mercredi 26 janvier 2011

Les poils du Dieu Pan /3

-Qu’en penses-tu ? Lui demanda-t’elle, sans ralentir ni se retourner pour vérifier s’il avait entendu sa question.
- L’homme est fermé, peu causant. Cette histoire l’ennuie visiblement. Doit pas aimer qu’on l’emmerde !
La Commissaire France Gomez renifla discrètement. Un signal. Une habitude de vieux couple, pour faire comprendre à son assistant que le résumé était un peu court. Gaëtan Norec suivait, bras ballant, souffle court. Envie d’une cigarette, mais impossible d’en griller une lorsque FG partait à courir comme ça. Pour réflechir, qu’elle lui répondait. Il l’accompagnait partout, l’attendait le matin devant chez elle, quittait le bureau après son départ. On se moquait, on le traitait de petit chien à sa Dame, mais il s’en foutait. C’était la seule personne dans tout ce putain de bâtiment, où il végétait depuis quinze ans, après qu’une circulaire à propos d’un pourcentage de taux d’handicapé à respecter l’avait catapulté dans les bureaux de la criminelle, à lui avoir toujours parlé correctement. Dès le premier jour de son arrivée lorsqu’elle avait pris son poste, lâché son énorme sac sur une chaise et déposée sur son bureau son calepin, jaune d’œuf à l’époque, elle s’était adressée à lui en le regardant droit dans l’œil. Sans jamais se tromper. Toujours le même, le gauche, couleur ardoise, qui ne bougeait pas, ou si peu, dans son visage. Depuis, huit bonnes années maintenant, il la suivait comme son ombre, traduisant, résumant, ordonnant, le chaos de ses réflexions qu’elle prononçait à voix haute, ou qu’elle transcrivait dans son carnet, qui changeait de couleur chaque saison. Parfois, elle lui tendait le petit cahier en silence, avec un demi-sourire. Il l’acceptait comme une offrande, l’emportait chez lui et bûchait toute la nuit dessus. Il rédigeait des fiches, dont il surlignait au crayon (de la même couleur que le carnet) les passages clés. Il ajoutait des flèches là où il pensait qu’il existait un lien, une corrélation. Il entourait d’un large cercle les nœuds de remarques, incompréhensibles ou en cour de dépiautage. Il avait même inventé un code pour désigner l’affaire classée, celle en gestation, à court ou long terme, qui pourrait être complétée dès qu’un signal supplémentaire surgirait, ou celle totalement abandonnée, faute d’éléments. Le lendemain, éreinté, mais heureux, le regard plus fuyant qu’à l'accoutumée (l’œil droit, d’un bleu d’agapanthe, disparaissait vers l’oreille, tandis que l’ardoise, habituellement stable, s’alanguissait vers le bas, coté nez), il lui tendait le carnet, et une boite à chaussure Kickers de couleur rouge qui contenait des fiches soigneusement rédigées et complétées. Gaëtan n’aimait pas l’informatique. Il comptait sur ses propres moyens d’analyse et de classification, de stockages et de rangements, et surtout sur sa mémoire infaillible, que personne au bureau n’avait pensé à interroger. Jusqu’à une conversation fortuite avec FG au début de leur cohabitation, alors qu’ils partageaient une pièce exigüe, placée en face des toilettes pour hommes.
-Comment vous dire...Il ne m’a pas donné l’impression de nous mener en bateau. Je ne pense pas qu’il connaisse notre victime.
- Et toi ? Tu l’as reconnu ?
- Ouaip. C’est Michel Drommel, surnommé « Voltaire » dans le quartier où il avait ses habitudes.
- Règlement de compte ? Pourtant on est en dehors de sa zone, non ?
- C’est ça... Je ne comprends pas comment il a atterri dans ce placard. Et dans quel état, putain de bordel de foutr…
- Norec !
-Oups, pardon, ça m’a échappé. Mais, faut avouer qu’il n’était pas beau à voir. Jamais rencontré un truc pareil.
- Justement. Je tente de comprendre pourquoi cet homme, Lézard, n’a pas bronché plus que ça. Il n’était ni choqué, ni blême. Rien. Indifférent, comme blasé.
- Ben, à ce propos, je ne suis pas d’accord avec vous.
- Explique.
