jeudi 27 mars 2014

Le roman de la rose

Le petit troquet du village épingle sur l’ardoise le Saint du jour. Aujourd’hui c’est Rose.
Mon cerveau entrainé visualise aussitôt l’odeur. Non pas celle de la peau d’une dame ou celui des cheveux d’une jolie demoiselle, mais celle de la fleur, délicate, top model de la parfumerie depuis plusieurs siècles. Tandis que je passe commande du menu, petits farcis du pays et anchois à l’huile d’olive, ma jugeote poursuit sa ritournelle parmi les composants qui constitue le parfum de la rose. Une rose des jardins émet un message olfactif composé de 400 molécules. Un parfumeur crée l’idée de la rose en mélangeant deux molécules. Cela vous parait simple et évident ? Que nenni ! Que je vous compte une de mes aventures olfactives où je me suis singulièrement embrouillée entre orgueil et enthousiasme…
Les aléas d’une carrière balbutiante m’ont amenée à me spécialiser rapidement dans le parfumage des soins cosmétiques, royaume de la rose, dont les vertus adoucissantes, clarifiantes et décongestionnantes sont appréciées depuis des lustres. À tel point qu’il est difficile d’échapper à un accord rosé dès qu’il s’agit de parfumer des crèmes pour le visage, lait, lotion, ou même une pommade dépilatoire…Un héritage qui semble anodin, car éthéré, mais guère remis en question, puisque chargé d’affect.
Parmi les premiers projets où je me suis fait le nez,  sans doute parce que  je correspondais à la cible produit, j’ai parfumé une gamme de soin destinée à des peaux jeunes au bord des rides, mais harcelée par une acné juvénile pugnace. Le libellé du brief comportait peu de précision sur l’odeur souhaitée, sinon un sentiment de frais et de propreté, sur une base riche et nourrissante pour une tranche d’âge et de peau très précise. « Mais, ça ne sent pas la rose ? », me répond t’-on dès les premières soumissions. Évidemment. Projet moderne, parfum d’actualité, j’ai anticipé l’odeur du soin de demain. Ah ? Très bien, mais greffez-nous tout de même un parfum de  rose là-dessus s’you plait. Mais la rose, à l’instar de la fraise, ça n’a jamais été mon truc, comme certains cuisiniers le caviar et le foie gras….Je retourne au labo, le nez entre les épaules et la cervelle molle.
Je contemple mon univers : étagères en verre, étroites et longues, où sont disposés des centaines de flacons clos sur leurs odeurs qui scintillent à la lumière des plafonniers. Comme on attrape son livre de chevet, je feuillète les étagères et parcours la ligne de mots familiers classés par ordre alphabétique. À chaque étiquette, le nom d’un produit de synthèse, d’une huile essentielle, d’un absolu et, aussitôt une flopée d’odeurs pétillent dans les méandres de ma boite crânienne. Certaines, telles des lucioles, clignotent sur le signe « rose ». Mais comme je boude, je vais au plus simple et pas au-delà de ce que je déchiffre en lettres d’imprimerie sur le flacon : « Huile essentielle de Rose Turque ». Et hop, quelques grammes dans mon essai, effet loukoum garanti !
Le lendemain, je porte un coup de nez sur le petit pot de crème parfumée, rassurée et sacrément fière de moi, car j’ai réglé le problème en deux coups de cuillère. Je constate que l’effet « rose » affleure sous le bouchon, et, sur ma peau, qu’il suggère élégance et délicatesse. Vraiment, une huile essentielle de qualité et tout est réglé : le naturel fait des miracles ! Mais je manque soudain de glisser de mon siège, lorsque je constate la poussée vertigineuse de mon prix de revient. Ben, ça va pas être possible pour le client un coût pareil ! Même en soulignant l’argument de la beauté intrinsèque de la matière noble, je ne pense pas parvenir à les convaincre de réviser leur tarif vers de telles hauteurs.
On reprend donc les bases du métier : 1+ 1= 3.
Alcool phenylethylique + géraniol =  rose miel
Alcool phenylethylique + ionone beta= rose thé
Alcool phenylethylique + acétate de citronellyl= rose jaune
Alcool phenylethylique + isobutyrate de phénoxyethyl= rose rouge
Alcool phenylethylique+ ionone beta+ acétate de benzyle= églantine
Vous avez le sentiment de réciter vos tables de multiplication ? De retourner sur les bancs de l’école du petit parfumeur ?
C’est le cas lorsque ces noms chimiques évoquent individuellement une odeur et, qu’en les associant, une bulle virtuelle bourgeonne dans votre tête. Le réflexe s’est mis en place.
Dans le cas d’un encéphalogramme plat, c’est-à-dire que vous n’avez aucune idée à quoi ressemblent ces machins chimiques, je vous demanderai de me faire confiance.
J’ai finalement proposé une histoire à l’eau de rose, où l’héroïne s’affublait d’une robe couleur muguet délicatement sertie de rondelles de  kiwis gorgées de vitamines. Le parfum, pour retendre les traits et dégommer les impuretés, fût présenté dans son petit pot de crème tout blanc
Quelques mois plus tard, les vendeuses des grands magasins conseillaient à de jeunes femmes pas encore trentenaires mais bientôt presque vieilles, un nouveau soin pour prévenir les premières rides, et purifier les peaux grasses affligées de petits boutons.
Pour la compréhension du récit, il est utile de préciser que l’odeur diaphane du muguet bâtit toute son intrigue sur l’accord d’une rose dont on retire les épines. Ensuite, il faut dire « rose blanche ».
Quant aux kiwis, il suffit de rassembler les éléments qui composent un panier de pommes vertes, brillantes et juteuses, et de s’exclamer « kiwi » !
 La parfumerie comme un roman, s’offre bien des détours et manipule votre nez jusqu’à la déraison. Tout le plaisir de la narration olfactive est que nul ne peut emprisonner dans un dictionnaire les définitions d’un effluve….

vendredi 12 juillet 2013

Lunettes: à vue de nez

J’ai le nez clairvoyant. Mais quelques soucis avec ma vue. Parfois, lorsque c’est absolument nécessaire, mon visage disparait derrière deux petits hublots, cercles de verres qui me permettent d’appréhender le monde en détail, sans un flou parfois bien commode. Par exemple, je préfère me contempler dans un miroir sans mes lunettes. Non qu’elles ne me siéent point, simplement parce que mon visage me parait ainsi plus doux et bien moins marqué par les ans. Je change rarement de montures. Mais, le mois dernier, je me suis assise sur ma paire de lunettes qui a très mal réagi en disparaissant sous l’étendue de mon postérieur. Lorsque j’ai senti l’objet déformer ma chair, il était déjà trop tard. Mes fesses se sont adaptées, mes lunettes absolument pas. Regard de guingois, me voilà chez l’opticien. J’enchaine les différents modèles, minaude devant le miroir, hésite : trop lourdes, trop étroites, trop grandes où sont donc passé mes sourcils, trop colorés, trop ternes je ressemble à une maitresse d’école à l’ancienne, à une harpie, à une coincée, jusqu’au moment où je mets la main sur la forme et la couleur qui se prête à mon caractère. Mise en verres et réglages divers, me voici deux jours plus tard dans une salle bondée de cinéma zieutant le dernier succès du moment. Un mélange étrange traine sous mon nez. Sans doute la mixture pop-corn et eaux de toilette élaborée à partir de la foule rassemblée. Je me laisse happer par le film et perds de vue l’odeur. Lundi bureau. Première réunion de la journée. Changement de programme : projection de camemberts et de diagrammes multicolores. Je chausse mes nouvelles lunettes et j’apprécie sans intérêt la netteté des chiffres minuscules après la virgule. Une odeur passe, papillonne autour de moi. Petite bestiole mystérieuse, elle volète puis s’échappe. Quelques flacons de parfum censés illustrer le marché actuel sont alignés sur la table. Je tends la main et, discrètement à tour de rôle, je les glisse sous mon nez : aucun d’eux ne m’évoque l’odeur oscillante. Je tourne mon nez, balaye l’espace alentour afin de capturer une information olfactive pertinente qui me permette d’identifier la source de cette vibration odorante faible, mais tenace, qui chatouille mon museau. Mon manège finit par attirer l’attention de la conférencière qui s’interrompt. Je sourie et lui fais signe que ce n’est rien, pardon, je suis désolée de l’avoir coupé dans son élan. Pensive, je cesse de m’agiter et, dépitée, je retire les lunettes et les déposes sur la table. L’odeur disparait. Je ne m’en aperçois pas, car je frotte entre deux doigts l’arête de mon nez, fermant les yeux à m’en broyer les paupières. Puis, geste d’automate, mes doigts chopent les montures et les calent derechef à l’emplacement prévu à cet effet. Volète, volète, la petite odeur. Je déconnecte complètement du sujet de la réunion et concentre toute mon attention sur ce miasme gentil, mais étrange. Flocon de purée déshydraté. Premiers mots posés sur l’invisible. Puis, carotte fraiche et bouchon de liège neuf. Un truc ensuite, illisible, que je ne peux nommer, ni imager : entre métal et fumée. Épicé, certainement. En plein remue-méninge, louchant sur la pointe de mon blair, je compare chaque facette des molécules, prisonnières fugaces de mes cils olfactifs en prise directe avec ma cervelle, au flot d’images et de sensations stockées depuis belle lurette dans ma mémoire. Système de classements et de recoupements tentaculaires où les propositions se succèdent telles des fiches cartonnées stockées dans les tiroirs d’une bibliothèque. Oui, je sais, je n’ai pas encore basculé dans l’ère informatique… La conclusion est simple. Je disparais sous un feu d’artifice ininterrompu de minuscules poussières odorantes sans intérêt ni étiquettes, qui finissent cependant par m’agacer et me démanger telle la Mouche du Coche de Monsieur de la Fontaine. J’achève la réunion sans lunettes, dans le flou le plus total me demandant si c’est l’odeur naturelle du matériau employé ou bien si celui-ci a été parfumé artificiellement ? Je n’ai pas de réponse. Depuis, je suis retournée voir mon opticien qui a accepté, septique, d’échanger mes montures, bien que personne jusqu’à présent ne se soit plein d’un inconfort olfactif. J’ai appris également que la conférencière m’a jeté de lourds regards noirs de reproche jusqu’à la fin de son intervention, tandis que je reniflais par à coup, les branches de mes lunettes, tâchant de comprendre le phénomène des montures odorantes.

