vendredi 14 septembre 2012

Les bonbons

D’abord, trouver un prétexte.
Par exemple, l’anniversaire d’un de mes enfants. J’en ai pondu 8, forcément une date va être célébrée sous peu.
Ah mais, je n’ai pas donné naissance à autant de rejetons.
Pas de problème, je modifie ma stratégie. Voyons, voyons, que pensez-vous de celle-ci ? Je dois élaborer une gamme d’eau de toilette pour des minots qui goûtent les anniversaires branchés, ou bien, il me faut imaginer le parfum de gels douches plus vrai que nature et celui de savonnettes rigolotes pour hôtels Disneyland. L’occasion d’aller puiser l’inspiration dans le monde bienveillant de l’enfance….
Bernique ! En réalité, l'idée se trouve sous mes doigts : écrire un post sur ce thème. Je l’ai fait pour les chips, en toute logique je peux donc poursuivre sur cette lancée.
Je déboule aussitôt au rayon cochonneries de mon supermarché et charge le caddie d’articles absolument pas sélectionnés : je prends tout. J’explique ensuite d’une voix détachée à la caissière surprise par le nombre de paquets couleurs arc-en-ciel, que c’est l’anniversaire de mes quintuplés, et hop, conscience tranquille, je retourne à la maison pour explorer le parfum des paquets de bonbons.
En accord avec ma pomme, j’adopte un protocole d’analyse très stricte : ne pas dévorer d’échantillon en cours d’étude pour parer à l’éventualité d’une saturation des papilles, d’une pollution rétronasale et d’un nez en déroute et, par voie de conséquence, improductif.
Ensuite, je m’abstiens d’éventrer les sachets : je bride sévèrement mon instinct gourmand qui bondit en stade régressif, bulle de salive au coin de la bouche et paupière claquette. Je saisis la paire de ciseaux et, d’un geste mesuré, je découpe le premier paquet à trois centimètres du bord. Illico, je plonge ma tête. J'inspire à fond le parfum de la gélatine sucrée gaiment coloré et décroche brutalement ! Je siffle par les naseaux la poisseuse pestilence : Bêêêrk ! Mais c’est immonde ! Rien à voir avec la forme du bonbon, encore moins avec son goût si bien aromatisé.
Imaginez mon courage pour entrouvrir le sachet suivant où j’ai penché un nez prudent. Meilleur. Mouais, bof. Écœurant, mais beaucoup moins repoussant.
Et ainsi de suite. De surprise agréable en déroute passagère, j’ai remonté le temps et traduit des effluves de jours de fête sur un petit carnet. J’ai soigneusement noté la marque et la variété des bonbons, pris le temps d’une description soignée, soupirée en prenant le plafond à témoin de ma résistance aux arômes parfois séducteurs, et découverts dans ma candeur que certains souvenirs ne faisaient plus le poids face à la réalité.
Je vous épargne la centaine d’expressions que j’ai consignées sur mon calepin, tandis que je m’oxygénais telle une asthmatique avec mes sachets de bonbons pliés froissés autour du nez. Je reconnais un certain étourdissement vers la fin de cette énumération et il me semble que j’ai sauté le repas du soir…
Je vous propose de savourer les mots étranges qui sont spontanément venus à mon esprit tandis que je reniflais l’odeur des bonbons nichés dans leurs sachets. Des effluves aux antipodes des saveurs que j’ai pu apprécier par la suite. Toutefois, afin de vous éviter une indigestion, j’ai opéré un tri. Vous trouverez uniquement les noms des confiseries dont les parfums m’ont paru intrigants ou inattendus. J’ai humé, fleuré, frôlé, flairé et gobé goulûment 32 sachets de berlingot, bêtise, boule de gomme, caramel, chatterie, chocolat, dragée, friandise, gourmandise, papillote, pastille, praline, sucette, et autres sucrerie ...
C’est ainsi que les « œufs au plat » de la marque Haribo ont brutalement provoqué ce rejet de tout mon corps évoqué plus haut. Un parfum de liquide vaisselle au relent de pamplemousse âpre et de vieille poissonnerie, inimaginable lorsque l’on contemple ces petites choses lisses et tendres.
Les tout ronds « Dragibus » barbotent dans la Pina Colada. L’effet d’ensemble est soyeux, doux, poudré, apaisant comme un soin cosmétique !
Les « Mi-Cho-Ko » de la Pie qui Chante, si, si, ils existent toujours, ne sentent absolument pas le cacao, mais la cacahuète, la farine et le lait caillé.
Les divins oursons mignons à la guimauve couverte d’une fine pellicule de chocolat, que tout le monde s’arrache, dégagent une tendre odeur de bébé bourré au lait chaud, de noix de coco râpée, et de malt.
Les inévitables bouteilles bicolores Cola, sentent la télévision qui chauffe, la colle des stickers et le benzoate de méthyle (dentifrice américain, décontractant musculaire)
Les bananes Haribo, jaune fluo, crapote la semelle de tennis et le fond de veau
Les mini bombons Mentos…ne sentent rien.
Les « Chamallows » distillent de voluptueuses vibrations de miel, vanille, meringue et sucre filé.
Les crocodiles, aux petits bedons si tendres et si blancs évoquent le parfum d’un baume pour les lèvres, le Dermophile Indien, savant mélange d’essence de Géranium et de baume du Pérou. Oui, oui, les crocos sont bons pour la santé !
Les mûres et framboises de la marque Kréma dispensent un frugal parfum hygiénique de lessive, de draps propres et de petit lait printanier..
La superstar Miss « Tagada », avant de disparaitre en fraise « barbapapa » dans notre bouche, défile auparavant en robe « polenta » (bouillie de maïs) ornée d’un nœud voiture neuve et d’une dentelle flocons d’avoine.
Les minis cachou multicolores au nom incompréhensible, mais subtilement phonétique de « Car-en Sac » ont lardé mon nez d’une kyrielle d’images brèves sans queue ni tête. Je me suis attardée longtemps tête au fond du sac, notant en mode automatique : moquette rase des bureaux, bicarbonate de soude, escaliers mécaniques, colle employée pour les cuirs assemblés en Chine. Un fourre-tout rappelant le caddie de Madame « zezette épouse X », où l’on distingue les odeurs de girofle, badiane, marc de café, poudre de mangue séchée, beurre clarifié, cannelle de chine, poussière, sucre vanillé, eucalyptus et térébenthine. Ouf !
De la lourde poche qui contient une dizaine de sucettes « chupa-chups » s’échappe une odeur de placard à balais, de cirage, de crème Nivea, de thé citron comme on en sirote sur les aires d’autoroutes et d’une fleur : la pâquerette. Je me doute que le parfum citron exprime un simulacre du goût coca-cola, mais pour le placard à balais et la pâquerette, vraiment je ne vois pas…
J’achève cette enquête par la saveur qui me semble la plus évidente à produire : le caramel. Que l’on découvre quand on suçote les galets durs des « Werther’s Original ». Confiante, je penche mon visage dans le sachet couleur soleil, les papilles réjouies, le nez aussitôt penaud. J’ai beau chercher, me référant à l’archétype de cassonade torréfiée stocké dans ma mémoire, je ne trouve pas la symétrie. Aucune concordance. Je tombe sans relâche sur l’arôme du gratin de pommes de terre !
Certes, je commence au bout d’une vingtaine de sachets à saturer et mon nez grimace, mais je ne vais pas abandonner maintenant. Allez zou, encore un petit coup, c’est le sniff de l’étrier ! Graines de sésame, sel, confiture de fraise, et loin, bien loin derrière les tranches de patates, mon blair s’allonge et crochete le signal en filigrane d’un vague reliquat de four chaud et de lait condensé. L’arôme familier d’une cuillère en bois embobiné d’un fil de sucre bruni fragile comme le verre. Me voilà rassurée, je gobe un caramel. Miam. J’ai bien travaillé aujourd’hui.

