lundi 8 février 2010

Toubib

Je ne sais plus du virus ou du microbe.
Nous voilà ma fille et moi à contempler le lino granit de la salle d’attente d’un cabinet médical, attendant notre tour d’auscultation. Et d’une bénédiction sur ordonnance.
Ce pourrait être n'importe où. Un lieu de patience et de miasmes partagés, comme on en rencontre dans chaque ville ou village, certifiée par une odeur reconnaissable entre toutes, qui confirme notre état de mauvaise santé, ou celui de nos proches. A l’époque où j’ai pris ces notes, nous étions en pleine guerre contre la grippe mutante du moment et, dès la cage d’escaliers les relents des désinfectants, effluves amers et piquants, vous happaient entre leur rais invisibles et familier, déclenchant une brusque envie de tourner les talons. Quelques masques chirurgicaux étaient offerts gracieusement à l’entrée, disposés en colonne dans un plateau en métal pour les malades suspects. J’ai faillit en prendre un, pour protéger mon conduit olfactif…
Plusieurs médecins se répartissent l’étage, tandis que les patients partagent une pièce commune. A chaque nouveau venu, c’est l’occasion d’échanger un sourire compatissant, parfois une grimace, suivit d’une toux vite réfrénée, des chuchotements brefs pour tenter de calmer un enfant agité, ou de gros soupir résignés quand le temps devient trop long. Le parfum chaud des antiseptiques virevolte entre nous, fauchant les vilaines humeurs contagieuses échappées de nos corps affaiblis. Je tente d’oublier les lieux, et les personnes présentes. Je me concentre uniquement sur l’odeur. Je ferme les yeux et respire tranquillement les nuées impures. La première image qui me vient à l’esprit est surprenante. Celle de savoureux petits crottins de chèvres toastés, saupoudrés d’herbes aromatiques comme le thym, le serpolet, ou la marjolaine. Seconde image brève et instantanée, celle d’une pizza aux quatre fromages. Dois-je en conclure que mon estomac à une influence sur l’identification des relents toxiques qui circulent sous mon nez ? Pourtant l’heure du déjeuner est encore loin, et mon ventre ne crie pas famine ! L’explication doit être plus subtile. J’essaie de comprendre pourquoi mon cerveau affiche des images de fromage gratiné et d’herbes de Provence, à mon nez ahuri. Progressons plus avant dans le découpage des séquences savoureuses. Je repousse mentalement, genre feuilleton SF de seconde zone, tous les bruits de fonds qui floutent les détails ténus. Exit le relent fade et poussiéreux du sol plastifié, le fumet sucrée des fauteuils en cuir, badigeonnés de la sueur des milliers de générations de malades successifs. Sont également identifiés, puis soustrait du décor ambiant, la mélodie agréable du parfum fleuri aldéhydé porté par cette dame en face de moi et, l’after-shave fougère basique, du monsieur sur ma droite. Je me concentre uniquement sur quelques miasmes, types électrons libres, qui gravitent et s’entrechoquent dans un espace plus large. En quelque sorte, je mets de coté les eaux de toilette dont l’écriture harmonieuse ressemble à une autoroute d’informations, les monuments souvent visités, que sont l’odeur du linoléum et du cuir usé, et j’interroge les fragments insolites, isolés sur les routes de campagnes… Voilà c’est là. Discret mais tenace. Métallique et chaud. Frais et vivifiant. J’identifie les molécules d’eugénol, de menthol et de camphre. Je devine aussi quelques crésols et l’acidité du bicarbonate de soude. Effectivement, je comprends mieux cette tenace caricature décalée, d’une restauration à l’Italienne ! L’eugénol, marque de fabrique des dentistes et désinfectant notoire, évoque l’odeur chaude et fumée du clou de girofle, de certaines charcuteries. Le menthol, provient sans doute de quelques soins dentaires parfumés. Il symbolise le dentifrice, le chewing-gum et la pastille pour la gorge, la fraicheur propre d’un lieu ventilé. Le camphre, petit mais costaud, est l’universel de l’antiseptique naturel pour traiter le rhume, la toux, la crampe, sous la forme de crèmes, d’onguents, de spray, de sirop, bref, tous les moyens mis à notre disposition, pour nettoyer, dégager, ventiler notre tuyauterie buccale et nasale, ou réchauffer nos muscles engourdis. C’est également, un élément indispensable de la fiche d’identité de la plupart des herbes aromatiques et épices. Le crésol est un ami qui vous veut du bien, même si son parfum laisse perplexe. Odeur de cambouis, de carbonisé, de cirage, de chien mouillé, de graisse pour les cuirs, de crotte de mouton, de goudron….une odeur noire et or, car séduisante également. Elle provient certainement des savons bactéricides employés pour assainir les sols, et les instruments de travails qui ne nécessitent pas une stérilisation. Certains antiseptiques non alcoolisés possèdent également cet étrange remugle à la fois cracra et fruité, de miel de forêt tiédit. Le bicarbonate de soude se rapproche de l’odeur aigrelette du fromage fondu : mélange de sueur un peu acide, légèrement salé et, peau d’anim,al avec de longs poils. Voilà comment un parfumeur envisage une pizza aux herbes aromatique et fromages variés. Je vous l’accorde en l’état, débité en miettes olfactives, cela n’a rien de bien appétissant !
Mais pour un lieu dédié aux malades en demeure je trouve que ce n’est pas trop mal…distrayant en tout cas.
La porte s’ouvre et le nez du médecin apparait, souriant et interrogatif. Nous nous levons prestement ma fille et moi, tandis que je rassemble nos affaires. J'abandonne la pizzeria derrière nous, et franchis une nouvelle démarcation parfumée composée de poudre à récurer, de solvant, de plastique chaud et d’arôme de fraise tagada. Bof. Mais je ne peux en dire plus, car le médecin passe à l’action et je dois me concentrer sur des explications beaucoup plus pragmatiques.

