vendredi 21 décembre 2012

Salle d’attente pour fin du monde

C’est la fin du monde. Le début de l’attente. Je patiente.
Invisibles et inodores, les microbes sont là. Flânent alentour. Prêt à nous bouloter.
Mes enfants sont un met de choix. Un soir, comme tous les soirs, je pose mes lèvres sur leurs fronts d’enfants sages, bonne nuit mes petits. J’interromps mon câlin et mon blaire prend le dessus. Je renifle. Ma fille, comme mon fils, est habituée à ce manège, front immobile, corps tranquille. Son odeur à imperceptiblement changé. Moins sucrée. À peine plus aigrelette avec un trémolo de polenta, une lichette d’amidon. L’enfant couve. Un truc. Je ne sais pas quoi encore, mais je surveille. Je bisoute, fin de partie, la lumière disparait et la nuit peut se poser.
Le lendemain au réveil, l’odeur a disparu. Fausse alerte en apparence. Cartable et bonnet, en route pour l’école. Puis, l’après-midi un coup de fil. Le cordon fait signe. Votre fille à de la fièvre, elle dort, épuisée, la tête posée sur le coin de son bureau. Faudrait venir la chercher. Évidemment.
À l’école, je reçois un petit paquet tout chaud, mais sans l’odeur familière de croissant. Commué en miasme. Âpre et rance. Poisseux, comme un sirop trop cuit, rêche, comme une lime à ongles. Ma fille est dévorée par les germes de la gastro, plus un autre truc que je ne reconnais pas. Une inconnue, au parfum d’infusion de gazon trempé dans du lait de coco. Exotique, mais déroutant.
Deux jours plus tard, l’odeur verte et grasse infusée dans le lait de coco enfle tant et si bien au gré des sautes d’humeur de la température, qu’inquiète, enfin, je finis par échouer chez le médecin, Le Jour de la Fin du Monde. Maintenant. Et mon nez, avant même d’ouvrir la porte qui donne accès à la salle d’attente, se désespère. Aspire sans délai à la fin des temps. Au silence olfactif, pour une fois, juste une seule fois, et ensuite on pourra remettre le son…Car il y a un Homme derrière cette porte. Un type, viril, puissant, bardé dans une armure de Cologne. Des rivets agressifs de bergamote et le dihydromyrcenol soudés sous plusieurs couches d’allyl amyl glycolate, renforcé d’adoxal et d’essence d’armoise, protégé d’un immense bouclier de musc argent et de résines sable, armé enfin, d’une interminable lance de bois de synthèse, implacable, rugueuse et inflexible, vive le karanal… ! Je crie, grâce ! Cesse de m’estourbir et décolle-toi de mes narines !! Que nenni, s’écrit l’indécelable de la salle d’attente. Car mes yeux ne voient rien, quand mon nez englobe tout. Je découvre intriguée l’absence d’homme dans cette pièce exigüe, uniquement encombrée de femmes, de microbes et d’enfants malades à l’odeur fluette de farine et de pain perdu. Je m’assois sur le seul siège encore libre et écoute d’une narine distraite le radotage olfactif du fier guerrier. Le parfum mâle me poursuit dans l’antre du toubib. Volette autour de moi tandis que je règle la consultation, m’accompagne jusqu’à la sortie de la maison médicale et rapplique dans ma voiture, tandis que je prends le large vers la pharmacie. Au feu rouge, je m’interroge. Mon nez serait-il devenu incapable de s’autonettoyer, mes neurones seraient-elles en pannes de vélocités et mon cerveau tournerait-il fixette ? Arggggg !
Le parfum masculin m’empoigne, viol mon conduit nasal et s’installe, sans sourciller, dans l’antre de mon bulbe olfactif !  Fin de partie. Mon univers odorant est dévoré par le parasite. Virus. Écran Noir et dernière odeur : l’eau de toilette top-ten de cette fin 2012. Vaincue, je tombe sur mon volant et pose mon front sur le plastique dur et froid. La fragrance est encore plus forte, terrible et coupante. Étrange tout de même, à ce point-là. Je devrai plutôt percevoir les effluves fades de ma voiture, ceux du polymère gris et inerte. Poussière anisée et électricité statique : floralozone et lyral. Ben, non. Juste le molosse en armure d’aromates. Nez sur le guidon, je hume par petite touche. Centimètre après centimètre. Et découvre ahurie, que mes mains sont tout simplement barbouillées de parfum masulin, glané sans doute sur les accoudoirs du fauteuil de la salle d'attente. Finalement ce n’est pas la fin du monde, mais un simple accident de parcours entre microbes et hystérie mono-manique...

 

 

mercredi 12 décembre 2012

Grasse à l’odeur

Les murs suintent. Dans les calades sombres, encaissées, le relent demeure. Dissimulés sous les couches de crépis, prisonnier des voutes entre les immeubles enchevêtrés, il résiste. Se faufile et claironne les jours de pluie, enfle et fusionne les mois de chaleur. Mélasse noire. Odeur crasse. Entre moussaka et mousse de chêne.
Rue Droite, la langue de trottoir s’étire jusqu' au cœur de la ville, de son haleine. Le remugle du grignon d’olives, résultant des pressoirs à meules de pierres aujourd’hui disparus, badigeonne encore les murs d’une ruelle perpendiculaire et sinueuse. On devine, peint sur le flanc,  la raison sociale fanée des propriétaires. Émanations de gras ranci, de pop-corn brûlé, de chiendent humide et de pisse de chat en fine couche, qui marque le territoire de générations de félins qui se sont succédé sur ce pas de porte ombragé. Les traces des savonniers, façonniers d’une époque révolue, aux senteurs de soude et de cendre, d’huile d’olive et de mille-fleurs, persistent, reprit en cœur par les nombreuses boutiques "d'authentiques" qui alignent aujourd’hui leurs  vitrines colorées, en lieu et place des marchands d'autrefois --les boulangeries, qui fleuraient la fougassette parfumée à la fleur d’oranger, les confiseurs aux comptoirs débordant de pétales de fleurs cristallisées, de pyramides de melons translucides et de mandarines dégoulinantes de sucre confit-- afin d’attirer dans leurs rets odorants, des touristes empoissés par milles effluves de savonnettes et de sachets parfumés. Oxyde de rose, aux inflexions d’asperge et de limaille de fer pour rêver la rose de Grasse, alcool cinnamique, pour exprimer le mimosa, acétate de linalyle et coumarine, pour résumer la lavande, vanilline et éthyl maltol, pour susciter la gourmandise, essence de géranium, pour suggérer le rose de Bulgarie, methylionone, pour esquisser la violette de Toulouse,  isobornyl cyclohexanol, pour vous emporter sur les ailes d’un tapis volant parfumé au bois de Santal, evernyl et dihydromyrcenol, pour rafraichir les hommes au zeste de Cédrat. Des parfums de Cologne et de petites fleurs sages.
Naguère, la ville transpirait le patchouli et le ciste, les fleurs fatales et les résines brûlantes. Mais toutes ces odeurs ont presque disparu. Pour les débusquer, nez zélé, Il faut pénétrer les ruelles tordues et malpropres, quitter les couloirs touristiques et rattraper un filigrane enfouit dans les fissures, hébergé en tapinois sous l’enduit qui s’effrite, tressé laborieusement lorsque la ville vivait au rythme des usines. En ce temps-là, les fumées des chaudrons se détachaient des cheminées couleur de rouille perçant le ciel azur et s’épandaient sur la ville, effleurant les toits et barbouillant les façades, badigeonnant les vêtements des patrons et ceux des ouvriers, imprégnant la chair des femmes et des enfants, d’une odeur similaire et changeante. La récolte des roses au mois de mai nimbait la ville de cannelle et de miel, à l’approche de l’été pendant la saison du jasmin, les rues empestaient la dent gâtée et le foin mouillé, les gens grimaçaient, ne comprenant pas qu’une fleur si délicate puisse cocotter ainsi ; au mois de juillet, pour découvrir l’effluve de beurre clarifié de la lavande fraichement distillée, il fallait prendre le « bus des cocus » comme on le nommait, et filer dans la montagne ; lorsque c’était le tour des buissons de ciste la ville embaumait la barbapapa, puis, à l’automne, à la livraison des ballots de feuilles de patchouli, chacun se souvenait tout à coup qu’il devait ranger son grenier, enfin, venait le temps des matières sèches, celui des mousses d’arbres et de la mousse de chêne. Les filles devenaient rêveuses. Les hommes souriaient, benêts, nez au vent, et, sans que personnes ne s’en offusque, les boutiques fermaient plus tôt, les bureaux aussi, et la nuit se transformait en soupirs.
Il arrivait parfois qu’une des usines, moderne, en avance sur son époque éprouve un hoquet synthétique. Des relents étranges, indéfinissables, mais campés sur quelques solides molécules, ricochaient sur les murs de la ville et s’y attardaient pour ne plus les quitter. Hydroxycitronellal, aubépine paracrésol, isobutylquinoleine, ionones, un puzzle étrange où l’on devinait des fleurs de muguet, un lys narcotique et du cuir de vachette.
Aujourd’hui, mon fils potasse sa scolarité entre les murs du Lycée Amiral, large bâtiment en forme de U, crocheté sur l’un des versants de la ville. Lors des jours de mistral, quand les bourrasques retroussent les arbres et les vestes, des arômes de viandes grillées et de moussaka, quelquefois de crevettes surimi, viennent chatouiller les papilles des étudiants en cours d’anglais. Quand le vent tourne et se faufile depuis la mer, à l’est, les odeurs alors deviennent sucrées : fraise, framboise ou ananas. Les usines sont toujours là, sans cheminée ni fumerolles,  mais les vapeurs des arômes alimentaires ont remplacé une fois pour toutes, les fleurs et la mousse de chêne. Trêve de nourritures spirituelles ou romantiques, maintenant, les ados ont faim…

