mercredi 14 octobre 2009

Lumière !

Couleur nuit. Blanche à Paris.
Comme tous les ans, je dors bienheureuse, au moment où la ville propose de nous entrainer dans son sillage nocturne.
Quelques heures plus tard, par le hasard d’un bref zapping de la presse quotidienne, en lorgnant par-dessus l’épaule de mon voisin de métro, je découvre qu’une gigantesque boule à facettes suspendue au cœur du Jardin du Luxembourg, frappée par le trait éblouissant d’un projecteur planté au sommet du réservoir d’eau de Montmartre, offrait aux visages levés, le privilège d’une nuit étoilée, impossible à contempler en ville…
Le regard perdue sur la photo, où l’on distingue l’immense bras de lumière verte, suspendu au dessus de ville et effleurant la fameuse sphère, je commence à m’interroger sur l’odeur de cette lueur, couleur gazon. Impossible d’aller poser mon nez dessus. Mais si notre imagination peut concevoir des étoiles éphémère, nous pouvons sans doute inventer des volutes parfumés, produites par des vibrations de lumières ? Allez, tiens ! Je vous emmène, nez devant, pour découvrir quelques rayons de mon invention.
Goûtons d’abord à cette caricature nocturne de Paris : le voisinage du Moulin Rouge, qui concentre en une courte avenue, une profusion de néons vifs et colorés. Ce foisonnement brouillé et liquide m’évoque souvent l’odeur minérale des pâtés mous, façonnés dans les bacs à sables des jardins d’enfants. Une consistance de saccharose et de bouillie d’avoine, mélange singulier pour des trottoirs à la décadence contrôlée.
J’ai un faible pour l’odeur de l’éclairage des stations d’autoroute. Les lampadaires reptiliens, avec leurs cols inclinés, leurs immobilités indifférentes, m’évoquent souvent les envahisseurs de la Guerre des Mondes. Leurs halos blafards d’une nuance mauve, parfois vert absinthe, émulsionnent dans un même potage, les relents douçâtre du bitume et du diesel, les éclats âcres des capots surchauffés des véhicules -- maculés d’insectes broyés/séchés -- qui suintent une odeur de Zan et de peinture glycéro cuite au four. Ajoutez pour la douceur, une louche de café mouillé, une généreuse rasade de fausse lavande, trimbalée par les gens de passage, et vous obtenez un surprenant résultat qui éclate en bulles de chaleurs miellées, et picotements poivrés.
Mais celui que je préfère entre tous : l’éclairage public de nos campagnes. Juchée sur le sommet d’un poteau en bois maculé de goudron, l’ampoule énorme, couverte d’une assiette renversée, pulse une lumière rose et faible dans les premières minutes, puis s’échauffe et atteint sa pleine intensité. Parfois un papillon de nuit vient y griller ces ailes. Ces lampes possèdent une odeur très particulière : curieux mélanges d’effluves de jambon de pays enveloppés dans un torchon en cuir (le goudron qui s’échauffe), d’écharde de bois, de pop corn (papillons grillés !) et une sensation de sève verte et puissante, quand le mât garde encore le souvenir de sa vie d’arbre…
Avec un peu de chance (enfin, pour la sécurité je ne suis pas sure que le terme soit bien choisit !), peut-être, êtes vous tombés nez à nez avec une de ces ampoules oubliées depuis longtemps dans une cave ou un grenier. Eclairage maximum, cru et nu. Filaments apparents qui vibrent et diffusent lumière et chaleur. Et surtout le fil conducteur enveloppé dans une gaine en tissus un peu lâche et bien usé. Cordon ombilical odorant. Odeur grasse et boisée, toiles d’araignées, crottes de souris et autres moisissures humides : mélange apéritif de cacahuètes tièdes, de noix de muscade éventée, et de champignons déshydratés. Miam. Non ?
Aujourd’hui les lampes à faible consommation que nous utilisons pour le bien-être de notre environnement et de notre porte-monnaie, ne chauffent plus. Pas d’odeur. Juste une lumière froide, efficace et utile. Alors je porte mon nez ailleurs et j’imagine encore, le parfum de la lumière noire, des feux stop, de l’électricité statique, des halogènes qui grillent en belles volutes les insectes égarés et la poussière oubliée, de la lampe chez le dentiste, de l’écran télé, en fonction de la pertinence des programmes, des lampes torches égarées dans la nuit …et j’en oublie

6 commentaires:

  1. J'ai toujours hâte de lire le dernier post en me demandant, où nous emmènera-t-elle cette fois-ci? Bravo pour cette mise en lumière olfactive !

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  2. Très beau texte, moi aussi j'attendais le suivant...
    En ce qui concerne les lumières, personnellement je n'en sens pas les odeurs, mais je remarque l'intensité de leur couleur, tu me diras que je ne suis pas un "nez"...
    Je ne savais d'ailleurs pas que les lumières d'autoroute avaient une odeur. Ravie de l'apprendre ;)

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  3. C'est toujours une ballade drôle et étonnante, qu'on lit alors que les yeux sont fermés, en laissant les mots faire vibrer un sens endormi...

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  4. Bonjour du Château,
    Et merci pour ces mots, et ton enthousiasme. Je suis heureuse d'avoir "illuminé"ton nez !

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  5. Merci Valérie,
    Voilà, maintenant quand tu prendras la route et que tu stoppera aux stations tu te diras ce n'est pas si terrible ! :)En fait tout est là: on imagine une odeur et parfois,parfois, le décors est tout à coup plus sympa !

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  6. Bonsoir Lapo.
    Merci pour tes mots tout doux.

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