jeudi 16 mai 2013

Anosmie et Espadrilles

Impossible d’entendre les odeurs, car le vent se lève.
Les mailles se resserrent et se chargent d’un relent électrique de sève acide, d’eau emprisonnée dans la mousse des rivières. Vingt minutes plus tard, la pluie tombe, et les nuages chargés de particules délestent une étrange odeur de poussière céleste. Un parfum d’espadrille. Je déploie mon parapluie et contemple mes pieds chaussés de cuir. Talon pointe, talon pointe, entrechat sur le fil du trottoir, je sens sous la pluie. L’haleine grasse des pavés et du cuir détrempé de mes souliers, celle surannée sucrés de mes pantalons humides et, au-dessus de ma tête, la vibration grinçante de la toile synthétique qui m’épargne l’averse. Je ferme mon parapluie et tends mon visage vers les gouttes. L’odeur d’espadrille à disparue. J’éternue.
Anosmie.

mardi 7 mai 2013

Cannes Festival

J'ai quitté Paris.
Maintenant je demeure dans le Sud.
Celui de l’Est
Car évidemment, en France il existe plusieurs Sud. L’accent n’y est pas le même, les gens, les paysages et les odeurs offrent des profils distincts. La cuisine se singularise. Il ne faut pas confondre. Nous recevons des amis, heureux de venir nous retrouver dans cette région de carte postale. Nous offrons le soleil et ils nous apportent les nouvelles de Paris. Échange de bons procédés. Parmi les visites touristiques incontournables, il y a la mer en fin de journée quand la chaleur s’apaise et que l’on peut flâner sur la promenade qui borde le rivage sans crainte de rôtir. Nous sommes à Cannes. Avant l’ouverture du Festival. Les stars sont déjà au rendez-vous. Elles défilent sur des podiums invisibles, m’enlacent, m’embrassent, abandonnant à leur passage fabuleux quelques traces fraîches de fards indélébiles. Je me fais l’effet d’un photographe tentant de capturer en un flash l’instant fugitif d’une silhouette, d’un sourire. Les vedettes sont nombreuses et parfois, je les confonds avec leurs doublures. Bien sûr, les starlettes sont au rendez-vous, aguicheuses et irrévérencieuses ; les figurants nombreux, les indépendants beaucoup plus rares. Je fronce le nez, agréablement agacée par tant d’aller et venues. Sur cette célèbre avenue, aux pieds des marches du palais tendues de rouge, une foule d'anonymes arborent le clou évanescent d’une tenue vestimentaire soigneusement élaborée. Impossible pourtant de déterminer avec précision à quelles mouillettes géantes endimanchées appartiennent tels ou tels parfums. Je tente de discerner une corrélation entre le style affiché et le parfum exposé, mais en vain. Cette eau de toilette froufroutante ne coïncide pas vraiment avec la jeune femme qui déambule en santiag sous mon nez. Les parfums, en cette courte saison, sont à l’image du Festival de Cannes : clinquants, sophistiqués et outrageusement bruyants ! Mon nez s’amuse comme un beau diable et je n’en finis pas de jouer aux devinettes "tu sens qui ?", à tel point que j’oublie de répondre à mon amie qui me demande pour la troisième fois où avons-nous projeté de diner….ben je ne sais pas, je me nourris de parfums pour l’instant, tu en veux un peu, il y a l’embarras du choix ?



vendredi 5 avril 2013

J’veux du soleil !

Une fois n’est pas coutume je lève les yeux, contemple le plafond et attend une réponse. Le plafond s’en fiche. Aucun remous ne trouble son grain blanc. Je fronce les sourcils et grommèle en balançant la plume de buvard imprégné de mon dernier essai qui vole comme un avion en papier, traverse la largeur du bureau et s’écrase contre le mur. Plafond. Murs. L’exact aspect de mon cerveau en cet instant. La mélodie olfactive m’échappe. Fleur de brume et bois flotté, morne écho de cette journée d’un mois de Mars boudeur. Dépitée, je détourne mon regard des minuscules flacons contenant des études d’eau de toilette qui forment plusieurs ilots scintillants dispersés sur mon bureau, et contemple le paysage mâché par la pluie. Comme chaque année à la même période, l’hiver s’étire en soubresauts pénibles et, le manque de lumière, de chaleur se fait sentir. J’veux du soleil !!
Ce soleil qui donne la même odeur aux gens, dès les premiers beaux jours.
Sueur et mélamine. Sucrée salée. Sous l’effet de la chaleur et des rayons du soleil la peau change d’odeur et tricote avec les lotions hydratantes anti-UV, créant ainsi  une silhouette olfactive commune en Europe.


Tout a commencé au 18em siècle lorsque la noblesse anglaise instaura la très chic habitude d’aller prendre les eaux dans des villes thermales. Cette inclination saisonnière inspira très rapidement la classe dirigeante française, puis toute l’Europe. La saison des plages normandes et l’usage du bain de mer revêtu d’un pyjama sombre, de bas blancs couvrant les mollets et de ballerines nouées aux chevilles, apparues à la fin du 19em siècle. Vinrent ensuite les congés payés qui généralisèrent l’idée de prendre du bon temps, et surtout du soleil. Adopter les sports de montagne au début du 20em siècle, choisir la Riviera en hiver, qui deviendra par la suite en se popularisant, la Côte d’Azur en été, peu importe les lieus ou les origines sociales, les parfums des lotions hydratantes et solaires démocratisent dès lors les épidermes. Les slogans publicitaires fluctuent au fur et à mesure des modes ou des besoins, sans toutefois corriger le message olfactif. Aujourd’hui, chacun de nous reconnait la signature capiteuse de la peau en vacances.
Poudre de riz, blanc de lys, lait végétal à la rose ou crème de guimauve, lait d’amande ou esprit de citron sont autant de propositions pour conserver ou éclaircir une peau blanche, signe ostentatoire à la du fin 19em et au début 20em, d’une oisiveté de bon ton auprès des dames de la haute bourgeoisie. Pétales de rose, fleurs de jasmin, herbes aromatiques, benjoin au parfum de vanille, huiles végétales plus ou moins rances, citron, farine poudrée et fruits secs évocateurs de miel, sont autant d’odeurs simples et puissantes associées à la notion de protection, de douceur et de fraicheur. Une palette olfactive rassurante que notre mémoire a préservée puis transmise aux générations suivantes, et que l’on retrouve dans la majorité des soins antirides ou fermetés vendus de nos jours. La notion de beauté a évolué : jadis, une crème promettait un teint sans défaut, rose et transparent, 100 ans plus tard, nous ambitionnons un épiderme lisse et sans rayure, mais le parfum demeure sensiblement le même : rose, patchouli et benjoin, sur un fond de musc aujourd’hui synthétique. Le muguet, a remplacé le jasmin à partir des années 80, jugé trop animal pour notre nez riveté à la notion de propreté des lessives modernes apparues dans les années 70, saturées de musc poly ou macrocyclique.
Ainsi, la crème Nivéa possède un parfum caractéristique qui n’a pratiquement pas changé depuis son lancement au début du siècle dernier, au point d’inspirer tous les produits de la marque qui seront développés par la suite, aussi bien pour l’enfant que pour l’homme. Un frais parfum de rose citronnée (présence de géranium) et de lavande ficelé sur la trame d’un muguet, auquel on ajoute quelques gouttes de benjoin.