Le coin des curieux en quelques dates:
quelques découvertes de la chimie organique, utiles au métier du parfumeur depuis plus de 150 ans...
1833/34: aldehyde cinnamique, à l'odeur de canelle
1868: coumarine, à l'odeur de foin
1877: vanilline à l'odeur de gâteau
1877: aldéhyde anisique à l'odeur de mimosa
1885: quinoleine à l'odeur minérale de craie et de cuir
1898: ionones à l'odeur de violette, d'iris
1908: hydroxicitronellal à l'odeur de muguet
ect...

vendredi 30 novembre 2012

Parfum d’anonymat

Midi
Hôtel International.
Grande enseigne chic pour chambre standard.
Interrupteur à droite dès porte ouverte
Odeur immuable quelque soient la nation, la région, le quartier.
Marketing de mondialisation. Économie à grande échelle.
Murs moquette lit : dégradés de taupe. Le nouveau blanc, flexible et lessivable.
Je pose ma valise. Crochet pipi. Salle de bain taupe immaculée. Savonnette blanche. Effluves discrets : craie mouillée, ozone glacé, mie de pain, paracétamol.
Oups, je fuis les lieux.
Dans la rue, je rejoins les parfums d’humanité. Je sais où je me trouve. Vapeurs alimentaires, bosquets de fleurs et bouquet d'arbres, eaux de toilette, chiens chats chèvres ou vaches.

Minuit.
Dans la chambre de l’hôtel international. Lost in translation. Je suis déboussolée par l’absence d’identité olfactive.  
Draps, gel douche, linge amidonné et blush à chaussures : Craie mouillée. Ozone. Mie de pain. Paracétamol. Bulles d’odeurs lisses. Boule d’angoisse.
J’ai soudain mal à la tête. Mes odeurs me manquent.
Fenêtre condamnée. Air conditionné. Impossible de laisser les parfums du terroir pénétrer. Je quitte la chambre. Passe la nuit dans le bar de l’hôtel. Lumière tamisée, décor taupe incognito, mais effluves d’humanité. Je sais où je me trouve. Et m’endors sur un coin du canapé.



lundi 12 novembre 2012

Dépressive

Ce matin, le radio-réveil annonce que l’état dépressif est sensible aux odeurs. Le nez glissé sous ma couette, j’ouvre les oreilles. Le journaliste expose des études récentes et explique en un résumé succinct, flash info oblige, que "les patients atteints de dépression sévère présentent des troubles olfactifs qui les rendent étrangers aux odeurs agréables".
Nous sommes lundi. Pas de soleil, et la semaine se radine. L’humeur est maussade, faut retourner au quotidien.
Mais de mon côté je n’ai pas d’excuse.
Je suis dans les odeurs soir et matin
Pas de coup de blues.
Pas de chagrin.
Mine réjouie et rire au bord des narines.
Mon cerveau est sous Amphét olfactive. En permanence.
Je suis toujours de bonne humeur. En partance.

Et puis un jour, où tout semblait normal, j’ai commencé à broyer du noir.
Sans raison.
Car il faut bien faire partie d’un pourcentage de la population qui un jour achoppe et tombe dans la dépression.
Et tout s’est embrouillé dans ma tête. Les odeurs et le plaisir. J’ai commencé à perdre un marqueur, puis deux. Puis le reste s’en est allé. J’étais comme enrhumée. Un rhume de cerveau. À ne plus pouvoir sentir, ni ressentir.
Un nez en épave
Une humeur en lambeau.
Le médecin m’a fourgué des cachets, de bons conseils et le printemps à venir. Mon caractère devint plus souple, mes rêves linéaires et sans heurt, mon inventivité au repos. Je ne possédais plus de partis pris ou de libre arbitre. Tout me semblait supportable, les parfums comme le reste, au sein d’une bienveillante neutralité. Je sentais les nuages, la ouate et les plumes de mon duvet. Mes parfums fleuraient bon la farine, la meringue, la semoule et le coton peigné. Les effluves évoluaient en sourdine, feutrés et compassés.
Il m’en a fallu du temps pour finalement supposer une corrélation entre mon état d’esprit et l’état de mon nez.
Il m’en a fallu du temps pour débrouiller l’écheveau compliqué de mes sentiments étroitement noués aux parfums de mon quotidien, constituant cette bibliothèque de senteurs, imposante, féconde, sans doute étouffante.
J’ai offert le temps nécessaire à mon corps et à ma conscience de retracer le chemin des sensations. J’ai pris mon clavier pour dépeindre les odeurs, imaginer des effluves sans lendemain, évoquer des traces anodines pourtant singulières, et, doucement, l’odorat a pointé son nez, je n’étais plus une étrangère.





mardi 30 octobre 2012

Géométries

Recettes de géométrie. Formules ergonomiques.
Prenez quelques matières premières et faites les entrer dans une odeur que vous aurez au préalable imaginée.
Vous trouvez que ça coince ou que ça déborde ?
Du mal à fermer votre valise, même en vous asseyant dessus de tout votre poids ?
À moins que debout devant l'armoire vous ne demeuriez dubitatif. Ne sachant quels ingrédients choisir, ni comment les ranger ? La valise vide. Le nez en perdition. Le cerveau mou. La feuille blanche.
Ne désespérez pas.
Il existe des méthodes pragmatiques
Triangle
Rectangle
Rond.
Choisissez une forme. Au besoin, piochez un morceau de chaque, mélangez et inventez une nouvelle figure.

Triangle
La plus classique. Tête/cœur/fond
Organisez les ingrédients en fonction de leur temps d’évaporation.
Ne tiens pas compte de l’intensité de l’odeur, mais de sa durée de vie.

Rectangle
La plus logique. Familles olfactives
Organisez les ingrédients d’après leurs caractéristiques olfactives.
Ne tiens pas compte ni de l’intensité, ni de la durée. Prends en compte l’identité olfactive : vert, florale, fruité, boisée….

Rond
La plus abstraite. Tout fait sens, rien n’a de sens.
Prend en compte l'intensité, la durée et l'identité dans un rapport d’odeurs. Pas de hiérarchie ni d’organisation…en apparence.

