mardi 2 septembre 2014

L’amante charmante

Elle sent bon. Elle est propre.
Elle sort à l’instant de la douche. Elle a pris soin de faire sa toilette avec un gel douche hydratant, un shampoing purifiant, et, pour finir, elle a complété son geste par un savon intime délicatement parfumé et hypoallergénique. La serviette éponge avec laquelle elle a tamponné son corps humide sent encore la lessive. Elle a hésité un moment à s’appliquer un baume pour le corps. Elle désire avoir la peau douce, mais pas trop parfumée. Elle craint l’amoncellement étourdissant des effluves.
Elle sent bon. Elle est fraîche.
…Il ne pourra pas lui dire qu’elle sent la moule, la truite, la sueur.
Nue, sur la pointe des pieds, elle choisit dans son armoire une longue robe en coton blanc, aux courtes manches ballons, resserrée sous les seins par un large ruban du même ton. Le vêtement glisse autour de ses bras levés, voile le corps. Le cou jaillit, long et fin, mettant en valeur la vulnérabilité de la nuque. Quelques mèches de cheveux propres et parfumées s’échappent d’une épingle et coulent sur une épaule. Elle tend la main vers le nouveau flacon de parfum qui miroite sous la lumière, offre une goutte à son nombril et c’est tout. Le tissu de la robe se chargera de soulever et déposer par touche, le nectar, sur le reste de son corps.
Elle sent bon. Elle est belle.
…Il ne pourra pas lui dire qu’elle manque de goût.
Le temps s’étire. Il est en retard et elle commence à se faire du mauvais sang. Mince, elle ne doit pas se tourmenter, car la transpiration va s’enclencher, s’intensifier, son odeur corporelle va se modifier et se torréfier. Se calmer. Ouvrir la fenêtre et aspirer un bon coup. Soupirer. Dans un sursaut de panique, elle porte la main à sa bouche, souffle doucement et tente de détecter quelques remugles dans son haleine. Sa respiration semble neutre, à peine sucrée, avec un léger arrière-goût de menthe.
Elle sent bon. Elle est saine.
…Il ne pourra pas lui dire qu’elle est vulgaire.
Elle vérifie le lit. Les draps sont propres. Changés dès son réveil. Rien ne traine sur le fauteuil crapaud où tous les soirs elle jette ses vêtements de la journée. Rien non plus sous les meubles. Les écharpes ont été fourrées, cachées, dans le tiroir de la commode. Les placards sont soigneusement clos sur le fourbi.
La chambre est nette. Astiquée et ordonnée. Au cas où.
…Il n’aura pas le temps de le dire.
Elle quitte la pièce, traverse le salon et parvient dans la cuisine. Pourquoi n’arrive-t-il pas ? Tout est prêt. Propre et bien rangé. Geste irréfléchi, elle tend la main vers la cafetière dans laquelle traîne un fond de café chaud. Odeur tellement rassurante. Elle se sert une tasse, le regard ailleurs, rêveur, goûte la gorgée amère. Révulsée, comme piquée par une abeille, elle expulse le liquide noir dans l’évier. Flûûûûte, je dois retourner me brosser les dents ! Pourvu qu’il n’arrive pas à ce moment-là ! Elle court vers la salle de bain, arrache la brosse à dents de son support, tartine de dentifrice les poils blancs et nets, frotte résolument sa langue, ses dents, ses gencives. Crache plusieurs fois. Rince abondamment. Les odeurs sont maîtrisées, mais pour le reste : cheveux en bataille, maquillage gâché, regard perdu, éclaboussure d’eau sur la robe, elle n’ose même pas y penser. Ne se regarde pas dans le miroir.
Elle sent bon. Elle est propre
Elle a sauvé l’essentiel. Il n’est plus temps,
La sonnette retentit.


Plus tard,
Mais pas si tard finalement.
Les draps ne sont pas froissés,
Les coussins n’ont conservé aucune empreinte.
La chambre est intacte, inodore et parfaitement rangée.
Dans le salon, sans doute ?
Non plus.
Dans la cuisine
Elle vient de se faire un café et le savoure, radieuse et apaisée.

Sur le pas de la porte, il s’est penché vers elle. Heureux de la retrouver. Sa bouche s’est longuement attardée sur son cou, rond et doux. Derrière ses oreilles, petites et joliment dessinées. Il lui a dit qu’elle était charmante. Une belle amante.
Mais...sans saveur
Il a saisi la longue mèche de cheveux brillants abandonnée sur la poitrine et l'a contemplé un instant avant de la porter à son nez. Comme à regret, en soupirant, il l’a glissé derrière l’épaule parfaite, immaculée et parfumée. Puis, sans regret, il s’est détourné et a repris les escaliers, vers la rue, la vie, les odeurs.
Elle a refermé la porte, libérée…