Ne me demandez pas à quelle heure je me suis couchée.
Je peux simplement vous dire que quelques heures raisonnables plus tard, je me suis levée. J’ai enfilé mes vêtements imprégnés de nicotine encore fraiche et, quittant ma chambre qui sniffait le dodo des ronfleurs discrets, j’ai, d’un pied un peu hésitant et agrippant le garde-fou chantourné, glissé au bas de deux étages d’escaliers serpentins, du majestueux château où nous nous étions une bonne centaine, réunit pour le week-end.
Nous avions débuté en fanfare, le vendredi soir.
Nous avons clôturé enthousiaste, ce dimanche matin.
J’ai atteint le rez-de-chaussée, froid, nimbé d’une lumière d’un gris pâle sans saveur. Envahit d’une sensation étrange, l’œil vague, proche sans doute d’un somnambulisme conscient, j’ai éprouvé le vide et le silence soudain. Evidemment mon nez fonctionnait, et l’air de rien la bécane enregistreuse a immédiatement absorbé et analysé quelques relents de cheminées assoupies. J’ai savouré les soupirs de résines calcinées des dernières bûches achevant de se consumer, brandons paresseux, abandonnés, émanations âcres et cependant réconfortantes. Les cendres, poussières ténues, dégageaient une odeur fine, douce et veloutée, légèrement amère et apaisante. La chaudière du château, comme nous l’avions découvert à notre arrivée, ne fonctionnait pas. Qu’à cela ne tienne, quelques pyromanes, heureux hommes, se sont empressés de jouer au mikado : bûches et allumettes. Activités viriles et senteurs d’autrefois, en parfaite harmonie avec ce lieu qui semblait dédié à quelques beaux Mousquetaires...
Je me suis dirigée vers la cuisine, en mode automatique, me rappelant qu’il me fallait franchir trois salles monumentales. La température avait chutée, et derrière le fumet des cheminés, je sentais le remugle des dalles froides, jonchées de débris à peine identifiables. Une brume insaisissable composée des fluides corrodés des couches de vernis successifs, des poussières fossilisées, et des particules de dorures fanées, voilaient les portraits en nombres considérables d’ancêtres inconnus. Bizarrement, ce pot-pourri m’a fait subitement songer aux boulettes de colles que nous façonnions et tripotions interminablement, entre nos doigts sales d’écolier. En passant près des portes fenêtres donnant sur les jardins, j’ai perçu le parfum du temps qui passe, prisonnier des longs rideaux damassés, ce reliquat de poudre de riz rancie, propre à toutes les vieilles demeures peu fréquentées et mal aérées, inexplicablement reposant. Au seuil de la seconde salle j’ai croisé, un ballon de rouge inachevé à la main, l’ultime noctambule qui s’en allait rejoindre d’un pas nonchalant, son matelas. Dénouement du sentiment précieux de sa solitude, il laissait sa place de gardien de l’aube aux nouveaux venus à peine éveillés, pour sombrer à son tour. Vision sans odeur, mais rencontre d’une immense saveur. Celle de nos habitudes de doux fêtards. Mes pieds m’entrainèrent soudain, animés d’une vie propre vers la dernière salle. Odeurs irrésistibles du café, du quat’ quart au beurre bien, bien jaune, des pelures de mandarines, et du lait tiède. Puis, j'ai discerné le marmonnement des conversations juste ébauchée, comme un code commun et compréhensible à tous les lèves-tard ; « sucre.. ?, lait…? Bé non…, c’est où qu’il est...? Y’a pu d’eau chaude… » Economie des mots, des gestes. Urgence d’engloutir une première gorgée de café brûlant, qui désembue les méninges, débrouille le nez, et rince les miasmes granuleux d’une haleine chargée. Claquement de langue, pendant qu’une main s’avance pour attraper un bout de pain, tandis que l’autre plonge une cuillère brusque dans un pot de confiture de poires confites aux arômes de miel, ou de pêches, aux saveurs d’automne et d’amandes. Coordination des gestes, mais esprit embrumé. Paupières plissées, yeux en fentes, concentration entièrement dédiée aux roboratives et salvatrices odeurs du petit déjeuner.
J'ai pris place à la longue table, entourée de mes compagnons de bringue, une tasse de breuvage chaud au creux des mains. Comme chaque fois, j'ai retrouvé avec plaisir ces effluves qui rôdaient, entre les bols fumants et les reliefs de nourritures, de nos corps engourdis qui conservaient les marques d’une nuit intense et tapageuse, suivit d’un sommeil harassé modèle parpaing. Effluves doux, sensuels, parfois musqués. Légèrement boisés, avec un vague relent de mûres ou de myrtilles écrasées, pour les amateurs de vin, de levure sucrée pour les buveurs de bières, de quelques miettes amères de nicotines, et couvrant le tout d’une cape invisible, le remugle encore appétissant des épices caramélisées du méchoui, que l’on avait mit à rôtir en plein air.
