mardi 1 juin 2010

Goût du jour

La tendance.
Phénomène incontournable de notre sémillante société en quête d’intention.
Elle vous tombe dessus, au détour de la coupe d’un pantalon, d’une couleur capillaire, d’une hauteur de talon de chaussures, d’une forme de sac à main… des suggestions de représentations parfois difficiles à exhiber au quotidien.
Elle vous suit à la trace, quand pénétrant dans une parfumerie vous découvrez un nuage uniforme et sans accroc.
Elle s’installe sur les menus d’un nombre croissant de restaurants.
C’est ainsi qu’un classique vient d’être remis au goût du jour. Un vieux compagnon de notre enfance qui officiait dans les boulangeries, coincé entre l’éclair et la religieuse. Gourmandise rayée des rayons à partir des années toutouyoutoo, pour sa réputation de mauvais camarade qui nous propulse, plongeon toboggan, dans le grand bain hautes calories. Version touché/coulé. Et pourtant, que de bonheurs dans ces effluves de graisse sucrée et de noisettes torréfiées.
J’ai dégusté cette semaine, en des lieux forts éloignés, deux Paris-Brest.
Coïncidence ou tendance ?
Dépression économique qui provoque des besoins compensatoires à teneur calorique édifiante?
Résurgence régressive d’une pâtisserie bien de chez nous, au bon goût de terroir pour flirter avec l’insouciance, comme une parabole naïve du conservatisme en temps de crise qui distribue sans complexe des tickets gagnants pour un trajet direct vers la boîte à mémoire des plaisirs d’enfances, et le feu d’artifice des souvenirs heureux.
Deux Paris Brest énormes et débordants.Un bonheur pour le nez et les papilles.
Le temps s’interrompt. Parenthèse immense et savoureuse, car le Paris Brest exige une dégustation progressive pour en venir à bout ! C’est un déni au stress. Une résistance douce aux rendez-vous à la sauvette, aux repas sur le pouce, aux parfums dont on n’écoute que les premiers éclats pétillants.
Car il faut du temps pour savourer une telle pâtisserie généreuse et complexe. Votre amie a achevé depuis un moment déjà, son délicat café « gourmand », que de votre coté vous continuez à petit coup à creuser la masse odorante et moelleuse. À chaque entaille, le Paris Brest libère une saveur riche et enivrante. Je tends mes sens et je perçois à fleur de cuillère la légèreté de la pâte à choux, dont je devine la saveur humide emprisonnée dans des charrettes de beurre frais. Puis le parfum capiteux des œufs aux accents de musc et de gazon fraichement coupé.
…….

Pardon, je saute du coq à l’âne.
Ces odeurs appétissantes évoquent un épisode récent de ma mémoire olfactive. Celui des œufs numérotés, découverts avec curiosité sur le marché nocturne de Luang Prabang (Laos). Posés sur les tisons d’un brasero, les œufs d’un beau blanc de perle ont titillés notre gourmandise. Quelques parlottes plus tard et deux dessins griffonnés sur un bout de papier, nous avons compris que chaque numéro indiquait le degré de croissance du poussin cuit à l’intérieur. Nous avons acheté l’œuf N° 2. Apparemment sans habitant. Mais surprise ! Au moment où nous avons écalé la coquille, un œil fripé et bien noir est apparu. Le bout des pattes recroquevillées sous un bec encore mou. Il restait un peu de pulpe jaune autour du poussin. En belle quantité. Une bonne odeur savoureuse, avec un léger relent de noisette et de lait concentré. Tout mon nez m’affirmait que l’œuf était bon à manger, que je ne serais pas déçue par le goût. Vas-y ma vieille, ai confiance…tes naseaux reliés à ton cerveau primaire t’affirment qu’il n’y a pas poison, juste de l’agrément ! J’ai tendu le doigt, touché le jaune, puis la pitoyable bestiole cuite en cocote. Mes yeux hurlaient un « NON !» épouvanté, muselant sans effort les signaux positifs de mon nez ! Alors, pour une fois je n’ai pas écouté mon odorat, mais ma vision. J’ai mis de côté l’œuf habité qui déployait d’étranges relents de pâtisserie. Plus tard sur un autre marché, dans une ville plus au Sud, nous avons testé un œuf N° 1. Il était aussi occupé. Par un tout petit pioupiou. Nous acceptons de manger un œuf vide, mais potentiellement vivant. Nous dévorons des poussins préados en broche. Mais il nous est impossible d’apprécier des oisillons cuits dans l’œuf. À cause des cloches de Pâques, peut-être ?

Trêve d’échappée au fin fond de l’Asie. Retour sur le Paris Brest.

Devant mon assiette étoilée de pétales d’amandes caramélisées, je tourne en rond et hésite sur la cible. Je creuse au centre et collecte une généreuse portion de pommade onctueuse et dorée. Toute la générosité torréfiée des éclats de noisettes emprisonne soudain mon nez, auxquels se mêlent étroitement les volutes noires et amères du café de ma voisine. Je déguste regard ailleurs, oreilles presque sourdes au bavardage distrayant de mon amie et mes pensées voltiges d’images en souvenirs. J’imagine des accords de rose citron et de caramel, de jasmin rhubarbe et de noisette fraiche. Une réinterprétation au goût du jour, comme un remix absolument tendance, du célèbre parfum du shampooing aux œufs (le fameux flacon jaune), qui ornait le coin de la baignoire sabot de ma grand-mère. Allez zou, une autre cuillère franchit mes lèvres et ma promenade gourmande trouve de l’intérêt à la matière croustillante et moelleuse de l’association noisette et beurre. Une crème nourrissante ? Un gel anti- cellulites modèle cynique ?
Une femme louvoie parmi les tables, elle glisse insouciante sous mon tricot olfactif et abandonne au passage un long sillage floral d’un beau blanc vaporeux. L’association avec la pâte à choux, moelleuse et musquée fonctionne à merveille. Je connais cet accord savoureux et terriblement féminin, clé d’un joli succès, que les femmes ont découvert quelques années plus tôt et soutenu, jusqu’à la fidélisation, sans effort de pub.
Hors tendance.

