lundi 4 juillet 2011

Les poils du Dieu Pan /12

Navré, quelques soucis fastidieux de connection …l’épisode N° 12 aurait du vous parvenir jeudi dernier ! Bonne lecture

Gomez et Norec quittèrent le bâtiment aux alentours de 4 heures du matin. En passant devant l’accueil, FG remarqua que le parfum « vacances à Honolulu » avait disparu, remplacée par l’odeur habituelle du café et du déodorant viril des hommes postés à l’entré. La tête embrumée, elle remit à plus tard l’examen de ce manège olfactif. Norec la déposa 20 minutes plus tard à son domicile, rue Pali Kâo. Elle l’abandonna sur un « bonne nuit, mon cher Gaëtan ». Il n’en demandait pas davantage.

Quelques heures plus tard, une longue douche, trois cafés et ses nouvelles sandales aux pieds, France revint au commissariat, en ayant comme souvent le sentiment d’avoir à peine quitté les lieux pour y revenir aussitôt. Elle retrouva le parfum désormais familier de noix coco et de plage lointaine, mais passa au large : elle était attendue depuis presque trois quarts d'heure. Norec devait faire les cent pas en se rongeant un ongle, ou en sirotant un café. Elle le trouva effectivement devant leur bureau, porte fermée, adossé au mur, un gobelet vide à la main qu’il tripotait fébrilement.
- Bonjour Norec. Accompagnez-moi, voulez-vous ? J’ai besoin de prendre un café, nous en profiterons pour bavarder un peu.
Sans broncher, Gaëtan lui emboita le pas et s’engagea dans son sillage.
- Parlez-moi de nos deux invités. Sont-ils arrivés ensemble ?
- Oui, et à l’heure. Depuis, ils attendent dans votre bureau, avec Assamo qui veille discrètement dans un coin.
- Qui tient la main de qui ?
- Ils ne se tiennent pas la main
- Ah ? Très bien. Je suppose que vous avez relevé leurs identités, posé les questions d’usage ?
- Oui, voici un premier compte-rendu.
FG jeta un œil sur les feuilles qu’il lui tendait, tandis qu’elle glissait quelques centimes d’euros dans la machine qui cracha un liquide sombre. Elle revint sur ses pas en avalant le café insipide qui possédait au moins l’avantage d’être chaud, tout en parcourant le rapport. Elle nota que Norec avait ajouté quelques observations au crayon papier : prise de parole, attitude nerveuse ou calme, échange de regards entre le couple, silence et soupirs. Bref, tous ces petits détails que le corps et la voix dévoilent sans y prendre garde, et dont la commissaire se nourrissait comme une éponge.
- Avez-vous remarqué de l’animosité entre eux ?
- Non. Pas vraiment. Lui est nerveux, inquiet, regarde souvent sa compagne.
- Et elle ?
- Elle plaisante, puis elle boude.
- Elle boude ?
- Oui, elle en a marre d’attendre à ne rien faire, et souhaite se tirer de là. Cette affaire n’est pas son problème.
- Ah….je vois. C’est plutôt chacun pour soi.
- Vous désirez les interroger séparément ou en même temps ?
- En même temps. J’ai peu de questions à leur poser et jusqu’à preuve du contraire ils ne sont coupables de rien. Ils ont simplement partagé un café avec notre suspect, juste avant la mort d’Élodie,
- Mademoiselle Mayol doit passer dans vingt minutes. Désirez-vous que je m’en charge ?
Ils venaient d’atteindre la porte close de leur bureau, lorsque FG coinça entre ses dents le gobelet vide et fouilla dans son immense besace. Elle plongea son bras jusqu’au coude, agita le fond, souleva des sédiments de pièces de monnaie, de mouchoirs usagés, de tickets de métro roulés en tubes, de débris de papiers hachurés de notes, de boulettes de factures CB, de plusieurs pochettes aux formats variés en cuirs colorées, sensées ordonner ce chaos, et finit par mettre la main sur le calepin bleu turquoise, qu’elle avait négligemment jeté au fond du sac la veille au soir. Elle lança ravie, un « Ah ! Le voichi ! » totalement inaudible. Norec réagit promptement et retira délicatement le verre en plastique de sa bouche.
- Merci, Norec
- Je vous en prie
- Oui, s’il vous plait. Contrôlez son emploi du temps, sondez ses rapports avec Lézard. Déception amoureuse, jalousie ou autre…je vous fais confiance. Ah ! j’oubliais, j’ai reçu un appel du labo technique ce matin, ils confirment que le mail a bien été envoyé en fin d’après-midi depuis la bécane du restaurant. Vérifier si Mademoiselle Mayol possède un jeu de clés, pour pouvoir se rendre sur place quand les propriétaires s’absentent. On se retrouve dans deux heures. Ajouta-t-elle la main posée sur la poignée.
Tournant le dos à son assistant, elle ouvrit fermement la porte sans s’annoncer et jeta un regard au planton pour lui signifier qu’il pouvait les laisser. Puis, sans quitter des yeux son carnet qu’elle feuilletait, elle se glissa derrière son bureau et s’assit avec une élégance étudiée. La porte se referma sur le policier. Quelques secondes silencieuses flottèrent dans la pièce, vieille pratique qu’elle employait pour évaluer sans y paraitre le visage de ses interlocuteurs, et déterminer, lorsque deux visiteurs lui faisaient face, lequel elle interrogeait en premier. Elle se pencha en avant et d’une voix douce fit son choix :
- Mademoiselle Wisnia Oriel, c’est bien ça ?
Oriel hocha la tête, souriante et détendue.
- Je me permets d’insister, car Monsieur Lézard était incapable de nous préciser votre identité complète, sans parler de votre prénom !
Le visage d’Oriel se crispa légèrement, mais elle se reprit très vite, gloussa bêtement en haussant les épaules.
- Nous nous connaissons depuis si peu de temps. C’est normal.
- Depuis quand ?
Elle réfléchit, le regard tourné vers le plafond, et précisa toujours souriante.
- Nous nous sommes croisés deux ou trois fois, pas davantage, sur une période de 4 mois.
- Vous connaissez Monsieur Marrel depuis quand ?
- Quatre mois environ, mais pourquoi cette question ?
- Vous êtes né à Paris ?
- Oui, je l’ai déjà dit à…
- Dans quel arrondissement ? Lui demanda FG en griffonnant sur son carnet et sans lui adresser un regard.
- Le dixième arrondissement, mais…
- Antoine, vous avez vécu dans le 18em, vous étiez voisin avec Tristan Lézard ?
Comme il ouvrait la bouche pour prendre la défense d’Oriel qui était en train de perdre son charmant sourire, Antoine se redressa surpris par la question.


