mercredi 22 août 2012

Jeux de rôles

Vendredi soir. Quelque part en région parisienne.
Trois heures auparavant, nous avons quitté la civilisation moderne pour nous retrouver le temps d’un weekend entre potes, sur les lieux d’un ancien fort militaire pas tout à fait en ruines, isolé entre champs et forêts.
À ce moment, nos corps sont lavés, nos cheveux soigneusement peignés, les dents bien brossées. Les costumes neufs, les robes chatoyantes, capes et bottes décrottées des jeux précédents.
Maintenant, tout peut arriver.
Et c’est comme ça que j’ai perdu mon homme, dès le premier jour.

Pourtant la matinée de samedi s’est bien déroulée. Rencontres fécondes, échanges constructifs, quêtes bien entamées, saupoudrées de quelques bastons drolatiques. Le jeu progresse, la journée s’étire. La chaleur monte.
Le soleil parvient au zénith. Poussières et pollens voltigent sous les foulées de fous furieux travestis qui s’affrontent en beuglant, pour débouter l’équipe adverse. Les méchants forcément succombent, malgré leurs points de résistances. Le cagnard, féroce, dévore tout le monde.
Les costumes sont lourds et épais : armures de cuirs et cottes de mailles. Pas de douche sur le camp. Pas de salle de bain privée, ni de toilettes publiques. Une citerne d’eau, mais uniquement pour les besoins de l’auberge « médiévale ». Nous sommes soi-disant à une époque où les elfes et les magiciens maitrisent les incantations pour conserver leur propreté d’origine.
Heureusement, le jeu de rôle grandeur nature fait preuve d’adaptabilité et s’inventent des baguettes magiques : la lingette procure des points de mana honorables. Enchantement satisfaisant. Par manque de temps, on opte pour un sort déodorant, invocation minimum : il glisse sur le corps comme une savonnette. Combo acceptable, dégâts dilués. Au fur et à mesure des heures, les doses de parfums s’ajoutent, se superposent et s’assemblent. Une intense et prégnante exhalaison d’aromates, de bois, et d’épices au patchouli domine la meute de trolls, d’elfes et de paladins, de voleurs et de princesses égarées. Et l’air de ne point y toucher, le panache viril l’emporte sur les froufrous de vanille, de framboise et de fleurs aux tournures féminines. Longs débats en perspective sur l’égalité des sexes dans le jeu de rôle !? Taratata ! Je botte en touche et campe l’explication que le dihydromyrcenol, l’allyl amyl glycolate et l’ambroxan sont des gros Bill particulièrement coriaces qui dispersent sans état d’âme les oripeaux scintillants de la parfumerie traditionnelle : ambre, muguet et bergamote, figurants bien trop délicats et raffinés. Le jeu de rôle n’est pas un monde de tapettes. Non, mais !
Fichtre, Diantre et Tabernacle, cette explication n’est pas meilleure ! Bah…

La première journée s’achève donc. La nuit s'installe, guère illuminée par les feux de camp et les quelques bougies éparses.
Lors des jeux précédents, je me guidais au nez et retrouvais ainsi la trace de mon homme. Mais ce soir, les joueurs crapotent à l’unisson un funeste arôme de camouflage. L’illusion domine telle une armure immatérielle, mais redoutable. Je croise à tout bout de champs des relents masqués. Les vraies odeurs ont disparu.
Je n’ai rien contre le costume qui dissimule, bien au contraire, mais l’odeur déguisée, quelle confusion !! Dans ce monde en clair obscur, je distingue un troll qui semble correspondre au gabarit de mon homme. Je l’enlace. Il grogne. En règle générale ce type de bestiole n’apprécie pas les câlins, mais on se connait, non ? Flûte, ce n’est pas le bon ! Voici mon homme dupliqué en une quarantaine d’exemplaires, troll ou pas. Même les filles émettent une odeur similaire !
La nuit
En aveugle
Allons donc, je ne vais pas m’angoisser pour si peu. C’est un jeu. Et si mon nez est complètement perdu, mélange ses pinceaux et n’assimile pas les nouvelles règles, ce n’est pas la mer à boire, je sentirai plus tard.
Une ultime hésitation ?
Tant pis, je pince mon nez et me jette à l’eau. Tous copains ! Même parfum !!

À la fin du weekend la communion est totale : nous possédons une odeur identique de lingettes bébés, mêlée à la senteur acre des feux de bois et du déo Adidas « cèdre ananas ». On est tous fatigués, crasseux et contents, mais préoccupés par un seul désir : rentrer chez soi et disparaitre sous une douche chaude.

Dimanche soir.
J’ai retrouvé ma peau. Et celle de mon homme. Je peux sentir heureuse.


Pour les curieux:
Dihydromyrcenol: molécule odorante et artifielle, issue de la chimie, à l'odeur de liquide vaiselle, de métal froid, crissante, crue, et totalement assimilée aujourd'hui à l'odeur de propre. A l'origine employée pour les parfums de la détergence, puis un jour remarquablement utilisée dans une eau de toilette pour homme "Cool Water" de Davidoff. Depuis, sur-dosée dans presque tout les parfum pour hommes ....
Allyl amyl glycolate : molécule chimique à l'odeur aigre et sucrée d'annanas, de sève, de salade fanée, de pomme trop mure, de fruit étrange. On en trouve partout, partout....
Ambroxan : molécule chimique qui a depuis longtemps détroné et remplacé le parfum de l'ambre gris devenu trop cher et/ou introuvable. C'est un peu sec et raide sur les bords, poussiéreux et astringeant,  mais redoutablement puissant et efficace, et, cerise sur la gateau de l'industrie du parfum : durée de vie sur la peau : interminable.....






4 commentaires:

  1. Je n'ai jamais tenté une telle expérience mais je trouve que ca a l'air assez magique et complètement dépaysant :) On doit revenir de là la tête dans les nuages !

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  2. (C'est sûr que ça doit changer des "jeux en ligne" qui sentent le pixel et le plastique du clavier... ;-)

    Ambroxan, incroyable matière, qui ne sent quasi rien les premières minutes, voire la première demi-heure, comme si elle était enfermée (ou trop lourde), mais qui s'envole lentement plus tard, puissamment, de ses grosses ailes odeur de sable et de bois vert... On dirait de l'huile essentielle de goéland argenté...
    Pour les amateurs : existe en composant unique dans un "parfum" de niche : Juliette has a gun. Qui pour le coup n'est pas vraiment un parfum. (Mais ce qui n'est pas un parfum peut se révéler très agréable à porter...)

    Alors, Céline, c'est-t y vrai que vous ne fumez pas ni ne mangez de camembert, ni rien de trop "fort" ?? (cf votre post précédent, mais vous n'avez peut-être pas lu ma réponse, qui date)

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  3. Bonjour "jeux en ligne"
    En effet c'est très différent de wow et autres amuse-gueules ;) Mais je ne suis pas une grande spécialiste, juste un amateur qui préfère y trainer son nez cosmtumé et admirer le jeu des autres !:)

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  4. Bonjour NLR,
    N'oublions pas l'essentiel : je passe mon temps à raconter des hitoires!!! En mots et en odeurs...Mais soyons serieuse un instant:
    Comment une fille qui prend le large sur des GN, pourrais au même moment refuser de déguster du roquefort ??
    Par contre pour les lessives,les gels douches et les comsétiques c'est vrai de vrai.

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