mardi 23 juin 2009

Sur un banc

Fin Mai. Pause déjeuner au Jardin du Luxembourg. J’ai de la chance, je trouve la chaise que je préfère entre toutes, libre, près du bassin principal où tout le monde vient faire sa petite sieste post sandwich. La fameuse chaise verte, large, basse et inclinée qui accueille vos fesses entre ses bras tendus : glissade toboggan, cul calé, dos à bascule, visage position soleil. Les yeux clos, abandonnée et offerte à la paresse, je laisse mon nez se promener.
Paris est de bonne humeur. Les odeurs sont au beau fixe et mon esprit commence sa petite rengaine. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers, je tricote quelques rangs imaginaires parfumés. Mon nez glane des bribes presque par hasard aux grés des sautes de vent, aux passages des promeneurs, ou des enfants qui courent sans but en frôlant d’autre corps. Des bouts d’effluves, et des bruits. Le clapotis de l’eau, le bruissement des feuilles, le gravier qui grince sous le pas des passants, le chuchotement d’une chaise métallique déplacée loin de moi.
Le tricot prend forme, gonfle et s’étoffe de quelques rameaux de fleurs blanches, de plusieurs grains de sable et de trois gouttes d’eau. De fil en aiguille mes pensées odorantes m’entraînent loin de Paris. Je suis en Méditerranée. Je pense à ce colis reçu par la poste. Un bouquet de fleurs de Câprier en provenance de l’île de Pantelleria. Les rameaux sont comprimés en une boule compacte de feuilles et de pétales défraîchis. Une seule fleur a réussit à supporter le voyage, peut être le bourgeon s’est il ouvert en chemin ? Je porte la fleur fragile à mon nez, et je suis surprise par la douceur amère de son parfum. Je perçois la lumière éblouissante des journées d’été, l’odeur fugitive et sèche des pierres brossées par le vent du large et, au creux de la fleur, protégée par un pistil très ébouriffé, une fraîcheur de sève, souple, humide et grinçante. Comme une source cernée d’ombre. Je cherche l’équilibre entre l’humidité et l’aridité. Etre sur le fil, lorsque parfois on découvre un versant, et le lendemain un autre, notre mémoire olfactive oscillant entre douceur et aspérité.
Paris. Jardin du Luxembourg. Je pense à cette fleur de Câprier. Le récit s’émaille de plusieurs chapitres, de quelques intrigues récoltées pendant ma pause déjeuner. Cependant, l’instant que je préfère est celui où le parfum enfin achevé prend son envol et me quitte pour aller vers les autres. Il se produit alors un phénomène curieux et toujours renouvelé, dont je ne me lasse point : l’histoire change de main. Parfois elle est réinventée, parfois elle s’agrémente de quelques nouveaux détails. Parfois le récit original est totalement oublié.

J’aime cette idée que le parfum ne m’appartienne pas.

6 commentaires:

  1. Bravo, les pauses déjeuner de 3 heures...

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  2. Ah je sais mais c'est tout ce soleil...j'espère que je ne t'ai pas coupé l'appetit ?

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  5. L'histoire change de mains, pourvu qu'elles soient bienveillantes! Vous est-il arrivé de sentir vos créations au hasard des rues, portées par parisiennes chic? J'aime beaucoup cette citation de lutens (il me semble) "le parfum est un ami qui parle pour vous". Pour moi c'est une enveloppe qui exprime votre humeur de la journée et une facette de votre personnalité. Alors je me demandais, quand vous créez un parfum, pensez-vous à un style de femme (ou d'homme) particulier auquel il pourrait convenir (jeune, mûre, élégante, simple, blonde, brune, femme de tête, femme timide etc...) Quel effet cela vous fait-il de voir ce parfum envelopper cette étrangère que vous croisez? C'est un peu comme croiser sa meilleure amie avec une copine que vous ne connaissez pas, et de voir qu'avec elle elle est différente, plus gaie ou au contraire plus sérieuse...
    Muguette

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  6. Bonjour Muguette,
    Le parfum parle pour vous, pour dissimuler ou enrichir votre personnalité, surprendre aussi parfois...
    Quand je crée un parfum, je songe d'abord à une histoire. Je me fait mon cinéma !Je ne pense à personne en particulier, je suis completement dans le récit, dans l'athmosphère. En fait sincèrement ces chroniques ressemblent à mon etat d'esprit quand je compose. Et c'est pourquoi chaque personne qui choisit et porte un parfum ajoute un chapitre, donne corps au parfum (au propre et au figuré),et un caractère, un style...jamais le même.

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