lundi 29 juin 2009

Métro 5

Porte de Strasbourg Saint Denis
Derrière l’Arc de Triomphe
Puissance des odeurs
Parfum des peuples
Paris vivant Paris odorant
Au croisement des habitudes culinaires de chaque peuple : Asie Turquie Kurdistan Indonésie France Chine Afrique Pologne
Passage Brady : odeurs d'épices et de beurre clarifié
Rue du Château d’Eau : chimie miraculeuse pour cheveux frisottés. Parfum chaud d’ammoniaque, de noix de coco et d’huile de Karité
Rue Centrale: tomates vertes en saumure, fromage blanc qui s’égoutte doucement, charcuterie au Paprika. Remugles de vinaigre, de goudron chaud, de petit lait et d’agneau rôti à la broche. Polka et Kebab
Rue de l’échiquier : superette chinoise. Au fond de la boutique: poissons séchés, salés, congelés et oubliés. Odeur de chaussettes sales, de crottes de moineaux, de serpillière avachie et d’eau de javel abîmée
Rues grouillantes. Des gens partout. Des marchands de quat’saisons. Des cageots de bananes brunes et bradées. Des poubelles débordantes. De canettes oubliées. Des oubliés tout court. Sans logis. Sans sommeil. Sans rien, sauf l’odeur.
Papiers gras
Restes et épluchures
Le bonheur des Rats au petit jour
Odeur du Faubourg endormi. Parfum de crasse avant le réveil.

J’aime ce quartier de Paris qui schlingue.

mardi 23 juin 2009

Sur un banc

Fin Mai. Pause déjeuner au Jardin du Luxembourg. J’ai de la chance, je trouve la chaise que je préfère entre toutes, libre, près du bassin principal où tout le monde vient faire sa petite sieste post sandwich. La fameuse chaise verte, large, basse et inclinée qui accueille vos fesses entre ses bras tendus : glissade toboggan, cul calé, dos à bascule, visage position soleil. Les yeux clos, abandonnée et offerte à la paresse, je laisse mon nez se promener.
Paris est de bonne humeur. Les odeurs sont au beau fixe et mon esprit commence sa petite rengaine. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers, je tricote quelques rangs imaginaires parfumés. Mon nez glane des bribes presque par hasard aux grés des sautes de vent, aux passages des promeneurs, ou des enfants qui courent sans but en frôlant d’autre corps. Des bouts d’effluves, et des bruits. Le clapotis de l’eau, le bruissement des feuilles, le gravier qui grince sous le pas des passants, le chuchotement d’une chaise métallique déplacée loin de moi.
Le tricot prend forme, gonfle et s’étoffe de quelques rameaux de fleurs blanches, de plusieurs grains de sable et de trois gouttes d’eau. De fil en aiguille mes pensées odorantes m’entraînent loin de Paris. Je suis en Méditerranée. Je pense à ce colis reçu par la poste. Un bouquet de fleurs de Câprier en provenance de l’île de Pantelleria. Les rameaux sont comprimés en une boule compacte de feuilles et de pétales défraîchis. Une seule fleur a réussit à supporter le voyage, peut être le bourgeon s’est il ouvert en chemin ? Je porte la fleur fragile à mon nez, et je suis surprise par la douceur amère de son parfum. Je perçois la lumière éblouissante des journées d’été, l’odeur fugitive et sèche des pierres brossées par le vent du large et, au creux de la fleur, protégée par un pistil très ébouriffé, une fraîcheur de sève, souple, humide et grinçante. Comme une source cernée d’ombre. Je cherche l’équilibre entre l’humidité et l’aridité. Etre sur le fil, lorsque parfois on découvre un versant, et le lendemain un autre, notre mémoire olfactive oscillant entre douceur et aspérité.
Paris. Jardin du Luxembourg. Je pense à cette fleur de Câprier. Le récit s’émaille de plusieurs chapitres, de quelques intrigues récoltées pendant ma pause déjeuner. Cependant, l’instant que je préfère est celui où le parfum enfin achevé prend son envol et me quitte pour aller vers les autres. Il se produit alors un phénomène curieux et toujours renouvelé, dont je ne me lasse point : l’histoire change de main. Parfois elle est réinventée, parfois elle s’agrémente de quelques nouveaux détails. Parfois le récit original est totalement oublié.

