samedi 14 mai 2016

Au train où vont les avions….

J’ai troqué le pet d’avion contre l’haleine du train.
C’est étrange, comme chaque déplacement en transport est marqué au coin d’une étiquette. Comme le linge qui nous informe de la composition et de la température pour un lavage en machine.
Ne vous méprenez pas. Ce n’est point l’odeur de l’avion qui a fini par me rebuter, mais la difficulté de s’envoyer en l’air. Depuis ce triste 11 septembre, le trafic aérien obéit à une longue chaîne cérémoniale. L’émotion du voyage, de l’évasion, d’une fuite en toute liberté a disparu au profit d’une succession de portails où est vérifié le contenu de votre valise, de votre corps, et en option, des semelles de vos chaussures. Au début, solidaire de la peur et de la précaution utile, j’ai accepté de réduire ma trousse de toilette au minimum indispensable. J’ai transvasé et déplacé les liquides dans de petits flacons et de petites fioles. Je trouvais quelques plaisirs à humer mes cosmétiques pendant ce trafic de fluides. Le temps passant, tout ce manège a fini par le lasser, me peser. J’ai jeté l’éponge le jour où un petit pot de miel de lavande - il dépassait le seuil fatal des 100 ml- récolté non loin de mon village a disparu dans le grand exterminateur des corps suspects. J’emportais ce pot, minuscule cadeau, pour l’offrir à des amies parfumeurs. Je souhaitais que nous dégustions ensemble un coin de bleu, le crissement des cigales et des barres de  fleurs aériennes. Je suis arrivée à Paris le cœur gros, le nez sec et les mains vides. Je ne pardonne aux terroristes ni les morts ni ces minuscules frustrations. Mutinerie chimérique j’ai abandonné coucou pour tortillard.
Le train ralentit, s’arrête dans un immense et long mouvement de freins sonore, plie le col devant les voyageurs qui patientent. En voiture Simone. Tout le monde arrache son lourd bagage à l’asphalte des quais, miel et flacons de shampooing, peu importe, et grimpe à bord. Chacun s’installe comme à la maison. Sandwichs, tablettes, et magazines. Car il faut bien tenir plusieurs heures ! Manque de bol, je suis coincée entre la fenêtre et un gros homme. Il se penche par-dessus moi, odeur de ses aisselles, cumin-déo-musc-dihydromyrcenol, puis de son pull, poulet-frites-haricots verts, et suspend sa veste au portemanteau. Je ne vois plus ni la mer ni le ciel. Les miasmes de son blouson créent un paysage déroutant. Bureau. Photocopieuse. Fumeur. Pastis. Troquet. Hiver comme été. Comment exprimer ce que je suis incapable de lui dire : pourriez-vous s’il vous plait, déplacer votre blouson ? Alors je me réfugie dans le coin des timides courageux et des silencieux pugnaces : l’écriture. Tandis qu’il visionne pépère son film, je rédige cette chronique et je me sens bien. J’ai le sourire, le train traverse les campagnes, file vers Paris. Je n’en verrai goutte, ce qui n’est pas bien grave, car mon imaginaire comble les manques et mon nez s’amuse à découvrir cet homme, qui ne m’est rien sauf un parfum de quotidien.









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