En 1994, stagiaire chez Haarmann et Reimer à Holzminden en Allemagne, j’ai joué mes premières gammes comme parfumeur junior, sur la marque Nivea. Mon maitre de stage, Elke Dörrier, m’avait confié un exercice amusant, mais terriblement complexe. Imaginer une crème solaire pour enfants. À ce moment-là, je ne savais pas qu’elle travaillait sur ce projet depuis déjà un moment. Convaincue, à peine sortie de l’ISIPCA, de mon talent créatif et de mes qualités de technicienne, j’ai débarqué le lendemain dans son bureau avec mes premiers essais. Parfum génial dans petit pot de crème blanche bien épaisse. Ce jour-là j’ai vraiment apprécié la gentillesse et la patience d’Elke, car j’étais totalement hors sujet ! Le parfum n’évoquait absolument pas la signature Nivéa, mais un truc mignon, sympathique et original, sans toutefois couvrir parfaitement l’odeur de levure de la base solaire qui piquait désagréablement le nez, et, pour finir, en jetant un coup d’œil à ma formule dont j’étais très fière, elle me proposa de poser mon pilulier sur le bord d’une fenêtre afin de procéder à un test très simple de stabilité : 1 semaine aux rayons banals du soleil afin de vérifier si la couleur et l’odeur demeureraient identiques. Trois jours plus tard, ma crème d'un beau blanc nacré virait crème de marrons, tandis que le parfumage avait totalement disparu au profit d’un accord de friture aigre.
Parfumer une crème solaire n’est certes pas une mince affaire. Il faut reproduire une griffe olfactive spécifique , par principe distinctive selon les marques et leurs lieux de naissance (Nivea, l’Oréal, Delial, Clarins, Avon, Johnson & Johnson…), greffer les marqueurs génériques du soin solaire, ajouter quelques détails afin de la rendre singulière ( n'y voyez pas de contradiction) , et, dans ce cas précis,  renforcer d'une étiquette olfactive "enfant". Enfin, le parfum doit demeurer plaisant et stable, c’est-à-dire appréhender les transformations chimiques qui peuvent survenir lorsque le parfum entre en contact avec la base anti-UV. Comme tous artistes j’ai commencé par reproduire les travaux réalisés par les anciens : j’ai copié le parfum de la crème Nivéa. Ensuite j’ai entrepris d’analyser avec mon nez et ma petite cervelle, la singularité de cette odeur : quels étaient les ingrédients déterminants, et où donc se nichait la trame majeure de la formule. Ce fameux fil rouge, ou ligne claire, sur lequel les matières premières tissent le rapport d’odeur. Comme tous les artisans, j’ai reproduit plusieurs fois ma formule, modulant, coupant et mesurant les matériaux jusqu’au moment où mon parfum s’est correctement entortillé autour de l’odeur de la galénique, tel un pas de deux, et conservé définitivement sa couleur. Aucune recette miracle, car la parfumerie possède des principes, mais n’est absolument pas une science exacte. Tâtonnement. Expérience. Mais aujourd’hui encore quelques déconvenues : flûte ! Mais ça devrait marcher, là… !
En 1996 la crème solaire Nivéa pour enfant a été commercialisée dans toute l’Europe. Le parfum fut réalisé par Elke, et très légèrement agrémenté par ma petite pomme de junior, après plusieurs mois de travail, d’essais et de test divers. Ce parfum est toujours présent dans le soin solaire pour enfants.

Plusieurs décennies auparavant, en 1911, la crème Nivéa propose de rafraîchir et de calmer l’épiderme, puis, les vacances se démocratisant, à partir des années 30 le pot bleu prétend protéger la peau soumit aux rigueurs climatiques, aussi bien des gerçures que des coups de soleil, bien que la protection UV soit alors absente. En 1934, Delial est le premier soin protecteur bronzant à contenir un agent anti UV B, le néo Héliopan, qui ne possède pas vraiment d’odeur (farine douce de maïs comme la polenta). La marque propose de parfumer sa nouvelle lotion d’une composition conventionnelle à base de rose de synthèse et de benjoin.
En 1935 l’Ambre Solaire des laboratoires l’Oréal, un long flacon cranté pour éviter qu’il ne glisse entre les doigts, est commercialisé. L’huile fine possède une odeur caractéristique: le salicylate de benzyle. Matière première bien connue des parfumeurs, elle est ici employée en grande quantité pour ses qualités anti-UV. Cette odeur très douce, légèrement salée et minérale comme un galet de plage, grasse et fleurit, remémorant l’huile de coco, la fleur de tiaré et l’œillet, associé au refrain habituel de benjoin et de rose, va inonder rapidement les plages françaises, et répandre en quelques années sur l’Europe, l’identité olfactive définitive du soin solaire le distinguant ainsi du simple soin cosmétique.
Au cours des années 70 le bronzage intense s’affiche sans vergogne comme un label de vacances réussies. Rien de plus vulgaire en effet (ou source de moquerie : combien de fois ais-je été affublée du doux sobriquet de lavabo par mes gentils petits camarades…), qu’une peau blanche au cœur de l’été ou durant les congés d’hiver, signe éloquent d’activité laborieuse et donc de mauvaise mine. Bersagol propose un soin solaire activateur de bronzage naturel. La marque exploite un ingrédient provenant de l’huile essentielle de la bergamote : le bergaptène, qui stimule la mélamine responsable du bronzage. La peau se colore rapidement d’une chaude teinte de caramel et exhale un sensuel accord de cologne ambrée flanquée de salicylates. Depuis, les bergaptènes ont été retirés de la circulation et les huiles essentielles de bergamote traitées en conséquence, car les dermatologues se sont aperçus que la mélamine ainsi stimulée avait une nette tendance à provoquer des taches indélébiles et des risques probables de cancers de la peau…Mais l’odeur, elle, est demeurée.


Il suffit de trois matériaux pour créer l’odeur de la plage : huile essentielle de Bergamote ( ou pour les radins de l’acétate de linalyle), absolue de Baume Benjoin (ou, pour les radins un peu de vanilline….mais attention à son instabilité couleur qui vire parfois au maronnasse, donc on choisira la coumarine) et salicylate de benzyle ( pas cher et très stable !).
Tout le reste n’est que simple figure de style et fioritures: patchouli, vétiver, noix de coco, bougainvillier, grenade, rose ou tiaré, lotus, frangipanier, oranger ou muguet, mousse, mangue, passion et papaye, calonne, floralozone ou melonal pour renforcer la note marine, sont autant d’accessoires proposés par les parfumeurs pour faire rêver les vacanciers.
….ou les créateurs en perte d’inspiration…soupir
Toute la pluie tombe sur moi, pom, pom, pom…resoupir !



NB :
Trois ouvrages où j’ai glané quelques renseignements pour ce post solaire :
-« Grain de beauté, un siècle de beauté par la publicité », édition Somogy, Bibliothèque Forney, 1993
-« Coups de Soleil et Bikinis », Musée International de la Parfumerie, édition Milan, 1997
- « Créez vos cosmétiques Bio », Sylvie Hampikian, édition Terre Vivante, 2007,2011


Un grand merci à Elke, pour m’avoir offert spontanément et à plusieurs reprises, toute sa patience et sa confiance au cours de ma carrière chez H&R puis Symrise.

Et un grand merci également aux lectrices et lecteurs tout aussi patients....parfois être au four de mes formules et au moulin de mes chroniques n'est pas d'une composition aisées ! Aussi, puisque je suis avant tout un parfumeur, je privilégie les odeurs tandis que mes courts récits poireautent...





jeudi 21 février 2013

L’âge de raison

Tout commence à l’âge de trois ans, menton dressé :
- nan, je veux pas !
- Tant pis pour toi

Aux environs des quatre ans, yeux levés :
- pourquoi ? Et pourquoi… ?
- Parce que c’est comme ça et puis voilà.