Bébé parfumeur, mes matériaux sont classés par famille olfactive, par temps d’évaporation, par intensité et par affinité, soigneusement transcrit sur des fiches cartonnées. Mon bureau n’est pas assez grand pour toutes mes fiches et certaines essaiment sur la moquette grise. Je circule entre les noms chimiques et naturels, tel un échassier en quête de son repas. Je picore un nom puis plusieurs, tente de les associer pour former un triangle. Je ronchonne, car je ne sais plus où disposer ma figure géométrique. Finalement, je retire tous les cartons déployés sur mon bureau et les dépose à terre. La moquette disparait totalement sous une mosaïque de papier.
Penchée au-dessus de mon triangle, je crée un parfum chypré, légèrement fruité. Je tire la langue sur le côté et me concentre.
Je possède sur la pointe, de l’essence de bergamote, un peu d’orange douce, un truc chimique rigolo. Je trace un trait de séparation, ébauche la forme d’un tiroir et insère quelques casiers contenant des notes fruitées…flûte j’ai oublié de mettre des notes vertes pour zester la bergamote et rendre la pêche blanche plus naturelle. J’écarte légèrement mes petits cartons et j’ajoute le cis-3-hexenol entre l’agrume et les lactones.
Dans le tiroir suivant, je synthétise quelques bouquets de roses, un brin de muguet, une fleur de jasmin, en trois traits de matières. J’allonge avec une belle rasade de patchouli, une larme de labdanum, quelques brins de vétiver de synthèse. Je tasse le fond à l’aide d’une généreuse louche de musc macrocycliques et une noix de mousse de chêne.
Je fais rentrer le tout dans un cercle pour agiter le rapport d’odeur et vais de ce pas au labo, peser ma compo.
Car en ce temps-là je ne possédais pas encore le privilège d’être secondée d’une assistante. Devant ma balance de précision je compte et assemble chaque matériau à la demi-goutte près, par habitude je donne un petit coup de nez lorsque je débouche le flacon contenant le produit. Je nourris ainsi ma mémoire et vérifie que le produit n’est pas pollué, que son odeur est bien celle supposée. La pollution est le grand ennemi du parfumeur, le rhume non.
Total achevé.
Concentré
Solution
Petit flacon et jolie étiquette. Chypre Fantastique n° 1. 8% alcool 90°. Mars 1995.
Je retourne dans mon bureau, loin des émanations du labo. Atmosphère propre et paisible, nonobstant le foutoir crée par tous les morceaux de papier éparpillés sur le sol. Vous connaissez les habitudes du parfumeur : petite trempette de la mouillette, quelques secondes d’évaporation, puis on glisse la languette de papier sous le nez. Un bref instant. Afin de ne pas saturer les cils olfactifs. Au début, l’effet est souvent coup de poing. A cette époque, j’avais même tendance à reculer sous l’impact. Aujourd’hui, je fais corps avec la touche imprégnée, nous formons un couple. Donc, j’inhale. Et je découvre une odeur très agréable, douce et chaleureuse, lisse et lumineuse. Parfaitement équilibrée. C’est génial, la recette de géométrie fonctionne !! Ça sent bon. Très bon. Très, très bon.
Je prends quelques minutes pour me tartiner de fleurs, m’autocongratuler et me caresser le nombril dans le sens du poil, puis je donne un nouveau petit coup de nez, pour vérifier que le parfum tient ses promesses. Ça sent toujours très bon. Très, très bon. Et puis c’est tout

Il semble que je dans mon souci de mettre en pratique une recette de géométrie je perds de vue l’essentiel : le récit. L’intrigue.







mardi 23 octobre 2012

J’veux du cuir

Un matin, l’orage s’abat comme du plomb. Brouillard épais et route toboggan. Le laboratoire est froid. Lorsque j’ouvre la porte, les murs ne résonnent plus du même son sous mon pas. L’humidité rampe, invisible. S’invite et s’infiltre. Gonfle les meubles en bois. Le casier où je range quelques vieilles formules bloque. Buté, il ne sort pas de ses gonds. J’insiste, avec toute la douceur féminine dont je suis capable. Le tiroir ne veut rien entendre et finit par se fendre. Un bout de bois dans la main j’accepte les dégâts. Dépitée, j’abandonne la baguette brisée dont je réglerai le sort ultérieurement.
Trois mois plus tard.
L’intrigue n’a pas beaucoup progressé.
Mon tiroir fait toujours la gueule, mâchoire de travers passablement amochée.
Accepte de l’ouvrir, car le temps est redevenu sec.
Un mois plus tard.
Beau temps sans nuages.
Je tire une fois de trop. Fatigué, le tiroir capitule, sacrifie poignée et tablette.
J’ai un meuble borgne. Je tourne à l’orage.
Je tente une réparation au sparadrap. Me rend compte que ce dernier dégage une fine odeur d’irone alpha qui évoque la farine de châtaigne et la chair de poire. J’abandonne le bricolage et retourne à mes formules. Je joue avec les ionones pendant quelques jours et j’oublie mes soucis d’ameublement.
Trois semaines plus tard.
La pluie tombe.
Le sparadrap se débine.
Je n’ai rien sous la main. Un élastique, peut-être ?
Paresseuse, je n’ai pas envie de prendre ma voiture pour aller chez Leroy-Merlin, je me rends à pied chez mon voisin. Il me tend un saut en plastique et un pinceau. "Tout se rince à l’eau", me dit-il, et il retourne à ses occupations. De retour dans mon bac à sable, je m’amuse avec mes nouveaux jouets. L’étiquette sur le pot indique « colle de poisson». Je pensais que ce procédé n’existait plus depuis des lustres. L’odeur m’attrape, comme hameçon l’esturgeon et tandis que j’enduis les angles du tiroir avec application, je dévide, à chaque coup de pinceau, la bobine éphémère où s’enfile des molécules odorantes que je gobe et digère tour à tour.

Encre. Vinaigre. Sel. Pop corn. Sauce Nems. Bitume. Louis Vuitton. Place du marché de Vintimille.

Vintimille est en bord de mer.
Mais il n’existe pas de marché aux poissons à proprement parlé.
J’interromps mon barbouillage et immobilise le pinceau enduit de poix sous mon nez.
Je découpe la trainée odorante signal après signal afin de reconstituer le parcours aléatoire et pourtant logique du dénouement. Tel le mouvement de la course d’un athlète que l’on visionne au ralenti, mouvement après mouvement, pour en saisir la trajectoire. Je plonge littéralement dans l’odeur, progresse strate après strate afin de mettre la main sur l’ornière qui m’a fait soudain basculer, buter contre le monogramme brun et or, puis chuter sur cette ville frontalière en Italie.
Encre et bitume : des pâtes aromatisées à l’encre de sèche ?
Sel et vinaigre : la sauce nuoc-mâm élaborée avec des anchois fermentés dans une saumure ?
Pop corn et sauce nems. Je persiste dans les émanations de bouffe et de poiscaille.
Bitume et cambouis. Lapsang souchong. Noire et âcre comme l’encre, comme la fumée. Thé fumé. Salé et noir comme la saumure. Amer et animal. De couleurs en sensations, je parviens à dégager une silhouette parmi les images odorantes qui dessinent une trame floue et mouvante.
La colle de poisson embaume l’absolue de castoréum, substance sombre et animale qui rappelle les odeurs, fauve du cuir, âcre de la fumée. Et, dans la seconde qui suit, je comprends que ce relent caractéristique de peaux tannées m’a transportée chez Vuitton puis sur le marché de Vintimile où fleurissent les contrefaçons. Des cuirs à l’odeur de poisson.
Car ces objets sont la plus part du temps confectionnés en Asie. Et mon intuition me souffle que la colle, employée pour assembler les différentes bandes de cuir, est produite à partir des arêtes de poissons.
Lorsque j’ai musardé au printemps de l’année passée entre les étals du marché de Vintimille où je trainais mon nez en touriste parmi les eaux de toilette falsifiées aux noms et aux formes à peine voilées, à la découverte du contre-type pertinent ou des rateaux, le remugle étrange, inhabituel et terriblement puissant de la maroquinerie d’imitation a visiblement marqué ma mémoire olfactive sans que j’en prenne alors pleinement conscience. Brave petite mécanique ! Chaque effluve que je croise en chemin est automatiquement photographié par mes récepteurs logés dans mon renifloir, puis stockés dans ma mémoire protéiforme. Vaste collection d’instantanés en transit, qui surgissent au hasard des circonstances, s'agitent et bondissent, s’emmêlent les pinceaux, comme lors d’une séance improbable de bricolage par exemple.