J’aime cette idée que le parfum ne m’appartienne pas.

dimanche 21 juin 2009

Ciné Cité des Halles

Séance de 20h00
A l’écran, James Bond le retour. L’espion Anglais passe les générations. Depuis l’époque de la belle Ursula Andress, l’éternel séducteur revient vers nous tout les 3 ans, explose et agace, mais provoque toujours le même engouement ponctué d’un, « le précédent était encore mieux… »
Le scénario reste sensiblement le même : la Grande-Bretagne sauve le monde, car les Américains ont raté le coche. Les filles sont toujours belles, capricieuses et passagères. Le héros est toujours beau, macho, biscoto et pas rigolo. Le méchant est toujours diabolique, cynique et technologique.
Mais.
L’odeur de la salle de projection change.
Autrefois, époque « clope brouillard ». Sièges en tissu plus ou moins confortables, criblés de trous de cigarettes. Volutes parfois cruelles, sèches et métalliques de la Gitane brune. Effluves monotones et douceâtres, façon semelle de cuir mouillé, des Marlboro/Camel. Et surtout le sentiment angoissant au moment de pénétrer dans la salle obscure, de tomber au fond d’un gigantesque cendrier encombré de mégots froids mâchouillés. Parfum griffé, collant, indélébile, mémorisable entre tous.
Une dizaine d’années passent et voici l’époque RAS des « bonbons-squimo-chocolat » sans saveurs ni odeurs, juste quelques bruits de papiers froissés. Puis tout doucement depuis les années 80 est apparu un agréable pot-pourri des derniers parfums masculins belles gueules, des bouquets féminins aux accents de barbapapa, rehaussé par des relents de lessives ultra performantes.
Aujourd’hui on y voit clair, nos poumons respirent. Les petits bruits de papiers froissés n’ont pas changé, mais un nouvel invité est arrivé, qui parvient sans coup férir à dévorer le plus puissant des cocktails élaborés dans les labos des meilleurs parfumeurs : le Pop Corn !
Plus destructeur que tous les James Bond réunis il jaillit en mille facettes sucrées, salées, grasses, brûlées, rances, boisées, poussiéreuses, cartonneuses, soyeuses, rêches, sèches, aigres, fruitées, et se répand entre les rangs. Impitoyable, le parasite olfactif nourrit virtuellement vos papilles. Rassasié, vous demandez grâce. Ecoeuré, vous vous raccrochez in extremis à l’image tressautante d’un Bond infatigable qui bondit d’immeuble en voiture, quand vous n’avez pas le choix et devez rester à votre place.
Deux solutions sont envisageables, à défaut de signer une pétition pour que cesse la vente des Pop Corn.
1- achetez des Pop Corn et vivez votre propre huis clos.
2- Inspirez soigneusement l’odeur des Pop Corn de vos voisins. Réalisez ensuite mentalement une description personnelle et détaillée de toutes les facettes : de la plus irritante à la plus drôle. Verrouillez votre esprit analyseur d’odeur. C'est-à-dire : cesser de penser à l’odeur qui tourne autour de vous, puisque maintenant elle est devenue votre compagnon familier.
Adoptez le flegme anglais et profitez du film ! Qui est moins bon que le précédent je sais, mais là je ne peux plus rien pour vous…

...à propos d'une conversation de mercredi soir au Carillon !

