, puis achevé avec une longue aiguille introduite dans le nez, qui a atteint ensuite le cerveau. Une aiguille chauffée à blanc.
à suivre....



jeudi 17 mars 2011

Gros gros retard

Mais je n'ai pas disparu !
Les chaussettes, tu as raison Sunny Side, sont les plus longues à tricoter ! :)
J'écrit entre deux moment, je suis souvent interrompu...et je perds le fil.
Je devais effectivement editer le chapitre 7 aujourd'hui. Je vous propose d'attendre encore un peu. Mercredi prochain je suis ok.
Les chroniques me demande moins de temps. Je peux facilement écrire n'importe où, deux lignes ou trois. Mais ce type de récit, même modeste et sans prétention demande un peu plus de temps, ou plus d'experience, plus d'oraganisation aussi : je n'ai aucun plan, aucune structure, juste une idée globale dans la tête et deux à troischapitres d'avances dans les tiroirs de mon imagination. Et dernièrement mon homme a constaté une enorme incohérence lorsque je lui racontais cet épisode et le suivant....donc je revois ma dictée ! Voili, voilou, écrivain c'est un vrai métier...et je suis juste un amateur qui improvise...un immense merci pour votre patience.

jeudi 3 mars 2011

Retard

Bigre.
Tristan Lezard est en retard
Je me consacre à mon vrai métier, les odeurs, et j'ai peu de temps à offrir cette semaine aux mots.
J'en suis la première désolée...car j'aime mes récréations, où je jongle avec les mots.
Mais bon. Y'a des priorités.
Prochain chapitre : je prend la liberté de ne pas vous donner de jour précis, mais le plus rapidement posssible. Ce blog est le seul lieu où je n'éprouve pas de contrainte...je ne vais pas commencer à poser des "dead-line" ! :)
Merci à vous amis(es) lectrices et lecteurs pour votre patience.