Le nez apaisé, je poursuis ma besogne et fini d’assembler les différents morceaux de bois. Pour maintenir le tout, je pose le Petit Larousse au sommet, bien à plat. Satisfaite de mon travail, j’ouvre la fenêtre afin de disperser les odeurs de cuir contrefait et quitte mon bureau pollué.
Plus tard, penchée sur un mug de thé, je me rends compte que celui-ci dégage une fine odeur de suédine. Sous mon nez, un thé noir, mélange de Ceylan et d’Assam additionné d’une lichette de lait.

Hop ! Dans la boite à odeurs. Noir et blanc. Fumée et Benjoin…..Alice court après le lapin, Céline après le daim.





















lundi 15 octobre 2012

Le parfum de la fraise

Le goût de la France. En un peu plus de 300 molécules. Ou deux.
Dans le rayon produit frais on ne compte plus les desserts lactés aromatisés à la fraise. Coin confiture c’est le premier pot qui nous tombe sous la main. Gâteau sec bien fourré, elle séduit juste après le chocolat. Les enfants prennent leur douche sous la fraise, cheveux comprit, même si le slogan est lisiblement libellé fruits rouges, grenadine ou fruits du verger. Les eaux de toilette flirtent également avec la barbapapa rose Tagada.
Pour ma part, je ne sais pas créer un parfum de fraise, bien que j’adore le goût du fruit rangé serré comme une sardine dans sa barquette cartonnée au mois de juin.
Mon éducation anglo-saxonne n’y comprend rien.
Pas de souvenir, pas de référent, aucune nostalgie pour la fraise.
Techniquement, oui. Je peux vous citer les matériaux qui évoquent certaines facettes et permettent, une fois assemblé, de reproduire l’odeur, car j’ai tout appris à l’école.
Mais je ne sais pas donner envie, ni réveiller la gourmandise. Ma fraise ne possède aucune âme.
Certes, je n’apprécie ni les yogourts à la fraise, ni la confiture ou les bonbons à la fraise, mais ce n’est pas une raison suffisante.
J’ai une brulure d’amour propre à cause de la fraise. Étudiante à la Sorbonne, je me trouvais entre les murs d’un grand magasin parisien pour je ne sais plus quelle raison indispensable. Rez-de-chaussée, royaume des marques. Un stand en vedette pour le lancement d’une nouvelle eau de toilette féminine et un jeu concourt rigolo : trouvez l’odeur que l’hôtesse passe sous votre nez et gagnez un flacon. Trop fastoche ! Je baigne dans les parfums depuis mon enfance, toute la famille joue à l’odeur masquée en permanence, élémentaire mon petit nez ! Sourire conquérant je me pointe, allonge le blair et respire la substance….heu…odeur inconnue, vague réminiscence, mais c’est quoi ce machin ? De la fraise ! clame-t-on autour de moi à l’unanimité. Toutes ces dames et messieurs gagnent un petit flacon, quand à moi je disparais, humiliée et agacée : pfft, de toute façon, le parfum de la fraise était très mal fait. Na !
Oui, mais ce n’est pas une raison suffisante.
Depuis, je suis allée à l’école pour découvrir, comprendre et composer le parfum de la fraise. J’ai correctement appris ma leçon, reproduit scrupuleusement les exemples donnés en classe, mais sans succès. Mes fraises n’ont jamais rencontré l’adhésion de quiconque, ni la mienne particulièrement. Je n’ai pas abandonné la partie pour autant. J’ai poursuivi mes recherches et cheminé sur des sentiers de traverse. J’ai proposé des vanilles/fraise, des fraises/rhubarbe, des tomates/fraise, des bois à la fraise, des patchoulis/fraise, des mûres/fraise, des pommes/fraise, des marmelades d’orange à la fraise afin de réconcilier mes racines irlandaise et française. Succès d’estime. Merci, c’est original et créatif, mais où se trouve la fraise, au fait ??
Je questionne les aromaticiens, farfouille sur leurs étagères, tente de chiper leurs trucs et astuces et traine mon blair sans en avoir l’air. Je sais, je sais, le produit miracle qui organise comme par magie l’idée un peu vague, ça n’existe pas. J’ai déjà fait une omelette, vous vous souvenez ? Je tente malgré tout car, je veux comprendre, maitriser la réponse. Je découvre ainsi que le goût de la fraise, celle que l’on cueille au raz du sol dans notre jardin, comporte un peu plus de 300 molécules chimiques. Forte de cette constatation je crée une énorme formule, très longue, très détaillées dans laquelle je mets tous les ingrédients disponibles au laboratoire avec les quantités qui correspondent aux analyses chromato et spectro des dernières recherches en chimie moléculaire. Mon assistante passe une bonne matinée à rassembler chaque matériau, à peser et vérifier l’interminable formule qui contient des substances parfois très, très, diluées. Un vrai travail d’orfèvre. Elle m’apporte enfin, comme sur un plateau, le minuscule flacon d’une solution à 5% dans l’alcool de ma « vraie fraise du laboratoire ». Délicatement, je plonge la pointe d’une touche dans le flacon. Je compte quelques secondes pour laisser le temps à l’alcool de s’évaporer, mais en fait je recule l’instant de la confrontation entre le fantasme et la réalité. La technique et l’idée. Silence, on sniffe. Poing serré, coude au corps, yes ! Ça sent la fraise !! Brièvement. Un simple pop qui aussitôt s’évapore. Puis c’est une longue suite d’informations éparses, décousues qui évoquent le caramel, le citron, les feuilles vertes, le bois sec, la banane, la rose, l’humus, la confiture, l’amertume et le sucré. Découragée, j’envoie ma mouillette promener. J’attrape ma formule et plonge dans la lecture du récit de la fraise. Chaque produit possède un caractère qui évoque peu ou prou la fraise. Chacun existe dans la nature pour provoquer dans notre bouche le goût de la fraise. Alors, pourquoi cela ne fonctionne -t-il pas dans mon flacon, sous mon nez ? La recette hurle la fraise, mais je n’en perçois qu’un bref murmure.
Dépitée, j’abandonne l’idée de créer des parfums à la fraise. La formule a disparu, engloutit par l’ordinateur. Les années ont fui, englouties par le quotidien. Je me suis spécialisée dans la pomme. Entre autres.

Et puis, un jour, je papotais fraise avec un parfumeur.
Elle a souri. Et m’a expliqué que pour sa part elle n’aimait pas la vanille. Pourtant elle avait signé de nombreux parfums onctueux et meringués.
J’ai repris mes flacons. Écris une formule. À ma façon. Fraise et calisson. J’ai oublié l’école et la chromato.
Depuis, des enfants anglais font des bulles dans le bain avec mon parfum « toffee cherry » et j’en suis heureuse. « Nothing personal”, comme disent les Américains.


PS :
Un grand merci à Josiane, spécialiste de la vanille qu’elle n’appréciait pas vraiment, qui m’a démontré gentiment que l’aldéhyde C16, surnommé également aldéhyde fraise, ne sert à rien pour créer une fraise.
Un grand merci à Florence qui m’a expliqué au hasard d‘une conversation que l’anthranilate de méthyle permet de créer l’odeur de la fraise des bois.
Un grand merci à papa qui explique dans son bouquin (au passage, hop, un peu de pub, ça reste en famille), que ma formule de jeune parfumeur à la recherche de la fraise écrite avec plus de 120 produits, peut se résumer aussi en deux matières : éthyl maltol + fructone.
PS 2:
Aujourd’hui, lorsque l’on fait déguster en aveugle à des adultes et particulièrement à des enfants une véritable fraise de saison mûre à point et un arôme traditionnel de fraise, la majorité des réponses démontre que l’arôme de synthèse emporte la palme de la réalité, de la vérité.



