lundi 19 septembre 2011

Photos de vacances

Je ne suis pas douée pour prendre des photos. Souvent, je suis déçue du résultat délimité par un cadre qui m’échappe, au relief gommé, figé dans la posture. Je ne sais pas non plus saisir l’instant de quelques coups de pinceau : l’eau et les couleurs font pas bon ménage. J’ai tenté un jour les pastels, mais il semble que mes yeux et ma main refusent l’amorce d’un dialogue. Heureusement, il me reste mon nez.
Chemin faisant au cours de l’été, j’ai barboté des particules, soigneusement mises sous clé dans les coffres de ma mémoire. Aujourd’hui, j’examine mon magot immatériel, et tente de tirer au clair mes trophées olfactifs dérobés aux paysages du Vaucluse. Je les dévisage et les tripote sans me lasser, passant et repassant au cœur de ma matière grise, le grain du souvenir. Celui du pèbre d’aï*, du buis sauvage et des caillasses. Du mistral qui retrousse les oliviers, dispersant un essaim d’odeurs entortillées. Des camionnettes à frites, logées dans l’encoche d’une route fréquentée par des touristes de tous poils. Des marchés paysans, où s’amoncellent saucisses et savonnettes. Des sources parfumées, perdues dans les collines boisées de chênes verts et de pins maritimes, au long d’itinéraires balisés. Des bords de piscines et des bords de lacs, qui n’offrent pas les mêmes accords de crème solaire. Des cafés de villages, où se réunissent en fin de journée l’estivant et l’habitant, pour l’apéro bien mérité. Des odeurs banales en sommes. Des points de vue sur lesquels on ne s’attarde pas, car ils n’inspirent ni désir de clichés, ni réflexion de parfums.
Nez en goguette j’ai humé en touriste. Amusée, j’ai constaté que la nature et ses environs civilisés exhalaient fidèlement la fragrance «Bienvenue in Provence »: aromatique, caramélisé et minérale.
Les bords de routes fumaient le gras des frites et le paprika calciné des merguez grillées au barbecue. Les marchés du dimanche respiraient la lavande, la fleur des saucissons, les herbes de cuisines et les condiments à l’ail. Les sources parfumées crachouillaient l’acétate de benzyle et l’acétate de linalyle, matières de synthèse bien pratiques et économiques pour évoquer le jasmin et le lavandin. Enfin, vers 18 heures, le petit monde réunit sous les platanes, suintaient l’anis étoilé du pastis, le miel aigre de la bière, le pamplemousse vert du petit rosé, mêlés aux traces résiduelles d’ambre solaire, vestiges fanés de fleurs artificielles d’ylang-ylang, de salicylates salés et de clous de girofles mouillés.

Pourtant, j’ai rapporté dans mes poches une odeur particulière. Une odeur ardente et preste. Nuancée et douce. Velouté et granuleuse. Les mots se sont succédé, va et vient rapide entre ce que mes yeux admiraient et ce que mon nez captait. Je sentais la rouille, la pêche et l’abricot, le tamarin, le tanin et le curcuma. Une liste de matières. Des noms de couleurs. Mais aucune de ces odeurs ne virevoltait dans cette ancienne et large carrière d’ocres. Seulement le remugle aride de la poussière, soulevée par une armée de visiteurs en claquettes.
Depuis, j’imagine. J’attends. Je n’ai pas encore commencé à écrire une formule. La figure prend forme doucement, puis s’évapore. Un jour, demain sans doute, je tenterai de griffonner quelques noms de produits sur une page blanche. Étroitement mêlés et dilués, ils exprimeront les couleurs : ocre d’or des Carpates, ocre de Ru, limonite d’Italie, ocre rouge, rosso natural, terre ombre naturelle, terre ombre brulée, terre noire romana, terre de sienne naturelle, brun manganèse, terre de Vérone, ocre Havane... une odeur à peindre.









* "Pèbre d'aï" ou "poivre d'âne" : herbe aromatique qui pousse à l'état sauvage dans l'arrière pays méditerranéen. Mieux connue sous le nom de Sarriette. Odeur chaude et animale (peau au soleil), poivrée, zestée, beaucoup plus douce et végétale que le thym, moins fleurie que la marjolaine ou l'origan.




Pour la cuisine : excellent avec du chèvre, pour le poisson et les viandes blanches. Ajouter des brins de sarriette dans votre huile d'olive, le goût est plus raffiné que celui de la branche de thym.






























3 commentaires:

  1. Les odeurs nous transportent des années en arrières, et je suis d'accord avec vous, les photos peuvent réveiller des odeurs oubliées.

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  2. Bonour Coco,
    Et en particulier les photos d'un lointain passé. J'ai retrouvé d'anciennes photos de mes vacances, enfant, dans les Landes: l'odeur merveilleuse de la résine surchauffée des pins + celle violente et immonde d'une usine de papeterie. Je me souviens à peine de ces vacances, mais l'odeur est inscrite definitivement dans ma mémoire !

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  3. Ouf, vous allez donc nous épargner un énième parfum "odeur de ma peau après une journée à la plage ou de retour du marché provençal". Merci ! Et on attend donc ce parfum-pigments.
    Narriman

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