jeudi 12 novembre 2009

Café Américain

Mon homme m’affirme que ce n’est point un endroit où prendre un café.
Pour un non consommateur de cette boisson, je trouve qu’il ne manque pas de toupet. Mais je comprends qu’il est beaucoup plus français que je ne le suis, et qu’il défend un certain territoire : le bistro. Je lui donne entièrement raison. Question territoire. Mais parfois je passe outre, car il m’arrive de succomber au mauvais goût de mon enfance, souvenirs de petite fille qui a découvert au hasard des pérégrinations de son papa/maman, l’Amérique, et sa ribambelle de parfums sucrés, des nourritures soit disant « salées » : ketchup, pickles, baggels, mayonnaise blanche, moutarde jaune fluo, et bien plus tard, le café à l’eau chaude.
Hors donc, ce jour, en balade sur l’interminable trottoir de l’Avenue de l’Opéra, la jambe traînante, les oreilles en coton et l’esprit saturé par le grognement permanent de la circulation, j’aborde la fameuse enseigne et n’hésite pas longtemps. Je trouve de toute façon un prétexte tout prêt : j’ai lorgné dans un coin un fauteuil club, ventru et libre, et j’ai une chronique à terminer. Voilà, c’est parfait ! Je possède une excellente raison de flancher, et de m’envoyer un noir dans un carton. Mes scrupules apaisés, je franchie le seuil de la boutique et, d’un coup de nez d’un seul, je ne suis plus en France mais au pays du sucre rigolo, du caramel croustillant et du lait chaud monté en neige : Café Disney.
Bien sur, Mickey ne pointe pas son museau, mais trois étudiants, vêtus d’uniformes couleur marron papier, arborent un sourire Barbie-est-heureuse, et me proposent de me servir prestement toutes consommations que je voudrais bien leur désigner. Je parcours les panneaux où sont décrits avec force détails les Mocha, Macchiato, Cappuccino, et je trouve enfin mon café allongé sans modération. Je me décide ensuite pour la taille, mais je me fais avoir sur le terme employé : on me dépose sur le comptoir, un exemplaire gigantesque. Bah ! Je prendrais tout mon temps pour écrire. Mon seau brûlant à la main, je me dirige vers le canapé élimé, toujours inoccupé. Apparemment, c’est l’heure creuse. Je m’installe confortablement, ma boisson réconfortante à portée de main, et tout naturellement un rythme s’installe : je tapote sur le clavier, et le temps passe, entre deux phrases capturées, un fouillis de fautes d’orthographes corrigées, une virgule qui cherche désespérément sa juste place, et un décrochage régulier, pour absorber une lampée de café diaphane au parfum de flotte légèrement torréfié. Mais soudain mon bout de nez est chatouillé par une odeur de sucre monté en graine, puissante et souveraine. Je lève la tête et je découvre une jeune femme debout et souriante, un énorme muffin prisonnier de ces doigts délicats, qui me demande gentiment si elle peut s’installer en face de moi, et partager la petite table basse. Oui, oui, bien sur… et sans m’attarder davantage, je retourne à mon clavier: tape-tape, tape-tape. Oui, mais… Le muffin, petite montagne alléchante, déploie des ondes obstinées et envahissantes de beurre ultra frais, de jaune d’œuf concentré, de cannelle de Chine et de sucre vanillé des Tropiques. Pourtant, en levant un œil, je me rends compte que c’est une brioche parsemée de nombreux et gros éclats de chocolat. Je suis impressionnée par la force solitaire de cette friandise, posée sur la table à moins d’un mètre de mon nez, qui pulse, dès que les doigts féminins picorent quelques miettes, un lourd parfum de beurre et de vanille de synthèse, sans le moindre relent de cacao. Je redresse mon corps et j’hume l’ambiance de ce lieu dédié au café. Aucune signature de torréfaction non plus. Aucunes vapeurs amères, ni de sournoises et séduisantes volutes calcinées, croustillantes et boisées, ni ce résidu de cirage froid, lorsque moisit dans un tiroir des monticules de marc. L’odeur caractéristique reste sans doute prisonnière de la chope en carton avec son petit opercule en plastique, à moins qu’elle ne soit engloutit par l’ajout du vaste choix d’accessoires gourmands, comme le caramel liquide, la poussière de vanille, la mousse de lait chaud, ou la poudre de cacao confectionnées sans les fèves.
De nouveaux consommateurs, de plus en plus nombreux à présent, louvoient, gobelets à la main en une valse désorganisée, afin de trouver le fauteuil cosy encore disponible. Des parfums de jus d’oranges fraîchement pressées traversent l’espace. Molécules cristallines et pétillantes, éphémères, elles virevoltent sous mon nez pour disparaître aussitôt. Les émanations plus charnues, comme celles de la chantilly ou du caramel chaud, parviennent en se trémoussant avec peine, à atteindre mon nez curieux pour cette faune olfactive à l’américaine. Je ne comprends pas pourquoi ni comment ces pâtisseries si artificiellement parfumées, excitent ainsi ma gourmandise, ni pourquoi le café reste agréable, même incolore et inodore. Pourtant bien malgré moi, je demeure captivée par ces odeurs, violentes ou fades, avec ce je ne sais quoi de ridicule et de disproportionnée. Le coté gadget sans doute ? Je flirte avec la tendance « adulescent » versant régressif. Je retrouve mon engouement de gamine pour tous ces parfums postiches, qui réjouissaient mes papilles et mes narines naïves de petite fille. Heureuse époque de gloutonnerie confiante, où le nez comblé, et sans préoccupation sur la composition ou sur les conséquences, je savourais des gâteaux couleurs d’arc en ciel aux arômes improbables de fruits des bois, ou de beurre de cacahuètes.
Derechef une gorgée de café à l’eau, tiède maintenant. Glissement de mémoires et associations aléatoires, j’ai envie, tout à coup, de revoir le film «Jour de Fête» de Jacques Tati, avec son facteur qui effectue sa tournée «à l’Américaine».
Encore de la gourmandise sans doute…