mardi 25 septembre 2012

Buddha Bar

Quartier chic, rue sombre à peine. L’entrée d’un bar branché. Deux colosses souriants, tout dépend. Ensuite un palier étroit à l’éclairage minuscule et aussitôt de larges marches qui disparaissent vers les étages inférieurs. Rouge sur fond noir. Mes yeux de myopes ne me permettent pas d’appréhender tous les détails. Sans lunettes, j’ajuste mon nez et parcours la foule. La moquette sous les talons est vraiment épaisse. Je m’enlise à chaque pas, peinant à conserver une attitude détachée un cocktail « ...et Denise » en équilibre au bout de mes doigts, tandis que je m'ecrime à ne pas perdre de vue mes amies. Dans une encoignure nous apercevons une brèche et aussitôt nous disparaissons dans le renfoncement sombre où siège une nichée de poufs étroits. Nous découvrons une vue imprenable sur le restaurant circonscrit dans la fosse et sur le chemin de ronde semé d’alcôves festonnant le bar.
Je prends la pose et laisse mon radar rôder alentour. Musique forte, mes épaules accompagnent la mesure. Si la sono est parfaite, la climatisation l’est également. Les miettes olfactives des assiettes, la ritournelle des saveurs brassées par les serveurs qui se croisent et pellettent les parfums de cuisines en contrebas affichent senteurs mortes. Depuis mon perchoir mon renifloir plonge, mais reste au sec. Film muet. Je change mon nez d’épaule et zoom alentour. Va et viens soigneusement réglés, les volutes babillent: parfums tourbillonnants et talons vertigineux; parfums affutés et vestes taillées au cordeau; parfums tactiles et chemises moins trois boutons; parfums mille-feuilles et robes minuscules. Je ne suis pas la seule aveugle, fruit de longues habitudes de noctambules en chasses le monde souterrain adopte un sens animal indispensable pour se dénicher : l’odorat.
Je respire ainsi des eaux de toilette dandy mèches clins d’œil et corps de liane, brocardé par hommes petits bidons et coiffures disciplinés. L’un d’eux boucle plusieurs tours des galeries en quête de nouveauté, dispersant des bribes d’informations aromatiques jusqu’au moment où repassant devant nos sièges crapauds il pique sur nous tout sourire et hurle une question sans doute anodine afin d’engager la conversation. Mes oreilles ne captent rien compte tenu de la musique assourdissante, mais mon nez happe tout, sans remords. Et la mécanique de s’emballer. Enfin, pas celle souhaitée par le baratineur, mais celle de mes cils olfactifs qui bien entrainés, jouent au yoyo en mode automatique. Hop ! Analysé, décortiqué, découpé en rondelles, le séducteur masqué, ah, ah ! Même myope, je vois bien que ce parfum est trop jeune pour toi !
Il existe une expression pour se retenir de parler trop vite : il suffit de tourner sa langue sept fois dans sa bouche. Mais rien pour museler l’odorat. Pourtant, j’ai la faculté de ne pas prêter attention à tous les signaux, de réguler le flux d’information et d’opérer un tri sélectif, mais à cet instant, prise dans le tournis de la nuit, engourdie par l’alcool et la conversation à bâton rompue avec mes amies, je ne peux pas empêcher mes synapses de me canarder d’images dès molécule gobée. Mon nez baisse sa garde et me voilà prise en flagrant délit d’analyse universelle. Rompue aux clichés prêts à consommer, aux fantasmes publicitaires et aux conventions: j'ai identifié le nom et la marque, juxtaposé la photo du manequin et constaté l’absence de corrélation : ce parfum ne colle pas à ta peau. Qu’importent l'âge, la tournure ou les paroles séduisantes, impitoyables, mon nez donne la réplique.
Fort heureusement, je ne suis pas un animal mais un être humain. Je ne siffle pas par les naseaux comme un félin froissé. Mon esprit et mon éducation reprennent le dessus et, souriante, je hoche la tête et explique en hurlant à mon tour à l'adresse de l’homme charmant  dont le seul défaut est de ne pas correspondre à l'égerie, que nous sommes entre amies pour fêter une année de plus et quelques rides, et que nous n'avons pas pas le désir de partager un verre en sa compagnie, qu’importe son parfum.

Les parfumeurs sont vraiment pénibles…









vendredi 14 septembre 2012

Les bonbons

D’abord, trouver un prétexte.
Par exemple, l’anniversaire d’un de mes enfants. J’en ai pondu 8, forcément une date va être célébrée sous peu.
Ah mais, je n’ai pas donné naissance à autant de rejetons.
Pas de problème, je modifie ma stratégie. Voyons, voyons, que pensez-vous de celle-ci ? Je dois élaborer une gamme d’eau de toilette pour des minots qui goûtent les anniversaires branchés, ou bien, il me faut imaginer le parfum de gels douches plus vrai que nature et celui de savonnettes rigolotes pour hôtels Disneyland. L’occasion d’aller puiser l’inspiration dans le monde bienveillant de l’enfance….
Bernique ! En réalité, l'idée se trouve sous mes doigts : écrire un post sur ce thème. Je l’ai fait pour les chips, en toute logique je peux donc poursuivre sur cette lancée.
Je déboule aussitôt au rayon cochonneries de mon supermarché et charge le caddie d’articles absolument pas sélectionnés : je prends tout. J’explique ensuite d’une voix détachée à la caissière surprise par le nombre de paquets couleurs arc-en-ciel, que c’est l’anniversaire de mes quintuplés, et hop, conscience tranquille, je retourne à la maison pour explorer le parfum des paquets de bonbons.
En accord avec ma pomme, j’adopte un protocole d’analyse très stricte : ne pas dévorer d’échantillon en cours d’étude pour parer à l’éventualité d’une saturation des papilles, d’une pollution rétronasale et d’un nez en déroute et, par voie de conséquence, improductif.
Ensuite, je m’abstiens d’éventrer les sachets : je bride sévèrement mon instinct gourmand qui bondit en stade régressif, bulle de salive au coin de la bouche et paupière claquette. Je saisis la paire de ciseaux et, d’un geste mesuré, je découpe le premier paquet à trois centimètres du bord. Illico, je plonge ma tête. J'inspire à fond le parfum de la gélatine sucrée gaiment coloré et décroche brutalement ! Je siffle par les naseaux la poisseuse pestilence : Bêêêrk ! Mais c’est immonde ! Rien à voir avec la forme du bonbon, encore moins avec son goût si bien aromatisé.
Imaginez mon courage pour entrouvrir le sachet suivant où j’ai penché un nez prudent. Meilleur. Mouais, bof. Écœurant, mais beaucoup moins repoussant.
Et ainsi de suite. De surprise agréable en déroute passagère, j’ai remonté le temps et traduit des effluves de jours de fête sur un petit carnet. J’ai soigneusement noté la marque et la variété des bonbons, pris le temps d’une description soignée, soupirée en prenant le plafond à témoin de ma résistance aux arômes parfois séducteurs, et découverts dans ma candeur que certains souvenirs ne faisaient plus le poids face à la réalité.
Je vous épargne la centaine d’expressions que j’ai consignées sur mon calepin, tandis que je m’oxygénais telle une asthmatique avec mes sachets de bonbons pliés froissés autour du nez. Je reconnais un certain étourdissement vers la fin de cette énumération et il me semble que j’ai sauté le repas du soir…
Je vous propose de savourer les mots étranges qui sont spontanément venus à mon esprit tandis que je reniflais l’odeur des bonbons nichés dans leurs sachets. Des effluves aux antipodes des saveurs que j’ai pu apprécier par la suite. Toutefois, afin de vous éviter une indigestion, j’ai opéré un tri. Vous trouverez uniquement les noms des confiseries dont les parfums m’ont paru intrigants ou inattendus. J’ai humé, fleuré, frôlé, flairé et gobé goulûment 32 sachets de berlingot, bêtise, boule de gomme, caramel, chatterie, chocolat, dragée, friandise, gourmandise, papillote, pastille, praline, sucette, et autres sucrerie ...
C’est ainsi que les « œufs au plat » de la marque Haribo ont brutalement provoqué ce rejet de tout mon corps évoqué plus haut. Un parfum de liquide vaisselle au relent de pamplemousse âpre et de vieille poissonnerie, inimaginable lorsque l’on contemple ces petites choses lisses et tendres.
Les tout ronds « Dragibus » barbotent dans la Pina Colada. L’effet d’ensemble est soyeux, doux, poudré, apaisant comme un soin cosmétique !
Les « Mi-Cho-Ko » de la Pie qui Chante, si, si, ils existent toujours, ne sentent absolument pas le cacao, mais la cacahuète, la farine et le lait caillé.
Les divins oursons mignons à la guimauve couverte d’une fine pellicule de chocolat, que tout le monde s’arrache, dégagent une tendre odeur de bébé bourré au lait chaud, de noix de coco râpée, et de malt.
Les inévitables bouteilles bicolores Cola, sentent la télévision qui chauffe, la colle des stickers et le benzoate de méthyle (dentifrice américain, décontractant musculaire)
Les bananes Haribo, jaune fluo, crapote la semelle de tennis et le fond de veau
Les mini bombons Mentos…ne sentent rien.
Les « Chamallows » distillent de voluptueuses vibrations de miel, vanille, meringue et sucre filé.
Les crocodiles, aux petits bedons si tendres et si blancs évoquent le parfum d’un baume pour les lèvres, le Dermophile Indien, savant mélange d’essence de Géranium et de baume du Pérou. Oui, oui, les crocos sont bons pour la santé !
Les mûres et framboises de la marque Kréma dispensent un frugal parfum hygiénique de lessive, de draps propres et de petit lait printanier..
La superstar Miss « Tagada », avant de disparaitre en fraise « barbapapa » dans notre bouche, défile auparavant en robe « polenta » (bouillie de maïs) ornée d’un nœud voiture neuve et d’une dentelle flocons d’avoine.
Les minis cachou multicolores au nom incompréhensible, mais subtilement phonétique de « Car-en Sac » ont lardé mon nez d’une kyrielle d’images brèves sans queue ni tête. Je me suis attardée longtemps tête au fond du sac, notant en mode automatique : moquette rase des bureaux, bicarbonate de soude, escaliers mécaniques, colle employée pour les cuirs assemblés en Chine. Un fourre-tout rappelant le caddie de Madame « zezette épouse X », où l’on distingue les odeurs de girofle, badiane, marc de café, poudre de mangue séchée, beurre clarifié, cannelle de chine, poussière, sucre vanillé, eucalyptus et térébenthine. Ouf !
De la lourde poche qui contient une dizaine de sucettes « chupa-chups » s’échappe une odeur de placard à balais, de cirage, de crème Nivea, de thé citron comme on en sirote sur les aires d’autoroutes et d’une fleur : la pâquerette. Je me doute que le parfum citron exprime un simulacre du goût coca-cola, mais pour le placard à balais et la pâquerette, vraiment je ne vois pas…
J’achève cette enquête par la saveur qui me semble la plus évidente à produire : le caramel. Que l’on découvre quand on suçote les galets durs des « Werther’s Original ». Confiante, je penche mon visage dans le sachet couleur soleil, les papilles réjouies, le nez aussitôt penaud. J’ai beau chercher, me référant à l’archétype de cassonade torréfiée stocké dans ma mémoire, je ne trouve pas la symétrie. Aucune concordance. Je tombe sans relâche sur l’arôme du gratin de pommes de terre !
Certes, je commence au bout d’une vingtaine de sachets à saturer et mon nez grimace, mais je ne vais pas abandonner maintenant. Allez zou, encore un petit coup, c’est le sniff de l’étrier ! Graines de sésame, sel, confiture de fraise, et loin, bien loin derrière les tranches de patates, mon blair s’allonge et crochete le signal en filigrane d’un vague reliquat de four chaud et de lait condensé. L’arôme familier d’une cuillère en bois embobiné d’un fil de sucre bruni fragile comme le verre. Me voilà rassurée, je gobe un caramel. Miam. J’ai bien travaillé aujourd’hui.

