vendredi 29 avril 2016

Point du jour

Premières odeurs. Enfance de l’art, c’est la naissance du jour.
Chaque matin, lorsque je quitte mon foyer, j’hume la lumière. Un livre s’ouvre, une nouvelle histoire et je me glisse entre les pages.
Dès l’automne, sous les mailles du vent qui colporte une brassée de signaux odorants mouillés salés, mon nez balance entre champs et cités. Odeurs de papier mâché, d’épinards en boite, de miel de châtaigner, de champignon, ou de toile de jute forment une trame commune, déjà paresseuse.
L’hiver, mon nez se recroqueville comme escargot dans sa coquille. C’est froid, ça pince et je ne sens plus rien ! J’enveloppe un instant mon nez au creux de la main, je souffle et réchauffe mes narines qui acceptent de se dilater. Inspiration. Vanne ouverte, circuits au taquet, je renifle longuement et j’analyse le temps qu’il fait. Froid c’est certain, mais au-delà du seuil inhospitalier, la découverte de minuscules odeurs délicates, timides. En ville, la fragrance est douce et fleure bon la farine minérale : un reliquat de cendre, de sciure de bois mouillé et l’amertume du bitume. À la campagne, l’haleine lourde et inerte de la terre, plombée par l’humidité glacée, abandonne des effluves grossiers de bouchon de liège, d’huile de noix rance et quelque chose comme de la nicotine.
Au printemps, la ville dès l’aube n’est plus que pollen et histoire d’eau. Sec, mouillé, fané, décomposé ! Refrain d’une comptine bon enfant qui nous entraine dans une ronde de parfums simples et rassurants : miel anisé, concombre croquant, flocons d’avoine doux, zeste de pamplemousse, pâte de coing, gousses de cardamome…à la campagne, c’est un tourbillon de flèches acérées, aux saveurs de poivre long, de résines âpres et de jus d’herbes, emmailloté de particules douceâtres et entêtantes. Un grain de folie, touffu, frisquet parfois, et mon nez, petite bête, ne sait plus où donner de la tête !
Au cœur de l’été, la matière s’ébroue dès le lever du soleil. C’est le moment que je préfère. L’air autour de moi est comme en apnée. Il s’échappe des sols et de la végétation un murmure paisible, un babillage désinvolte, avant le grand barouf et les hurlements stridents qui fusent lorsque la chaleur est au zénith. La ville conserve entre bitume et pavés un reste de la fournaise de la veille et libère dès le passage du service de nettoyage quelques relents sucrés et humides. Une odeur de caoutchouc caramélisé, de craie mouillée et de brins d’herbes écrasées, m’accompagne jusqu’à l’entrée du métro. Ensuite, c’est une autre histoire…. À la campagne, les parfums de l’aube manquent de saveurs. Je m’impatiente. À l’inverse de la ville, j’aimerai donner un grand coup de pied dans la pelote d’odeurs serrée, serrée, sur ces secrets ! Je baigne tout simplement dans mon quotidien : en ville je travaille, ne m’embêtez pas, à la campagne c’est les vacances, lâchez tout !

Au fil des saisons, la nature partage ses humeurs au point du jour.
J’inhale sans lassitude les grandes lignes d’une ossature aromatique maintes fois assimilée. Parfois, lors de mes déplacements, je croise quelques nuances. Des instantanés fugaces et volatiles, mosaïque d’ornements fragiles. Difficile à décrire, même pour un parfumeur, car ces signaux épars disparaissent aussitôt happées, et mon cerveau ne prends pas toujours le temps de trier et classifier. L’information glisse, puis disparait entre trois plis cervicaux, sans réelle prise de conscience. Pourtant, à ma demande, une petite loupiote odorante peut scintiller dans un coin de ma mémoire et l’associer à un lieu familier sous la forme d’un code extrêmement simple : une couleur-une molécule.
New York: bleu, crésol
Paris: Rose, orivone
Berlin: Gris, evernyl 
Genève: vert, aldéhyde cyclamen
Holzminden: jaune, isobutyl quinoléine
Italie: brun, butyrate de DMBC
Laos : orange pâle, filbertone.

