lundi 15 octobre 2012

Le parfum de la fraise

Le goût de la France. En un peu plus de 300 molécules. Ou deux.
Dans le rayon produit frais on ne compte plus les desserts lactés aromatisés à la fraise. Coin confiture c’est le premier pot qui nous tombe sous la main. Gâteau sec bien fourré, elle séduit juste après le chocolat. Les enfants prennent leur douche sous la fraise, cheveux comprit, même si le slogan est lisiblement libellé fruits rouges, grenadine ou fruits du verger. Les eaux de toilette flirtent également avec la barbapapa rose Tagada.
Pour ma part, je ne sais pas créer un parfum de fraise, bien que j’adore le goût du fruit rangé serré comme une sardine dans sa barquette cartonnée au mois de juin.
Mon éducation anglo-saxonne n’y comprend rien.
Pas de souvenir, pas de référent, aucune nostalgie pour la fraise.
Techniquement, oui. Je peux vous citer les matériaux qui évoquent certaines facettes et permettent, une fois assemblé, de reproduire l’odeur, car j’ai tout appris à l’école.
Mais je ne sais pas donner envie, ni réveiller la gourmandise. Ma fraise ne possède aucune âme.
Certes, je n’apprécie ni les yogourts à la fraise, ni la confiture ou les bonbons à la fraise, mais ce n’est pas une raison suffisante.
J’ai une brulure d’amour propre à cause de la fraise. Étudiante à la Sorbonne, je me trouvais entre les murs d’un grand magasin parisien pour je ne sais plus quelle raison indispensable. Rez-de-chaussée, royaume des marques. Un stand en vedette pour le lancement d’une nouvelle eau de toilette féminine et un jeu concourt rigolo : trouvez l’odeur que l’hôtesse passe sous votre nez et gagnez un flacon. Trop fastoche ! Je baigne dans les parfums depuis mon enfance, toute la famille joue à l’odeur masquée en permanence, élémentaire mon petit nez ! Sourire conquérant je me pointe, allonge le blair et respire la substance….heu…odeur inconnue, vague réminiscence, mais c’est quoi ce machin ? De la fraise ! clame-t-on autour de moi à l’unanimité. Toutes ces dames et messieurs gagnent un petit flacon, quand à moi je disparais, humiliée et agacée : pfft, de toute façon, le parfum de la fraise était très mal fait. Na !
Oui, mais ce n’est pas une raison suffisante.
Depuis, je suis allée à l’école pour découvrir, comprendre et composer le parfum de la fraise. J’ai correctement appris ma leçon, reproduit scrupuleusement les exemples donnés en classe, mais sans succès. Mes fraises n’ont jamais rencontré l’adhésion de quiconque, ni la mienne particulièrement. Je n’ai pas abandonné la partie pour autant. J’ai poursuivi mes recherches et cheminé sur des sentiers de traverse. J’ai proposé des vanilles/fraise, des fraises/rhubarbe, des tomates/fraise, des bois à la fraise, des patchoulis/fraise, des mûres/fraise, des pommes/fraise, des marmelades d’orange à la fraise afin de réconcilier mes racines irlandaise et française. Succès d’estime. Merci, c’est original et créatif, mais où se trouve la fraise, au fait ??
Je questionne les aromaticiens, farfouille sur leurs étagères, tente de chiper leurs trucs et astuces et traine mon blair sans en avoir l’air. Je sais, je sais, le produit miracle qui organise comme par magie l’idée un peu vague, ça n’existe pas. J’ai déjà fait une omelette, vous vous souvenez ? Je tente malgré tout car, je veux comprendre, maitriser la réponse. Je découvre ainsi que le goût de la fraise, celle que l’on cueille au raz du sol dans notre jardin, comporte un peu plus de 300 molécules chimiques. Forte de cette constatation je crée une énorme formule, très longue, très détaillées dans laquelle je mets tous les ingrédients disponibles au laboratoire avec les quantités qui correspondent aux analyses chromato et spectro des dernières recherches en chimie moléculaire. Mon assistante passe une bonne matinée à rassembler chaque matériau, à peser et vérifier l’interminable formule qui contient des substances parfois très, très, diluées. Un vrai travail d’orfèvre. Elle m’apporte enfin, comme sur un plateau, le minuscule flacon d’une solution à 5% dans l’alcool de ma « vraie fraise du laboratoire ». Délicatement, je plonge la pointe d’une touche dans le flacon. Je compte quelques secondes pour laisser le temps à l’alcool de s’évaporer, mais en fait je recule l’instant de la confrontation entre le fantasme et la réalité. La technique et l’idée. Silence, on sniffe. Poing serré, coude au corps, yes ! Ça sent la fraise !! Brièvement. Un simple pop qui aussitôt s’évapore. Puis c’est une longue suite d’informations éparses, décousues qui évoquent le caramel, le citron, les feuilles vertes, le bois sec, la banane, la rose, l’humus, la confiture, l’amertume et le sucré. Découragée, j’envoie ma mouillette promener. J’attrape ma formule et plonge dans la lecture du récit de la fraise. Chaque produit possède un caractère qui évoque peu ou prou la fraise. Chacun existe dans la nature pour provoquer dans notre bouche le goût de la fraise. Alors, pourquoi cela ne fonctionne -t-il pas dans mon flacon, sous mon nez ? La recette hurle la fraise, mais je n’en perçois qu’un bref murmure.
Dépitée, j’abandonne l’idée de créer des parfums à la fraise. La formule a disparu, engloutit par l’ordinateur. Les années ont fui, englouties par le quotidien. Je me suis spécialisée dans la pomme. Entre autres.

