Milieu de nuit.
Comme une bulle qui éclate, je
m’éveille. Ma moulinette cérébrale immédiatement embraye : je grimpe dans
tous les wagons, la liste s’allonge et je soupire. À mes côtés, mon homme
repose paisible, je sens son odeur chaude de céréales passées au four. Je me
lève en silence, enfile le premier chiffon qui traine et je quitte la chambre.
Comme tous les insomniaques, je file vers la cuisine. Pièce maitresse pour
personne en détresse. Parfums de l’eau en ébullition, mélange perso d’herbes et
d’épices, une goutte d’eau de fleur d’oranger, et hop, j’attrape mon mug et
dérive vers le salon. Gros fauteuil placé au bord de la fenêtre d’où je peux
contempler la nuit. J’observe les rectangles lumineux des immeubles voisins. Un
réverbère éclaire la rue déserte, mouillée. Je ne suis pas seule, mais je suis tranquille.
Insomnie, mon amie, je glisse dans tes bras et m’abandonne à la rêverie. Les petits
bruits familiers de mon vieil appartement, une souris qui grignote sous une
latte du plancher, le vent qui se faufile sous le trumeau lézardé de la
fenêtre, façonnent mes affabulations.
« Il y a fort longtemps, quand Noël
n’était encore qu’une simple fête païenne qui saluait le solstice d’hiver, un
jeune homme longeait la berge d’un fleuve aujourd’hui disparu lorsque son pied heurta
un objet terriblement dur. Il jura copieusement dans une langue depuis
longtemps oubliée et se pencha sur la cause de sa brève, mais vive douleur :
un bidule brillant pointait à fleur de sable. Intrigué, il s’agenouilla sur le
sol et, après quelques efforts pour repousser le gravier humide, il exhuma un
coffre cerclé de métal bleu taillé dans un bois sans nœuds, ni veines, d’une
vibrante couleur rouge grenade. Il porta la boite à son oreille, la secoua et
entendis nettement le son feutré d’un objet heurtant une paroi recouverte
d’étoffe. Avec précaution, il saisit le couvercle qui s’ouvrit naturellement en
émettant un soupir à peine audible. Trois cailloux gris et ternes, de taille et
de forme identiques, reposaient sur un très beau velours de soie cramoisie. Il
en prit un, le soupesa, le tourna entre ses doigts et apprécia sa texture fine.
L’odeur imprégna ses narines d’une combinaison étrange de fleurs inconnues,
d’épices et d’algues… » Parvenue à ce moment de l’intrigue, mes pensées
rebondissent et changent de direction. J’imagine le parfum des galets égarés et
j’abandonne le récit. Les molécules s’accouplent ou se repoussent pour former l’embryon
d’une odeur improbable. Mais rapidement, j’abandonne également la formule.
Aucune créativité miraculeuse, mais
des pensées décousues et absurdes. Cela m’amuse et m’agace tout à la fois.
D’un sommeil
torride
je me suis
réveillée
Je compte
les étoiles
de mes mots
et me
consacre
à la nuit
Rose Ausländer
La nuit possède une odeur
particulière. Elle n’est pas la même selon les pays, les lieux ou les saisons. À
la tombée du jour la température chute, l’humidité, conséquence immédiate, attire
simultanément les parfums de la terre accumulés durant la journée et accompagne la chute des poussières du ciel. Un jeu subtil d’échange et d’enchevêtrement
s’organise. Les odeurs sont compactes, souvent linéaires et intenses, tels les
arômes du jasmin, des belles-de-nuit, des roses, des tubéreuses qui profitent
de la rosée nocturne. L’odeur du bitume à New York est puissante, métallique, presque
poivrée au cœur de la nuit. La Seine enfle et répand son parfum de fange dans
le vieux Quartier Latin, fruité en été, minéral en hiver. La vieille ville de
Nice dévoile une odeur de beurre de cacahuète aux premières heures de la nuit,
la campagne provençale sent la cendre et le cuir au cours des nuits d’hivers.
L’odeur de l’Océan est plus froide et pourtant plus sensuelle à la belle étoile
qu’en plein jour lorsque je me tiens au bord de la plage. Je ne connais pas son
odeur loin du rivage, mais je peux imaginer que le parfum, mélange d’eau et de
ciel, doit être bien différent.
Oui, mes réflexions sont décousues,
sans queue ni tête, et je perds le fil. Je vous perds aussi, sans doute ?
Insomnie mon amie. J’apprécie ce
moment de la nuit où l’esprit vagabonde, libre et capricieux.
Dans quelques heures, le monde rationnel
va s’éveiller et je vais sagement reprendre le chemin de vie maman/femme/parfumeur/maitresse de maison /amante/copine qui enchaîne tout parfaitement…évidemment. Mais
pour le moment, repos, silence et pyjama tout moche, je hume ma boisson chaude entre mes mains en
coupe et je jette un œil chez mes voisins. Que fabriquent-ils à cette heure de
la nuit ? À quoi rêvent-ils ? Les rectangles de leurs fenêtres, lueurs
nettes et précises, flottent dans la nuit et dévoilent ce que le jour permet à
peine de deviner. Un angle de canapé, un vase énorme contenant un maigre
bouquet d’anémones, quelques mégots tordus abandonnés dans un cendrier posé sur
une table basse colorée sur laquelle traine un verre contenant un reste de vin.
