J’ai troqué le pet d’avion contre l’haleine du train.
C’est étrange, comme chaque déplacement en transport est marqué au coin
d’une étiquette. Comme le linge qui nous informe de la composition et de la
température pour un lavage en machine.
Ne vous méprenez pas. Ce n’est point l’odeur de l’avion qui a fini par
me rebuter, mais la difficulté de s’envoyer en l’air. Depuis ce triste 11
septembre, le trafic aérien obéit à une longue chaîne cérémoniale. L’émotion du voyage, de l’évasion, d’une fuite en toute liberté a disparu au
profit d’une succession de portails où est vérifié le contenu de votre valise,
de votre corps, et en option, des semelles de vos chaussures. Au début, solidaire
de la peur et de la précaution utile, j’ai accepté de réduire ma trousse de
toilette au minimum indispensable. J’ai transvasé et déplacé les liquides dans
de petits flacons et de petites fioles. Je trouvais quelques plaisirs à humer
mes cosmétiques pendant ce trafic de fluides. Le temps passant, tout ce manège
a fini par le lasser, me peser. J’ai jeté l’éponge le jour où un petit pot de
miel de lavande - il dépassait le seuil fatal des 100 ml- récolté non loin de
mon village a disparu dans le grand exterminateur des corps suspects. J’emportais
ce pot, minuscule cadeau, pour l’offrir à des amies parfumeurs. Je souhaitais
que nous dégustions ensemble un coin de bleu, le crissement des cigales et des
barres de fleurs aériennes. Je suis arrivée
à Paris le cœur gros, le nez sec et les mains vides. Je ne pardonne aux terroristes
ni les morts ni ces minuscules frustrations. Mutinerie chimérique j’ai
abandonné coucou pour tortillard.
Le train ralentit, s’arrête dans un immense et long mouvement de freins
sonore, plie le col devant les voyageurs qui patientent. En voiture Simone. Tout
le monde arrache son lourd bagage à l’asphalte des quais, miel et flacons de
shampooing, peu importe, et grimpe à bord. Chacun s’installe comme à la maison.
Sandwichs, tablettes, et magazines. Car il faut bien tenir plusieurs heures !
Manque de bol, je suis coincée entre la fenêtre et un gros homme. Il se penche par-dessus
moi, odeur de ses aisselles, cumin-déo-musc-dihydromyrcenol, puis de son pull, poulet-frites-haricots
verts, et suspend sa veste au portemanteau. Je ne vois plus ni la mer ni le
ciel. Les miasmes de son blouson créent un paysage déroutant. Bureau. Photocopieuse.
Fumeur. Pastis. Troquet. Hiver comme été. Comment exprimer ce que je suis
incapable de lui dire : pourriez-vous s’il vous plait, déplacer votre
blouson ? Alors je me réfugie dans le coin des timides courageux et des
silencieux pugnaces : l’écriture. Tandis qu’il visionne pépère son film,
je rédige cette chronique et je me sens bien. J’ai le sourire, le train traverse
les campagnes, file vers Paris. Je n’en verrai goutte, ce qui n’est pas bien
grave, car mon imaginaire comble les manques et mon nez s’amuse à découvrir cet homme, qui ne m’est rien sauf un parfum de quotidien.
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