Sur la feuille où je rédige mes
essais, les petites annotations au crayon forment une longue dentelle de
citations pittoresques. Mon assistante dresse un seul de ses sourcils bruns en
découvrant l’ultime griffonnage sous la colonne de chiffre qui ponctue le
mélange précédant : « petite culotte sale ». Elle quitte mon
bureau sans rien dire, puis, je l’entends s’affairer dans le laboratoire entre la
chambre froide et les étagères. Bercée, j’écoute la mélodie paisible des
ustensiles en verre qui s’entrechoquent, le son mat du flacon déposé sur la
paillasse entre chaque manipulation, le silence, lorsqu’au-dessus du Becher la
main libère la minuscule larme de matière prisonnière du compte-goutte, le
grognement, enfin, du mécanisme qui enregistre chaque étape de la pesée.
Battements familiers qui égrènent mes journées et scandent le travail du
parfumeur.
Les mots du parfumeur attrapent des images brutales, souvent
impudiques. En notant « petite culotte sale », je ne cherche pas
à dépeindre comme un écrivain les courbes d’un corps féminin qui se néglige.
Non. Je pointe sans parti pris, du bout du nez, l’association des molécules qui
m’empêche d’atteindre cette odeur de galets que je cherche depuis longtemps. Ce
matin, je retrousse mes narines, plonge mon nez sous les jupes du parfum et je
sens la trainée.
Cette histoire de galets. Je reviens dessus épisodiquement quand il me
semble progresser dans l’apprentissage de l’art et la manière de tricoter des
odeurs. Je tisse, simplifie puis j’étire l’accord vers des possibles fleuris.
Aujourd’hui, dois-je accepter la présence d’un intrus ? Un peu comme ces
minuscules étiquettes cartonnées épinglées sur notre vêtement acheté dans une
boutique d’une enseigne internationale qui nous explique très gentiment que cet
article est fabriqué selon des techniques traditionnelles et qu’il est donc
légitime de découvrir des défauts dans la trame, ou des irrégularités dans la
couleur, car c’est la garantie d’un produit artisanal authentique. Cette odeur
de « petite culotte sale » est peut-être une simple petite bouloche
naturelle tout à fait acceptable pour un parfum respectueux d’une tradition offrant
à la matière sa liberté d’expression. Une indication de haute qualité tant
qu’on y est. D’autant que « petite culotte sale », associé au
vestiaire aveugle de la salle de sport du Collège où des générations de filles
juste pubères se sont succédé, est finalement une désignation très personnelle
qui n’a de référent que dans mon armoire à odeurs, vaste catalogue cérébral alimenté
d’anecdotes passées.
Avant même de savoir marcher -- sans doute ai-je fait mes premiers pas
avec mon nez -- j’ai compris qu’en matière d’odeurs rien n’est tabou, que tout
doit être dit pour être utile à la formule, à la compréhension d’un parfum en
devenir. Le parfumeur développe un espace de langage intime alimenté par ses
souvenirs. Ces désignations abruptes sont les marques pages d’une histoire olfactive
qui permettent d’appréhender l’impalpable, de maitriser l’éphémère, comme on
rédige un récit, mot après mot, odeur après odeur, en tapotant sur un clavier
ou en tenant son stylo.
J’ai décidé de conserver la « petite culotte sale ». Non
pour des raisons d’authenticité ou de marketing artisanal, mais contrairement à une histoire mise en
mots qui paraitrait déplacée et impudique, mon histoire mise en odeur est bien
plus pertinente et sentimentale en conservant ce petit bout de tissu froissé.
Mon parfum possède du relief, des facettes, et un flou agréable que l’on ne
peut pas nommer.
Sans doute, cette petite culotte est-elle passée sous votre nez, et ne
l’avez-vous point vu...
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