À l’âge de raison, visage chiffonné :
- Bêêêêrk, ça sent mauvais !
- Oui, mais ça ne se dit pas

Car jusqu’à l’âge de cinq ans l’enfant ne manifeste nulle opinion, ne prononce aucune critique. Tout fait signe, tout sent bon.
Mais en catimini, l’éducation œuvre et mouline, et, à l’âge de 7 ans, l’enfant est à même de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises odeurs. Celles qui sont dangereuses, sales, désagréables, se distinguent nettement de celles qui sont plaisantes, rigolotes, appétissantes ou familières.
Un lâché de prout sonore et odorant dans une assemblée ne gêne pas les tout petits qui poursuivent leurs activités sans même froncer le nez.
Le même, abandonné quelques années plus tard dans une salle de classe de CE1 et voici nos petits anges, hilares, qui se pincent le nez en poussant de hauts cris scandalisés et plutôt moqueurs…
Les odeurs fécales ne sont pas repoussantes pour les enfants. Pipi/Caca sont une création dont on se débarrasse dans sa couche ou sur le pot devant un public d’abord attentif et élogieux, puis à l’abri des regards et des nez étrangers. Le dégoût s’affirme tardivement, vers l’adolescence.
Les enfants évoquent spontanément les odeurs qui frôlent leurs petits nez. Ainsi ma fille, qui gobe quelques molécules dans la rue lors d’une matinée shoping me demande avec un air gourmand : « miam, c’est quoi maman ? ». Je ne sens rien à ma hauteur, aussi, je m’agenouille afin d’avoir mon nez au même niveau que le sien. Et là, au côté de ma fille, sur le trottoir parmi les piétons qui nous contournent en ronchonnant, je tente de retrouver le filigrane dont il est question. Gaz de voiture, crotte de chien, goudron, maroquinerie et petit truc sucré. Cacahuète caramélisée. Aucun stand de vente de chouchou dans les environs. Ma fille a capté un courant d’air apporté d’une rue environnante, imperceptible à hauteur d’adulte.
À partir de cet instant, j’ai commencé à renifler les odeurs à hauteur d’enfant, pour me rendre compte que les informations sont très différentes et souvent, plus abondantes. Mais la plupart du temps dégoutantes pour un nez d’adulte. Relents de pisse, de merde, de décompositions, de combustion, de moisissure, d’ordures, bref, de tout ce que l’être humain fabrique de mieux en terme de déchets et de pourriture, mais qui pourtant n’offusque point l’odorat d’un jeune enfant.
Aujourd’hui, ma fille atteint l’âge de raison. Elle porte un jugement sur les parfums qui viennent chatouiller son nez lorsque je l’embrasse ou quand il s’agit de faire la bise à une personne qu’elle ne connait pas. C’est à ce moment-là que les convenances normalement interviennent : l’odeur bascule tabou, car l’enfant ne doit pas exprimer son ressenti. Et bien souvent, il abandonne rapidmement l'idée de fourrer son nez partout et il regarde simplement.
Pas de chance pour notre société de l’image, j’adore parler odeur. Aussi ma fille partage en régalade tous ses commentaires : Maman, tu as encore mangé des sardines ! J’adore quand tu mets du vernis ! Ben-dit-donc, tu sens le dodo…tu t’es brossé les dents ? Aaah ! t’as bu un verre de vin ! La dame…elle se lave pas les cheveux ? Le meussieu sent bizarre, c’est quoi, le chien ? Il/elle, a mis trop de parfum, ça colle, c’est trop sucrééééé ! Bheuuuuu….c’est la bouffe du chat, ça snouffe le poisson qui pue…auquel s’ajoute les grimaces pour mettre en scène les miasmes du quotidien.

Par contre, les odeurs fécales ne la gênent toujours pas…

jeudi 24 janvier 2013

Séduction

Au petit matin, la nuit hésite à abandonner la partie. J’accompagne mon fils jusqu’au portail, puis je le regarde s’éloigner dans le clair-obscur. Son pas élastique de jeune adolescent conquérant l’emporte vers le bus qui comme chaque matin engrange sa fournée d’ados, et parcours la longue route sinueuse qui les mènera au lycée. Je contemple la silhouette mate de mon grand bonhomme quand l’éclat de la lune, ou les premières lueurs du soleil, allument des reflets bleu améthyste sur les trompettes des liserons qui grimpent à l’assaut des clôtures grillagées du jardin des voisins. Mon nez précède mes pieds: j’étire le cou et cherche le parfum de la fleur. En vain. Le liseron n’a pas besoin d’odeur, sa couleur tape-à-l’œil contente les insectes pollinisateurs : fascinés par l’œil du cône ils achèvent leurs courses éborgnées par les pistils orange. La nature pense à tout. Comme élaborer des odeurs chantournées pour les fleurs au blanc monotone dont les bestioles volantes n’ont que faire, leur préférant les tenues criardes et froufroutantes. Qu’à cela ne tienne ! D’une couronne virginale s’échappe quelques molécules polissonnes, aussitôt une cour bourdonnante encercle la fleur incolore et l’affaire est faite !

La nature met en œuvre.
Le parfumeur imagine

L’odeur du liseron.
Dont la fleur déploie sa corole dès les premiers traits de lumière. La liane de ses tiges qui s’entortille, crue et verte sur le fil de fer du grillage. L’éclat du pistil, la jupe d’un bleu sombre. Veloutée. Nacrée. Rose au centre. Je pense aux premiers vers du récit de l’Odyssée « Aurore aux doigts de rose » qui annonce une nouvelle journée. Mondes inconnus. La tête dans les nuages, je jongle entre les mots et les odeurs et compose le parfum du liseron. Je poursuis mon fil, tombe de Charybde en Scylla, puis parcours ma bibliothèque cérébrale et plonge dans le récit de Circé qui séduisit Ulysse. Quel parfum portait-elle quand elle échouat à transformer l’homme rusé en pourceau grâce à ses breuvages, mais parvint à le retenir sous son emprise pendant une année en sa demeure ?

Le courant d’air s’engouffre sous ma tenue matinale, j’ai froid aux chevilles dans mes pantoufles germaniques et ma robe de chambre, molle et élimée, ne suffit pas à repousser l’humidité glacée du point du jour. Circée la charmeuse s’évapore, l’ordinaire reprend son souffle. Tiens, et si j’allais me faire une tasse de thé, après j’irais me maquiller et puis je choisirais bien une jupe turquoise…

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mercredi 23 janvier 2013

Mercaptan – Tentative de truc de survit

Œuf avarié. Danger. Fuite de gaz.
Une usine de chimie en France vient de faire un rôt.
Nauséabond, mais sans danger pour la santé.

L’odeur étrange oppresse. Provoque irritation et maux de tête. Pas moyen de saisir la nappe immonde pour la renvoyer à son expéditeur.

Ainsi en fait le nez. Qu’à sa tête !
Il enfourne, engrange et tricote en boucle : mercaptan, œuf dur avarié, ail mou, oignon pourrit, mercaptan, pourrit, pourrit, œuf dur vomit, soupe d’ail, pourrit, pourrit…et la tête dodeline comme ballotée par la houle.

Pas moyen de tourner le visage pour éviter la gifle fétide et empêcher les molécules de se faufiler dans le conduit olfactif. Impossible de prendre les jambes à son cou pour échapper à la vague pestilentielle.

D’où le sentiment d’inconfort, d’angoisse et les maux de tête qui peuvent, parfois, enfler jusqu’au tournis.

Patience.
Ou bien,
Accepter l’odeur du mercaptan et l’oublier dans un coin du nez.
Sinon,
Trouver une odeur plus forte et bien grasse pour boulotter le mercaptan : pop-corn, hamburger, beignet, fish and chips…
Choisir un parfum familier pour neutraliser le mercaptan : t-shirt perso, vêtement de son conjoint, de son enfant…
Mais éviter son parfum préféré, dont la mélodie va s’ajouter au mercaptan et créer la confusion, au risque, lorsque la paix olfactive sera revenue, de vous amener à le détester, car il pourrait être définitivement amalgamé au relent d’œuf pourrit.