12 commentaires:

  1. Eh bien maintenant je sais pourquoi je préfère la Napolitaine.



    Ce genre de billet précis et "stream of conciousness" me fait penser au travail d'un "profiler".

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  2. Bonjour Céline,
    Je ne verrai plus jamais la salle d'attente de mon médecin du même... nez ;)
    PS: j'ai reçu Oriental lounge et je suis complètement conquise, il y a longtemps qu'un parfum n'avait pas eu un tel effet addictif sur moi! Bravo et merci pour toutes ces belles émotions et sensations.

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  3. Bonjour Céline,

    Ce serait drôle si votre médecin tombait sur ce post !!!!!!!!!
    Ah, si les gens savaient comme vous humez et traquez toutes les odeurs !!!


    Je suis entrain de lire le livre très intéressant de votre Papa sur le parfum et si je me souviens bien, il décrit au début, la demeure familiale près de Grasse que vous évoquez justement dans un de vos post précédents ....

    J'aimerais beaucoup aussi découvrir vos créations de TDC mais c'est hors de portée de ma bourse malheureusement :(

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  4. Bonjour La Flore,
    Je te comprend ! :)

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  5. Bonjour Sakura,
    et un grand merci pour le parfum, je suis heureuse qu'il vous conte une belle histoire !

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  6. Bonjour Julita,
    Décidemment vous êtes chez "Ellena"&co. !! ;)
    Heureusement je ne compose pas seulement pour TDC! Mais les prix chez TDC se justifie en raison des matière premières utilisée dans le parfum. AUparavant chaque parfum avait un prix different. Maintenant vous les trouvez au même prix, pour plus de simplicité, mais je vous l'accorde ce sont des parfums vraiment chers !

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  7. Bonsoir Céline,

    Efectivement j'aime beaucoup les créations de votre père et quand j'aime, je creuse !!!!
    De vous je connais ROSE DIVINE ( si je ne me trompe) mais j'aimerais en découvrir d'autres mais j'ai un peu de mal à trouver car vous êtes très humble et discrète ( de bien belles qualités, outre votre plume que j'adore ) .

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  8. Bonjour Céline,

    J'ai trouvé un autre de vos parfums, je l'ai senti juste vite fait , mais je l'aime beaucoup : fin, poudré, léger ...Vous devinez ?

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  9. Bonjour Céline,
    Moi qui suis en pleine attaque de miasmes, je suis plutôt dans les arômes fruités(l'orange est assez en vogue) qui essayent de cacher l'amertume des médicaments. J'ai même encore le goût de certains sirops pour enfant à la banane. Après l'odeur de la maladie elle-même est assez fade, à la fois poussièreuse et grasse avec une petit odeur de transpiration rien que du sexy!

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  10. Bonjour Julita,
    Rose Divine en effet. Vous pouvez trouver d'autres parfums sur le site suivant :http://www.nstperfume.com/perfumers-a-to-e/. C'est un site qui vous informe, sur tous les parfums ou presque, signés par tous les parfumeurs. Cela concerne bien sur, seulement les eaux de toilettes bien plus glamour que les parfums pour l'hygiène, la cosmétique ou les detergents...qui demandent souvent beaucoup de créativités et d'astuces pour contourner ou apprivoiser une base récalcitrantes et odorante !!
    Fin, poudré...non, je ne vois pas..j'oublie mes bébés ? ;)

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  11. Bonjour Alice,

    Oui l'arôme pas bon, pas bon, de bannane avec un effet plastique chaud sur la langue, dont on n'arrive pas à se débarrasser !

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  12. Suite à notre dernier déjeuner, ma curiosité piquée, je m'en suis allée cheminer sur tes contes olfactifs, je t'ai bien reconnue là ! j'avoue que j'ignorais ta représentation olfactive d'une pizza ! tout compte fait, je ne sais si je dois envier ta perception nasale !
    je vais me contenter des effluves chaudes, croustillantes de la pâte à pain, l'âcreté de la tomate cuite, la puissance métallique du romarin... surtout ne change rien à ta pizza qui en-trouve (enfin) le mystère des NEZ !
    à très bientôt

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