mercredi 23 juin 2010

Daily Hop Hop

Une odeur de clim d’abord. Puis un parfum de mimosa frotté au tampon gratounette. Je m’approche du comptoir mural où sont réparti, depuis les genoux jusqu’au dessus de la tête d’un homme standard, - les petits sont obligés de se percher sur la pointe des pieds et de tendre la main - des rangs colorés de sandwiches en ronds et triangles, des sachets de fruits en quartiers pour les paresseux qui n’ont plus envie d’éplucher, des fruits en purée pour les mous de la mastication, une multitude de salades en barquettes, des plats du monde. Estampillé équilibré. Je trace, je compare, je pioche et redépose. L’air réfrigéré transmet quelques informations olfactives purement techniques, de poussière, de plastique et de nettoyant industriel, crystalisées par le froid , provoquant une image étrange : je frotte des couverts en inox avec une vieille éponge en fibres métalliques sur la surface glacée d’une patinoire… Je m’y perds et m’aperçois que je ne peux agir comme j’en ai l’habitude depuis toute petite. Je ne peux pas renifler le produit pour tâter si l’odeur est appétissante. Tout est évidemment sous cellophane pour des raisons d’hygiène de plus en plus rigoureuses et, seuls mes yeux sont habilités à me convaincre de l’existence potentielle d’un goût. Je décode donc, une flopée de signes de couleurs que je traduis en terme de fraîcheur, de croustillant, moelleux, rôti, caramélisé, acidulé, aigre ou doux. Je peux également lire l’étiquette des composants. Glutamate, antioxydants, huile de palme, matière grasse, sucre, sel, calories. Bref, un festival de mots savoureux sans odeur. Miam.
Passage en caisse, ticket resto mais pas assez, monnaie. Petit sachet à emporter, je rejoins les tables étagères.
Perchées sur un tabouret sans fin, mes fesses débordent de l’étroit rond de plastique dur. Mes pieds battent la mesure dans le vide, tandis que je tente sans succès de touiller quelques farfalles perdues dans une boite en carton, pour répartir harmonieusement la sauce au basilic à l’aide d’une minuscule fourchette, en fibres recyclées. Qui finit d’ailleurs par y perdre une dent. Je soupire, et bien évidemment je jette un nez sur mes voisins de barquettes. Flotte glacée et relent de piscine, fond de tonneau en bois, savonnette, gazon amer, marée basse, trace de goudron, transpiration torréfiée, zeste de citron, purée d’ail, sirop de sucre, gras fleuri, chocolat sec. L’odeur laisse à désirer, et pourtant le goût supporte le passage sur la langue. Dans le désordre mes yeux identifient des makis saumon et radis, un taboulé, un poulet couleur orange, cuisson tandoori, une touffe de feuilles de roquette, de fines lamelles de gingembre confit au vinaigre rose, un muffin énorme, une salade Caesar et une grosse louche de basilic renforcé arôme tapenade et glutamate. Mes pattes. Juste sous mes narines. Que je gobe sans vergogne. Je conserve la poignée de cerises encore estourbies par le froid de la conservation. Anesthésiées, elles n’exhalent ni goût ni parfum. Je patiente. Je les conserve au creux de ma main, et les dégusterai en chemin, nez au vent, Paris plein les yeux.





2 commentaires:

  1. C'est toujours très troublant : tes "olfactions" décrivent une réalité que nous connaissons surtout sans ce sens-là, l'odorat.

    Du coup, on redécouvre, on relit les scènes de la vie quotidienne de façon enrichie. Comme de la réalité augmentée. Comme relire une phrase avec enfin toutes les lettres.

    Ah, quel plaisir.

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