Dans quelques heures, une bienséante neutralité régnera de nouveau. Les semi-éveillés engourdis dans leur jus, seront remplacés par les frais pimpants sortis de la douche, en habits de valises, cheveux humides et sourire dentifrice.
Oui, la fête sera alors bien finie.
Nous serons redevenus des citoyens civilisés…pour combien de temps ?
-Pour Lapo, à propos de notre conversation, assit au soleil sur les marches coté jardin, de l'odeur des yeux plissés les lendemains de fêtes....
-Pour les 120 ans de Nathalie, Bruno et Pierre.
Je peux simplement vous dire que quelques heures raisonnables plus tard, je me suis levée. J’ai enfilé mes vêtements imprégnés de nicotine encore fraiche et, quittant ma chambre qui sniffait le dodo des ronfleurs discrets, j’ai, d’un pied un peu hésitant et agrippant le garde-fou chantourné, glissé au bas de deux étages d’escaliers serpentins, du majestueux château où nous nous étions une bonne centaine, réunit pour le week-end.
Nous avions débuté en fanfare, le vendredi soir.
Nous avons clôturé enthousiaste, ce dimanche matin.
J’ai atteint le rez-de-chaussée, froid, nimbé d’une lumière d’un gris pâle sans saveur. Envahit d’une sensation étrange, l’œil vague, proche sans doute d’un somnambulisme conscient, j’ai éprouvé le vide et le silence soudain. Evidemment mon nez fonctionnait, et l’air de rien la bécane enregistreuse a immédiatement absorbé et analysé quelques relents de cheminées assoupies. J’ai savouré les soupirs de résines calcinées des dernières bûches achevant de se consumer, brandons paresseux, abandonnés, émanations âcres et cependant réconfortantes. Les cendres, poussières ténues, dégageaient une odeur fine, douce et veloutée, légèrement amère et apaisante. La chaudière du château, comme nous l’avions découvert à notre arrivée, ne fonctionnait pas. Qu’à cela ne tienne, quelques pyromanes, heureux hommes, se sont empressés de jouer au mikado : bûches et allumettes. Activités viriles et senteurs d’autrefois, en parfaite harmonie avec ce lieu qui semblait dédié à quelques beaux Mousquetaires...
Je me suis dirigée vers la cuisine, en mode automatique, me rappelant qu’il me fallait franchir trois salles monumentales. La température avait chutée, et derrière le fumet des cheminés, je sentais le remugle des dalles froides, jonchées de débris à peine identifiables. Une brume insaisissable composée des fluides corrodés des couches de vernis successifs, des poussières fossilisées, et des particules de dorures fanées, voilaient les portraits en nombres considérables d’ancêtres inconnus. Bizarrement, ce pot-pourri m’a fait subitement songer aux boulettes de colles que nous façonnions et tripotions interminablement, entre nos doigts sales d’écolier. En passant près des portes fenêtres donnant sur les jardins, j’ai perçu le parfum du temps qui passe, prisonnier des longs rideaux damassés, ce reliquat de poudre de riz rancie, propre à toutes les vieilles demeures peu fréquentées et mal aérées, inexplicablement reposant. Au seuil de la seconde salle j’ai croisé, un ballon de rouge inachevé à la main, l’ultime noctambule qui s’en allait rejoindre d’un pas nonchalant, son matelas. Dénouement du sentiment précieux de sa solitude, il laissait sa place de gardien de l’aube aux nouveaux venus à peine éveillés, pour sombrer à son tour. Vision sans odeur, mais rencontre d’une immense saveur. Celle de nos habitudes de doux fêtards. Mes pieds m’entrainèrent soudain, animés d’une vie propre vers la dernière salle. Odeurs irrésistibles du café, du quat’ quart au beurre bien, bien jaune, des pelures de mandarines, et du lait tiède. Puis, j'ai discerné le marmonnement des conversations juste ébauchée, comme un code commun et compréhensible à tous les lèves-tard ; « sucre.. ?, lait…? Bé non…, c’est où qu’il est...? Y’a pu d’eau chaude… » Economie des mots, des gestes. Urgence d’engloutir une première gorgée de café brûlant, qui désembue les méninges, débrouille le nez, et rince les miasmes granuleux d’une haleine chargée. Claquement de langue, pendant qu’une main s’avance pour attraper un bout de pain, tandis que l’autre plonge une cuillère brusque dans un pot de confiture de poires confites aux arômes de miel, ou de pêches, aux saveurs d’automne et d’amandes. Coordination des gestes, mais esprit embrumé. Paupières plissées, yeux en fentes, concentration entièrement dédiée aux roboratives et salvatrices odeurs du petit déjeuner.