mercredi 5 septembre 2012

Cabane Perchée


Les pages d’un gros livre tournent devant mon nez, et je soupire.
Ah ! Comme j’aimerai posséder un arbre pour y bâtir à son sommet, un abri en bois.
Photos après photos je me prends à rêver, telle une enfant, d’une cabane perchée, épinglée dans le ciel pour quitter momentanément les odeurs de la terre.
J’irai flairer l’azur, savourer un coin de soleil, inhaler le vent qui vient frotter la cime des arbres, je débusquerai le parfum de la pluie avant qu’elle ne heurte le sol et brouille les pistes. Je découvrirai, peut-être, enfin, le fumet des nuages et le sillage des oiseaux en plein vol. À la tombée de la nuit, je plongerai dans les dégradés de bleus de plus en plus sombres, l’éther pincera mon visage et dans un soupir, je goberai la lune. Quand soudain, la sonnerie du téléphone…


Tiens, on capte à cette hauteur ?
Les ondes, oui.


Le livre dont il est question: 
"Vivons perchés"(A Laurens, D Dufour, G André, V Thfoin), Editions de la Martinière



vendredi 31 août 2012

Tête de pomme

Soigneusement posées entre de minuscules flacons en verre et des éventails de touches déployées, quelques feuilles format A4 que je reconnais entre mille m’accueillent silencieusement de bon matin. Je m’assois, dépose mon sac à main à mes cotés, mon mug de thé sur un coin du bureau et je saisis le petit tas de papiers déposé à mon attention. 5 briefs, pour ma rentrée. Finis les vacances, j’ai déjà des devoirs. Lecture obligatoire, exposé et compte rendu. Sujet: la pomme.
On ne change pas une odeur qui gagne.
J’ai débuté la parfumerie voici presque 20 ans avec une pomme
Je continue inlassablement à aligner les matières premières pour façonner des parfums à l’odeur de pomme.
Et nous sommes de nombreux parfumeurs à en remplir des paniers sans fond !
Voyons, voyons, qu’est-ce que je vous sers ma p’tite dame aujourd’hui ?
Une pomme kiwi, une pomme poire, une pomme réglisse, une pomme feuille-de- tomate-mais-pas-trop, et une pomme noisette. Ah ! J’oubliais : une pomme d’amour, également s’il vous plait.
C’est pour le dessert ?
Nan, c’est pour des shampooings.
Quelle drôle d’idée.
Point du tout, je vous explique :

Fin des années 50, début des années 60, on emploi encore très fréquemment le savon de Marseille pour la maison et la personne. Gros pavé malcommode, on gratte quelques copeaux que l’on malaxe avec de l’eau pour façonner une boule de pâte molle dont on frotte ensuite son cuir chevelu, rinçage à l’eau et enfin, au vinaigre. Les cheveux sont lavés une fois par mois, parfois moins, au changement de saison par exemple, sauf en hiver, car il fait trop froid. En fait, pas trop souvent, car comme tout le monde le sait, le cheveu trop violemment malmené, frotté et oxygéné, pourrait chuter. Le shampooing dans sa version moderne, c'est-à-dire sous une forme liquide, doucement se démocratise : on trouve dans toutes les drogueries des berlingots de shampooing DOP vendus à l’unité (DOP, inventé en 1934 est vraiment popularisé 20 ans plus tard via la publicité radiophonique).

À partir des années 70, le mode de vie américain et sa perception du corps, va petit à petit influencer, sans que nous nous en apercevions, notre comportement hygiénique
En France à cette époque, la parfumerie consacre tout son élan et son talent à l’univers du luxe, c’est-à-dire essentiellement à l’élaboration des eaux de toilette et eaux de Cologne destinées à une clientèle bourgeoise. La parfumerie de l’hygiène est un marché très limité qui n’attire pas du tout l’attention des nez. Le travail du parfumeur consiste à couvrir efficacement et sans histoire l’odeur de la galénique ou de la base, avec des parfums élémentaires et figuratifs. Les petites fleurs, les bouquets dits « au naturel », demeurent la norme. Le shampooing DOP par exemple, dégage une odeur d’acétate de benzyle et d’amyle qui rappelle vaguement le parfum du jasmin. Le savon Monsavon (à l’époque la marque appartenait à L’Oréal) évoque le sachet de lavande déposé dans les armoires. Sobre et efficace. Quant à l’odeur véritable du savon de Marseille : prenez de la purée d’olive noire, plusieurs feuilles de laurier et mélanger avec de l’huile d’olive bien rance (car la soude n’est pas à la portée de tous les nez…et attention, c’est nocif !), vous donnera une petite idée de l’odeur de propre à la française de cette époque.