16 commentaires:

  1. Merci pour ce très beau billet, et plus généralement, pour ce superbe blog !
    Ce post décrit à merveille les sentiments et la fascination que j'aimerais éprouver pour cette fameuse enseigne américaine, la volonté de succomber aux souvenirs sucrés de l'enfance et au service "custumercentric" si propre aux Américains.
    Toutefois, les rares fois où je me résouds à vouloir tenter l'expérience, toute la magie tant attendue s'évanouit dès le premier pied posé dans le magasin à l'enseigne verte, j'ai l'impression de me retrouver dans l'envers du décor de Disneyland, et une seule envie me prends immédiatement, retrouver mon petit noir serré, accoudé au zinc d'un café, dans le brouhaha, malgré l'humeur revêche des garçons de café parisiens...

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  2. Bon passons sur ce billet encore une fois surprenant (après la mort, Céline au pays des merveilles), sensuel et captivant, passons sur le motif récurrent de la disproportion cartoonesque des aliments, sur la justesse des mots.

    Pour ma part, qui n'ai pas de souvenir d'enfance américain et malgré un esprit assez ouvert à la nouveauté, notamment en matière d'établissement, je suis navré par cette chaîne.

    Par exemple, le SB posé en face de Danton, à Odéon, me frappe par sa tristesse, son absence d'ambiance, d'"esprit". On dirait une salle de réunion larguée sur le trottoir par hélico.

    Et plus haut, celui du bd St Michel ressemble à un vieux caveau : éclairage blafard, décoration digne d'un bricorama de seconde zone. Dans le quartier, je ne comprends pas une seconde qu'on puisse préférer cette enseigne à la petite pâtisserie viennoise de la rue de l'Ecole de médecine. Je pense même que le petit "bar" du Monoprix le jouxtant est plus vivant, plus habité.