-Heu…oui, nous étions voisins et amis d’enfance.
Sans lui laisser le temps de continuer, Gomez enchaina :
- Vous connaissiez sa maman ?
- Mais tout le monde connaissait sa maman !!... Enfin, c’est ce que tu m’as dit Antoine, non ?
Gomez leva enfin la tête de son carnet et fixa le visage ahuris de l’homme embarrassé par l’intervention de son amie. Oriel, confuse, se mordait la lèvre et posait sa main sur le genou d’Antoine dans un geste complice et apaisant. Elle plaisanta gaiment sur sa manie idiote de se mêler de tout et de n’importe quoi, et de vouloir protéger son fiancé. Antoine eut un imperceptible mouvement d’épaule, comme si la pression soudain se relâchait. Il attrapa la main d’Oriel et lui offrit un beau sourire lumineux. Ils se tournèrent ensuite d’un même mouvement vers la commissaire qui les considéra avec un sourire caustique. Elle n’allait tout de même pas les marier, ces deux-là ! Antoine avait l’air d’un imbécile heureux, tandis qu’Oriel papillonnait des cils comme une biche. Comédie ou fiançailles en direct ? Qu’importe, FG poursuivi comme si de rien n’était :
- Voltaire ? Ça vous dit quelque chose ?
Comme prévu, Antoine et Oriel échangèrent un regard, ne sachant à qui était destinée la question.
- Non.
- Non…une station de métro ? Proposa Oriel.
France Gomez sourit gentiment et posa sur chacun, un regard doux et tranquille. Elle leur demanda ensuite de lui narrer la scène du café renversé. Antoine engagea le récit, Oriel l’interrompait souvent, ajoutant un détail, évoquant l’attitude de la serveuse. Antoine insistait sur la patience de Tristan, précisant que ce dernier n’avait jamais encouragé Élodie à imaginer une aventure possible entre eux. C’est simple, il ne la voyait tous simplement pas, ajouta Oriel.
- Et pour la serviette ? demanda Gomez.
- Quelle serviette ? demanda Antoine
- Mais oui, tu sais bien, la jaune. Celle qu’elle s’est empressée d’empocher dans son tablier. Intervint Oriel.
- Elle ne l’a pas utilisé pour éponger le café ? s’enquit la commissaire, intriguée.
- Non, non…dit précipitamment Oriel, « En fait, elle…
Mais elle fut interrompue par Antoine.
- Je ne me rappelle pas des détails, soupira t’il. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi est-ce si important. Le café s’est renversé, Élodie s’est démenée pour nettoyer les dégâts, et l’histoire s’arrête là. Il n’y a pas eu de drame, ni d’engueulade. Tristan n’y était pour rien, et pas davantage Élodie. Un simple accident comme il en arrive souvent dans les bars ou les restaurants. Je sais de quoi je parle : on n’a jamais tué pour une histoire de verre renversé !
Boudeuse, Oriel ajouta
- Oui, mais n’empêche. Élodie à pris la serviette jaune, en a fait une boule et l'a cachée dans son tablier…
La commissaire se tourna vers Antoine, et d’une voix plus ferme lui demanda
- Où étiez-vous la nuit du meurtre ?
- La nuit du… ? Heu… de qui ?
- Oh ! Tu es impayable, mon Antoine ! De la pauvre serveuse bien sûr. Tu ne te souviens pas ? Allons mon chéri d’amour, nous dormions ensemble…enfin, dormir…si l’on veut. Elle gloussa et papillonna des cils de plus belle, en tripotant le genou de son compagnon.
Gomez éprouva l’envie violente de lui balancer deux gifles, juste pour vérifier si son Rimmel était bien waterproof. Elle se reprit cependant, respira calmement en tripotant son stylo et considera Antoine sans indulgence. Il paraissait un peu étourdit, mais confirma d’une voix presque ferme qu’effectivement cette nuit-là, ils l’avaient passé ensemble, dans le même lit, se crût-il obligé de préciser.
- Bien, conclut brusquement France Gomez, en posant son carnet et son stylo sur la table. Je vous remercie tous les deux pour vous être déplacé jusqu’ici et pour avoir clairement répondu à toutes nos questions.
Elle se leva, quitta son bureau et gagna la porte qu’elle ouvrit largement. Elle tourna ensuite vers eux un visage avenant, et leur proposa de les raccompagner.
Antoine hésitait. Mais Oriel, portée par un ressort, se redressa, saisit le bras de son compagnon et s’échappa du bureau en remerciant très poliment la commissaire
- Merci Madame le Commissaire, ne vous dérangez pas, on trouvera la sortie. Allez vient Antoine, je te rappelle que nous avons un diner à organiser.
- Hein, quoi ?…Mais c’est pour demain soir, on a tout notre temps ! Au revoir Madame…
Antoine bafouillait, totalement dépassé par ces deux femmes qui depuis plus d’une heure, empoignaient et dirigeaient la conversation. Il éprouvait le sentiment humiliant d’être assis sur une bouée ronde, qui tournoyait sur une rivière en crue. Il en avait presque la nausée !
FG les regarda disparaitre à l’angle du couloir, courant presque. Elle hocha la tête, et retourna s’installer sur sa chaise. Elle posa ses deux pieds sur son bureau, et contempla songeuse le morceau de ciel gris Paris découpé entre les toits de l’immeuble de la brigade. Drôle de couple…

