jeudi 21 octobre 2010

Pause café

Rendez-vous pris dans un bistrot, à l’angle de Paris. Qu’importe la station, il se trouve toujours un troquet, quelques tables et des chaises, pour nous accueillir. Un p’tit noir au comptoir, un expresso en salle, un café en terrasse, le temps passe. Mon rendez-vous est en retard. Je guigne alentour. La rue étroite est semée de promeneurs d’automne, qui musardent et profitent des rayons d’un soleil encore tendre. Le parfum du café vient chatouiller mes narines. Tiède et grave. Velouté et brulé. Brève échappée. Je me souviens d’un livre, écrit par Vicki Baum (1888-1960), dont j’ai oublié le titre. L’histoire se déroule aux États-Unis, vers les années 30, dans une famille très pauvre. La mère prépare le café, qui coute une fortune, et distribue soigneusement une petite tasse à chaque membre de la famille. Les corps s’étirent sur leurs chaises, tandis que l’unique gorgée brulante est scrupuleusement savourée et son souvenir, longuement apprécié sur la langue. Une jeune fille cependant ne boit pas son café. Elle se lève et bascule sa tasse au dessus de l’évier, le visage penché sur la minuscule et brève cascade sombre. Elle déguste l’extraordinaire parfum. Quel gâchis, s’écrient les membres de la famille ! Et la mère de répondre que chacun a le droit d’apprécier son café comme bon lui semble. J’avais éprouvé en lisant ces lignes, la même réaction choquée que l’ensemble de la famille : sentir est tellement bref et éphémère quand l’acte de goûter est affaire de se nourrir. Sentir ne sert à rien. L’odeur s’échappe sans laisser de traces. Erreur. J’avais alors une réaction pusillanime. Par la suite j’ai totalement oublié ce livre, son histoire et ses protagonistes, mais j’ai conservé le souvenir de l’odeur coupable. L’odeur plaisir. Bien souvent, les odeurs sont chargées de hontes. Celles que l’on dissimule, celles que l’on fuit, celles qui nous font rougir. Quand elles inspirent un sentiment hédoniste, elles sont appréciées des amateurs, revendiquées par les connaisseurs, mais aussitôt vilipendées lors de périodes d’insécurité, de régression sociale, sans parler des hoquets de quelques religions. Sentir est une aubaine, un instant fragile de jouissance éphémère. De curiosité et de tolérance. En fait, cette jeune fille prenait et offrait la plus douce des résistances devant l’adversité. J’ai mis des années à l’estimer. Je goûte davantage les odeurs depuis.
Mon nez au dessus de ma tasse, je mesure une nouvelle fois toute la richesse sensuelle de ce parfum unique et identifiable. Et je constate ensuite comme à chaque fois que le goût est moins savoureux, simplement brusque et acide. Mais il ne me vient pas à l’esprit de vider ma tasse sur la coupelle pour m’abreuver d’effluves. Je préfère laisser trainer mon nez, et goûter le parfum rêche et sévère des feuilles en décomposition, celui boisé, épicé, tendance Italienne, de l’eau de toilette de mon voisin de table, l’odeur de bouillon de poireaux des aisselles du serveur qui passe en courant d’air, le parfum shampooing bouclette, du caniche de Madame, qui vient d’être toiletté. Tien, il lève la patte et arrose l’enjoliveur de la voiture : cambouis urine, le mélange est étrange. Petits messages, passe-temps paisible. Aller et venues des passants. Une ombre s’incline, relent doux de noix de coco, amertume de la nicotine, mon rendez-vous vient d’arriver. Une excellente raison pour reprendre un café.
Pour La Flore et notre rdv reporté aux Calendes Grecques... je ne désespère pas y parvenir un jour. Et pour tous ces moments cafés sur un coin de table à bavarder, à lire, ou à rêver...









6 commentaires:

  1. Mais bien sûr, j'y compte bien. Tiens, on fera un blind date olfactif. Je te dirai mon shampoing et tu me trouveras au flair...

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  2. Ah ! c'est sur c'est plus original qu'un bouquet de roses ou un journal sous le bras !!

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  3. Formidable ; ce récit d'un récit, cette histoire de douce résistance hédoniste et de café fumant, odorant, consciencieusement écoulé (qui m'en rappelle une autre, dans La jeune fille à la perle) m'accompagnera, grâce à vous. J'aime beaucoup vous lire, merci,
    Dawn

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  4. Ah quel plaisir de vous lire :)
    Et oui, pourquoi verser doucement du café dans l'évier dans le but de déguster olfactivement chaque goutte serait-il condamnable ? Si on y prend plus plaisir qu'à le siroter ...

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  5. Bonjour Dawn,
    C'est moi qui vous remercie...j'apprécie de découvrir de nouveaux lecteurs :) Je n'ai pas lu La jeune fille à la perle, mais l'autre celuis de la Dame à la licorne. Les petites résistances discrètes sont souvent bien utiles.

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  6. Bonjour Julita,
    Ravie de vous retrouver...et surtout comme vous le dites si bien le plaisir d'abord ;)

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