Le nez est un type casse-pied….Depuis le temps que je vous le dis !

















vendredi 18 janvier 2013

Pause Café 2

Paris premier froid, boulevard des Capucines. Café de l’Olympia. Heure pleine avant le concert. Heure creuse avant ton arrivée. Tu n’es pas en retard, je patiente, un demi posé sur le comptoir, coincée entre les épaules d’un homme et le sac d’une dame aux angles de cuirs bien durs pointés à hauteur de ma hanche. Ça chatouille, je me tortille. Le sac s’efface, les épaules de l’homme ne bougent pas. Je sirote ma première gorgée de bière. La fameuse. Parfums de trèfle, de sudation, de pollen et de copeau de bois. La salle est bondée, les odeurs tambourinent sous mon nez. Toc, toc, on veut entrer, se faufiler et glisser entre les plis ; être analysés et soigneusement répartis. S’entasser aux rayons sauces et graillons, dégoter une petite case aux nouveautés eaux de toilette et s’épanouir à l’espace phénomènes de société. Toc, toc, on veut entrer ! J’hésite. Je préfère savourer ma bière. Les molécules impatientes insistent, gratte à l’huis et tentent un nouvel assaut lorsque je détache le nez de mon verre. On se calme les filles ! J’agite la main et provoque un tourbillon invisible autour de mon visage, j’imagine les ondes, vaguelettes ordonnées, éparpillant au loin les molécules impertinentes, mais c’est peine perdue, car ma curiosité toujours plus forte les voici qui rappliquent aussi sec et, j’accepte, bienheureuse victime, d’ouvrir finalement les vannes. Les odeurs sont emmaillotées, serrées comme pelote de laine. Grondement olfactif. Rumeur amère. Conversation cacophonique de mille molécules qui s’égosillent ou bourdonnent en chœur. Je trace un axe sur le paper-board de ma mémoire sur lequel je glisse le nuage odorant. J’épingle les signes pertinents et j’écarte les interférences. Je m’amuse à identifier la fadeur poivrée, alliacée, d’un sandwich pâté cornichon, celle aigrelette et soufrée d’un cantal beurre qui accolé au parfum miellé de la bière clignote sperme, celle grinçante d’un petit ballon de rouge, poussiéreuse d’un quart Vittel, sirupeuse confit-de-bois d’un porto presque noir, je capte un poc artificiel et je repousse le miasme conventionnel, tenace et métallique du désinfectant qui se faufile depuis les toilettes reléguées au sous-sol. Soudain, mon nuage aromatique se volatilise : le son supplante l’odeur. Un serveur gueule « attention chaud devant !» et passe derrière un couple, un plateau, en bout de bras au-dessus de sa tête, posé en équilibre sur ses doigts distendus. Au sommet, le Perrier lâche des gaz et disperse sur la foule des saveurs ludiques de menthe mêlée au rhum Baccardi. Je replonge et j’inspire la flaveur rassurante des tranches de pain frais tapissées de rondelles de saucisson. Je m’aperçois que ces dernières possèdent un relent commun avec les pêches en boite. Thé Lipton, odeur du foin après la pluie : pisseux et aigre. Café, odeur du cirage à chaussures et des cendres chaudes. Vaisselle rapide dans une eau grise au fumet de vieux ragoût, une lichette citronnelle de liquide décapant, une éponge flasque, insipide et rance. Va-et-vient. Courant d’air frisquet de la porte qui s’ouvre sur la rue. Automne. Premier marron chaud farineux et maïs grillé caramélisé. La porte se referme. Odeur chien-mouillé d’un croque-monsieur. Orange pressée. Chocolat chaud et lait bouilli maintes fois. Foule tumultueuse du soir. Parfums messager. Chypre et Oriental. Ce n’est pas un concert nouveau-jeune, mais bobos quarantenaires. Cologne et fougère. Tiens, au-delà de cinquante ans également. L’heure tourne, les arômes de mangeailles augmentent, basculent paisiblement en tonalités aiguës. Fromage fondu. Jambon chaud. Bière et vin blanc. J’éprouve la sensation d’évoluer dans un cours de danse au cœur de l’effort. Parfum de chaussons fatigués, de corps échauffés et concentrés, de linges et de cheveux moites. Un truc moelleux et réconfortant. J’en oublierai que mes pieds effleurent le sol tandis que mon corps est irrésistiblement hissé, comprimé par les piliers de bar de plus en plus nombreux….







jeudi 17 janvier 2013

Erreur et Mondes parrallèles

Bon. Je ne sais pas par quel coup du sort informatique "Cimetière 2" s'est retrouvé en tête de liste du mois de janvier, alors qu'il se trouvait bien sagement dans son tiroir au mois de Novembre pour la Toussaint....mais c'est comme ça.
J'ai du faire une erreur de manip, ne me demandez pas laquelle.
J'accepte que les matières premières odorantes n'en fassent qu'à leur tête et me donnent du fil à retordre, qu'elles s'échappent, me filent entre les doigts et me surprennent où je ne les attends pas, mais je ne possède pas ce degré de tolérance vis à vis des outils informatiques, ni aucune curiosité pour tenter de démêler l'intrigue du saut de puce.
Je fais avec
Et je vous prie de bien vouloir m'excuser pour les interférences dans notre programme..... :))

Cimetière 2

Novembre. Cimetière et Halloween. Tombe et citrouille.
Un post au jus de trouille !
Souvent, je me suis amusée à créer des parfums de minerai, des odeurs de potiron. J’essaimai au long des couloirs, entre les bureaux, par-dessus les étages, mes petits pots parfumés rangés dans mon panier, déterminée à les glisser sous le nez des évaluatrices ou des commerciaux. Qu’en pense ton nez ? Il est frais mon caillou ? Et ma citrouille, n’est-elle pas gironde ? Si, si, ça sent bon, mais à quelle fin ? Bah ! Des objets de cire, pourquoi pas. Mèche et bougie. Petite flamme et ambiance marine pour l’un, fleur des îles pour l’autre. Ne cherchez pas une signification quelconque, ce sont des histoires de marketing. Mes parfums de météorite ou de kryptonite connurent un succès d’estime qui n’a pas dépassé le seuil de l’entreprise : rigolo, hyper créatif, mais impossible à porter. Imaginez-vous affublé d’un pull de roche…ça gratte un peu, non ?
Novembre. C’est l’anniversaire du cimetière.
À Paris le Père-Lachaise s’étire au soleil, son odeur est douce, un peu miellée, rassurante. Le cimetière de Montmartre git au fond d’un trou, à l’ombre. Les chats sont nombreux. L’odeur de la pierre et de l’humidité fiche la trouille.
N’ayez pas peur. Attardez-vous dans les cimetières, rendez visite aux meubles immobiles : asseyez-vous sur une tombe en demandant auparavant la permission à la personne qui se trouve en dessous.
Respirez l’ambiance. Rien de morbide.
Souvent ces lieux, ouvert et uni, sont balayés par les vents, les courants d’odeurs. Les parfums s’en donnent à cœur joie. Combinaisons spontanées, hasardeux mélange minéral et végétal, d’ombre et de lumière.
Si vous souhaitez fuguer à l’automne, rendez visite au vieux cimetière du village de Château-Double dans le Var. Celui-ci tangue sur un éperon rocheux au-dessus d’une gorge fine qui mène jusqu’à la mer. Les tombes sont usées par la pluie drue et le soleil cru, les ronces forment dentelles et les cyprès larges et noirs, veillent, tels des chevaliers sans peur et sans reproche. La grille d’accès grince comme au cinéma et, sous vos pas, le gravier blanc croustille dans le silence comme des brisures de gâteau sec. La nuit, je n’irai pas. Trop la trouille. Mais un beau jour de novembre, le lieu est propice à la rêverie olfactive. La fumée des feux de broussailles se tortille jusqu’au sommet du promontoire évoquant des odeurs de coton, de jeans, de tarte aux mûres, et de bacon grillé. Les ronces libèrent à chaque frottement contre les pierres tombales un parfum de tabac et de noix de coco que je traduis aussitôt par Héliotropine + Gamma Octalactone. Une narine sur la brèche, le vent me taraude. Mon nez se refroidit rapidement et je ne sens plus rien. Je m’éloigne de la bordure de pierre qui retient les tombes en lisière du vide et je m’installe au soleil sur un rectangle de granit anonyme. Je papote un peu avec son occupant tout en me traitant de fofolle superstitieuse. La végétation alentour arborent ses plus beaux atours, tonalités citrouilles et amarante, tandis que je discerne l’amertume pamplemousse, caractéristique des térébinthes qui pullulent dans cette région. Non loin de mon épaule, un bosquet noir de laurier « sauce » pulse des vagues aromatiques. Je me rends compte que l’odeur du laurier est très proche de la saveur de la cardamome saupoudrée de cannelle. Une bourrasque m’apporte un reliquat de chêne sombre et moite, vétiver et helional, un vestige de bois de cade, résine et vanille, un savoureux effluve de lentisque, pointu et vif comme un combava. J’imagine le vent s’engouffrant dans le défilé, frottant les aspérités, ricochant sur les parois tandis qu’il dérobe pêle-mêle les sucs et les feuilles, les poussières et les brindilles, pour disperser à la fin de sa course, chaque jour en toutes saisons, son chapardage sur les stèles. Offrande évanescente. Âmes insaisissables s’abstenir.
Repue d’odeurs et de soleil, je ferme les yeux et m’assoupit. Soudain, mon nez toque et désosse une volute inédite, artificielle et chantournée : une eau de toilette. Ah ! Mais que vient-il faire ici celui-là ? Pas moyen d’être tranquille. Une femme. Anthranilate de méthyle, salicylate, musc macrocyclique, harmonie ambroxan/sandalore, labdanum en trace. Moderne….ou tendance vintage. Chloé, Amaridge, J’Adore…. Paupières closes, je consulte ma liste perso dans mon fichier cerveau, menu EdT, égrenant les possibles, éliminant au fur et à mesure les différents candidats qui s’affichent sur l’écran de ma mémoire olfactive à raison d’un détail, fruit, patchouli, rond, tubéreuse, lys, qui concorde ou non, avec les signes ténus qui s’échappent du ruban odorant qui s’effiloche, invisible, entre les pierres tombales. Intriguée, je décide de jeter un œil sur la visiteuse et de me lever afin de poursuivre mon chemin. Je ne souhaite pas être prise en flagrant délit de sieste dans un lieu de mort, quand j’interromps mon geste, en équilibre genoux fléchit, puis retombe assise et indécise, car il n’y a personne.
Juste un fantôme de parfum.









