Un village, dans l’arrière-pays. Soirée Cabaret. La salle des fêtes accueille un public nombreux, bavard et détendu. Quelques personnes sont venues à pied depuis chez elles, et transportent sur leurs manteaux un discret relent des premiers feux de cheminée : les odeurs froides d’une nuit sans nuages. Les autres, sortent tout juste de l’habitacle de leur voiture bien chauffée et véhiculent des ondes tièdes et sucrées. Nous sommes en novembre, l’automne est soudain frisquet. J’ai traversé le village au rythme d’une promenade.
Au début de l’allée, qui coupe un pré ponctué d’oliviers, et mène à la salle des spectacles, mon nez froid et engourdi est chatouillé par un mélange savoureux de parfums. Je m’approche d’un pas tranquille vers la lumière chamarrée, j’entends le bourdonnement paisible des conversations ponctué d’éclats de rire. Je ne saisis aucune parole, je cueille un mot hors champs, mais mon nez par contre démarre au quart de tour et débusque les parfums Célébrités du moment, et les incontournables Cologne antiques. C’est un bavardage que je comprends sans effort au sein d’un brouhaha apparemment cacophonique. Je capture quelques molécules, je tisse un réseau invisible où je mets bout à bout des suites logiques, et des fragments effilochés, puis je cerne la totalité du sujet. Je distingue clairement, quelle femme dispense ce monologue de jasmin, et quelle autre offre cette douceur crémeuse de musc et de bois de santal ; je sais à quel homme je dois ce hurlement de coumarine et de lavande, et quel autre chuchote copeaux de bois, angélique et prune. Parfois, je ferme les yeux, et mon nez avance tout seul. Dans ces cas là mon homme reste vigilant à mes côtés, car il craint toujours que je n’offusque un quidam, avec mon air de chien qui hume, aveugle et truffe en avant. Sur le parvis de la salle des fêtes, je découvre un joyeux fouillis de parfums classiques chahutés par les dernières nouveautés, comme je n’en ai plus connu depuis longtemps. Car il faut bien l’avouer, le Parisien de la semaine se parfume peu en soirée. En général, il quitte le bureau, stressé et en retard, et se rend directement au théâtre en courant, fardé de la dose pulvérisée le matin. Parfois un coup de lingette pour faire bonne figure. Bon, je caricature un peu…
Mais ici, dans ce petit village, le parfum est la touche finale d’une mise recherchée, d’un coup de peigne soigné, d’une intention qui prend son temps. Mon nez est sollicité de toute part. Je ne devine pas tout, tant s'en faut, mais je note une tendance plus qu’une autre. La houle parfumée me transporte vers le vestiaire où tous les effluves se confondent en un turbulent concert sans discipline, puis vers la salle où les convives se placent à table. Les odeurs s’apaisent un peu, chacun trouve son siège et le remous parfumé s’immobilise enfin.
Le spectacle peut commencer.
En salle, tandis que débute la valse des serveurs qui serpentent entre les tables sur lesquelles sont déposés, puis ôtés, une succession de plats, dont un colombo parfumé.
Sur scène, tandis que, les uns après les autres, les artistes offrent leurs chants et leurs gouailles.
Les épices du colombo se mêlent aux effluves chauds des acteurs qui, fondant littéralement sur scène, dardent des escarbilles invisibles de carvi, de tannin, de résine chaude, et de sève âpre. Parfums de peaux chauffées par l’excitation, le trac et la chaleur des feux de la rampe. Odeurs de cheveux humides fixés par les laques et autres gels parfumés. Rien ne reste à sa place. Ni les vêtements, ni la coiffure, ni les parfums soigneusement répartis sur le corps comme des gardes fous. Le cœur s’emballe, la température monte, la générosité exulte, et les odeurs s’égarent. Je récolte intriguée au premier rang, et je prends le tout. Ce ne sont plus les spectateurs qui ont droit de citer avec leurs eaux de toilette soigneusement ordonnées et élaborées, mais la scène, exubérante et affranchie, qui dévore l’espace. Chaque geste, chaque éclat de voix, éparpillent, sèment, explorent les vides laissés par les fragrances de bon aloi. Qu’importe le parfum propre sur soi, ce qui domine ce soir c’est l’alchimie particulière sur la scène. L’élan de l’acteur qui chauffe à blanc sa peau. Son corps sans cesse en mouvement, ses mains ouvertes et tendues qui livrent à la salle son odeur privée, comme il balance ses mots vers son public. Les spectateurs attrapent au vol, répondent à l’appel, s’agitent et se soulèvent. Voix et effluves se mêlent et s’assemblent. J’aime ce parfum de liesse et d’abandon. Vibration originale, bordel olfactif jubilatoire puis, brusquement le rideau retombe. Les portes s’ouvrent et les odeurs s’échappent. Le froid de la nuit se répand. Je frissonne. Pied sur terre et nez en berne. Bonne nuit tout le monde, mon nez est fatigué, soudain.
