lundi 14 juin 2010

Canal Saint Martin

Grand chaud sur Paris
Première fois depuis…oh ! la la, madame, depuis qu’il n’y a plus de saisons !

La journée bascule. Soirée tiède et paresseuse.
Les bureaux se vident rapidement, les Parisiens trainent à rentrer chez eux. J’imagine quelques échangent de parlottes sans fil. Puis un, puis de plus en plus nombreux, des petits tas de culs par terre se retrouvent disséminées, le long du canal St Martin, pour une dinette bonne franquette.
Au bord de l’eau, entre trottoir et margelle, des guirlandes de sacs en plastique colorés balisent les jambes nues des jeunes femmes en robes légères, et les mollets des garçons en bermudas. Les mains fouillent, dégottent les victuailles agitées ensuite à bout de bras. À chaque découverte, des acclamations bondissent parmi les groupes. Au menu ce soir :
Saucisson industriel, aromatisé noix et salpêtre, on flirte avec l’authentique.
Sachets de chips gueules ouvertes, haleine graillon et glutamate.
Fromages évidemment.
Vache qui rit, sucrée, mais sans saveur. Reblochon qui pue somptueusement la pisse et la paille, Mimolette belle couleur, parfum de noisette. Camembert disque rond, toujours la même mélodie de craie et de trèfle.
Bouteille débouchée. Pinard rose à la saveur verte. Pincement de nez, grincement de dents, langue râpée. On s’en fout la soirée est belle. Seconde gorgée, le vin n’est pas si mal après tout. Bouche anesthésiée, esprit embué.
Pain, doux et croustillant. Farine chaude, levure au relent de Petit Suisse, mie fleurie. Mon appétit s’éveille.
Bière chinoise douce et fade, bière française amère et boisée, bière japonaise coriandre et riz soufflés, bière américaine, je ne sais pas. Pas de souvenir marquant dans mon tiroir mémoire, étiqueté « cervoises du monde ».
Une douce fraicheur de badiane se mêle à la brise du soir. Un pastis colore en jaune pâle, un verre en plastique blanc. Le Midi aux portes de Paris. J’ai soif, soudain.
Souffle lénifiant des tilleuls en fleur. Poudre de miel, tisane et foin de printemps. Un air de campagne. Seconde suivante, retour brutal à la vie citadine : trois sacs en papier, griffés Mac Do. Viande rêche, relent de carton, pickles acides, ketchup sucré, frites rances, gras frais et sel oublié. Je m’éloigne, gorge nouée.
À l’ombre du pont, l’atmosphère est couleur de vase. J’inspire les particules invisibles des blocs de pierre dévorés par la mousse, le relent des urines rances, poivrées par l’humidité, le souffle glacial de l’eau sans soleil.
Mon attention est soudain crochetée par une surprenante odeur de caramel rouge. Je gobe l’hameçon, les images défilent dans mon cerveau connecté en direct au répertoire « détails des volutes ». Je ne vois rien. On reprend. Nouveau sniffe. Concentration. Je creuse l’affaire : sucre liquide, bassine à confiture en ébullition, Barbapapa, aldéhyde C16* et Frambinone* en haute concentration, mélasse… rien que je ne puisse croiser sur ces pavés. Mais avant même de parvenir à reconstituer l’objet de mon attention nasale en emboîtant bout à bout mes images tronçonnées, mes yeux rencontrent la minuscule responsable de ce généreux bouquet savoureux, au bout des doigts d’un enfant. Une fraise. Une vraie, diffusant un puissant parfum de Tagada passée au four. Modifiée transgénique et perfusée aux arômes alimentaires ? Non, non, je me suis simplement compliqué le nez devant l’évidence, forçant le trait. Je remarque que ce n’est pas la première fois que je n’identifie pas l’arôme de la fraise. Et d'ailleurs, je n’ai jamais été très douée pour reconstituer le parfum de la fraise, alignant sur mes formules les composants et les proportions, comme une bonne élève maitrisant sa leçon, mais sans faire preuve d’invention. Résultat, j’obtenais toujours un truc sucré, ersatz de confiture aux fruits rouges, bien collant sur la mouillette avec un étrange relent d’herbe coupé. J’avais trop dosé les pépins. Un jour, peut-être, finirais-je par me laisser apprivoiser par la fraise ?

De toute façon, je n’ai plus le temps de me poser toutes ces questions existentielles de parfumeur récoltant. Notre voiture, vitres closes, continue sa route, abandonnant derrière nous le Canal, et ses parfums imaginaires.
*
Aldehyde C16 : matière première de synthèse très puissante, à l'odeur fruitée, acide et cuite, pour reconstituer en general les parfums de fraises. Odeur aigre et crasseuse de sueur de pied également...mais ça c'est ma description perso !
Frambinone: matière première de synthèse, sous forme de poudre, qui évoque la framboise cuite, la barbapapa, le glaçage rose recouvrant les cupcakes...

4 commentaires:

  1. Merci pour cette belle ballade qui donne envie de se (re)promener le long du canal Saint-Martin, et de profiter, à son tour, des apéros estivaux !

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  2. Je suis décidément sous le charme olfactif...je voyage avec vous et me laisse mener par le bout du....nez ☺

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  3. Bonjour Belleville Chick,
    Mais tout le plasir est pour moi ! :)

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  4. Bonjour Lychnis,
    Et merci à vous, je suis ravie de vous emmener :)

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