15 commentaires:

  1. Mais quel superbe texte. Et cette structure terrible où au coeur de l'onctueuse pâtisserie émoustillante se cache le poussin n°2. Du grand art.

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  2. Oh la la, le retour du Paris-Brest, dis-tu? J'en rêvais, on ne le trouvait presque plus, et j'y ai d'ailleurs initié une amie américaine de passage en chantant ses louanges... En effet, beau terrain d'expérimentation pour des crèmes aux parfums variés.
    Zut, maintenant j'ai faim.

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  3. Il paraît que là-bas il est exceptionnel :
    La pâtisserie des rêves, 93 rue du Bac. Je n'ai pas encore testé mais j'ai pratiqué il y a quelques années les desserts de ce pâtissier, Philippe Conticini, à l'époque où il oeuvrait avec son frère à la Table d'Anvers.
    J'en profite pour vous remercier, Céline, de ces très beaux textes que vous nous offrez : c'est toujours un régal d'évocations sensorielles.

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  4. @Géraldine, il est en effet très bon et très agréable à manger : gourmand avec ses rondeurs, ses textures et ses couleurs, assez aérien en bouche, gras et goûteux comme il faut. Vraiment bien.

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  5. Ouh là là, j'en salive de ce Paris-Brest, gourmande que je suis !!

    Par contre, en tant que végétarienne, j'ai eu un haut-le -coeur devant l'histoire du poussin d'autant pus que je ne m'y attendais pas du tout !! J'ignorais complètement cette pratique culinaire !!
    Ca me fait penser à INDIANA JONES lorsqu'ils mangent de la cervelle de singe , de la soupe aux yeux et compagnie ..;Gloups !!!!!!

    Petite question finale : de quel parfum féminin s'agit-il donc ?

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  6. Bonjour La Flore,
    Contente de te lire. Et merci pour ce commentaire presque trop !

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  7. Bonjour Carmencanada,
    Ah je ne connais pas cette adresse, un manque à ma culture G ( génerale, gourmande. Va falloir y remedier ! On change de cremerie ? La dernière fois nous étions tenté par le Mont Blanc ??

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  8. Bonjour Julita,

    Désolé pour l'effet gore...mais authentique et parait il très apprécié par les gens qui ont tenté l'experience....mais c'est vrai si on est végétarien...
    Le parfum...on peut penser à Angel ou Narcisso...qu'en pensez-vous ?

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  9. Céline, c'est l'adresse donnée par Géraldine, que je ne connaissais pas non plus, mais c'est à retenir! Eh oui, Paris-Brest plutôt que Mont Blanc, en espérant qu'on se dirige plutôt vers un temps qui donne envie de glaces...

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  10. Bonjour Céline,

    Ton texte est plein de surprise. Passer du Paris-Brest bien de chez nous à ton voyage et expérience avec des oisillons cuits. Etonnant cette barrière psychologique parce que c'est un bébé oiseau ! C'est mignon un poussin il faut lui laisser un peu d'avenir!

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  11. ce texte me plonge dans mes souvenirs d'enfance, où je dégustais, non pas des paris brest mais des mille feuilles. J'adorais l'odeur de la boîte encore imprégnée de graisses sucrées, les feuilles au goût légèrement grillée. Le temps s'arrêtait. Un vrai délice.
    Yoko

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  12. Ah, quel bonheur (le Paris-Brest, pas le poussin mdr)! Ca tombe on ne peut mieux, je peux pas m'empecher de raconter cette anecdote, que j'espere pas trop ennuyante... j'ai eu un vecu tres special avec le Paris-brest, il y a un mois: ca fait 2 ans maintenant que j'ai du quitter ma douce France pour un pays ou les patisseries sont... vraiment pas terribles, a part celles a base de jaunes d'oeufs au sucre qui me rappellent mon enfance quand j'allais ramasser les oeufs fraichement pondus (aucun oisillon en vue, donc, dieu merci) dans le poulailler de mes grand-parents et que ma grand-mere me donnait le jaune melange a du sucre. Bref, 2 ans passes privee de notre merveilleuse patisserie francaise (ce qui n'est pas plus mal pour la ligne). Et voila qu'il y a quelques semaines, je me retrouve nez-a-nez avec une boulangerie traditionnelle francaise, je rentre, et la, mon graal, une rangee de Paris-Brest tout frais, des tartelettes au fraises, des croissants aux abricots, des eclairs au cafe, des religieuses au chocolat... j'en aurais pleure! Resultat, je vis a 1600 km de paris et 1600 km de Brest, mais ma silhouette n'est plus a l'abris du voyage hebdomadaire entre ces 2 villes!

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  13. Bonjour Alice,
    Oui, pov' poussin !;)

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  14. Bonjour Yoko,
    Ah! j'ai un grand faible pour le mille feuille également. Et une préférence pour celui avec l'énorme couche de sucre glace, rose et marron. Maintenant on les fait plus sobre : une fine couche de poussière blanche, sans odeur.Jolie description du carton à gateaux...

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  15. Bonjour Muguette,
    Je ne sais pas si je dois vous plaindre ;) ?
    Est-ce sur le trajet que vous empruntez le + souvent? Ne faites pas trop de détour...et succombez un peu parfois à la tentation !!
    Quand je suis à l'étranger ce sont les fromages qui me manquent le plus !

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