jeudi 12 juillet 2012

Coquetterie

Ma fille balance une formule imparable lorsqu’elle remarque une gamine vêtue de rose qui se tortille et dessine ses lèvres en rond de cerise : « elle fait sa belle ».
La cour de récré et son dialecte impitoyable.
Ainsi, j’ai fait ma belle, et maintenant je m’en mords le nez !

Mais que m’a-t-il donc pris ce matin ? J’ai empoigné ma brosse et d’un mouvement ample et volontaire j’ai entortillé mes cheveux, élaboré un chignon, trois épingles et puis voilà ! Très fière de moi et ravie du miroir mon beau miroir.
Un reflet plus tard, une mèche s’envole. Puis trois. Sur le nez. Perdue le style de vue !
Qu’à cela ne tienne, j’ai de la colle pour coiffure gothique. La tignasse de mon fils, droite et rebelle. J’inverse le processus : je lisse et je plaque. Une lichette de spray, rien n’y fait. La mèche se dresse fière et raide au sommet du crâne, s’échappe derrière les oreilles, crinière de cocker. Je mitraille encore une fois et rabats soigneusement des deux mains, étirant vers la nuque. Lifting éphémère, visage nippon. Je parachève et disparait dans un brouillard gluant au point de ne plus distinguer mon reflet dans le miroir.
Je tousse. M’étouffe. Mais le résultat est enfin là : j’ai un casque. Plus rien ne bouge. Manque de naturel ? Tant pis. De toute manière il n’est plus temps, je dois courir déposer ma fille au centre aéré et ma pomme cheveux collés, au bureau.

Et là, comme je vous tape. Sur le clavier, s’entend. J’ai le nez coincé. Mon petit café du matin «crognote» l’aldéhyde. Disparues, les notes caractéristiques de torréfactions, de bois cendré, de groseille ananas et d’amertume revigorante.
Me voici transformée en monolithe. Agrégat suffocant,  monocorde et linéaire
Même les singes de « 2001 l’Odyssée de l’espace » n’en sauraient que faire et se détourneraient.
Z’auraient bien raison
Je pue !!

Cette laque est un parfum. Une composition de nombreux matériaux. Un accord soigné et sophistiqué, émettant sans interruption des ondes odorifères toutes fréquences. Je ne l’avais pas remarqué, car, jusqu’à présent, j’avais le nez ailleurs, occupé par la routine du matin et les gestes du quotidien. Yeux et oreilles. Mais maintenant, je suis un nez. Un appendice pointé sur les flacons et les bouts de papier imprégnés depuis la veille pour effectuer les vérifications et les exercices de routines. Dès la première touche humée, j’ai pilé sans airbag, le blair tout à coup badigeonné de parfum capillaire !! @*$%**#*§@* !! Et j’en passe ! Piégée comme un lapin dans la lumière. Impossible de me détourner de cette saperlipopette d’odeur fleurie fruitée aldéhydée. La laque est plus forte que moi !
Grosse fatigue.
Depuis mon arrivée au laboratoire je me déplace et vaque à mes occupations tel un atome, escorté de mon petit nuage d’électrons capiteux.
Pourtant je pense à tout. En fille pro tout ce qu’il faut :
Une lessive neutre. Pas d’assouplisseur.
Pas de gel douche extravagant, uniquement des crèmes hydratantes sans parfum.
Pas de déo parfumé, ni d’eau de toilette.
Pas d’oignon, ni cigarette, ni ail, ni chewing-gum.
Un corps neutre. Une peau saine. Une alimentation rigoureuse.
Une vie de moine, sans fromage, ni bière, ni liqueur
Mais ce matin
Accroc au quotidien. Coquetterie inattendue.
Un jet de laque et patatras ! Nez au beurre noir.

L’effluve s’en va, puis revient. Cogne contre la paroi nasale comme une mouche. J’ai beau agiter la main, rien n’y fait, le parfum revient aussitôt se poser sur mes cils olfactifs.

Autocritique.
Je me suis remémoré toutes les nobles déclarations adressées aux jeunes apprentis et aux journalistes, quand j’explique le plus sérieusement du monde que la pire circonstance pour un parfumeur n’est pas de choper un rhume, mais d’être pollué par des émanations accidentelles… Railleuse, j’ai donc rassemblé ma longue expérience, concentré mon énergie façon maitre yogi et trouvé une issue : j’ai coupé mon nez en deux.
C’est une façon de parler.
Je n’ai pas tailladé ma chair au laser.
J’ai psychiquement dissocié le décryptage et l’analyse.
Une partie de mon nez continue d’identifier inlassablement, en vieille connaissance, la formule capillaire chaque fois qu’elle effleure la cloison nasale, tandis que de l’autre, je dissèque et décortique les essais du moment. Plus simplement, j’écoute d’une narine distraite le babil de la laque et je concentre toute mon attention sur ma signature personnelle.
Parfois, les deux se font des nœuds. C’est un peu fatigant de les séparer, j’ai l’impression d’écarter un frère et une sœur qui se chamaille pour un rien, mais bon. Je retrousse les narines et je chemine entre les molécules. Le truc rigolo c’est qu’au fur et à mesure de la journée l’odeur de mes cheveux évolue. Ce matin, je découvrais les aldéhydes et les accords fruités. Maintenant, bien que j’analyse toujours la note aldéhydée (c’est du costaud ces trucs-là !) accompagnée d’une guirlande de petites fleurs, je découvre désormais le refrain lancinant des muscs de synthèse.
J’attends avec impatience de pouvoir rentrer chez moi et plonger la tête sous la douche.
Hop ! Evacué, rincé, dans le tuyau, le parfum des cheveux. Ça m’apprendra à vouloir faire ma belle de bon matin. Un désir de vacances sans doute….




































vendredi 6 juillet 2012

Parc Monceau

Un jour de la semaine avant l’heure d’ouverture des bureaux.
J’ai rendez-vous dans cet arrondissement parisien où les avenues sont larges, les immeubles cossus et l’élégance discrète. Le soleil matinal éclabousse les allées du Parc Monceau humides de l’ondée survenue au cours de la nuit et offertes à cet instant aux petites foulées matinales.
L’air est frais. Piquant.
Chatouillée, je savoure une fine odeur de terre mâchonnée par les eaux de pluie, un remugle de tabac détrempé, aussitôt englouti par la marée nauséabonde des déjections des toutous du quartier s’adonnant sur les trottoirs. Je dépasse un caniveau où traine une odeur de vinasse. Nulle bouteille brisée aux alentours. Aucun étron, ni mégot. Juste quelques feuilles de platanes tombées au sol au cours de l’averse et qui broyées sous mes pas, évoque le relent discret du gant de toilette flapi. Tout est nettoyé, harmonieux, à sa place. Pourtant, les odeurs sales omniprésentes me dérangent.
Dans le Parc les joggers trottinent, en rond. Je m’assois sur un banc et contemple leur effort. Petites foulées régulières, visages fermés et bras serrés. Parfums déo et sueur saine première pression à chaud. Un tour, puis deux, tous les coureurs évoluent dans le sens des aiguilles d’une montre et déploient dans leur dos un sillage irréprochable, boisé, musqué ou fleuri, tel un immense ruban opaque brodé de sequins argentés. Chaque élément est à sa place. La cadence régulière et soutenue. Mais l’odeur de propre me dérange.

Ce quartier raffiné du 17em refoule un effluve de circonstance. Sans surprise, ni tapage. Tiroirs bien commodes et étiquettes de rigueur : linge amidonné et crottes de chien.
J’ai le nez mal luné ce matin.