vendredi 15 avril 2011

Odeurs perdues

Odeurs perdues. Vague à l’âme et tête chercheuse.

Je butine dans mes souvenirs olfactifs, pour toucher du bout du nez des sensations oubliées. Rejoindre, en lisère de mes synapses sensibles, l’idée filiforme, souvent parcellisée. Pas plus épaisse qu’une buée. Tête bourdonnante, regard en flotte, je ne possède plus d’oreilles non plus. Mon visage est un axe étroit et droit, qui certainement offre un profil d’équerre. Effilé et maigre. Nez et Front. Bien serré sur l’objet de la quête. Je tâtonne et persiste. Je fouille partout. Je soulève des toiles de neurones poussiéreux, entortillés sur des cellules paresseuses. Bon sang ! Mais où ai-je bien pu la fourrer ! Ce truc qui …ce machin que j’ai croisé l’autre jour. Brièvement. Courant d’air aguicheur, quand dans la même seconde un inconnu m’offre deux mots de trop. La boîte à coucou se referme aussi sec. Clapet clos ! Je suis un être social. Quand on me parle, je réponds. Je ne tends pas le nez en silence, l’air hagard, en agitant la main nerveusement afin que la personne se taise, se détourne, et me laisse courir après l’effet de vent. D’ailleurs, je ne me souviens pas davantage de ma réponse orale. Polie, sans doute. Le touriste a retrouvé son chemin. J’ai égaré mon odeur. Pas d’inquiétude. Je fais confiance à mon inconscient. Je suis certaine que mon second moteur de recherche, discret et pugnace, opère en douce et prend soin de stocker la minuscule information dans un coin reculé de mon cerveau, sous quelques plis membranaires.



Oui, mais lequel ?

Une carte du cerveau n’offre pas de service « Mappy ».

Départ : bulbe olfactif

Arrivée : odeur perdue

Itinéraire : rapide, efficace et sans tournis.

Temps de parcours : optimisé


Rien à faire. Je reste coincée, immobilisée dans l’aire du langage articulé. Je soupire et tente le passage à l’acte : me préparer une tasse de thé. Bulles et vapeur de bouilloire. Froufrou d’un thé soyeux en provenance de l’Inde. Ma goulotte nasale collecte, filtre, passe l’info à mon cortex visuel qui tressaute. Des images du Laos palpitent, multicolores et sereines. Je n’ai jamais mis les pieds en Inde. À défaut, mon cerveau, brave bête, emprunte dans le coin des primitifs rhinocéros et hippocampe, quelques pastiches compensateurs. Ces arômes cartes postales m’égarent. Je commence à me moquer en silence de la science, insuffisante à m’expliquer comment remettre le nez sur mon odeur perdue. J’ai beau gratter du bout des ongles, la peau de mon crâne à l’endroit indiqué sur le schéma «aire associative somesthésique», je récolte quelques follicules, un demi-cheveu, mais nul filament odorant.

Peste !

Vague à l’âme et tête boudeuse.

Retour aux bonnes vieilles méthodes de mon papy. J’attrape à gauche un bout de papier buvard et de l’autre main, je choppe au hasard un flacon parmi la vingtaine dispersée sur mon bureau. Vlan ! Respire un bon coup ma fille, et dégage le concept fonctionnel du cerveau, basé sur la phylogenèse, qui reconnaît trois structures superposées :

le cerveau instinctif et réflexe (archencéphale)

le cerveau impulsif et automatique (paléencéphale)

le cerveau conscient, puis rationnel (néencéphale)


Je me perds. Les mots sont des mots. On en trouve partout. Dans le dictionnaire. Sur internet. Sémantique et Rome Antique.

Tandis que la mouillette sous mon nez opère en catimini et fait son œuvre. Désagrège les trois structures, dissout les tissus mous. Déroule les noyaux et les circonvolutions. Mon nez se trouve, s’apaise enfin. Je peux quitter maintenant le bout de papier devenu inutile, car mon odeur perdue est là. Partout. Dévoilé par un effluve insignifiant. L’odeur perdue a été soigneusement étiquetée et entreposée dans le coffre, étrange enfance.

Une odeur de pétard. Grise et rouge. Fragile papier. Émanation de mèche que l’on enflamme. Pierre à briquet ou allumette. Explosion et pétarade. Souffle minéral, sucré, salé, pimenté. Doux comme le benjoin. Âpre comme le pamplemousse. Acide et métallique, comme la feuille de coriandre. Sèche comme le chiendent et le bitume brulé par le soleil.

Mon nez fantôme a bien crocheté ce jour-là le faible saut de vent, tandis que j’expliquais au promeneur égaré que, non, la Tour Eiffel ne se trouvait pas à cinq minutes de marche de Notre Dame. Non loin de nous, sur le parvis inondé de soleil, de jeunes skateurs swinguaient entre des canettes métalliques à l’effigie de boissons gazeuses célèbres. L’un d’eux effectuait des cabrioles avec son engin puis atterrissait brutalement sur les roues arrière. Frottement et étincelles. En face, un jeune vieillard adossé à la grille, allumait une gitane maïs. Chocs de matériaux et jeux de matières.


Vague à l’âme et tête rêveuse

Comment faire rentrer tout ça dans un flacon ? Et puis….qui aurait envie de se parfumer au « pétard d’enfance »

Odeur perdue. Enfance perdue

Juste un peu de vague à l’âme…

5 commentaires:

  1. Je "déguste" votre écriture, les mots me manquent pour vous dire que vous lire est un cadeau ! Merciiii Sunny Side

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  2. Toujours un réel plaisir de lire vos chroniques Céline.
    Excellent texte. Et cette odeur évoquée de pétard... Tout le monde la connait bien! Elle nous ramène en effet à chaque fois dans nos jeux enfantins ou lors des fêtes nationales embrumées de nos souvenirs!

    A très bientôt...

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  3. Je me revois rue du Débarcadère dans le 17ème. Tout jeune, pas encore en classe de 6ème. Avec un copain, on allume des pétards et on les jette dans le petit trou du trottoir, pour que ça fasse un "bruit qui vient du fond des entrailles".
    Sauf que le petit trou, il était dans une petite plaque en fonte ronde estampillée "Gaz de France".
    On s'est arrêtés, un peu penauds, à peine conscients de la catastrophe évitée, pour s'attaquer derechef à la plaque du médecin, dans l'espoir de la voir se détacher du mur...

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  4. J'attendrai ce parfum toute ma vie, ma Saudade a le cuir solide.

    J'ai découvert Jasmin de Nuit cet après Midi. Et Sel de Vétiver... De l'eau bénite pour une débutante comme moi, plus païenne que profane. Je me garde (à regret) de décrire les sensations recueillies, de peur de les écorcher. Elles me sont trop précieuses, comme ces odeurs, et comme les souvenirs qu'elles appellent.

    Du fond du coeur, alors, Merci. Ces deux compositions furent une très, très belle leçon de goût et j'y reviendrai. Je le sais.


    Et il y a aussi cette surprise : se renseigner sur le créateur d'un sillage et atterrir dans ses coulisses, le long d'une autre forme d'écriture, en prose cette fois ci. Un fil d'Ariane rouge et gris.
    Encore une fois ?
    Merci !

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  5. Bonjour Pia,
    Pardonnez cette réponse tardive, mais j'ai un peu/beaucoup délaissé mon blog ces dernières semaines. Vos lignes m'ont beaucoup touché et je vous remrcie. J'apprécie votre approche païenne. Sans aucun doute vos silences quand vous humez la frangrance, en disent long !Belles balades parmis les parfums et les mots.

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