vendredi 21 décembre 2012

Salle d’attente pour fin du monde

C’est la fin du monde. Le début de l’attente. Je patiente.
Invisibles et inodores, les microbes sont là. Flânent alentour. Prêt à nous bouloter.
Mes enfants sont un met de choix. Un soir, comme tous les soirs, je pose mes lèvres sur leurs fronts d’enfants sages, bonne nuit mes petits. J’interromps mon câlin et mon blaire prend le dessus. Je renifle. Ma fille, comme mon fils, est habituée à ce manège, front immobile, corps tranquille. Son odeur à imperceptiblement changé. Moins sucrée. À peine plus aigrelette avec un trémolo de polenta, une lichette d’amidon. L’enfant couve. Un truc. Je ne sais pas quoi encore, mais je surveille. Je bisoute, fin de partie, la lumière disparait et la nuit peut se poser.
Le lendemain au réveil, l’odeur a disparu. Fausse alerte en apparence. Cartable et bonnet, en route pour l’école. Puis, l’après-midi un coup de fil. Le cordon fait signe. Votre fille à de la fièvre, elle dort, épuisée, la tête posée sur le coin de son bureau. Faudrait venir la chercher. Évidemment.
À l’école, je reçois un petit paquet tout chaud, mais sans l’odeur familière de croissant. Commué en miasme. Âpre et rance. Poisseux, comme un sirop trop cuit, rêche, comme une lime à ongles. Ma fille est dévorée par les germes de la gastro, plus un autre truc que je ne reconnais pas. Une inconnue, au parfum d’infusion de gazon trempé dans du lait de coco. Exotique, mais déroutant.
Deux jours plus tard, l’odeur verte et grasse infusée dans le lait de coco enfle tant et si bien au gré des sautes d’humeur de la température, qu’inquiète, enfin, je finis par échouer chez le médecin, Le Jour de la Fin du Monde. Maintenant. Et mon nez, avant même d’ouvrir la porte qui donne accès à la salle d’attente, se désespère. Aspire sans délai à la fin des temps. Au silence olfactif, pour une fois, juste une seule fois, et ensuite on pourra remettre le son…Car il y a un Homme derrière cette porte. Un type, viril, puissant, bardé dans une armure de Cologne. Des rivets agressifs de bergamote et le dihydromyrcenol soudés sous plusieurs couches d’allyl amyl glycolate, renforcé d’adoxal et d’essence d’armoise, protégé d’un immense bouclier de musc argent et de résines sable, armé enfin, d’une interminable lance de bois de synthèse, implacable, rugueuse et inflexible, vive le karanal… ! Je crie, grâce ! Cesse de m’estourbir et décolle-toi de mes narines !! Que nenni, s’écrit l’indécelable de la salle d’attente. Car mes yeux ne voient rien, quand mon nez englobe tout. Je découvre intriguée l’absence d’homme dans cette pièce exigüe, uniquement encombrée de femmes, de microbes et d’enfants malades à l’odeur fluette de farine et de pain perdu. Je m’assois sur le seul siège encore libre et écoute d’une narine distraite le radotage olfactif du fier guerrier. Le parfum mâle me poursuit dans l’antre du toubib. Volette autour de moi tandis que je règle la consultation, m’accompagne jusqu’à la sortie de la maison médicale et rapplique dans ma voiture, tandis que je prends le large vers la pharmacie. Au feu rouge, je m’interroge. Mon nez serait-il devenu incapable de s’autonettoyer, mes neurones seraient-elles en pannes de vélocités et mon cerveau tournerait-il fixette ? Arggggg !
Le parfum masculin m’empoigne, viol mon conduit nasal et s’installe, sans sourciller, dans l’antre de mon bulbe olfactif !  Fin de partie. Mon univers odorant est dévoré par le parasite. Virus. Écran Noir et dernière odeur : l’eau de toilette top-ten de cette fin 2012. Vaincue, je tombe sur mon volant et pose mon front sur le plastique dur et froid. La fragrance est encore plus forte, terrible et coupante. Étrange tout de même, à ce point-là. Je devrai plutôt percevoir les effluves fades de ma voiture, ceux du polymère gris et inerte. Poussière anisée et électricité statique : floralozone et lyral. Ben, non. Juste le molosse en armure d’aromates. Nez sur le guidon, je hume par petite touche. Centimètre après centimètre. Et découvre ahurie, que mes mains sont tout simplement barbouillées de parfum masulin, glané sans doute sur les accoudoirs du fauteuil de la salle d'attente. Finalement ce n’est pas la fin du monde, mais un simple accident de parcours entre microbes et hystérie mono-manique...

 

 

mercredi 12 décembre 2012

Grasse à l’odeur

Les murs suintent. Dans les calades sombres, encaissées, le relent demeure. Dissimulés sous les couches de crépis, prisonnier des voutes entre les immeubles enchevêtrés, il résiste. Se faufile et claironne les jours de pluie, enfle et fusionne les mois de chaleur. Mélasse noire. Odeur crasse. Entre moussaka et mousse de chêne.
Rue Droite, la langue de trottoir s’étire jusqu' au cœur de la ville, de son haleine. Le remugle du grignon d’olives, résultant des pressoirs à meules de pierres aujourd’hui disparus, badigeonne encore les murs d’une ruelle perpendiculaire et sinueuse. On devine, peint sur le flanc,  la raison sociale fanée des propriétaires. Émanations de gras ranci, de pop-corn brûlé, de chiendent humide et de pisse de chat en fine couche, qui marque le territoire de générations de félins qui se sont succédé sur ce pas de porte ombragé. Les traces des savonniers, façonniers d’une époque révolue, aux senteurs de soude et de cendre, d’huile d’olive et de mille-fleurs, persistent, reprit en cœur par les nombreuses boutiques "d'authentiques" qui alignent aujourd’hui leurs  vitrines colorées, en lieu et place des marchands d'autrefois --les boulangeries, qui fleuraient la fougassette parfumée à la fleur d’oranger, les confiseurs aux comptoirs débordant de pétales de fleurs cristallisées, de pyramides de melons translucides et de mandarines dégoulinantes de sucre confit-- afin d’attirer dans leurs rets odorants, des touristes empoissés par milles effluves de savonnettes et de sachets parfumés. Oxyde de rose, aux inflexions d’asperge et de limaille de fer pour rêver la rose de Grasse, alcool cinnamique, pour exprimer le mimosa, acétate de linalyle et coumarine, pour résumer la lavande, vanilline et éthyl maltol, pour susciter la gourmandise, essence de géranium, pour suggérer le rose de Bulgarie, methylionone, pour esquisser la violette de Toulouse,  isobornyl cyclohexanol, pour vous emporter sur les ailes d’un tapis volant parfumé au bois de Santal, evernyl et dihydromyrcenol, pour rafraichir les hommes au zeste de Cédrat. Des parfums de Cologne et de petites fleurs sages.
Naguère, la ville transpirait le patchouli et le ciste, les fleurs fatales et les résines brûlantes. Mais toutes ces odeurs ont presque disparu. Pour les débusquer, nez zélé, Il faut pénétrer les ruelles tordues et malpropres, quitter les couloirs touristiques et rattraper un filigrane enfouit dans les fissures, hébergé en tapinois sous l’enduit qui s’effrite, tressé laborieusement lorsque la ville vivait au rythme des usines. En ce temps-là, les fumées des chaudrons se détachaient des cheminées couleur de rouille perçant le ciel azur et s’épandaient sur la ville, effleurant les toits et barbouillant les façades, badigeonnant les vêtements des patrons et ceux des ouvriers, imprégnant la chair des femmes et des enfants, d’une odeur similaire et changeante. La récolte des roses au mois de mai nimbait la ville de cannelle et de miel, à l’approche de l’été pendant la saison du jasmin, les rues empestaient la dent gâtée et le foin mouillé, les gens grimaçaient, ne comprenant pas qu’une fleur si délicate puisse cocotter ainsi ; au mois de juillet, pour découvrir l’effluve de beurre clarifié de la lavande fraichement distillée, il fallait prendre le « bus des cocus » comme on le nommait, et filer dans la montagne ; lorsque c’était le tour des buissons de ciste la ville embaumait la barbapapa, puis, à l’automne, à la livraison des ballots de feuilles de patchouli, chacun se souvenait tout à coup qu’il devait ranger son grenier, enfin, venait le temps des matières sèches, celui des mousses d’arbres et de la mousse de chêne. Les filles devenaient rêveuses. Les hommes souriaient, benêts, nez au vent, et, sans que personnes ne s’en offusque, les boutiques fermaient plus tôt, les bureaux aussi, et la nuit se transformait en soupirs.
Il arrivait parfois qu’une des usines, moderne, en avance sur son époque éprouve un hoquet synthétique. Des relents étranges, indéfinissables, mais campés sur quelques solides molécules, ricochaient sur les murs de la ville et s’y attardaient pour ne plus les quitter. Hydroxycitronellal, aubépine paracrésol, isobutylquinoleine, ionones, un puzzle étrange où l’on devinait des fleurs de muguet, un lys narcotique et du cuir de vachette.
Aujourd’hui, mon fils potasse sa scolarité entre les murs du Lycée Amiral, large bâtiment en forme de U, crocheté sur l’un des versants de la ville. Lors des jours de mistral, quand les bourrasques retroussent les arbres et les vestes, des arômes de viandes grillées et de moussaka, quelquefois de crevettes surimi, viennent chatouiller les papilles des étudiants en cours d’anglais. Quand le vent tourne et se faufile depuis la mer, à l’est, les odeurs alors deviennent sucrées : fraise, framboise ou ananas. Les usines sont toujours là, sans cheminée ni fumerolles,  mais les vapeurs des arômes alimentaires ont remplacé une fois pour toutes, les fleurs et la mousse de chêne. Trêve de nourritures spirituelles ou romantiques, maintenant, les ados ont faim…