Antoine recouvra la parole quelques minutes plus tard dans la rue. Il stoppa net leur allure de fugitif, agrippa le bras de sa petite amie et la força à se tourner vers lui.
- Dit donc, qu’as-tu eu besoin de bavarder autant ? Tu nous as littéralement assommés de paroles !
- La trouille sans doute. Je suis mal à l’aise avec les flics. Tu dis un truc et ça se retourne contre toi. Alors quand tu déverses tout, à toute vitesse, j’imagine qu’ils n’entendent plus rien, et qu’ils n’ont qu’une envie, c’est de nous voir débarrasser le plancher. Je n’ai pas raison ? Regarde, t’es complètement sonné! La grande commissaire aussi, certainement.
- Oui, c’est peut-être vrai, mais je n’aime pas du tout cet imbroglio, je n’y comprends plus rien ! Je dois voir Tristan, on dirait que moindre détail dans cette histoire l’accuse.
- Mais non, qu’est-ce que tu vas chercher là ? Allez, vient on va faire deux courses pour le diner de ce soir.
- C’est demain soir
- Non. Je viens de décider que c’est ce soir.
- Tu te mélanges souvent les soirs, on dirait ?
Oriel le regarda sans répondre. Elle haussa les épaules et poursuivit son chemin perchée sur de petits talons qui lui faisaient la jambe ravissante. Antoine se perdit dans le mouvement de va-et-vient de la jupe sur les hanches, accéléra le pas pour rattraper la taille fine qui s’éloignait, et l’entoura de son bras. Oriel partit d’un rire franc et posa son visage sur l’épaule de son nouveau fiancé. Antoine flottait sur son petit nuage…

5 commentaires:

  1. J'ai vraiment hâte de lire la suite...je suis votre polar depuis le début sans pour autant avoir laissé de commentaires. J'apprécie le rythme de l'intrigue. Une idée comme ça...trouvez-vous un dessinateur et faites-en une bande dessinée...la longueur du récit, les personnages, tout ça s'y prêterait de façon très convaincante. Si j'étais une pro du dessin, je vous le proposerais bien...

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  2. Merci pour votre commentaire, j'apprécie vraiment de savoir qu'il existe aussi des lecteurs silencieux :)). Une BD...c'est une bonne idée. Je connais un dessinateur...on va s'amuser à "dessiner" des odeurs !La suite et la fin sont pour cette semaine.

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  3. Ah j'étais loin d'internet et quel plaisir de vous retrouver toujours aussi punchy ! Sunny Side

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  4. Ah j'ai pensé à vous et à Tristan avec ce merveilleux petit livre vert irisé, Pour se pourlécher les babines et sourire en lisant ... "La feuille de figuier" dix façons de la préparer d'Angélique Villeneuve aux éditions de l'Epure. A s'offrir et à offrir cet été ! Sunny Side

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  5. C'est tellement vrai les couples comme ça et on a envie de dire à l'homme: surtout ne te marie pas avec elle!

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