Clin d’œil à Pascal Brunner et Karo…
Au début de l’allée, qui coupe un pré ponctué d’oliviers, et mène à la salle des spectacles, mon nez froid et engourdi est chatouillé par un mélange savoureux de parfums. Je m’approche d’un pas tranquille vers la lumière chamarrée, j’entends le bourdonnement paisible des conversations ponctué d’éclats de rire. Je ne saisis aucune parole, je cueille un mot hors champs, mais mon nez par contre démarre au quart de tour et débusque les parfums Célébrités du moment, et les incontournables Cologne antiques. C’est un bavardage que je comprends sans effort au sein d’un brouhaha apparemment cacophonique. Je capture quelques molécules, je tisse un réseau invisible où je mets bout à bout des suites logiques, et des fragments effilochés, puis je cerne la totalité du sujet. Je distingue clairement, quelle femme dispense ce monologue de jasmin, et quelle autre offre cette douceur crémeuse de musc et de bois de santal ; je sais à quel homme je dois ce hurlement de coumarine et de lavande, et quel autre chuchote copeaux de bois, angélique et prune. Parfois, je ferme les yeux, et mon nez avance tout seul. Dans ces cas là mon homme reste vigilant à mes côtés, car il craint toujours que je n’offusque un quidam, avec mon air de chien qui hume, aveugle et truffe en avant. Sur le parvis de la salle des fêtes, je découvre un joyeux fouillis de parfums classiques chahutés par les dernières nouveautés, comme je n’en ai plus connu depuis longtemps. Car il faut bien l’avouer, le Parisien de la semaine se parfume peu en soirée. En général, il quitte le bureau, stressé et en retard, et se rend directement au théâtre en courant, fardé de la dose pulvérisée le matin. Parfois un coup de lingette pour faire bonne figure. Bon, je caricature un peu…
Mais ici, dans ce petit village, le parfum est la touche finale d’une mise recherchée, d’un coup de peigne soigné, d’une intention qui prend son temps. Mon nez est sollicité de toute part. Je ne devine pas tout, tant s'en faut, mais je note une tendance plus qu’une autre. La houle parfumée me transporte vers le vestiaire où tous les effluves se confondent en un turbulent concert sans discipline, puis vers la salle où les convives se placent à table. Les odeurs s’apaisent un peu, chacun trouve son siège et le remous parfumé s’immobilise enfin.
Le spectacle peut commencer.
En salle, tandis que débute la valse des serveurs qui serpentent entre les tables sur lesquelles sont déposés, puis ôtés, une succession de plats, dont un colombo parfumé.
Sur scène, tandis que, les uns après les autres, les artistes offrent leurs chants et leurs gouailles.
Les épices du colombo se mêlent aux effluves chauds des acteurs qui, fondant littéralement sur scène, dardent des escarbilles invisibles de carvi, de tannin, de résine chaude, et de sève âpre. Parfums de peaux chauffées par l’excitation, le trac et la chaleur des feux de la rampe. Odeurs de cheveux humides fixés par les laques et autres gels parfumés. Rien ne reste à sa place. Ni les vêtements, ni la coiffure, ni les parfums soigneusement répartis sur le corps comme des gardes fous. Le cœur s’emballe, la température monte, la générosité exulte, et les odeurs s’égarent. Je récolte intriguée au premier rang, et je prends le tout. Ce ne sont plus les spectateurs qui ont droit de citer avec leurs eaux de toilette soigneusement ordonnées et élaborées, mais la scène, exubérante et affranchie, qui dévore l’espace. Chaque geste, chaque éclat de voix, éparpillent, sèment, explorent les vides laissés par les fragrances de bon aloi. Qu’importe le parfum propre sur soi, ce qui domine ce soir c’est l’alchimie particulière sur la scène. L’élan de l’acteur qui chauffe à blanc sa peau. Son corps sans cesse en mouvement, ses mains ouvertes et tendues qui livrent à la salle son odeur privée, comme il balance ses mots vers son public. Les spectateurs attrapent au vol, répondent à l’appel, s’agitent et se soulèvent. Voix et effluves se mêlent et s’assemblent. J’aime ce parfum de liesse et d’abandon. Vibration originale, bordel olfactif jubilatoire puis, brusquement le rideau retombe. Les portes s’ouvrent et les odeurs s’échappent. Le froid de la nuit se répand. Je frissonne. Pied sur terre et nez en berne. Bonne nuit tout le monde, mon nez est fatigué, soudain.
Clin d’œil à Pascal Brunner et Karo…
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