Et puis, un jour, je papotais fraise avec un parfumeur.
Elle a souri. Et m’a expliqué que pour sa part elle n’aimait pas la vanille. Pourtant elle avait signé de nombreux parfums onctueux et meringués.
J’ai repris mes flacons. Écris une formule. À ma façon. Fraise et calisson. J’ai oublié l’école et la chromato.
Depuis, des enfants anglais font des bulles dans le bain avec mon parfum « toffee cherry » et j’en suis heureuse. « Nothing personal”, comme disent les Américains.


PS :
Un grand merci à Josiane, spécialiste de la vanille qu’elle n’appréciait pas vraiment, qui m’a démontré gentiment que l’aldéhyde C16, surnommé également aldéhyde fraise, ne sert à rien pour créer une fraise.
Un grand merci à Florence qui m’a expliqué au hasard d‘une conversation que l’anthranilate de méthyle permet de créer l’odeur de la fraise des bois.
Un grand merci à papa qui explique dans son bouquin (au passage, hop, un peu de pub, ça reste en famille), que ma formule de jeune parfumeur à la recherche de la fraise écrite avec plus de 120 produits, peut se résumer aussi en deux matières : éthyl maltol + fructone.
PS 2:
Aujourd’hui, lorsque l’on fait déguster en aveugle à des adultes et particulièrement à des enfants une véritable fraise de saison mûre à point et un arôme traditionnel de fraise, la majorité des réponses démontre que l’arôme de synthèse emporte la palme de la réalité, de la vérité.



2 commentaires:

  1. Joli billet Céline ! Et qui résonne beaucoup en moi. Surtout l'anecdote de l'odeur à sentir – la fraise – que vous sentîtes de travers, ce qui vous interdit alors l'accès au flacon gagnant. La "vox populi" est parfois plus forte que la vérité. Seul(e) contre tous. Si dix personnes vous disent qu'une mauvaise construction de fraise SENT la fraise et que vous vous ne la sentez pas (vous qui pourtant avez un nez plus aiguisé et qui SAVEZ ce qu'est l'odeur de la fraise !), vous avez beau vous débattre, vous n'aurez pas raison. Il m'est arrivé une anecdote analogue avec une de ces petites valises genre "Le Nez du Vin", remplie de mini fioles censées mettre en évidence les odeurs de "bouchon", "fruits rouges", "cassis", violette", etc. Ces reconstitutions, pour la plupart sont très mal faites – ou alors est-ce si difficile à recréer ?. Mais comme sont utilisées par tout le monde du vin, les amateurs, elles font office de REFERENCE. C'est assez déprimant parfois. Lors d'un "test-amusement" avec des amis, à l'aveugle, je n'ai pas reconnu l'odeur d'abricot (assez ratée, trop douce et synthétique, limite "banane"), disant que je ne sentais qu'un truc fruité, pas naturel vaguement fleuri... Et pourtant je connais bien l'odeur de l'abricot frais (acide et poudrée à la fois, douce, suave, caractéristique, précise). Idem pour l'odeur de la poire (très approximative dans la fiole, qui tournait autour mais sans jamais la saisir) : chou blanc. Ce jour-là on a remis en question mes capacités olfactives, qui sont pourtant "excellentes" (dixit un parfumeur de chez Givaudan, auprès de qui j'avais fait des tests il y a des années – mais je me suis orienté vers la photo et les arts plastiques, redoutant le cursus chimiste et compagnie...) Bref. Donc face à la multitude "ignorante" et hilare, vous avez tort. Vous êtes incapable de reconnaître une simple odeur de fraise (ou d'abricot) !
    Pour ma part je suis en train de me dire, en analysant et décrivant toutes les matières que j'ai pour le moment, que certaines ne méritent aucune retouche. Elles sont un parfum magnifique à elles toutes seules. Regardez certains vétivers, la myrrhe, la mousse d'arbre... C'est juste sublime, ça ne nécessite aucun dièse ni bémol. Ni rajout. Ou alors ok mais ce n'est plus ça. C'est un "discours autour de".
    J'ai été photographe de mode, dans une vie précédente. Un jour, lors d'un shooting pour une pub, j'ai eu l'occasion de travailler avec un "grand coiffeur" qui devait préparer la mannequin. Son oeil expert lui fit dire qu’elle avait des cheveux suffisamment beaux pour qu’il soit tout à fait superflu d’intervenir (!) Un simple coup de laque en spray et le tour serait joué. Ce qu'il fit en deux secondes. Cette anecdote m’est restée car elle me fit comprendre qu’un professionnel expérimenté et avisé sait être humble devant une vraie beauté et préférera la garder intacte, vierge, plutôt que la dégrader en apportant sa « touche personnelle » ou en improvisant une « coiffure » qui justifierait sa présence auprès du client La « non-intervention» en matière de création est une option déstabilisante pour un client qui a « payé un coiffeur » sur un shooting mais elle est courageuse et je pense qu’elle contient une vraie sagesse.

    Sans doute pour ça que votre papa, quand il fait une fraise, n'utilise sans doute pas beaucoup plus que DEUX produits. Le tout est de bien les choisir pour créer l'illusion. Aller à l'essentiel. (Ce que je ne fais pas toujours, comme le démontre la longueur de ce commentaire ;-)

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  2. Les meilleures tomates que j'ai jamais mangé tout au long de ma vie n'ont jamais été à la fois parfaitement rondes, brillantes et rouge vif comme dans une pub.

    Il y a vingt ans, les franchises de Léon de Bruxelles à Paris remplaçaient leur extraordinaires frites au couteau cuites à la graisse de bœuf par des "frites McDo" parce que la clientèle se plaignait de ne pas avoir des frites normales.

    Le marketing est le nouvel obscurantisme.

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