    Mais le comble reste le petit gobelet siroté dans la rue. Petit morceau de carton mouillé d'un jus insipide, porté en trophée comme pour signaler "regardez ma journée est tellement blindée que je ne peux pas prendre le temps d'un café sédentaire". A NY, d'accord. Mais à Paris, ce petit village pépère où coule une rivière...

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  3. Bonsoir Nat,
    Merci pour vos mots agréables.
    Je reconnais que mes souvenirs perso.sont réellement ma seule motivation pour consommer dans ce café "Disney". Drôle de nostalgie, j'en convient ! :)

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  4. Bonsoir La Flore,
    Ben tu t'es laché ma fois ! Quel verve pour défendre le bistro. Je suis ravie ! Et tout à fait d'accord avec toi...mais j'assume aussi mon mauvait goût qui me rattrape, de temps à autre!
    Un billet AR pour NYC, juste pour un café à l'eau ?? Une bonne idée pour un de tes croquis sur la faune en quête d'existence...;)
    Blague mise à part, j'aime bien ton idée de Paris petit village pépère...pourvu que cela dure !

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  5. Le paradoxe, c'est que même à New York et à Tokyo, on peut facilement siroter le petit noir dans un café douillet, avec une bonne petite religieuse au chocolat ou autre gourmandise. Et oui, je crois que la "pépère attitude" des ptits frenchies a bel et bien de l'avenir !

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  6. Céline, comme je sais désormais que nous partageons le goût du café à l'eau, j'avoue que moi, Nord-américaine de naissance, je succombe aussi de temps en temps à ces effluves factices et régressifs!Je te conseille celui du boulevard Haussmann, installé dans le hall d'entrée d'un hôtel particulier totalement Napoléon III, qui a conservé ses moulures et ses miroirs!

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  7. Et sinon, une enseigne me plaît beaucoup avenue de l'Opéra (interminable on est d'accord), c'est "Raoul&Curly". Juste pour le nom.

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  8. oups ça me donne faim tout ça! C'est bientôt l'heure du thé!!Miam miam!

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  9. très beau texte, je me reconnais dans pas mal de points :))
    aaaah certaines de mes madeleines de Proust sont "américaines" aussi !
    ça doit être pour ça que je suis devenue aussi dingo hi hi

    bisous ! (je réponds à ton email très vite)

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  10. Mais je connais ce 'café'. J'ai eu un certain période où oups secret story: j'achetais un palmier au chocolat dans la boulangerie P d'en face et puis j'y allais prendre un chocolat dans le café americain pour profiter a lire la presse gratuite, au calme :). J'aimais la musique d'ambiance. Je prennais un "chocolat" chaud (qui hélas restait froid très vite a cause du chantilly). Je n'y vais plus, peut-être un peu impersonnel, ou trop de turistes qui ne prends soin de fois de laisser la table où l'endroit propre.

    Iknowa

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  11. Bonjour Méchant Loup,
    Comme quoi, "l'herbe est toujours plus verte chez les autres...jusqu'à ce qu'on découvre que c'est du gazon artificiel "( ce n'est pas de moi, mais je possedais ce poster de Snoopy avec cette citation, qui enfant m'amusais beaucoup!! Bigre il faut que je grandisse un peu, là !

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  12. Bonjour carmencanada,
    Oui et merci pour l'adresse...certainement plus sympa, que celle de l'Opéra un peu tristounette !!

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  13. Si par hasard je retourne me perdre sur cette interminable avenue, je jette un oeil à ton enseigne, La Flore. C'est ça de fonctionner avec son nez...on ne "voit" rien !

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  14. Bonjour Valérie,
    Oui je crois reconnaitre ta gourmandise ! :)

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  15. Bonjur Iknowa,
    Oui, constat identique. Je ne pense pas y retourner. C'etait juste amusant à l'occasion, le hasard, qui m'a permit de finir une chronique, et d'en entamer une autre.

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  16. Bonjour Alice,
    J'espère que tu n'as pas dévoré tous les muffins et les paquets de chips qui passaient à ta porté ???

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