Ailleurs, un livre ouvert sur son ventre de papier à côté d’une tasse de café,
froid sans doute, car je n’aperçois aucune volute – bon, en même temps je suis
un peu myope, mais j’aime imaginer que l’odeur qui s’échappe de la petite tasse
en porcelaine est celle du café refroidi-- une télé allumée sur un documentaire
animalier, un évier de cuisine chargé de la vaisselle qui attendra demain, un
paquet de céréales pour le petit déjeuner et, quelques fenêtres plus loin, un
homme assis dans son canapé, un petit chien pelotonné contre sa cuisse. Un magazine
est ouvert sur ces genoux mais, la nuque posée sur le cuir usé, son visage fixe
le plafond. Quelle tournure prend le cours de ses pensées ? L’homme gratte
le poil de l’animal, le chien s’étire, baille, et l’homme lui donne la
réplique. Il ferme son magazine et quitte le canapé. Quelques secondes plus tard,
le rectangle lumineux, lucarne de l’ordinaire, disparaît. Je ne sais pas si le
chien a suivi son maitre. Brèves de vie et pointillés.
Mes insomnies datent de la naissance
de mon premier enfant. Intervalles obligatoires, presque inévitables. J’allaitais
plusieurs fois par nuit, solitaire, ballottée dans un demi-sommeil chargé de
brumes, les émotions en vrac. Le nez abandonné sur le minuscule crâne chauve je
conservais le cap, ancrée sur la nouvelle odeur que je tenais entre mes bras. Perdue
dans mon rôle d’apprenti maman le jour, je trouvais la paix et la sécurité au
creux de la nuit, l’odeur de mon tout petit crochetée à mes pensées vagabondes. En
cherchant bien dans ma mémoire, je possède toujours, dissimulé dans un tiroir, sous
une pile d’odeurs utiles à mon travail, un reliquat de l’odeur de mon fils
nouveau-né, celle qu’il transpirait la nuit pendant l’effort de l’allaitement. Une
odeur qu’aucune photo ne peut illustrer.
Et voici comment des années plus tard,
insomnie mon amie, tu ponctues encore mes nuits et nourrit mes rêveries. Je
n’ai plus de bébé à renifler, alors, je tends mon nez vers les fenêtres rayonnantes
de mes voisins, vers ces odeurs fugaces que je ne connais point. Je suis
attirée, moucheron bienveillant, par vos relents de vie privés maintenus la
nuit en cage derrière des rectangles
lumineux et dont je ne peux qu’inventer la tournure. Car, au-delà de l’image
banale et convenue d’une tasse de café, d’un cendrier, d’une vaisselle sale,
abandonnée au fond d’un évier en inox, ou d’un canapé défoncé en simili cuir, senteurs
que je visualise parfaitement, qu’elle est l’odeur de votre antre,
le parfum de votre journée ordinaire ? Comment cela sent-il chez vous, le
jour ?
Home smell home
Salut, plus de recettes pour mme Nitouche?
RépondreSupprimerC'est dommage, ç'aurait été bien avec des photos aussi.
Un parfumeur qui fait la cuisine, ça doit être super intéressant niveau saveur, épices, équilibre des stimuli, etc.
Hélas, non....par manque de temps et parfois par paresse ou par distraction ;) Je commence...et je ne finis pas ! bigre. mais le désir d'écrire est toujours là et les idées ne manque pas, simplement je ne vais pas jusqu'au bout de mon geste.
SupprimerEn parlant du shampooing "Prairial" à la pomme, je donnerais cher pour sentir encore une fois cette odeur. Si un produit sortait avec cette même odeur, je m'en tarterinerais les cheveux :)
RépondreSupprimerLes parfumeurs, vous ne pouvez rien faire pour nous?
Les parfumeurs imaginent et crées. Ils possèdent pleins d'idées et souhaiteraient sans doute être "publiés". Mais bien souvent, les marques, encadrés par les équipes marketing, déterminent, dirigent et disposent des thèmes olfactifs. L'industries de la parfumerie ne diffèrent pas de celle de la littérature, du disque ou du cinéma...et de la culture en générale ! La fin ultime étant d'imaginer et produire pour séduire le plus grand nombre. Et le marketing sait parfaitement ce dont vous avez besoin en ce moment: pas de pomme, mais des notes fruités rigolotes, bien sucrées caramélisés, douces et onctueuses, afin de vous aider à supporter la dureté impitoyable de notre vie et embellir le quotidien ;) ! Cela ne nous empêche pas d'aller fureter du côté des indépendants,des petits labels et des marques de niche
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