jeudi 18 juin 2009

L'Avion de 7h00 AM

Premier vol. Premières odeurs
Ce n’est pas l’heure indue qui est pénible.
La foule tranquille, mesurée, s’agite en mode automatique et fonctionne au radar, cette force de l’habitude qui permet d’enregistrer son vol en une phrase, ou en un clic. Bonjour. Non pas de bagage. Pas de truc qui explose. Merci. Au revoir. Sorte de résignation générale, variété élégante de mouton de panurge qui se rend vers son quart de champs. Je broute les nouvelles du jour. Le regard hagard j’avance d’un pas.
Non, ce qui est pénible avec l’avion de 7h00 ce sont les odeurs. Rien à voir avec le métro de bon matin, lorsque les travailleurs usés de la nuit croisent les frais pimpants qui commencent leur journée. L’avion de 7h00 est composé d’hommes. Surtout des hommes. Des hommes fraîchement lavés, brossés, parfumés, embarqués en un bel ensemble pour une journée de Grand Challenge. Chacun a joyeusement et consciencieusement abusé de déo, eau de toilette, after-shave et autres papiers tue-bouche. Je soupçonne même certains individus mâles, inquiets par crainte de manquer, de n’avoir épargné aucun coin de peau et d’avoir joué les superpositions. C’est l’odeur de l’avion de 7h00. Les têtes de gondoles côtoient les vieux classiques à papa.
Rarement je renifle un intrus doux, soyeux, quelque fois croustillant. Une femme ! Mais habillée d’un pantalon tailleur, je n’aurais pu faire la différence, si elle ne s’était enduite de son parfum gourmand, si gourmand, que monte en moi soudainement une envie, là, tout à coup, d’un croissant chaud.
L’avion de 7h00 AM
En cabine
Cycle de la clim
Absorption, compilation et distribution
Création inimitable d’un nuage odorant invisible et entêtant, où se mêle un parfum de menthol, type « after-eight » sans le chocolat ; un enchevêtrement d’effluves de bois de cèdre et autres fibres exotiques, comme si une rangée de crayons à papier m’encerclait tout à coup ; quelques grains de poivre, un peu de paprika, une pincée d’herbes de Provence, un vague fond de siège en simili cuir.
Le tout modelé et féminisé par les parfums souvent prégnant des hôtesses de l’air, qui abandonnent à chaque passage et, lors de la cérémonie du gilet de sauvetage -- gonflé en un généreux mouvement de piston -- , un nuage rose et poudré, méli-mélo de fleurs évanescentes et de crème fouettée.
Quand l’avion s’en mêle, un pet de kérosène parvient parfois à se faufiler dans les gaines de recyclage de l’air. Vorace, il jaillit hors des ventilations et percute, gobe puis dissout toutes les effluves moles en un clin d’œil.
Effet déroutant, un peu rebutant, qui procure le sentiment d’un reboote du système. Ctrl/Alt/Suppr en quelque sorte.
Le nez vide, on peut passer au petit déjeuner : café /gâteau sec, merci Madame.

Pour MMR

mardi 16 juin 2009

Nez Voyeur

Un jour, il y a de cela plus d’un siècle, des hommes en blouses blanches et longs favoris, ont réussit à créer, transformer puis isoler dans leur laboratoire quelques molécules un peu étranges. Le but était sans doute la recherche en général, mais comme il arrive parfois ces chimistes curieux ont remarqué en plongeant un nez circonspect dans l’éprouvette, que le petit reliquat dégageait une odeur qui sentait bon. L’humain redevient animal face à l’inconnu : il renifle…cette fois-ci la découverte fut plaisante. Le chercheur avait isolé la coumarine, à l’odeur douce de foin.
Bien sur l’homme prend tout son temps, et je ne saurais vous conter précisément comment, mais quelques années plus tard, la molécule chimique fit un saut de puce et se retrouva dans un flacon de parfum mêlé étroitement à des huiles naturelles, des baumes et des teintures. Voilà. C’était fait. La parfumerie moderne était née…

Les huiles essentielles et les matières premières naturelles qui existent depuis bien longtemps sont bavardes : elles chuchotent, piaillent, crissent parfois.
Le produit de synthèse est laconique et précis. Il ne s’encombre pas de détails, émet un seul son, et demeure fidèle jusqu’à sa dernière molécule.
La Synthèse mit un peu d’ordre dans la cacophonie débridée de tous ces parfums très Naturels, où chaque composant tentait de faire entendre sa voix, afin d’être le premier sous l’effet d’une caresse ou d’un courant d’air, à s’échapper d’une peau, d’une mèche de cheveux ou du mouchoir de monsieur. Les parfums des temps anciens sentaient un peu le tout et beaucoup le rien. Un peu d’ordre et de clarté et surtout, beaucoup de liberté est né grâce à la chimie.
Mais ça c’est une autre histoire…

En quelques mots je vous propose la chronique d’un nez.
Je suis parfumeur, chaque jour je créée des odeurs, pour votre douche quotidienne, ou pour vos soirées exceptionnelles lorsque vous désirez être unique et reconnaissable.
Vous ne le savez pas mais je fais partie de votre intimité, je l’accompagne en douce et souvent, je devine vos lendemains.
J’écris des formules à parfums, dans un jargon inaudible pour le profane, mais parce que la vie de tous les jours m’inspire des histoires en odeurs, et que la vie peut aussi se comprendre à travers nos odeurs, je vous propose une chronique odorante.
Un regard sur notre quotidien à travers mon nez.
Je suis un nez voyeur.