jeudi 24 janvier 2013

Séduction

Au petit matin, la nuit hésite à abandonner la partie. J’accompagne mon fils jusqu’au portail, puis je le regarde s’éloigner dans le clair-obscur. Son pas élastique de jeune adolescent conquérant l’emporte vers le bus qui comme chaque matin engrange sa fournée d’ados, et parcours la longue route sinueuse qui les mènera au lycée. Je contemple la silhouette mate de mon grand bonhomme quand l’éclat de la lune, ou les premières lueurs du soleil, allument des reflets bleu améthyste sur les trompettes des liserons qui grimpent à l’assaut des clôtures grillagées du jardin des voisins. Mon nez précède mes pieds: j’étire le cou et cherche le parfum de la fleur. En vain. Le liseron n’a pas besoin d’odeur, sa couleur tape-à-l’œil contente les insectes pollinisateurs : fascinés par l’œil du cône ils achèvent leurs courses éborgnées par les pistils orange. La nature pense à tout. Comme élaborer des odeurs chantournées pour les fleurs au blanc monotone dont les bestioles volantes n’ont que faire, leur préférant les tenues criardes et froufroutantes. Qu’à cela ne tienne ! D’une couronne virginale s’échappe quelques molécules polissonnes, aussitôt une cour bourdonnante encercle la fleur incolore et l’affaire est faite !

La nature met en œuvre.
Le parfumeur imagine

L’odeur du liseron.
Dont la fleur déploie sa corole dès les premiers traits de lumière. La liane de ses tiges qui s’entortille, crue et verte sur le fil de fer du grillage. L’éclat du pistil, la jupe d’un bleu sombre. Veloutée. Nacrée. Rose au centre. Je pense aux premiers vers du récit de l’Odyssée « Aurore aux doigts de rose » qui annonce une nouvelle journée. Mondes inconnus. La tête dans les nuages, je jongle entre les mots et les odeurs et compose le parfum du liseron. Je poursuis mon fil, tombe de Charybde en Scylla, puis parcours ma bibliothèque cérébrale et plonge dans le récit de Circé qui séduisit Ulysse. Quel parfum portait-elle quand elle échouat à transformer l’homme rusé en pourceau grâce à ses breuvages, mais parvint à le retenir sous son emprise pendant une année en sa demeure ?

Le courant d’air s’engouffre sous ma tenue matinale, j’ai froid aux chevilles dans mes pantoufles germaniques et ma robe de chambre, molle et élimée, ne suffit pas à repousser l’humidité glacée du point du jour. Circée la charmeuse s’évapore, l’ordinaire reprend son souffle. Tiens, et si j’allais me faire une tasse de thé, après j’irais me maquiller et puis je choisirais bien une jupe turquoise…

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2 commentaires:

  1. Ah l'odeur du liseron... C'est quelques chose de difficilement descriptible je trouve... Avec sa note saucisson à l'ail qu'on aurait laissé dans un cendrier, sa facette encre Pélikan vintage et son époustouflante aura gentiane et géométrique... Un véritable poème à lui tout seul ;-)

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  2. J'ai écrit un papier sur George Sand et notamment ses souvenirs de liserons dans l'olfablog. Si tu veux y jeter un oeil.

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