Le coin des curieux en quelques dates:
quelques découvertes de la chimie organique, utiles au métier du parfumeur depuis plus de 150 ans...
1833/34: aldehyde cinnamique, à l'odeur de canelle
1868: coumarine, à l'odeur de foin
1877: vanilline à l'odeur de gâteau
1877: aldéhyde anisique à l'odeur de mimosa
1885: quinoleine à l'odeur minérale de craie et de cuir
1898: ionones à l'odeur de violette, d'iris
1908: hydroxicitronellal à l'odeur de muguet
ect...

vendredi 30 novembre 2012

Parfum d’anonymat

Midi
Hôtel International.
Grande enseigne chic pour chambre standard.
Interrupteur à droite dès porte ouverte
Odeur immuable quelque soient la nation, la région, le quartier.
Marketing de mondialisation. Économie à grande échelle.
Murs moquette lit : dégradés de taupe. Le nouveau blanc, flexible et lessivable.
Je pose ma valise. Crochet pipi. Salle de bain taupe immaculée. Savonnette blanche. Effluves discrets : craie mouillée, ozone glacé, mie de pain, paracétamol.
Oups, je fuis les lieux.
Dans la rue, je rejoins les parfums d’humanité. Je sais où je me trouve. Vapeurs alimentaires, bosquets de fleurs et bouquet d'arbres, eaux de toilette, chiens chats chèvres ou vaches.

Minuit.
Dans la chambre de l’hôtel international. Lost in translation. Je suis déboussolée par l’absence d’identité olfactive.  
Draps, gel douche, linge amidonné et blush à chaussures : Craie mouillée. Ozone. Mie de pain. Paracétamol. Bulles d’odeurs lisses. Boule d’angoisse.
J’ai soudain mal à la tête. Mes odeurs me manquent.
Fenêtre condamnée. Air conditionné. Impossible de laisser les parfums du terroir pénétrer. Je quitte la chambre. Passe la nuit dans le bar de l’hôtel. Lumière tamisée, décor taupe incognito, mais effluves d’humanité. Je sais où je me trouve. Et m’endors sur un coin du canapé.



lundi 12 novembre 2012

Dépressive

Ce matin, le radio-réveil annonce que l’état dépressif est sensible aux odeurs. Le nez glissé sous ma couette, j’ouvre les oreilles. Le journaliste expose des études récentes et explique en un résumé succinct, flash info oblige, que "les patients atteints de dépression sévère présentent des troubles olfactifs qui les rendent étrangers aux odeurs agréables".
Nous sommes lundi. Pas de soleil, et la semaine se radine. L’humeur est maussade, faut retourner au quotidien.
Mais de mon côté je n’ai pas d’excuse.
Je suis dans les odeurs soir et matin
Pas de coup de blues.
Pas de chagrin.
Mine réjouie et rire au bord des narines.
Mon cerveau est sous Amphét olfactive. En permanence.
Je suis toujours de bonne humeur. En partance.

Et puis un jour, où tout semblait normal, j’ai commencé à broyer du noir.
Sans raison.
Car il faut bien faire partie d’un pourcentage de la population qui un jour achoppe et tombe dans la dépression.
Et tout s’est embrouillé dans ma tête. Les odeurs et le plaisir. J’ai commencé à perdre un marqueur, puis deux. Puis le reste s’en est allé. J’étais comme enrhumée. Un rhume de cerveau. À ne plus pouvoir sentir, ni ressentir.
Un nez en épave
Une humeur en lambeau.
Le médecin m’a fourgué des cachets, de bons conseils et le printemps à venir. Mon caractère devint plus souple, mes rêves linéaires et sans heurt, mon inventivité au repos. Je ne possédais plus de partis pris ou de libre arbitre. Tout me semblait supportable, les parfums comme le reste, au sein d’une bienveillante neutralité. Je sentais les nuages, la ouate et les plumes de mon duvet. Mes parfums fleuraient bon la farine, la meringue, la semoule et le coton peigné. Les effluves évoluaient en sourdine, feutrés et compassés.
Il m’en a fallu du temps pour finalement supposer une corrélation entre mon état d’esprit et l’état de mon nez.
Il m’en a fallu du temps pour débrouiller l’écheveau compliqué de mes sentiments étroitement noués aux parfums de mon quotidien, constituant cette bibliothèque de senteurs, imposante, féconde, sans doute étouffante.
J’ai offert le temps nécessaire à mon corps et à ma conscience de retracer le chemin des sensations. J’ai pris mon clavier pour dépeindre les odeurs, imaginer des effluves sans lendemain, évoquer des traces anodines pourtant singulières, et, doucement, l’odorat a pointé son nez, je n’étais plus une étrangère.





mardi 30 octobre 2012

Géométries

Recettes de géométrie. Formules ergonomiques.
Prenez quelques matières premières et faites les entrer dans une odeur que vous aurez au préalable imaginée.
Vous trouvez que ça coince ou que ça déborde ?
Du mal à fermer votre valise, même en vous asseyant dessus de tout votre poids ?
À moins que debout devant l'armoire vous ne demeuriez dubitatif. Ne sachant quels ingrédients choisir, ni comment les ranger ? La valise vide. Le nez en perdition. Le cerveau mou. La feuille blanche.
Ne désespérez pas.
Il existe des méthodes pragmatiques
Triangle
Rectangle
Rond.
Choisissez une forme. Au besoin, piochez un morceau de chaque, mélangez et inventez une nouvelle figure.

Triangle
La plus classique. Tête/cœur/fond
Organisez les ingrédients en fonction de leur temps d’évaporation.
Ne tiens pas compte de l’intensité de l’odeur, mais de sa durée de vie.

Rectangle
La plus logique. Familles olfactives
Organisez les ingrédients d’après leurs caractéristiques olfactives.
Ne tiens pas compte ni de l’intensité, ni de la durée. Prends en compte l’identité olfactive : vert, florale, fruité, boisée….

Rond
La plus abstraite. Tout fait sens, rien n’a de sens.
Prend en compte l'intensité, la durée et l'identité dans un rapport d’odeurs. Pas de hiérarchie ni d’organisation…en apparence.

