Grève SNCF et tribulations
olfactives.
En gare de Marseille,
je soupire, car nous sommes bien loin de notre destination.
Voiture 5, étage
inférieur ras des rails, place 13. J’ai de la chance, je suis assise dans le
sens de la marche et j’ai un petit peu de place pour mes jambes. Le train est bondé
et de nombreuses personnes demeureront debout durant les cinq heures de trajet,
ou assises de guingois sur leurs valises au détour des couloirs d’accès et des
escaliers qui mènent aux étages supérieurs. Rarement, je me suis retrouvé au
cœur d’un tel maelstrom odorant. Porte du compartiment close, l’air fonctionne
en circuit fermé. Chaleur, humidité et odeurs en rotation permanente, comme enfournée
dans un sac de couchage, capuche sur le visage. Parfois, un filet de
climatisation picote ma narine droite, tandis que la gauche poursuit l’examen
des molécules pertinentes de l’eau de toilette de ma voisine. Caricature de la
féminité parfumée d'aujourd'hui. Crinoline, bonnet G et broderies floquées,
manches gigot et traine aussi longue que celle de Lady Di le jour de son
mariage. Côté droit de ma narine lorsque la clim offre un trou d’air, un homme
parfumé se dresse dans toute sa verticalité. Point de jeux de mots scabreux, mais
une scénographie olfactive, délibérément matérialisée par les concepteurs d’odeurs.
Le parfum masculin se caractérise par une concentration de matières premières
aux effluves raides et pointus. Le parfum féminin, par une accumulation de
matières premières aux accents ronds et moelleux. Une barre. Un cercle.
Lorsque j’appréhende
une formule commerciale, je débute par un assemblage de matériaux odorants
asexués, éprouvés depuis plusieurs générations de succès commerciaux pour leur
puissance, leur stabilité et leur rémanence. Puis à un moment donné, un
embranchement se dessine. À gauche, strate par strate j’emboîte des matières
poudrées et huileuses, sucrées de préférence, et le parfum bascule dans une
féminité doucereuse. À droite, hachures et gros pattés bien carrés, à l’aide de
matières sèches et rigides, l’érection surgit. L’une déborde. L’autre bombarde.
Puissance identique. Discours différent.
Mais, c’est une chose
étrange de tomber nez à nez systématiquement sur les dissertations publicitaires
qui prônent une apologie du droit à l’individualité, quand le modèle olfactif de la
féminité et de la masculinité est circonscrit à deux pyramides olfactives, convenues
et réactionnaires.
Tyrannie du genre…
Ah, mais, je ne peux
pas écrire de telle manière….Je me tire dans les pattes, je crache dans la soupe. Ensuite, plus de
clients, plus de parfums, et je suis bien embêtée.
Sinon, j’accepte avec
lucidité le fait évident que je fais partie d’un système économique presque pas
tout à fait parfait (ce n’est pas la première fois que cela arrive dans l’Histoire
du monde des humains, et on a vu bien pire !), car je suis un être social
qui doit gagner son pain quotidien, et j’écris des formules comme un nègre des
compliments, et parfois, car notre système est libre, ouf !, je
transgresse, et j’offre en partage à celles ou ceux qui souhaitent humer dans
une autre direction, une autre vision.
Mon train n° grève,
lui ne se prend pas la tête. Il reste bien agrippé à ces rails, et
m’emporte avec retard direction la
capitale. Tout comme je peux bien grommeler de temps en temps, et faire ma
bégueule, mais bon, zou, faut bien que j’avance.