Aux États-Unis, l’industrie n’à que faire de la notion restreinte du luxe, elle s’intéresse avant tout à la production de masse, n’hésitant pas à imaginer et développer des produits de qualité pour le grand public. Ainsi, les shampooings américains possèdent des odeurs totalement différentes de notre propre culture olfactive. Ce sont les parfums de lessives et non les petites fleurs, qui inspirent le quotidien de l’hygiène corporelle des Américains.
C’est l’image d’Épinal du linge séché en plein air, des draps humides dépliés sur l’herbe en plein soleil (La Petite Maison dans la Prairie…), de l’eau mise à bouillir avec de la potasse où le linge est longuement brassé, remugle sec et aigre-doux que notre culture épicurienne juge fade, mais que le peuple américain, puritain, apprécie pour sa neutralité et son efficacité. Le corps doit posséder cette odeur de grand air, de nature saine et roborative, et surtout pas lénifiante et personnelle.
Deux parfums vont connaitre un grand succès. Une odeur d’herbes fraichement coupées, comme si l’on venait de tondre sa pelouse, et un parfum de pomme, frais, tonique et acidulé, évoquant également la sève des jeunes pousses d’herbes. Impossible de retrouver la marque de la première, mais pour la pomme, c’est « Herbal Essences » que l’on peut encore acheter aujourd’hui.
Comment ces parfums ont- ils débarqué en France ?
Par le Nord.
Et par le biais du marketing, certes balbutiant en France dans les années 70, mais dont le discours parvient rapidement à convaincre plusieurs marques de la nécessité de laver plus régulièrement les cheveux, et donc de consommer davantage. Pour faire passer la pilule, on contourne la culture française : se laver la tête n’est plus simplement un geste d’hygiène, mais doit devenir un plaisir ludique pour toute la famille. La couleur, la forme du flacon et l’odeur sont des moyens d’y parvenir. Le savon de Marseille, en paillettes ou en gros carré gris et terne, va disparaitre des salles de bain, puis de la cuisine. Oui, oui, je sais, il va revenir mais c’est une autre histoire d’odeur et de forme….

Apparaissent donc à la fin des années 60, d’abord timidement, car les Français sont très attachés à leurs traditions (Dop, pour ne citer que lui, et notre savon made in Marseille), sur les étagères des supermarchés quelques shampooings aux parfums de lessive et de pelouse. Mais une odeur en particulier va marquer les mémoires: en1979 un flacon, long et élégant comme une eau de toilette, contenant un incroyable liquide vert fluo, flanqué d’une étiquette illustrée d’une belle grosse pomme tracée au crayon, va littéralement envahir toutes les salles de bains françaises. Toutes…Sauf la mienne, car mon papa-parfumeur ne supportait pas l’odeur trop puissante, absolument artificielle et terriblement gadget de ce produit. Une génération entière se souvient sans aucun doute du shampooing « Prairial » dont la pub à la télé, martelait le slogan suivant : « les beaux cheveux se reconnaissent à leur parfum ».
Puis, en 1983, le marché du shampooing est envouté par la chevelure d’une jolie jeune femme qui soigne ces longs, très longs cheveux d’un blond presque blanc, grâce au shampooing « Timotei » à l’authentique parfum d’herbes. Un précurseur de l’idée « bio », soit dit en passant (Timotei est d’abord lancé en Suède dans les années 70). Depuis, toutes les marques se sont engouffrées dans la brèche, et chacune propose sa version de pommes et de petites herbes fraiches.
Aujourd’hui l’odeur qui imprègne votre chevelure n’est plus imaginée de manière aussi simple et directe. Les marques ont apporté quelques nuances. Cependant, lors de vos déambulations passionnantes au cœur de l’immense et interminable rayon des shampooings, vous constaterez que la pomme et l’herbe coupée, demeurent des signatures olfactives indispensables pour convaincre notre esprit que nos cheveux sont bels et bien propres.
La grande différence avec les années 70, c’est le nombre de propositions. Autrefois, on utilisait un même shampooing pour toute la famille. Aujourd’hui chaque tranche d'âge et chaque type de cheveux possèdent son propre shampooing griffé de son odeur propre : pomme-kiwi pour des cheveux vitaminés, pomme-cassis pour les cheveux colorés, pomme-romarin ou pomme-menthe pour les cheveux gras, pomme-vanille, pomme-pêche, pomme-mirabelle, pomme-karité, pour les cheveux sec, pomme-fraise, pomme-caramel pour les enfants, pomme-verte, pomme-miel, pomme-raisin pour les cheveux fin, pomme- tisane pour les cheveux blond, pomme-santal pour les cheveux bruns, ….et j’en oublie !

Et le plus formidable de toute cette histoire, c’est que l’odeur de la pomme et des petites herbes vertes, sont finalement devenues des odeurs universelles de propreté, d’efficacité et de plaisir. Les cheveux du monde entier acceptent de nos jours de sentir la pomme. C’est une odeur mondiale, comme le Coca Cola est devenu un goût mondial.
Manger des pommes, croquez la pomme, et pom pom pom, ce n’est pas l’idée d’une marionnette, je suis navrée de vous détromper, mais en fait, c’est encore un truc made in USA !

Le coin des curieux:  une odeur de pomme

Agrumex/ Verdox: 150 gr
Allyl Heptanoate: 30 gr
Aldehyde C14: 2 gr
Aldehyde AlphHexyl Cinnamique: 30gr
Damascone alpha: 1gr
Acetate Prenyl: 20gr
Timberol: 10gr
Vanilline: 3gr
Ethylene Brassylate: 150gr
Orange huile essentielle: 15gr
Vertocitral:5gr
DPG(solvant): 84gr

Total: 500gr









mercredi 22 août 2012

Jeux de rôles

Vendredi soir. Quelque part en région parisienne.
Trois heures auparavant, nous avons quitté la civilisation moderne pour nous retrouver le temps d’un weekend entre potes, sur les lieux d’un ancien fort militaire pas tout à fait en ruines, isolé entre champs et forêts.
À ce moment, nos corps sont lavés, nos cheveux soigneusement peignés, les dents bien brossées. Les costumes neufs, les robes chatoyantes, capes et bottes décrottées des jeux précédents.
Maintenant, tout peut arriver.
Et c’est comme ça que j’ai perdu mon homme, dès le premier jour.

Pourtant la matinée de samedi s’est bien déroulée. Rencontres fécondes, échanges constructifs, quêtes bien entamées, saupoudrées de quelques bastons drolatiques. Le jeu progresse, la journée s’étire. La chaleur monte.
Le soleil parvient au zénith. Poussières et pollens voltigent sous les foulées de fous furieux travestis qui s’affrontent en beuglant, pour débouter l’équipe adverse. Les méchants forcément succombent, malgré leurs points de résistances. Le cagnard, féroce, dévore tout le monde.
Les costumes sont lourds et épais : armures de cuirs et cottes de mailles. Pas de douche sur le camp. Pas de salle de bain privée, ni de toilettes publiques. Une citerne d’eau, mais uniquement pour les besoins de l’auberge « médiévale ». Nous sommes soi-disant à une époque où les elfes et les magiciens maitrisent les incantations pour conserver leur propreté d’origine.
Heureusement, le jeu de rôle grandeur nature fait preuve d’adaptabilité et s’inventent des baguettes magiques : la lingette procure des points de mana honorables. Enchantement satisfaisant. Par manque de temps, on opte pour un sort déodorant, invocation minimum : il glisse sur le corps comme une savonnette. Combo acceptable, dégâts dilués. Au fur et à mesure des heures, les doses de parfums s’ajoutent, se superposent et s’assemblent. Une intense et prégnante exhalaison d’aromates, de bois, et d’épices au patchouli domine la meute de trolls, d’elfes et de paladins, de voleurs et de princesses égarées. Et l’air de ne point y toucher, le panache viril l’emporte sur les froufrous de vanille, de framboise et de fleurs aux tournures féminines. Longs débats en perspective sur l’égalité des sexes dans le jeu de rôle !? Taratata ! Je botte en touche et campe l’explication que le dihydromyrcenol, l’allyl amyl glycolate et l’ambroxan sont des gros Bill particulièrement coriaces qui dispersent sans état d’âme les oripeaux scintillants de la parfumerie traditionnelle : ambre, muguet et bergamote, figurants bien trop délicats et raffinés. Le jeu de rôle n’est pas un monde de tapettes. Non, mais !
Fichtre, Diantre et Tabernacle, cette explication n’est pas meilleure ! Bah…

La première journée s’achève donc. La nuit s'installe, guère illuminée par les feux de camp et les quelques bougies éparses.
Lors des jeux précédents, je me guidais au nez et retrouvais ainsi la trace de mon homme. Mais ce soir, les joueurs crapotent à l’unisson un funeste arôme de camouflage. L’illusion domine telle une armure immatérielle, mais redoutable. Je croise à tout bout de champs des relents masqués. Les vraies odeurs ont disparu.
Je n’ai rien contre le costume qui dissimule, bien au contraire, mais l’odeur déguisée, quelle confusion !! Dans ce monde en clair obscur, je distingue un troll qui semble correspondre au gabarit de mon homme. Je l’enlace. Il grogne. En règle générale ce type de bestiole n’apprécie pas les câlins, mais on se connait, non ? Flûte, ce n’est pas le bon ! Voici mon homme dupliqué en une quarantaine d’exemplaires, troll ou pas. Même les filles émettent une odeur similaire !
La nuit
En aveugle
Allons donc, je ne vais pas m’angoisser pour si peu. C’est un jeu. Et si mon nez est complètement perdu, mélange ses pinceaux et n’assimile pas les nouvelles règles, ce n’est pas la mer à boire, je sentirai plus tard.
Une ultime hésitation ?
Tant pis, je pince mon nez et me jette à l’eau. Tous copains ! Même parfum !!