....Cartes postales olfactives formulées dès potron-minet.



Le coin des nez curieux
Crésol: odeur noire, âcre, de bitume, légèrement sucrée et résinée
Orivone: belle odeur de farine, de polenta, de céréales et de graines de lin
Evernyl : la mousse d'arbre artificielle: sèche, sensuelle et sablonneuse
Aldehyde cyclamen: froide,mouillée et éclatante comme les premières pousses après le gel.
Isobutyl quinoléine: poivré froid, silex, légumes secs, rouille
Butyrate de DMBC: fruits mâchés, bois mouillé, cyprès, mousse tendre
Filbertone: fruits sec, ail, riz, farine de châtaigne, poisson blanc.  


















1 commentaire:

  1. Bonjour,

    j'attendais depuis quelques temps que quelqu'un vienne commenter vos pages, mais hélas personne à l'horizon. Bien dommage. Je ne voulais pas "charger" votre blog avec mes seuls commentaires tout simplement ; bref, passons.

    J'ai remarqué à quel point peu de gens parlent des odeurs et des émotions liées aussi. J'ai toujours gardé mes relations aux odeurs secrètes depuis tout petit me pensant franchement marginal, un peu venu d'une autre planète.

    Alors si en plus on parle de synesthésie (donc d'association d'un sens à un autre comme les odeurs avec les couleurs) même s'en forcément faire référence à une "affection" neurologique hors du commun, je crois qu'il n'y a plus personne... ^^

    Les odeurs ont de tout temps, enfin aussi loin que je me souvienne (mes premières années de vie), été liées à d'autres sens et réciproquement. Mais toutes ces associations ne sont pas immuables, elles changent, parfois s'affinent et s'enrichissent, surtout depuis que je suis actif dans la composition de parfums (j'y passe au moins 1h par jour, parfois 3h, même plus selon mes disponibilités et ma disposition créative)...

    Alors pour moi comme pour beaucoup certaines couleurs d'odeurs sont des lieux communs dictés par les acquis venant de l'extérieur, comme les odeurs d'ionones sont plutôt violettes, le vétiver est... vert (Brut est passé par là !), mais comme il y a d'autres sens liés je vais en coucher d'autres (désolé pour les mots, difficile de décrire ce genre de ressenti intérieur):

    -l'iso E est d'un bleu transparent un peu outremer, velouté, c'est chaud et réconfortant, comme une mer d'huile sous les tropiques avec un soleil de plomb, c'est un peu sucré aussi

    -l'acétate de benzyle est rose pâle, une sorte de sucette, de bonbon, c'est aérien aussi et coloré comme une fleur

    -l'aldéhyde C11 undécylénique est d'un orange clair métallique, coupant, avec des arêtes vives, dur à décrire

    -l'aldéhyde C12 laurique (acquis récemment bien que senti au travers de compositions variés depuis petit) est dur à décrire en terme de couleur, c'est une sorte de lumière qui vient du dessus (???) plutôt froide (voire bleu ciel) mais qui apporte une sorte de réconfort spirituel [je ne suis pas sous acide, si si !]

    certaines odeurs sont pour moi apparentées à des notes de musique, des sons, dans le sens où certaines me paraissent graves/sourdes/lourdes/sombres et d'autres aigües, mais pas forcément la même sonorité.

    Je me rends compte qu'à composer un parfum avec des notes olfactives qui ont des hauteurs similaires en terme acoustique ne donne pas de contraste, voire crée un bruit homogène.

    L'acétate de styrallyle me paraît aigüe, le cyclamal bien plus (sûrement le coté aldéhydé métallique) mais le patchouli est grave, les odeurs de néroli/fleurs d'oranger (anthranilate de méth., oranger crist. etc.) me sont assez graves aussi.

    pour en conclure, suis-je "grave" moi aussi ?
    vous avez ce ressenti aussi ? (même si les associations sont différentes)

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