7 commentaires:

  1. Belle expérience olfactive, sans doute un brin écoeurante mais intéressante : j'avoue n'avoir jamais fait trop attention à l'odeur qui s'échappe d'un paquet de bonbons à l'ouverture (enfin disons que je ne m'attarde pas sur le côté vaguement sucré de l'odeur) ; de plus pour tout vous dire j'en mange très peu, c'est très occasionnel.
    Donc selon vos dires il y aurait une différence sensible entre le goût (et donc l'odeur) des bonbons quand on les suce, et l'odeur que l'ensemble dégage. C'est bien possible mais je me demande comment ça peut s'expliquer. Je vois en tout cas deux possibilités. Soit l'air lors du conditionnement était saturé d'autres odeurs et a été "enfermé" lors de l'empaquetage (ce qui est quand même assez peu probable), soit le fabricant a volontairement introduit une sorte de gaz odorant juste avant de fermer le paquet (et là tout est possible), soit il s'agit simplement de l'interaction entre l'odeur du plastique du sachet et celles des bonbons, qui avec le temps se mixent, créent des dérivés, pour le pire ou parfois pour du bon. Quelle est votre analyse là-dessus ?

    D'ailleurs je me doute que dans bien des cas et pour bien d'autres produits, les fabricants introduisent des fragrances en surface (ou disons "autour" de ce qu'il y a à manger ou expérimenter) afin que le petit cerémonial d'ouverture soit le plus agréable possible pour le consommateur. Quitte à ce qu'ensuite il ne s'y retrouve plus vraiment lors de la dégustation. Mais le "lift" à l'ouverture, pendant les premières secondes doit être décisif. Non ?