À la fin du weekend la communion est totale : nous possédons une odeur identique de lingettes bébés, mêlée à la senteur acre des feux de bois et du déo Adidas « cèdre ananas ». On est tous fatigués, crasseux et contents, mais préoccupés par un seul désir : rentrer chez soi et disparaitre sous une douche chaude.

Dimanche soir.
J’ai retrouvé ma peau. Et celle de mon homme. Je peux sentir heureuse.


Pour les curieux:
Dihydromyrcenol: molécule odorante et artifielle, issue de la chimie, à l'odeur de liquide vaiselle, de métal froid, crissante, crue, et totalement assimilée aujourd'hui à l'odeur de propre. A l'origine employée pour les parfums de la détergence, puis un jour remarquablement utilisée dans une eau de toilette pour homme "Cool Water" de Davidoff. Depuis, sur-dosée dans presque tout les parfum pour hommes ....
Allyl amyl glycolate : molécule chimique à l'odeur aigre et sucrée d'annanas, de sève, de salade fanée, de pomme trop mure, de fruit étrange. On en trouve partout, partout....
Ambroxan : molécule chimique qui a depuis longtemps détroné et remplacé le parfum de l'ambre gris devenu trop cher et/ou introuvable. C'est un peu sec et raide sur les bords, poussiéreux et astringeant,  mais redoutablement puissant et efficace, et, cerise sur la gateau de l'industrie du parfum : durée de vie sur la peau : interminable.....






jeudi 12 juillet 2012

Coquetterie

Ma fille balance une formule imparable lorsqu’elle remarque une gamine vêtue de rose qui se tortille et dessine ses lèvres en rond de cerise : « elle fait sa belle ».
La cour de récré et son dialecte impitoyable.
Ainsi, j’ai fait ma belle, et maintenant je m’en mords le nez !

Mais que m’a-t-il donc pris ce matin ? J’ai empoigné ma brosse et d’un mouvement ample et volontaire j’ai entortillé mes cheveux, élaboré un chignon, trois épingles et puis voilà ! Très fière de moi et ravie du miroir mon beau miroir.
Un reflet plus tard, une mèche s’envole. Puis trois. Sur le nez. Perdue le style de vue !
Qu’à cela ne tienne, j’ai de la colle pour coiffure gothique. La tignasse de mon fils, droite et rebelle. J’inverse le processus : je lisse et je plaque. Une lichette de spray, rien n’y fait. La mèche se dresse fière et raide au sommet du crâne, s’échappe derrière les oreilles, crinière de cocker. Je mitraille encore une fois et rabats soigneusement des deux mains, étirant vers la nuque. Lifting éphémère, visage nippon. Je parachève et disparait dans un brouillard gluant au point de ne plus distinguer mon reflet dans le miroir.
Je tousse. M’étouffe. Mais le résultat est enfin là : j’ai un casque. Plus rien ne bouge. Manque de naturel ? Tant pis. De toute manière il n’est plus temps, je dois courir déposer ma fille au centre aéré et ma pomme cheveux collés, au bureau.

Et là, comme je vous tape. Sur le clavier, s’entend. J’ai le nez coincé. Mon petit café du matin «crognote» l’aldéhyde. Disparues, les notes caractéristiques de torréfactions, de bois cendré, de groseille ananas et d’amertume revigorante.
Me voici transformée en monolithe. Agrégat suffocant,  monocorde et linéaire
Même les singes de « 2001 l’Odyssée de l’espace » n’en sauraient que faire et se détourneraient.
Z’auraient bien raison
Je pue !!

Cette laque est un parfum. Une composition de nombreux matériaux. Un accord soigné et sophistiqué, émettant sans interruption des ondes odorifères toutes fréquences. Je ne l’avais pas remarqué, car, jusqu’à présent, j’avais le nez ailleurs, occupé par la routine du matin et les gestes du quotidien. Yeux et oreilles. Mais maintenant, je suis un nez. Un appendice pointé sur les flacons et les bouts de papier imprégnés depuis la veille pour effectuer les vérifications et les exercices de routines. Dès la première touche humée, j’ai pilé sans airbag, le blair tout à coup badigeonné de parfum capillaire !! @*$%**#*§@* !! Et j’en passe ! Piégée comme un lapin dans la lumière. Impossible de me détourner de cette saperlipopette d’odeur fleurie fruitée aldéhydée. La laque est plus forte que moi !
Grosse fatigue.
Depuis mon arrivée au laboratoire je me déplace et vaque à mes occupations tel un atome, escorté de mon petit nuage d’électrons capiteux.
Pourtant je pense à tout. En fille pro tout ce qu’il faut :
Une lessive neutre. Pas d’assouplisseur.
Pas de gel douche extravagant, uniquement des crèmes hydratantes sans parfum.
Pas de déo parfumé, ni d’eau de toilette.
Pas d’oignon, ni cigarette, ni ail, ni chewing-gum.
Un corps neutre. Une peau saine. Une alimentation rigoureuse.
Une vie de moine, sans fromage, ni bière, ni liqueur
Mais ce matin
Accroc au quotidien. Coquetterie inattendue.
Un jet de laque et patatras ! Nez au beurre noir.

L’effluve s’en va, puis revient. Cogne contre la paroi nasale comme une mouche. J’ai beau agiter la main, rien n’y fait, le parfum revient aussitôt se poser sur mes cils olfactifs.

Autocritique.
Je me suis remémoré toutes les nobles déclarations adressées aux jeunes apprentis et aux journalistes, quand j’explique le plus sérieusement du monde que la pire circonstance pour un parfumeur n’est pas de choper un rhume, mais d’être pollué par des émanations accidentelles… Railleuse, j’ai donc rassemblé ma longue expérience, concentré mon énergie façon maitre yogi et trouvé une issue : j’ai coupé mon nez en deux.
C’est une façon de parler.
Je n’ai pas tailladé ma chair au laser.
J’ai psychiquement dissocié le décryptage et l’analyse.
Une partie de mon nez continue d’identifier inlassablement, en vieille connaissance, la formule capillaire chaque fois qu’elle effleure la cloison nasale, tandis que de l’autre, je dissèque et décortique les essais du moment. Plus simplement, j’écoute d’une narine distraite le babil de la laque et je concentre toute mon attention sur ma signature personnelle.
Parfois, les deux se font des nœuds. C’est un peu fatigant de les séparer, j’ai l’impression d’écarter un frère et une sœur qui se chamaille pour un rien, mais bon. Je retrousse les narines et je chemine entre les molécules. Le truc rigolo c’est qu’au fur et à mesure de la journée l’odeur de mes cheveux évolue. Ce matin, je découvrais les aldéhydes et les accords fruités. Maintenant, bien que j’analyse toujours la note aldéhydée (c’est du costaud ces trucs-là !) accompagnée d’une guirlande de petites fleurs, je découvre désormais le refrain lancinant des muscs de synthèse.
J’attends avec impatience de pouvoir rentrer chez moi et plonger la tête sous la douche.
Hop ! Evacué, rincé, dans le tuyau, le parfum des cheveux. Ça m’apprendra à vouloir faire ma belle de bon matin. Un désir de vacances sans doute….