Bébé parfumeur, mes matériaux sont classés par famille olfactive, par temps d’évaporation, par intensité et par affinité, soigneusement transcrit sur des fiches cartonnées. Mon bureau n’est pas assez grand pour toutes mes fiches et certaines essaiment sur la moquette grise. Je circule entre les noms chimiques et naturels, tel un échassier en quête de son repas. Je picore un nom puis plusieurs, tente de les associer pour former un triangle. Je ronchonne, car je ne sais plus où disposer ma figure géométrique. Finalement, je retire tous les cartons déployés sur mon bureau et les dépose à terre. La moquette disparait totalement sous une mosaïque de papier.
Penchée au-dessus de mon triangle, je crée un parfum chypré, légèrement fruité. Je tire la langue sur le côté et me concentre.
Je possède sur la pointe, de l’essence de bergamote, un peu d’orange douce, un truc chimique rigolo. Je trace un trait de séparation, ébauche la forme d’un tiroir et insère quelques casiers contenant des notes fruitées…flûte j’ai oublié de mettre des notes vertes pour zester la bergamote et rendre la pêche blanche plus naturelle. J’écarte légèrement mes petits cartons et j’ajoute le cis-3-hexenol entre l’agrume et les lactones.
Dans le tiroir suivant, je synthétise quelques bouquets de roses, un brin de muguet, une fleur de jasmin, en trois traits de matières. J’allonge avec une belle rasade de patchouli, une larme de labdanum, quelques brins de vétiver de synthèse. Je tasse le fond à l’aide d’une généreuse louche de musc macrocycliques et une noix de mousse de chêne.
Je fais rentrer le tout dans un cercle pour agiter le rapport d’odeur et vais de ce pas au labo, peser ma compo.
Car en ce temps-là je ne possédais pas encore le privilège d’être secondée d’une assistante. Devant ma balance de précision je compte et assemble chaque matériau à la demi-goutte près, par habitude je donne un petit coup de nez lorsque je débouche le flacon contenant le produit. Je nourris ainsi ma mémoire et vérifie que le produit n’est pas pollué, que son odeur est bien celle supposée. La pollution est le grand ennemi du parfumeur, le rhume non.
Total achevé.
Concentré
Solution
Petit flacon et jolie étiquette. Chypre Fantastique n° 1. 8% alcool 90°. Mars 1995.
Je retourne dans mon bureau, loin des émanations du labo. Atmosphère propre et paisible, nonobstant le foutoir crée par tous les morceaux de papier éparpillés sur le sol. Vous connaissez les habitudes du parfumeur : petite trempette de la mouillette, quelques secondes d’évaporation, puis on glisse la languette de papier sous le nez. Un bref instant. Afin de ne pas saturer les cils olfactifs. Au début, l’effet est souvent coup de poing. A cette époque, j’avais même tendance à reculer sous l’impact. Aujourd’hui, je fais corps avec la touche imprégnée, nous formons un couple. Donc, j’inhale. Et je découvre une odeur très agréable, douce et chaleureuse, lisse et lumineuse. Parfaitement équilibrée. C’est génial, la recette de géométrie fonctionne !! Ça sent bon. Très bon. Très, très bon.
Je prends quelques minutes pour me tartiner de fleurs, m’autocongratuler et me caresser le nombril dans le sens du poil, puis je donne un nouveau petit coup de nez, pour vérifier que le parfum tient ses promesses. Ça sent toujours très bon. Très, très bon. Et puis c’est tout

Il semble que je dans mon souci de mettre en pratique une recette de géométrie je perds de vue l’essentiel : le récit. L’intrigue.







mardi 23 octobre 2012

J’veux du cuir

Un matin, l’orage s’abat comme du plomb. Brouillard épais et route toboggan. Le laboratoire est froid. Lorsque j’ouvre la porte, les murs ne résonnent plus du même son sous mon pas. L’humidité rampe, invisible. S’invite et s’infiltre. Gonfle les meubles en bois. Le casier où je range quelques vieilles formules bloque. Buté, il ne sort pas de ses gonds. J’insiste, avec toute la douceur féminine dont je suis capable. Le tiroir ne veut rien entendre et finit par se fendre. Un bout de bois dans la main j’accepte les dégâts. Dépitée, j’abandonne la baguette brisée dont je réglerai le sort ultérieurement.
Trois mois plus tard.
L’intrigue n’a pas beaucoup progressé.
Mon tiroir fait toujours la gueule, mâchoire de travers passablement amochée.
Accepte de l’ouvrir, car le temps est redevenu sec.
Un mois plus tard.
Beau temps sans nuages.
Je tire une fois de trop. Fatigué, le tiroir capitule, sacrifie poignée et tablette.
J’ai un meuble borgne. Je tourne à l’orage.
Je tente une réparation au sparadrap. Me rend compte que ce dernier dégage une fine odeur d’irone alpha qui évoque la farine de châtaigne et la chair de poire. J’abandonne le bricolage et retourne à mes formules. Je joue avec les ionones pendant quelques jours et j’oublie mes soucis d’ameublement.
Trois semaines plus tard.
La pluie tombe.
Le sparadrap se débine.
Je n’ai rien sous la main. Un élastique, peut-être ?
Paresseuse, je n’ai pas envie de prendre ma voiture pour aller chez Leroy-Merlin, je me rends à pied chez mon voisin. Il me tend un saut en plastique et un pinceau. "Tout se rince à l’eau", me dit-il, et il retourne à ses occupations. De retour dans mon bac à sable, je m’amuse avec mes nouveaux jouets. L’étiquette sur le pot indique « colle de poisson». Je pensais que ce procédé n’existait plus depuis des lustres. L’odeur m’attrape, comme hameçon l’esturgeon et tandis que j’enduis les angles du tiroir avec application, je dévide, à chaque coup de pinceau, la bobine éphémère où s’enfile des molécules odorantes que je gobe et digère tour à tour.

Encre. Vinaigre. Sel. Pop corn. Sauce Nems. Bitume. Louis Vuitton. Place du marché de Vintimille.

Vintimille est en bord de mer.
Mais il n’existe pas de marché aux poissons à proprement parlé.
J’interromps mon barbouillage et immobilise le pinceau enduit de poix sous mon nez.
Je découpe la trainée odorante signal après signal afin de reconstituer le parcours aléatoire et pourtant logique du dénouement. Tel le mouvement de la course d’un athlète que l’on visionne au ralenti, mouvement après mouvement, pour en saisir la trajectoire. Je plonge littéralement dans l’odeur, progresse strate après strate afin de mettre la main sur l’ornière qui m’a fait soudain basculer, buter contre le monogramme brun et or, puis chuter sur cette ville frontalière en Italie.
Encre et bitume : des pâtes aromatisées à l’encre de sèche ?
Sel et vinaigre : la sauce nuoc-mâm élaborée avec des anchois fermentés dans une saumure ?
Pop corn et sauce nems. Je persiste dans les émanations de bouffe et de poiscaille.
Bitume et cambouis. Lapsang souchong. Noire et âcre comme l’encre, comme la fumée. Thé fumé. Salé et noir comme la saumure. Amer et animal. De couleurs en sensations, je parviens à dégager une silhouette parmi les images odorantes qui dessinent une trame floue et mouvante.
La colle de poisson embaume l’absolue de castoréum, substance sombre et animale qui rappelle les odeurs, fauve du cuir, âcre de la fumée. Et, dans la seconde qui suit, je comprends que ce relent caractéristique de peaux tannées m’a transportée chez Vuitton puis sur le marché de Vintimile où fleurissent les contrefaçons. Des cuirs à l’odeur de poisson.
Car ces objets sont la plus part du temps confectionnés en Asie. Et mon intuition me souffle que la colle, employée pour assembler les différentes bandes de cuir, est produite à partir des arêtes de poissons.
Lorsque j’ai musardé au printemps de l’année passée entre les étals du marché de Vintimille où je trainais mon nez en touriste parmi les eaux de toilette falsifiées aux noms et aux formes à peine voilées, à la découverte du contre-type pertinent ou des rateaux, le remugle étrange, inhabituel et terriblement puissant de la maroquinerie d’imitation a visiblement marqué ma mémoire olfactive sans que j’en prenne alors pleinement conscience. Brave petite mécanique ! Chaque effluve que je croise en chemin est automatiquement photographié par mes récepteurs logés dans mon renifloir, puis stockés dans ma mémoire protéiforme. Vaste collection d’instantanés en transit, qui surgissent au hasard des circonstances, s'agitent et bondissent, s’emmêlent les pinceaux, comme lors d’une séance improbable de bricolage par exemple.

Le nez apaisé, je poursuis ma besogne et fini d’assembler les différents morceaux de bois. Pour maintenir le tout, je pose le Petit Larousse au sommet, bien à plat. Satisfaite de mon travail, j’ouvre la fenêtre afin de disperser les odeurs de cuir contrefait et quitte mon bureau pollué.
Plus tard, penchée sur un mug de thé, je me rends compte que celui-ci dégage une fine odeur de suédine. Sous mon nez, un thé noir, mélange de Ceylan et d’Assam additionné d’une lichette de lait.

Hop ! Dans la boite à odeurs. Noir et blanc. Fumée et Benjoin…..Alice court après le lapin, Céline après le daim.