J'ai pris place à la longue table, entourée de mes compagnons de bringue, une tasse de breuvage chaud au creux des mains. Comme chaque fois, j'ai retrouvé avec plaisir ces effluves qui rôdaient, entre les bols fumants et les reliefs de nourritures, de nos corps engourdis qui conservaient les marques d’une nuit intense et tapageuse, suivit d’un sommeil harassé modèle parpaing. Effluves doux, sensuels, parfois musqués. Légèrement boisés, avec un vague relent de mûres ou de myrtilles écrasées, pour les amateurs de vin, de levure sucrée pour les buveurs de bières, de quelques miettes amères de nicotines, et couvrant le tout d’une cape invisible, le remugle encore appétissant des épices caramélisées du méchoui, que l’on avait mit à rôtir en plein air.
Dans quelques heures, une bienséante neutralité régnera de nouveau. Les semi-éveillés engourdis dans leur jus, seront remplacés par les frais pimpants sortis de la douche, en habits de valises, cheveux humides et sourire dentifrice.
Oui, la fête sera alors bien finie.
Nous serons redevenus des citoyens civilisés…pour combien de temps ?
-Pour Lapo, à propos de notre conversation, assit au soleil sur les marches coté jardin, de l'odeur des yeux plissés les lendemains de fêtes....
-Pour les 120 ans de Nathalie, Bruno et Pierre.
Superbe voyage. Comme on parle de caméra subjective, on peut avec toi parler d'odorat subjectif : à te lire, nous sommes "embedded", embarqués.
RépondreSupprimerLa descente de l'escalier, la traversée des salles, l'arrivée en cuisine : c'est un périple aussi passionnant qu'une descente de l'Amazonie avec ses changements de rythmes, ses péripéties. Et l'humour. Et quelque chose de l'atmosphère du Grand Meaulnes ?
Je suis parfaitement d'accord avec La flore et la faune. J'ai moi aussi ressenti cette atmosphère du Grand Meaulnes à travers les lignes. Un plaisir immense à la lecture... Le dimanche matin, c'est tellement nostalgique, encore pire après une fête. Les odeurs souvent me dépriment ces matins là, les cheveux qui sentent la cigarette, le nez gonflé qui sent mieux que d'habitude. Comme vous, le réconfort vient avec les autres, le petit déjeuner, les rires et l'assurance qu'on va recommencer...
RépondreSupprimerBonjour La Flore,
RépondreSupprimerMerci pour ton génereux compliment. Votre réference à tous les deux au Grand Meaulnes c'est certainement les boulettes de colles ? En tous cas cela me va droit au coeur, car en lisant ce livre j'avais été envahit par l'athmosphère douce et pesante, couleur de bruine...
Bonjour Poivre Bleu,
RépondreSupprimerMerci pour ces mots doux. J'ai un faible pour ces moments "d'après", même si il y a une forme de nostalgie, j'aime trainer longuement, et je retarde toujours le moment de quitter les lieus.
Ohhhh comme je retrouve les lendemains de fête de mes années lycée !
RépondreSupprimerSauf que le décor n'était pas un château mais les maisons de nos parents, perdues dans une vallée des collines sous-vosgiennes.
Merci de m'avoir fait revivre ces petits matins qui renaissent au moment où se termine la fête... et où, curieusement, l'amitié semble presque plus forte, plus intime qu'au paroxysme des festivités.
Merci aussi pour la générosité de votre plume qui nous fait humer avec justesse et surtout simplicité toutes ces odeurs de la vie... de votre vie.
Je suis déjà accro à votre blog : c'est officiel !
Laurence
Bonsoir Laurence,
RépondreSupprimerMerci pour vos compliments. C'est vrai que les petit matins sont des moments précieux !
Quand au chateau j'avoue que l'occasion etait exeptionnelle, donc savoureuse !! La cerise sur le gâteau d'anniversaire !! ;)
j'ai cherché sur internet voir qu'est ce qu'est un parpaing ... et oui, mon sommeil de fête est aussi modèle parpaing :) !
RépondreSupprimerIknowa
Bonjour Iknowa,
RépondreSupprimerBienvenue dans la tribu des doux fêtard au sommeil de plomb !
ça y est ! je pense pouvoir -enfin- faire des commentaires ! en attendant joyeux noël !
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