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  2. La partie de cartes
    Mercredi soir, soirée cartes. Je prends place, fauteuil en cuir et moquette épaisse, confort mais impersonnel, plutôt daté. Je ne m'attendais pas à avoir un carré d'as mais pourquoi pas une dame de Pic, quelques valets, un peu de jeu quoi. La croupière plutôt gironde me sert finalement une main de... papiers buveurs de parfums?
    -"Pardon, excusez-moi, j'ai dû me tromper de table de jeu"
    -" Bonjour et bienvenue chez la Dame de Pic. Ce soir, nous vous proposons trois menus: Vanille ambrée, Iode et fleurs, Sous-bois épices. Faites votre choix".
    Les effluves chimiques imprégnées dans les buvards s'entremêlent et délivrent des relents de pschitt toilettes tantôt homme, tantôt femme.
    -"Alors madame, qu'est-ce qui vous fait envie?"
    Peut-on passer son tour? J'ai le cœur au bord des lèvres. Je ferme les yeux et m'imagine dans le jardin de Pierre à Saint-Julien-aux-Bois. J'emprisonne du thym entre les mains et je glisse mon nez... Rien n'y fait. Ces remugles vous collent au tarin.
    On y est, on y reste. Je lis dans les yeux de mon amoureux le même désespoir. Ce soir on avait décidé de se faire un dîner gastronomique en amoureux, on s'est retrouvés pris au piège à tester des assemblages chimiques pour lieux d'"aisance".
    Déjà à Valence la Dame de Pic a pris le parti de transformer les produits au point qu'on se retrouve avec une émulsion en entrée, une gelée en plat et un entremet en dessert. La cantine idéale des maisons de retraite! En montant à Paris, la Dame va jusqu'au bout de sa démarche, et s'attaque aux essences.
    J'ai gardé le menu près de moi. Heureusement, il y a encore de vrais mots écris sur un vrai papier calque.
    -"Tiens chéri, goûte donc mon huître spéciale Gillardeau N°3 chou-fleur, jasmin"
    ...
    Ne seraient-on pas en train de s'approcher dangereusement du soleil vert?

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  3. Bonjour NLR,
    Désolé pour cette réponse tardive, mais je n'ai pas eu le temps de batifoler sur mon blog ces derniers jours! Je ne suis pas certaine que les fabricants de bonbons ont pensé à l'odeur des paquets au moment de l'ouverture. En general le geste est rapide: on plonge la main, pas le nez, on attrape un bonbon et l'on mâche aussitôt libérant l'arôme. Sans doute est-ce le parfum des conservateurs, des huiles vegetales, des gommes arabiques,des exhauteurs et autres acidifiants que mon nez à analysé. Mais j'avoue mon ignorance sur le sujet...

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  4. Bonjour Kathy,
    Quel dégusttion étrange ! Ravie de ton récit: quelle curieuse façon de découvrir un menu sans les papilles? Je pense que tu as abordé le comble de la tendance snob. C'est à dire la limite de l'exercice créatif où nez et palais ne cheminent plus ensemble. Tout comme je n'accroche pas sur les parfums que l'on peut "gouter". La créativité à des limites ??
    Au fait...je ne t'ai pas oublié :))

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  5. Quel plaisir de vous lire!
    Je suis une personne très "olfactive" et vos histoires me parlent...Bien entendu, quand vous foncez dans le détail, je m'égare quelque peu, je ne suis pas un nez et donc ne possède malheureusement pas cette capacité à affiner l'odeur dans ses moindres recoins !
    Votre expérience bonbon me plait parce que je suis gourmande et que, normalement, avant de gouter, je sniffe... sauf les bonbons justement parce que je trouve que le gout ne correspond pas à l'odeur. En vous lisant, je comprends pourquoi ! Et découvre aussi pourquoi seuls les chamallows échappaient à cette règle, l' odeur que vous décrivez donne furieusement envie d'aller plus loin et de déguster gaillardement la friandise ;-)
    Merci à vous
    CC.

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  6. Bonjour CC,
    Merci pour votre message plein de gourmandise. Quand les odeurs et les saveurs s'empoignent ou se font complice...pour les bonbons la déroute est parfois terrible ! Mais les chamallows... ! Je me demande si j'ai été très objective sur ce coup là, car je l'avoue, c'est mon pêché mignon, je pourrais gober un sachet en aveugle, nez pincé et oreilles bouchées ! ;)

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  7. Le designer industriel qui roupille en moi pense à tout ce qui traine ou qui a trainé autour du bonbon lui-même ou autour de son emballage. Trémies métalliques, fours, tapis roulant, films plastiques, papiers, encres, dorures, paillettes, vernis, pelliculages, colles... ça ne sent évidemment pas très glamour, mais avec ton écriture ça sent tout de suite poétique...

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