Enfant, je jouais dans le cours de son eau. Glacée, turbulente, elle
m’emportait malgré les battements frénétiques de mes petits pieds jusqu’au
jour où j’ai trouvé la force de repousser son flot. J’avais 10 ans. J’aurais
aimé remonter le torrent à sa naissance, mais le lieu était tenu caché, niché dans un domaine privé au
bout d’une vallée encaissée.
Des années plus tard, à l’occasion des festivités de cette jolie
rivière qui alimente la région en eau potable, je me retrouve, après trois heures
de marche sur des chemins de cailloux bordés de cistes et de buis sauvages, au
cœur de cette propriété.
Un petit étang informe festonné d’herbes floues marque la fin d’un
jardin laissé à son état naturel. Enfin,
j’ai la réponse à ma question enfantine: d’où vient la rivière ? Où
commence l’eau ? Mais fichtre quenouille, comme je suis déçue par ce
que mes yeux contemplent ! Je
cherche une manifestation évidente : une effervescence de minuscules
bulles qui boursoufle l’étendue lisse et sage, un glouglou sonore et abondant expulsé
exactement en cet endroit secret et intime où la montagne embrasse la terre, un
ruissellement joyeux et bondissant qui jaillit du rocher en surplomb. Rien d’aussi bucolique ou romantique….Je
découvre l’immobilité silencieuse d’une grosse flaque olivâtre.
En revanche, je capte une multitude d’informations odorantes. L’eau à
mes pieds possède un parfum incroyablement doux et lumineux. Je plonge la main
dans l’onde inerte et la porte en coupe à mes narines. Aucun fragment olfactif
de vase, de feuilles, de bois ou d’herbes en décomposition, aucun relent de
mousse ou de moisissure. J’aimerais écrire que je découvre à cet instant une
odeur de rien, mais ce n’est pas tout à fait vrai. L’eau glisse entre mes
doigts tandis que je tente de capter toutes les particules odorantes. Mon nez,
tel un tamis, absorbe, filtre, puis passe le relais à mon cerveau
coupe-senteur. Une myriade de projections défile sur la toile de ma mémoire
olfactive. Parfois, une étincelle s’allume et je trouve le mot, ou la phrase
pour définir la fine molécule. Souvent, l’odeur m’échappe et retourne à la
source avant que je ne puisse l’étiqueter. Je reste longtemps ainsi, accroupie au bord
de l’eau à donner l’impression de me désaltérer quand je tente tout simplement
d’irriguer mon flair. J’ai conservé une impression étrange du parfum de la
source de la Siagne. Des couleurs aux tons pastel, entre gris diaphane et jaune
éteint. Une sensation de peau de nouveau-née, douce et salée, un peu sale
aussi. Une haleine de terre grasse, des notes de framboise et d’herbes fraîches,
des relents de cailloux et de craies. Des éléments inattendus et épars, impossibles
à emprisonner dans un flacon. Mais libres et virevoltant dans ma mémoire afin
que dès que se présente l’occasion, j’en dépose un fragment dans une de mes
formules.
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