-Il m’a paru au contraire très curieux. Il ne cessait de vous observer pendant que vous déambuliez dans son restau. De l’air de celui qui n’y touche pas. On aurait dit qu’il attendait que vous tombiez sur le détail, comme lorsque l’on joue à cache-cache.
- Il nous cache un truc, tu penses ?
- Nan, c’est autre chose… dit-il d’un ton mystérieux, savourant son effet.
FG se fit aussitôt la réflexion qu’elle était encore tombée sur un type qui ne pouvait s’empêcher de regarder une flic, comme une bête curieuse. La preuve, dans le dico « flic » est au masculin. Commissaire tout pareil. Qui plus est, une flic jolie. On frisait la caricature. Il m’observait ?...Pfff, ben, voyons. Puis, elle cessa d’y penser et se concentra sur le sujet essentiel qui avait mené ses pas un mercredi matin, dans ce quartier bruyant et populaire de Paris.
Sans ralentir leur allure, ils avaient quitté la rue d’Enghien, franchit le Boulevard Bonne-Nouvelle et se dirigeaient maintenant vers le Grand Rex, qu’ils dépassèrent, sans accorder un regard aux affiches à gros titres des dernières sorties cinéma. Absorbée par ces pensées, elle ne se rendait pas compte du nombres de rues qu’elle avalait, son assistant sur les talons.
Depuis ces dernières années sur Paris, les règlements de compte étaient proches du zéro, et s’ils survenaient, ils ne concernaient que le menu fretin. Un grincement sans plus. Le temps d’huiler les gonds, de faire jouer la poigner, et d’écarter le maladroit qui s’était pris les pieds dans la porte. Voltaire c’était autre chose. Un habitué du quartier de la gare du Nord, depuis Clichy jusqu’à Jaurès. Proxénète à ses heures, traficotant discrètement la parfumerie de luxe et les montres de types Rolex. Aucune compétence intellectuelle, malgré son surnom attribué par ses proches, depuis que sa mère l’avait mis au monde sur le quai du métro Voltaire, un jour de bombardement des forces Alliées. Pas chiant le Voltaire. Répartissant judicieusement ces renseignements sur tous les fronts, histoire d’être équitable avec chacun, les flics comme les voyous, afin qu’on le laisse tranquille, lui et son trafic. Quelques années de taule, de-ci de-là. Bref. Rien, en résumé. À moins qu’il n’ai froissé un nouveau venu. Un jeune loup, qui n’acceptait plus les règles des anciens. Mais pourquoi Voltaire ? Connu de tous, mais nullement une célébrité dans le milieu de l’influence et du pouvoir. Et pourquoi donc tant de cruauté ? Une telle signature ? Sophistiquée, délicate et tordue.
Elle songea au cadavre. Epilé ou brulé ? Elle devrait consulter rapidement le rapport du légiste sur ce sujet.
- Les deux mon capitaine
- Que me dis-tu ? Elle ne s’était pas rendu compte que, comme à son habitude lorsqu’elle réfléchissait, elle s’était exprimée à voix haute. Enfin, pas si haute, mais Gaëtan à défaut d’avoir des yeux en face des trous, possédait une excellente ouïe.
- Les deux : épilé et brulé. En fait la victime a été épilée par combustion des poils. Et la chair a morflé par endroits. Épilation totale, jambes complètes et maillot, avec des allumettes ou un briquet.
- Pourquoi pas un chalumeau ?
- Y’aurait plus de dégâts.


à suivre….

6 commentaires:

  1. Yeah ça continue et toujours aussi palpitant ! Vous maintenez bien le rythme ! Sunny Side

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  2. Ah je reviens pour vous dire que je les aime beaucoup tous les deux ! Quel talent ! Sunny Side

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  3. vite vite la suite! J'adore adore cette façon de revisiter le polar avec ces polar-oides olfactifs ;o)

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  4. Voilà de nouveaux et passionnants horizons pileux qui s'ouvrent à moi :-)

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  5. Y'a pas grand chose qui sent, cette fois, mais le duo est succulent...

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  6. J'adore! Bonne mise en place des personnages, de l'intrigue, du cadre... en plus Bonne Nouvelle ça m'évoque plein de souvenirs. On a envie d'en savoir plus!

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